Il y a toujours de la neige, et il y en a encore pour longtemps, mais quelque chose a changé, je viens d'entendre chanter les oiseaux que je nourris. De joyeux chiens se poursuivent dans mon quartier et dans toute la ville. Il y a du vent, et ce vent est plus frais que froid, il apporte des flocons en rafale, mais aussi de brusques apparitions d'un soleil qui chauffe et qui éclaire, qui piaffe derrière des nuages infusés de lumière. ll m'a littéralement sauté dessus comme un gros chien, pendant que je déneigeais la cour, et j'ai senti son haleine sur mes joues.
C'est la sainte Rencontre, une fête qui, en France coïncidait pour moi avec mon anniversaire, la Chandeleur, et avec celle de la mère Hypandia, à qui je pense toujours ce jour-là, mais ici, où nous suivons le calendrier julien, où nous vivons dans un autre temps qui se fout de l'exactitude astronomique, j'ai l'occasion d'y penser deux fois et de faire prier pour elle. La sainte Rencontre est une fête joyeuse et tendre, elle nous parle du printemps, et d'un Printemps cosmique promis inimaginable qu'il m'arrive d'attendre tout autant, quand je parviens à m'élever au dessus de la mêlée, ce qui n'était pourtant pas vraiment le cas ce matin à l'église. Mais bon, où ne sait jamais comment les semences fermentent en secret...
Le vieillard Siméon prit le petit
enfant
Qui portait les étoiles dedans son
corps langé,
Et vit dans ce moment jusqu’au fond
le passé
Qui monte vers demain sous le flot
des instants.
La grande croix du temps qui perce
nos destins
Irradiant nos larmes d’une lumière
sans fin
Instrument de supplice qui jette sur
nos vies
L’éclat écartelé qui les réconcilie
Verticale des siècles dans la mer
éternelle
Astre des jours plongé sous l’écume
actuelle
Qui tremble à la surface de l’océan
profond
De l’antique existence au centre des
éons.
Dans une dizaine de jours nous entrerons dans le carême qui nous fera sortir de l'hiver.
Lundi, j'ai reçu ceux qui s'étaient trompés de jour, ou qui avaient un régime à suivre, le jour de mon anniversaire, et pour celui qui était à Moscou, eh bien, il s'est débrouillé pour y aller encore, comme disent les Russes, "cherchez la femme"...
Le père Andreï m'avait apporté son dernier livre, c'est un prêtre écrivain de talent. Je lui ai donné le mien, il m'a confessé qu'il avait du mal à lire, et je lui ai répondu que moi aussi. Nous ferons ce que nous pourrons...
Génia m'a offert une magnifique orchidée rose. Les orchidées viennent bien chez moi, alors que toutes les autres plantes ont du mal. J'en ai une blanche, offerte par Yan, le hollandais orthodoxe et sa femme, pour mon anniversaire précédent, elle tient le coup, et elle vient même de refleurir.
Le père Andreï est aussi un conteur, il aime bien parler. Il nous a raconté son entrevue avec Poutine, venu offrir à la cathédrale une relique d'Alexandre Nevsky, et faire des dévotions qui lui ont paru parfaitement naturelles et sincères. Il a attendu que le père Andreï ait fini de célébrer, celui-ci ne voulant pas, à juste titre, interrompre l'office pour ce visiteur de marque. Cela m'a fait penser à la lettre d'Ivan le Terrible à l'higoumène de Saint-Cyrille-du-Lac-Blanc où il lui rappelle comment le moine en charge du réféctoire avait refusé de le servir à part, parce qu'avec sa jeune tsarine et leur suite, ils s'étaient attardés à profiter du long crépuscule des nuits blanches nordiques et avaient laissé passer l'heure du repas du soir...
Il a évoqué le premier jeune officier de Pereslavl mort en Ukraine, qui avait été son élève, quand il enseignait, combien il était courageux et attentif aux autres. J'avais assisté à ses funérailles et j'étais pleine de compassion pour ce jeune homme et sa famille. "Vous savez, m'a-t-il répliqué, il était prêt à cela, "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis". Moi, cela ne me rend pas triste, parce qu'il a accompli le destin qu'il s'était choisi."