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samedi 15 mai 2021

Tom Sawyer

 


Le temps s'est réchauffé d'un seul coup, et la végétation s'éveille de la même manière, à toute vitesse. Partout de vaporeuses ramures d'un vert lumineux et translucide, partout des fleurs de merisiers et de pommiers, les jonquilles, les narcisses, les tulipes... Mais un orage de grêle a endommagé ce matin, ces corolles fragiles qui embaumaient tout mon jardin.

Hier, je me suis installée dehors  pour jouer des gousli. Ces sons cristallins et hypnotiques me mettent dans état contemplatif bienheureux et profond. Ils réunissent autour de moi tout ce qui m'entoure, le vent qui m'effleure et froisse les feuilles naissantes, emportant des nuages argentés et fripés, pleins de lumière; les fleurs du poirier, les petites lampes des narcisses dans l'herbe verte; les chats répartis autour de moi, Georgette sur la table, Blackos sur la chaise, Robert à mes pieds. Le tonnerrre gronde au loin, des gouttes s'écrasent autour de nous, le ciel bascule dans une ombre énorme et pourtant la pluie brille comme une chute de minuscule diamants, imprégnée de soleil. Tout cela entre en moi avec le chant des gouslis. Je pense quelquefois que si par malheur je finissais ma vie aveugle, eh bien d'avoir appris à en jouer me permettrait de continuer à créer.

Comme je ne peux plus fermer mon portillon depuis les travaux du voisin, j'ai eu la surprise de voir tout à coup dans mon entrée une bonne femme hagarde au front tuméfié. Elle sentait la vodka à plein nez et me demandait de l'argent, que je n'avais pas, en me racontant des histoires à dormir debout. Je lui ai donné une série de pièces grattées dans mon porte-monnaie, elle est repartie vers les voisins pour leur en extorquer aussi. La jeune Nadia venue m'aider m'a dit que je n'aurais pas dû lui donner quelque chose. C'était la femme qui avait adopté la soeur de ma chienne Rosie, et celle-ci d'ailleurs la suivait, inquiète, sans doute pour la protéger, ce qui m'a emplie d'une profonde tristesse. 


Aujourd'hui, se répétait l'opération Tom Sawyer qui consiste à repeindre une vieille maison typique pour embellir la ville et attirer l'attention des habitants sur leur héritage culturel. Cette fois, j'ai participé. Et tout le monde était ravi que la curiosité locale se soit jointe à l'affaire. J'ai même du poser pour la photo et discuter avec une délégation de jeunes touristes.

En ce qui concerne mes propres histoires de maisons, je passe par toutes sortes de stades. Il ne m'est naturellement pas facile de laisser celle-ci, bien que, dès le départ, elle ne m'ait pas semblé répondre à ce que j'attendais, mais j'ai déployé beaucoup d'efforts pour lui donner du charme et organiser son jardin, je n'imaginais pas encore partir. Ma voisine Ania est venue discuter avec moi, elle ne voudrait pas perdre le contact. La famille d'Ania est la meilleure du quartier, et leur fils est un vrai jeune garçon russe. Il est obligé d'aller à l'école après le déjeuner, de sorte qu'il n'a plus de temps pour rien d'autre. Dans l'esprit contemporain, l'école doit primer sur tout, et nous ne sommes pas censés, au cours de notre vie, avoir du temps pour quoi que ce soit d'autre que l'école, puis le boulot; avoir du temps, cela permet de penser et de réaliser qu'on n'est quand même pas né seulement pour "travailler de toutes ses forces pour son patron", comme disait monsieur de Mesmaeker en regardant Gaston Lagaffe jouer dans les feuilles tourbillonnantes, chassées par le vent d'automne.

Ania pense qu'on nous prépare un monde horrible, où il n'y aura pas de place pour les faibles, les vieux, les petits, un monde où règneront la prédation et l'indifférence, et elle est heureuse d'avoir eu le temps d'élever ses enfants dans un endroit encore normal. Elle pense que Poutine ne marche pas là dedans, mais qu'il n'a pas les pouvoirs qu'on lui prête, et c'est certain qu'il ne les a pas. 

Une personne m'a contactée sur facebook, pour me dire qu'elle habitait Pertsevo, me donner son numéro de téléphone et m'offrir son aide et son amitié...

Dans la nuit, je suis sortie, et j'ai vu un chaos de nuées blêmes dans un ciel déjà pâlissant, grisâtre. Des gouttes tombaient. Les rossignols chantaient de toutes parts.

Pour nous remonter le moral, Rita:





jeudi 13 mai 2021

Pow-wow chez Benjamin

 A mon retour de Moscou, j'ai été invitée le soir même par le père Dimitri, qui officie avec le père Valentin et était de passage à Pereslavl, dans un restaurant à l'extérieur de très mauvais goût. Néanmoins, on y mange très bien. Il y avait même longtemps que je n'avais pas aussi bien mangé. Je dois mes découvertes gastronomiques locales aux prêtres du père Valentin !

Il était avec sa femme, son plus jeune fils, et un paroissien. Nous avons passé un moment intéressant et chaleureux. C'est un homme fin, intelligent et humain, très doux.

C'était hier l'anniversaire des 800 ans de la naissance du saint prince Alexandre Nevski, auquel je m'adresse souvent pour lui demander d'intercéder en faveur de sa ville défigurée, mais je suppose que, comme dit Slobodan Despot, tout maintenant doit s'accomplir et que nous boirons la coupe jusqu'à la lie.

Hier soir, c'était Benjamin le cosaque suisse qui m'avait invitée à goûter les saucisses de sa fabrication. C'était une réunion des futurs habitants du village. Lui n'a pas l'intention d'y mettre pour l'instant autre chose que ses abeilles, mais Romane et Olia vont y habiter et une jeune femme présente y a déjà construit avec son mari un bain de vapeur en attendant la suite, les bains de vapeur sont souvent de petites maisons qui peuvent servir l'été. J'ai évoqué la question de l'eau et de l'électricité capricieuse, Benjamin m'a confirmé que cela pouvait poser des problèmes. Il a appelé un résident du village qui lui en avait parlé. Celui-ci nous a dit qu'il y avait des baisses de courant mais que ce n'était pas tragique et ne compromettait pas l'installation d'une chaudière. Il se réjouit de nous voir arriver et m'a signalé qu sa femme me suivait sur facebook. Benjamin a ensuite proposé d'inspecter ma maison avec Romane, qui doit y faire les travaux. Puis la question de l'achat des terres de l'ancien sovkhose est venue sur le tapis. Benjamin a acheté cinq hectares pour ses abeilles, Romane à acheté 5 hectares, et aussi un autre cosaque, mais celui-ci projette une horrible clôture. Il y a 8 hectares en vente qu'il faut acheter vite avant qu'un promoteur ne mette la main dessus, car les terres agricoles sont inconstructibles, mais on construit quand même. Et si les promoteurs font ce qu'ils veulent, le citoyen lambda qui achète des terres agricoles doit les exploiter. Les Français ne peuvent acheter comme je me proposais de le faire, avec un ami, pour sauver la situation, mais la jeune femme et son mari en prendraient la moitié et l'achat se ferait en son nom, avec pour garantie une location fictive de 50 ans qui empêcherait toute rétrocession sans mon accord. Si j'ai bien compris le système, l'important, c'est qu'il y en a un. Et à plusieurs, cela ne nous reviendra pas cher.

Évidemment, tout cela est pour moi bien intimidant, mais cela me place dans une communauté d'intérêts et de vision des choses, nous voulons tous vivre à l'écart de la folie ambiante. Chose curieuse, un intellectuel vivant dans un autre village du coin à lancé un SOS sur Facebook pour faire acheter des hectares agricoles avant que des promoteurs ne se jettent dessus. Il y a quand même des gens qui en ont marre. Je sais qu'il y a encore un autre village où les gens se sont fédérés en communauté pour résoudre leurs problèmes et restaurer leur belle église. Parfois on en arrive même à refaire la route en commun. Les autorités s'en foutent, elles préfèrent bétonner les lacs. Déjà si, à défaut de faire leur boulot, elles ne viennent pas nous emmerder... 

Ce village sera plein d'enfants, il y a déjà une famille nombreuse, Romane et Olia en ont cinq ou six, la jeune femme quatre. Les orthodoxes font des enfants.

Benjamin a la chance d'avoir un grand terrain, et il est déjà arboré, cela le protège relativement des ovnis, mais à cause d'un voisin qui a fait comme le mien, balancer des tonnes de glaise chez lui, il a des remontées d'eau qui compromettent ses récoltes de pommes de terre.



mercredi 12 mai 2021

Au Kremlin

 


Hier, j'ai trouvé le courage de faire du tourisme et me suis lancée dans la visite de l'exposition consacrée, au Kremlin, aux derniers représentants de la dynastie de Rurik, soit Ivan le Terrible et ses fils, et à leurs successeurs du temps des troubles. Je me suis dit que ce serait peut-être la dernière fois que je m'imposais une telle expédition. La fois d'avant, avec Henri et sa femme, des meutes de Chinois nous avaient découragés. La covid a chassé les Chinois, et je suis arrivée tôt. Il y a maintenant un nombre impressionnant de caisses, dans un édifice en verre, cela me rappelait la gare de Lyon ou un aéroport. Et comme dans les aéroports, fouille des sacs, portique électronique etc. l'impression que tout devient terriblement complexe, isolant, et que ceux qui ne pourront s'adapter n'auront plus qu'à crever, une existence trépidante, vide, qu'on supporte quand on en a la force, qui laisse vite vidé, et une fois vidé, à la poubelle.

Depuis le pont qui franchit les douves, je voyais une petite église écrasée par l'énorme masse du palais des Congrès, que ce gros plouc ukrainien de Khroutchev à bâti en détruisant le très ancien monastère médiéval des Miracles, ou étaient enterrées les grandes princesses et tsarines jusqu'à Pierre le Grand. On ne peut pas dire que cet ovni s'inscrit mal dans le paysage, son propos  étant à l'évidence de s'y imposer avec l'arrogance d'un commissaire du peuple qui croise ses bottes sur une table marquettée et les essuie avec le napperon de dentelle.

J'avais pris aussi un billet pour la visite des cathédrales, que j'ai visitées plusieurs fois, car je voulais depuis longtemps aller prier dans celle où repose le métropolite Philippe, celle de la Dormition. En débouchant sur la place, je me suis trouvée, avec une émotion intense, face à celle de l'archange Michel, dont les coupoles délavées d'azur et incendiées de soleil, semblaient prêtes à soulever l'ensemble vers le ciel. Invinciblement attirée, j'ai suivi un groupe de gens qui se sont signés avant d'entrer, j'ai fait pareil, et à l'intérieur aussi. Je me suis retrouvée sous les fresques admirables, entourée de toute la sainte Russie, avec autour de moi les sarcophages de tous ses princes et tsars jusqu'au moment où elle a commencé à se compromettre avec l'Europe. Ivan le Terrible est enseveli derrière l'iconostase, il est donc inaccessible, mais je sentais la présence effective de tous ces gens, comme je sens la réponse de la nature quand je chante ou prie en son sein. J'ai prié avec ferveur pour tous ceux qui gisaient la et même pour les rois de France, j'ai prié pour ceux qui avaient construit ces murs et peint ces fresques, je me suis inclinée sur les reliques du saint prince Michel de Tchernigov. Je pleurais comme le jour lointain ou j'avais vu tout cela pour la première fois, sous l'union soviétique.

Puis je suis passée à la cathédrale de la Dormition. En réalité, pour vraiment regarder tous ces trésors, il faudrait les fréquenter régulièrement, il faudrait les connaître depuis nos premiers pas, vivre avec eux, ce qui était autrefois le cas des Russes qui habitaient à Moscou, quand elle était encore le cœur sacré du pays, avant les profanations qui l'ont livrée aux appétits des promoteurs et des apparatchiks. J'ai été frappée par l'extraordinaire et lumineuse présence d'une grande icône connue de Saint Pierre et Saint Paul qu'on dirait habillés de roches puissantes et fulgurantes. Le métropolite Philippe est inaccessible plus que jamais. Dans la Russie de la perestroika, il s'était trouvé une brave gardienne pour me laisser aller vénérer ses reliques, mais là, dans le projet de ville monde futuriste de Sobianine avec électronique à tous les étages, c'est devenu impossible. Néanmoins, je le sentais au rendez-vous et le priais avec ferveur.

J'ai vu ensuite la chapelle privée des tsars, avec une magnifique collection de bois sculptés. Qu'est ce qui me parle autant dans ces icônes et bois sculptés russes ? Ils m'ont captivée dès ma prime jeunesse. Quelque chose d'a la fois simple, puissant et vital, un très ancien élan païen transfiguré par une foi chrétienne ardente. Je songeais que pas un seul des concepteurs futuristes de Sobianine, pas un seul des "génies" et des surhommes auxquels s'adresse le docteur Alexandre, ni Bill Gates ni aucun représentant de cette lamentable clique n'arrivait à l'ongle du petit orteil de ceux qui avaient sculpté ou peint ces icônes.

Ensuite, j'ai abordé l'expo elle-même dans le clocher d'Ivan le Grand, qui projetait dans l'azur un cierge enflammé. Autrefois, nul bâtiment à Moscou ne devait dépasser sa hauteur, et maintenant, on voit le chaos de gratte-ciels des élites mafieuses qui n'ont pas l'humilité des tsars. Cette partie de l'exposition était la seconde, celle qui concernait plutôt Boris Godounov, le faux Dimitri qui avait importé avec lui les Polonais comme Eltsine les Américains. Ivan le Terrible et ses proches étaient dans un autre bâtiment. On voyait des icônes, objets, armes, évangiles qui avaient fait partie de leur vie. La magnifique tiare du tsar Ivan, bordée de zibeline, il devait avoir une autre allure que nos sinistres clowns en costar cravate, il n'y a pas à dire, la démocratie ne fait pas trop rêver. De la vaisselle d'or et d'argent. Les icônes des saints patrons des tsarevitchs, qui étaient faites à leur taille, quand ils étaient enfants. Tout cela était très raffiné et très émouvant. J'imaginais la consternation de ces gens épris de beauté, devant la laideur hallucinante des objets et des constructions qui désormais nous entourent, et nos vêtements et comportements ridicules. 

Parmi les objets présentés, beaucoup de choses importées. Ivan le Terrible avait dans son sarcophage un très joli verre en cristal de Bohême bleu foncé, avec des points en relief multicolores. Les étoffes précieuses utilisées pour les chasubles venaient souvent d'occident, et Boris Godounov avait reçu de somptueux cadeaux du shah de Perse.






 Le surlendemain de cet exploit, je suis allée rencontrer l'éditeur de Iouri Iourtchenko qui travaille dans un ancien jardin d'enfants des quartiers dortoirs sud de Moscou. Aller chez lui est toute une équipée, mais c'est juste que comme il le dit lui-même, son lieu de travail constitue un de ces étranges ilôts de paix et de poésie post industrielle que l'on trouve parfois dans cette ville monstrueuse. Le jardin d'enfants est assez vétuste, il a conservé ses massifs, l'éditeur m'a reçue sur un palier de béton lépreux, sous les arbres reverdissants, avec à nos pieds des tulipes, des primevères et autres fleurs entremêlées, et puis un seau de flotte dans lequel il balançait ses cigarettes. Nous avons discuté trois heures, il m'a chanté un psaume sur une mélodie de sa composition, et cela me rappelait énormément un chant populaire. De son côté, il était ravi que j'ai pu lui chanter le début de "la ballade des dames du temps jadis" de Villon, mise en musique par Brassens, qu'il adore. Pour ce qui est d'Ivan le Terrible, il pense que la clé de sa tragédie était qu'il s'identifiait au roi David, qui en plus d'être l'auteur de psaumes très beaux, très profonds et très spirituels, se montrait éventuellement d'une grande cruauté. De mon côté, j'avais établi le parallèle entre Ivan le Terrible et les rois de la Bible, de sorte que nous partagions la même intuition. David a pu être son modèle préféré, car Ivan le Terrible avait lui-même une nature esthète, et connaissait les psaumes par coeur.

Nous sommes ensuite allés dans un café du coin, car je mourais de faim. Il m'a dit que ce que j'avais de français, c'était le sourire, que les Russes ne souriaient pas comme cela. Enfin, nous nous sommes quittés copains comme cochons, un homme intelligent et original.

L'édition des livres est ici payante, l'auteur finance, l'éditeur prend comme lui un pourcentage sur les ventes, celui qui prend le plus, c'est le libraire, auquel l'éditeur vante et case le produit. Une fois la matrice du livre établie et les corrections faites, les rééditions ne coûtent pas aussi cher. 

L'éditeur, Viatcheslav, connaît Natacha qui rédigeait ma traduction. Il a trouvé que le style était très bien et m'a demandé la version française.

Après cela, je n'ai eu que le temps de foncer au vernissage de la dernière exposition de Constantin Soutiaguine. Je connaissais la plupart des tableaux, ses tableaux évangéliques, car je les avais déjà vus à une autre exposition. Quelques uns étaient nouveaux pour moi. De l'Evangile, Kostia passe à l'ancien Testament. J'ai beaucoup aimé celui-ci, où la présence lumineuse du Christ entouré de gens simples, répond aux eaux du lac, et au ciel, dont je pouvais presque percevoir le murmure, et le vent vespéral doux et bruissant. 





vendredi 7 mai 2021

Concert pour les brins d'herbe

 

Je dois aller demain à l'enterrement de Marie Gestkoff à Pouchkino. J’en profiterai pour me rendre à Moscou, et mardi, j’ai rendez-vous avec l’éditeur de Iouri Iourtchenko, pour lui présenter Yarilo. Il a été très aimable au téléphone; j'espère que je pourrai publier chez lui.

Ma voisine Ania me supplie de ne pas déménager ; mais elle m’a avoué que les choses ne changeaient pas en bien, que jusque là, on avait été tranquille, mais que notre tour était venu. Son lopin est aussi spongieux que le mien, ils ont déversé des quantités invraisemblables de terre dans le marais, et fait une route, pour construire n’importe quoi selon le principe "prends le fric et tire-toi". Comme le voisin , qui s’est précipité pour construire sa grosse maison affreuse, en bétonnant tout sous la glaise, dans l’espoir de gagner 70 000 roubles par mois pendant l’été, mais quel est le touriste qui va payer ça pour se retrouver dans un coin sinistre avec vue sur la bagnole depuis la terrasse ? D’après Ania, il ne fait rien pour améliorer ma situation, parce qu’il a des problèmes d’argent, sa maison n’est pas du tout rentabilisée. Quand même, réfléchir, cela peut-être utile, même sur un plan bassement pragmatique.

Donc, j’ai bien des moments d’angoisse, mais je pense que la petite maison de Pâques est arrivée juste à temps. 

Je voudrais bien aller en France voir ma famille, qui me manque, mais je ne veux pas me faire vacciner, ni même subir le test douteux; me faire ramoner les fosses nasales avec ma sinusite chronique, pas question. Je suis sûre qu’après ma grippe de 17, suivie d’une autre un peu moins grave en 19, je suis bourrée de coronavirus stras, je l’ai, mon immunité, et leur vaccin pourri qui ne m’inspire aucune confiance risque de me rendre malade, alors que je me porte comme un charme. Il me paraît évident que les pressions exercées sur les gouvernements, assorties de ces chantages et propagande hypnotique sur les peuples, cachent des intentions ténébreuses et complètement démentes. Le problème est que ma famille n’y croit pas, à part une cousine éveillée sur le problème. 

Cet après-midi, je me suis mise dans le jardin pour jouer des gousli, bien que je sois maintenant à la vue de tous, de l'autre côté de la vague de glaise où même les mauvaises herbes ne parviennent pas à pousser, le rêve de parfaite stérilité de l'homme contemporain. L’autre jour, Facebook a sorti une vidéo où je chantais une chanson que j’avais composée à Cavillargues, « cathédrale passagère » ; en l’écoutant, je pleurais comme un veau, et en la jouant aussi. C’était pour moi la petite musique de la France qui s’éteint dans un néant glacial, une France primesautière, solaire, joyeuse et hardie, et j’en avais le coeur brisé. Tout me revenait, l’Armençon, Pierrelatte, l’hôtel de maman, tous les nôtres déjà partis, et notre pays qui meurt avec nous, je ne suis même pas sûre que la Russie survive. Que Dieu nous vienne en aide. 

 Cathédrale passagère

 

Les platanes du bord des routes

Avec leurs piliers et leurs voûtes,

Leurs démons et leurs angelots,

Leurs gargouilles et leurs vitraux

 

Sous le vent guident ma voiture

Vers l’horizon de lumière pure

Où le soleil dans ses draps blancs

S’est étendu comme un gisant.

 

Les nuées passent éplorées

En agitant leurs encensoirs

Sur l’autel des forêts couchées

Qui s’assombrissent dans le soir.

 

A travers mes larmes priant

Sur les chemins bleus du midi,

Je pense encore à toi, maman,

A ceux qui sont déjà partis.

 

Partis, je le crois, juste à temps

Avec le pays rayonnant

Où je cueillais des coquelicots

Et qui ne sera plus bientôt

 

Qu’un champ de ruines sous le vent,

Soumis à ces démons errants

Qui nous guettaient depuis longtemps

Et nous ont trouvés consentants.


Jouer dans le jardin a un effet magique : cela me réunit avec tout ce qui m’entoure, avec le ciel qui me paraît deux fois plus beau, plus vif, plus lumineux, avec les fleurs translucides et l’herbe verte, avec le vent qui passe, ses moindres frémissements, et les mouvements des roseaux et des branchages. Je pense que si l’homme n’avait pas perdu ses chants, il se conduirait autrement avec la nature qui l’entoure, il ne la profanerait pas de la même manière, et je sens qu'elle écoute, quand on joue, elle est attentive, alors que tout le vacarme que font nos radios et nos diverses machines l’assourdissent et lui nuisent. Elle nous écoute et chante avec nous; elle se régénère avec nous. Je serai profondément heureuse et apaisée de pouvoir le faire là haut, à Pertsevo, sur ce terrain dégagé, face aux nuages. Je regrette juste de ne pas l'avoir fait toute ma vie, car normalement, c'est de cela qu'une vie devrait être remplie, je le sais depuis ma petite enfance, et non seulement on nous la vole, mais on la vole à tous les êtres vivants dont l'existence est compromise et gâchée par la nôtre.



J'ai essayé!



 

 

jeudi 6 mai 2021

Passage aux aveux.


 Il est temps de passer aux aveux, je vais quitter Pereslavl pour le village de Pertsevo, à dix kilomètres de là, dans la direction de Iouriev Polski.

Je me résignais à aménager comme je le pouvais mon terrain en fonction de ce qu'avait fait le voisin, et j'avais invité le cosaque Romane à faire une clôture et à changer mon perron de place. Regardant l'étendue des dégâts, il me dit: "Eh bien il ne vous a pas ratée. Et c'est comme cela partout, cela devient invivable et d'ailleurs, nous avons tous décidé de fonder une communauté cosaque, car c'est seulement en communauté que nous pourrons résister à ce qui se passe.

- Une communauté? Où ça? 

- Au village de Pertsevo. Benjamin le Suisse a acheté cinq hectares, et moi cinq hectares. Et un autre encore s'est construit une maison. Nous voulons nous regrouper entre orthodoxes pour que personne ne vienne nous gâcher la vie.

- Mais attendez, Romane, moi aussi je suis partante!"

Après son départ, je regarde: le village n'est pas loin, vingt minutes du centre de Pereslavl,  il a une belle église blanche qui fonctionne. Et il s'y vend une maison, une seule. Ce n'est pas une jolie maison paysanne, plutôt une datcha soviétique, ce qu'on appelle les datchas finlandaises, mais elle n'est pas affreuse non plus, elle a des proportions normales, un toit en zinc qui se confond avec les nuages et qui semble solide, un beau terrain, des arbres, un horizon dégagé. Je regarde l'intérieur, tout semble en bon état, facile à aménager. Et le prix très abordable. tout cela se passait la veille de Pâques. Et j'ai eu l'impression d'un événement providentiel.

Le surlendemain, je partais la visiter. La route pour y aller, magnifique, l'église blanche plantée sur la colline, très beau point de vue. Evidemment, ils ont déjà abîmé pas mal d'isbas, mais ce n'est pas trop catastrophique. Et la maison est effectivement en bon état, quasiment habitable. Elle a une pièce et une cuisine en bas autour d'un gros poele en briques, une véranda incluse dans la maison, et deux grandes chambres au premier. Il faut mettre une chaudière électrique et des radiateurs, isoler et doubler les murs, doubler ou changer les fenêtres du haut, changer de place la petite salle de bains qui ne servait que l'été.

Au courant de mes intentions, Benjamin m'a dit qu'il serait ravi de passer me voir quand il irait s'occuper de ses ruches.

Acheter cette maison me permet, outre de retrouver le ciel, les nuages, la beauté des horizons vierges, les balades en vélo ou à ski de fond, de dégager l'argent que j'avais englouti dans ma maison actuelle, et de garder une marge. Une amie m'a dépannée pour me permettre d'acquérir le bien sans vendre le mien dans la précipitation. Bien sûr, la perspective d'un déménagement m'intimide, mais il se fera progressivement, et j'éprouve un sentiment de libération, j'ai besoin de la nature, et comme me l'avait écrit un correspondant, le père Placide ne m'a pas renvoyée en Russie pour que je vive dans une banlieue américaine. Une communauté cosaque, c'est quand même nettement mieux.

A l'agence immobilière, une jeune femme me dit: "J'étais au café, et tout à coup j'entends une guide dire à une petite fille: c'est ici, dans cette ville, qu'habite Laurence, ah si nous pouvions la rencontrer!"

Je suis ébahie par cette soudaine popularité. Heureusement que je suis trop vieille pour prendre la grosse tête!






dimanche 2 mai 2021

Christ est ressuscité!

Aux matines de pâques, il y avait énormément de monde. J'ai rencontré Katia qui s'est réjouie: "Ah quand même, quelqu'un que je connais!" Nous avons évoqué la Pâques covidée de l'année dernière, son ambiance clandestine, avec une poignée de résistants qui se répartissaient dans les églises de la ville pour ne pas exaspérer les autorités, et là, l'église était bondée, avec quelques concombres masqués qui s'obstinaient à prolonger le carnaval d'Ensor. Il paraît qu'à Moscou circulaient encore les consignes de mascarade. Evidemment, beaucoup de ces gens étaient là en touristes, et ils faisaient du bruit. Pâques met toujours en présence les Russes de la sainte Russie et les post-soviétiques du mondialisme qui visitent les offices comme des musées. Mais cela ne me touchait pas, j'avais l'impression de ne pas être dans le même espace-temps, ce qui en réalité est le cas. Je suis partie sans assister à la liturgie, j'ai reporté cela au lendemain matin, et j'ai bien fait. Car je me serais entêtée sur mes jambes douloureuses au milieu de la foule que je n'en aurais pas retiré beaucoup de joie spirituelle, et l'office que j'ai eu ce matin était si beau, et si touchant. Il avait lieu dans l'église voisine qui n'est qu'à moitié en service, avec des vieilles impotentes dans mon genre, et des familles, mais des familles qui s'occupent de leurs gosses, au lieu de les laisser courir et brailler. Un seul prêtre, le père Vassili, qui vient d'Ukraine, un petit bonhomme très fervent et très bon. Le choeur chantait avec sobriété. Les gens se conduisaient comme s'ils étaient tous apparentés, échangeant des sourires et des embrassades. Une maman m'a offert un petit koulitch qu'elle avait confectionné elle-même. Les grands-mères me faisaient place sur leur banc avec des sourires. 
J'ai revu sur place les gens qui ont acheté ma datcha de Krasnoié, avec leurs nombreux enfants. Ils vont rajouter un étage à ma pauvre isba, dont j'avais respecté le style et fait un îlot de beauté... Mais que dire? D'un autre côté, d'après ce qu'ils m'avaient confié à l'époque, sans moi, ils n'auraient pas pu se loger. Ils sont orthodoxes, moralement d'aplomb, et ils font des tas de gosses élevés dans le même esprit.
Malgré les destructions opérées à Pereslavl, et la consternante bêtise de certaines réactions, je me sens chez moi parmi ces gens, je me sens même aimée. Les Russes sont extrêmement attachants en ce sens que l'amour qu'on leur porte nous revient décuplé. A l'issue de ce carême difficile, à l'ombre de manoeuvres mondiales ténébreuses qui nous menacent tous, cette Pâque me semblait encourageante, réconfortante celle de la fraternité, de la nécessaire communion avec ceux qui ici, partagent ma foi, mais pas seulement. J'avais beaucoup d'images de Solan dans la tête, et la beauté des offices byzantins auxquels je participais là bas. Quand je suis rentrée chez moi, la nuit, le ciel était, pour une fois, plein d'étoiles, comme à Solan, justement. Il est rare qu'il soit ici suffisemment dégagé pour que je les vois, et en plus, la bâtisse du voisin me cache désormais une bonne partie des spectacles célestes. 
Pendant la procession, au pied de la belle église de la Transfiguration où Alexandre Nevski a été baptisé, Katia a filmé une petite vidéo. J'avais oublié mon téléphone, et nous nous étions arrêtées, car je traînais la patte et les trottoirs de Pereslavl la nuit, c'est traître, je n'avais pas envie de me retrouver encore avec un oeil au beurre noir, et je ne sais pas pourquoi, les processions se font toujours au pas de course... 


Je rajoute une vidéo de mon père Valentin à Moscou, dans son église, et du père Basile à Tcheboksary. 




La veille de Pâques est morte dans son sommeil mon amie Marie Gestkoff, avec qui j'étais allée voir ce même père Basile, il y a six ou sept ans. Marie était partie pour la Russie de ses ancêtres à 62 ans, avec sa voiture et les souvenirs et affaires qu'elle avait pu y faire rentrer, dans l'intention d'y finir ses jours. La frontière franchie, elle conduisait en évoquant ses parents: "Papa, maman! Je suis en Russie!" Elle a vécu à Moscou des années de façon illégale, avant qu'un prêtre ne lui obtienne un passeport russe. 

Nous voici ensemble à Tcheboksary, avec le père Basile:





J'ai fait prier pour cette adorable femme à la liturgie de Pâques. Elle reposera dans la terre russe qu'elle avait rejointe avec tant de décision, et d'audace.

samedi 1 mai 2021

Veille de Pâques

 


Je devais aujourd'hui participer à une émission de la chaîne SPAS, mais il a été impossible de me trouver un taxi et on a renoncé à me faire venir. J'en étais soulagée. Cet aller et retour entre deux longs offices m'épuisait d'avance. Je m'apprête maintenant à me rendre à celui de Pâques, je ne sais pas encore si je resterai à la liturgie dans la foulée. 

Jeudi soir, c'était la lecture des douze évangiles de la Passion. Il y a des détails dans les Evangiles qui ont quelque chose d'un peu mythique. Je disais un jour au père Placide: "Il paraît qu'on ne trouve pas trace dans les témoignages historiques du massacre des Saints Innocents." Il me répondit: "Vous savez, en orient, on estime que pour être pris au sérieux, il faut toujours en rajouter. Ainsi on m'a présenté un jour comme l'higoumène d'un monastère de 72 moines, alors que c'était loin d'être le cas. J'ai demandé pourquoi raconter une chose pareille et on m'a répondu que c'était plus imposant comme cela!"

Mais les récits de la Passion, ce n'est pas du tout de la mythologie, et même, cela tranche par son réalisme, et son actualité éternelle, avec tout ce qu'on pouvait voir jusqu'alors d'antique, de légendaire. Du reste, le Suaire de Turin apporte une confirmation de tout cela qui relève de la médecine légale.

Et je pensais à tout ce que j'ai entendu, vu et lu sur les nouveaux martyrs de Russie, depuis le tsar et sa famille jusqu'aux plus humbles prêtres et paysans, ces calomnies déchaînées, cette hideuse vilenie, ces lynchages sadiques. Tous ces gens qui ont bu la coupe jusqu'à la lie, et qui ont été trahis par les leurs. 

J'ai rencontré Nadia et Katia à l'église. Notre évêque me voyant au côté de cette dernière, au moment de nous donner sa bénédiction, a dit en souriant: "Ce soir, toutes nos étoiles sont rassemblées!" 

Le lendemain, c'était l'office de l'ensevelissement du Christ, suivi des matines du samedi saint, je suis restée à l'église plus de quatre heures. Je suivais sur un livre, en slavon. Quand je lis, je comprends beaucoup mieux, mais parfois je me perds, parce que je m'endors. Cependant, cette plongée dans une sorte de demi conscience, s'éclaircit peu à peu, j'ai été frappée par la façon dont les offices, au début si tragiques, avec les prêtres vêtus de noirs et d'argent, mêlent le pressentiment du triomphe à la déploration, et l'on entend déjà, sur un mode triste et funèbre, ce qui sera repris avec joie et éclat pendant l'office de Pâques, c'est comme un soleil levant qui s'annonce d'abord par la vivacité accrue des étoiles, puis une pénombre grise, puis l'illumination progressive de l'horizon. Je voyais l'unité organique de ces trois jours, qui ne forment qu'une seule fête. Et aussi l'unité mystérieuse de tous ceux qui y participent depuis la nuit des temps jusqu'à ce qui pourrait en être déjà la fin. . 

Dommage qu'à ce receuillement fassent généralement suite des débordements harmoniques et des débauches d'électricité qui font de la joie un sentiment tonitruant qu'il n'est pas, en tous cas pas cette sorte de joie.