Et le mistral souffle et fait
chanter les arbres
Emaillés de soleil et d’azur qui se
cabre,
Entre ses forts genoux et sous sa
voix sonore,
Jetant de grands rayons aux oiseaux
qui l’adorent.
D’où vient à mon coeur lourd le
sentiment poignant
De visiter déjà les lieux gris des
enfers ?
De venir y chercher tous ces petits
enfants
Qui jouaient avec moi dedans ces
jardins verts ?
De tenter prudemment, les prenant
par la main,
Au seuil de nos tombeaux, d’ouvrir
les horizons
Vastes, illimités, d’éternels
lendemains,
Par delà les détours des paisibles
prisons ?
Paisibles et figées, étroites et
mortelles,
Où tout ce qui chancelle a les
orbites creuses
Des cauchemars polis, des anges
privés d’ailes,
Des destins fracassés, des défaites
spongieuses...
...
Je me gorge de toi, France triste et
bourgeoise,
Qui périt enlisée dans les marais
paisibles,
Et me joue la musique étrange et
inaudible,
De nos élans trahis, dans nos vies
qu’on déboise.
Car je ne sais déjà si je te
reverrai,
Pauvre petit berceau de mon enfance
ardente,
Si vers ceux que j’aimais un jour je
reviendrai,
Sous la lisse ténèbre des futures
tourmentes.
Car tout ce qui m’inquiète est de
l’ordre invisible,
Rampe et grouille sans bruit, sous
le calme apparent,
Et déploie tout soudain des
symptômes risibles
Qui vont glacer mon coeur de noirs
pressentiments.
Comment te rattraper, dans le
gouffre où tu sombres,
Ma soeur pleine d’effroi, trop tôt
prête à mourir ?
Si je lâche sur toi, pour t’arracher
aux ombres
Le vol d’un ange d’ or,
sauras-tu le saisir ?
...
Croulent les autrefois dans la
mémoire du temps,
Où la nôtre se perd, hagarde,
épouvantée,
Et nos pas ralentis rôdent au bord
des ans
Qui vont détricotant le fil des
nuits lâchées.
Dans la quiète grisaille et la mort
silencieuse,
Brille l’astre discret des prières
éclairées
Dans la lampe de pierre où les âmes
songeuses
Veillent les braises d’or des
promesses données.
Des quatre cavaliers le galop se
précise,
Aux oreilles fermées des esprits
somnambules,
Qui plutôt que d’aller réchauffer
les églises
Se referment frileux dans leurs
milliers de bulles.
Tu jettes sans écho, trompette
archangélique,
Le grand éclat cuivré de ta sainte
musique
Dedans le tintamarre où les âmes
damnées,
Dérivent sans savoir vers leur fin annoncée.
...
Elle est comme l’envers de mon coeur
exalté
Qui jamais ne se lasse de chercher
la lumière,
Au gré des tristes flots où nos
destins couplés
Glissent vaille que vaille à l’ombre
de la guerre.
Et par delà l’espace où nos âmes
parfois
Se cherchant, se frôlant, se
séparent en pleurant,
Nos anges affligés ne se rencontrent
pas,
Et le temps vient déjà du grand
embarquement.
Pourvu qu’en ces jours gris qui
passent et s’écroulent,
Pressés et titubants, au bord du
gouffre amer,
Elle prenne avec moi le large de la
mer,
Sur le blanc bâtiment qui fend la
sombre houle.
Pourvu que tous les miens, se
prenant par la main,
Dérivant sous le vol des gardiens vigilants,
Arrivent au bon port du jour sans
lendemain
Qui se lève bientôt dessus les derniers temps.
Cathédrale passagère
Les platanes du bord des routes
Avec leurs piliers et leurs voûtes,
Leurs démons et leurs angelots,
Leurs gargouilles et leurs vitraux
Sous le vent guident ma voiture
Vers l’horizon de lumière pure
Où le soleil dans ses draps blancs
S’est étendu comme un gisant.
Les nuées passent éplorées
En agitant leurs encensoirs
Sur l’autel des forêts couchées
Qui s’assombrissent dans le soir.
A travers mes larmes priant
Sur les chemins bleus du midi,
Je pense encore à toi, maman,
A ceux qui sont déjà partis.
Partis, je le crois, juste à temps
Avec le pays rayonnant
Où je cueillais des coquelicots
Et qui ne sera plus bientôt
Qu’un champ de ruines sous le vent,
Soumis à ces démons errants
Qui nous guettaient depuis longtemps
Et nous ont trouvés consentants.