Demain à l’aube arrive Valérie. Je ne suis pas très bien, j’ai mal partout. Je crois que j’ai de l’arthrose de tous les côtés. J’avais mal à la tête, et je suppose que c’est de l’arthrose cervicale aggravée par les stations devant l’ordinateur. Du coup, j’essaie de m’en détacher, mais en ce moment, j’écris, et puis je lis le livre de Larissa.
Je m’efforce
de dessiner, car il fait à nouveau très beau, et même doux, les étés indiens n'ar^rêtent pas de se succéder. Le voisinage m’empêchant
d’en profiter, je m’en vais. Je suis allée dessiner l’église du village de
Gorodichtché, perchée sur sa colline, près du lac, et aujourd’hui, je suis
allée sur le « val » dessiner une vue des églises du centre, c’est un
des seuls coins pittoresques qu’il nous reste. Il faisait beau, et il n’y
avait pas de bruit, quelle bénédiction.... Dessiner est très gratifiant, très apaisant, mais je ne
sais pas ce que deviendront tous ces pastels que je fais. Je les fais quand
même. Comme les livres qu’on n’arrive plus à vendre. Comme les poèmes que plus
personne ne lit. Parce que je suis équipée pour créer, alors je crée.
Au retour, pour éviter l’ordinateur, j’ai fait le ménage, ce qui n’était pas du luxe, j’ai nettoyé ce qu’il me sera difficile de faire quand il commencera à geler. Et puis, j’ai travaillé dans le jardin. Moralement, cela me fait toujours grand bien. J’ai déplacé un buisson d’hortensias, et quelques autres choses. C’était calme. Mais ensuite, à nouveau des camions et des engins, je me demande vraiment ce qu’on va nous construire comme monstre. Cela fait trois ans que ce type nous emmerde avec ses innombrables camions de terre : il nous fait une ziggurat, une pyramide d’Egypte ? Dommage que je n'arrive pas à déménager... C'est qu'ici, bien sûr, j’ai des liens avec mes arbres, mes fleurs, mes oiseaux, et j’ai enterré mes deux pauvres petites chattes sur le territoire, l’une au pied d’un thuya et l’autre au pied d’un lilas. Je leur parle quand je jardine. Où êtes-vous, mes pauvres petites mères, ma belle Chocha, mon gentil Georginet ? Est-ce que mon ange gardien a emporté votre petit esprit près de maman, pour m’attendre là où il n’y a plus ni douleur, ni tristesse ni gémissements ? J’aime la vie, mais je sens les effets de la décrépitude, et puis, je deviens de plus en plus sensible et tant de choses me blessent contre lesquelles je ne peux rien...
Hier, je suis allée à l’église du père Ioann, heureusement, il y avait peu de monde, mais la confession a duré quand même près d’une heure. Le choeur chante étonnemment bien pour une petite paroisse qui fait ce qu’elle peut, et il règne là bas une grande ferveur. Je me demande si je pourrais acheter, dans le cimetière attenant, une concession pour ma dernière demeure. Certes, il y a la route qui passe, mais je ne l’entendrai plus, et au moins, je serai près d’une église.
Je lis pour
Renée, et ceux qui me sont les plus proches par la même occasion, l’acathiste
pour les défunts, je veux le faire jusqu’au quarantième jour après son décès.
Au début, je la sentais près de moi, et même cramponnée à moi, je sentais sa
présence inquiète, c’était étrange et bouleversant. Et puis elle s’est apaisée
ou éloignée, je ne la sens plus. Elle a commencé à partir, et mes prières l’accompagnent.
Je suis profondément reliée à mes morts, je suis quasiment la seule à prier
pour eux.
Le livre de
Lara Zaïets est très bien, très bien écrit et original. Il paraît que c’est moi
qui lui ai donné l’impulsion pour l’écrire, et d’ailleurs, j’y figure. Une
petite grand-mère française qui vit à Pereslavl dans une isba, joue des gousli
et de la vielle à roue. C’est étrange de se voir décrite dans le livre de
quelqu’un d’autre. La part de fiction du personnage, c’est ses yeux bruns, et
puis, elle prépare aux héros des sirniki, comme une vraie babouchka russe. Or si
j’invite les gens à dîner, je leur prépare quelque chose, mais s’ils arrivent à
l’improviste, j’ai rarement le réflexe de me mettre aux fourneaux, plutôt celui
de commander une pizza. C’est que je ne suis pas du tout une grand-mère. Je n’ai
pas eu d’enfants, ni bien sûr de petits enfants, je suis une solitaire, et je
ne suis pas aussi prolixe que mon équivalent, sauf quand je réponds à des
questions. La vieille Française du livre s’appelle Marie Sayard. Ca fait
français, y pas à dire...