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mercredi 12 octobre 2016

L'église de la Protection de la Mère de Dieu











L'église de la Protection de la Mère de Dieu, fête le 14 octobre


Je la vois de loin, quand je viens dans le centre par la rue du premier mai (Piervomaïskaïa). Elle est très gracieuse, et j'aime le bleu vif de sa coupole, agréablement délavé par endroits, pourvu qu'on ne le badigeonne pas je ne sais comment un de ces jours. Une affiche m'apprend qu'elle est la seule église de Pereslavl à n'avoir jamais fermé pendant la période soviétique, ce qui est considéré en Russie comme une grâce spéciale. Apparemment, l'un de ses prêtres, le père Ivan Beliakov,  s'est distingué au point d'être nommé citoyen d'honneur de la ville.



C'est bientôt la fête de la Protection de la  Mère de Dieu, et de cette église. C'est bientôt celle de ma paroisse de Moscou et du monastère de Solan:


http://www.egliserusse.eu/bl
ogdiscussion/Pokrov--fete-de-Notre-Dame-de-Toute-Protection_a1953.html

Il fait froid, aujourd'hui, 4°. Ca sent la neige. Les berges de la rivière Troubej sont garnies de pêcheurs paisibles. Pourtant, j'ai entendu dire qu'il n'y avait plus beaucoup de poisson et que le lac était victime de surpêche de la part des bandits locaux, à cause d'un poisson renommé qui agrémentait la table des tsars et qu'il faut naturellement conduire fiévreusement à l'extinction pour se remplir vite les poches, prends l'oseille et tire-toi...
On s'y baigne l'été, on y pêche maintenant.





Mon existence prend forme, j'ai une armoire, un lit et des stores, et l'ensemble n'a pas mauvaise allure.
J'ai fait la connaissance de ma voisine, de la famille de ceux qui m'ont vendu la maison. Elle vient des pays baltes, une femme très aimable qui me propose des plants divers, dont une vigne adaptée au froid qui fait des raisins délicieux, dont le parfum me rappelle un peu celui du monastère de Solan.
La grande mode, ici, c'est de recouvrir les maisons de bois de panneaux de plastique imitant la pierre, à vous faire regretter l'abominable siding, comme quoi, on peut toujours faire pire. "C'est facile et pratique, et économique, me dit Kostia.
- Kostia, quand c'est pratique, facile et économique, vous avez toutes les chances d'être en face d'un piège du diable qui vous entraîne dans un marché de dupes, vous savez bien que la facilité mène au diable et la difficulté à Dieu?"
Je vois que Kostia est ébranlé, cette fois, c'est moi qui ai eu le dernier mot.

Une isba en voie de plastification. On raffole aussi des auvents en plastique qui servent de garage: c'est facile à poser, c'est pratique, c'est atrocement moche, le diable nous mène par le bout du nez et nous fait perdre le souvenir de ce qui est beau et vrai, car le beau est toujours vrai, et le faux toujours moche.

mardi 11 octobre 2016

Moine errant

Le café la Forêt et ses délicieux petits gâteaux. Les chocolats, très raffinés, aussi. Et le plus drôle: J'AI MAIGRI, en y allant tous les jours! D'après le patron, c'est parce que les ingrédients sont naturels.

Retour au café français. J’y passe ma vie, car cela m’évite de cuisiner, et je m’y plais bien. Le patron et sa femme sont très sympathiques et partagent avec moi toutes sortes de tuyaux, les tuyaux, ici, c’est très important. Leur petite chienne voudrait bien copiner avec Doggie qui lui fait la gueule, il n’est pas joueur, et puis il a besoin de s’habituer. Les gâteaux sont délicieux, les chocolats aussi. Un vrai piège, pour les grosses.
Le patron est scandalisé par les salades qu'on raconte en France sur la Russie et la grossière propagande de guerre à laquelle se livrent les médias.
J’y ai vu arriver un barbu avec un sac à dos. « Je suis un moine errant, dit-il à Gilles, le patron, puis-je avoir un chocolat et vous donner une pomme en échange ? »
Le patron lui sert un chocolat et des morceaux de kougloff. Il a l’habitude, me dit-il, il en voit régulièrement de semblables. Je demande au jeune moine de prier pour moi et il vient s’asseoir à côté de moi. Je lui raconte ma conversion à l’orthodoxie, celle du père Placide, la fondation de ses monastères, tout ce qui se passe chez nous sur ce plan-là, et qu’il ignorait complètement. Il me dit avec assurance que mes affaires ici s'arrangeront très bien, puisque j'y suis venue avec la bénédiction de mon père spirituel. Puis il reprend la route, dans l’intention de demander asile pour la nuit à un monastère local. D'après ce que j’ai compris, il rédige quelque chose sur son expérience vagabonde d’un lieu saint à l’autre.
Quand je cherchais mon armoire, parmi toutes les horreurs disponibles, Kostia m’avait recommandé de prier pour la trouver. «Je ne vais pas déranger Dieu pour si peu, ai-je objecté.
- Vous avez tort, car il a dit que nous ne pouvions rien faire sans lui, même trouver une armoire ; et d’autre part, il nous est recommandé de prier sans cesse. »
Ce matin, visite du beau plombier, qui m’a fait un cours sur la météorologie en Russie à l’époque d’Ivan le Terrible, et m’a dit que quelque soit le temps, la Russie survivrait à tout, comme elle l’a déjà fait jusqu’alors. Tout ceci raconté avec une douce ironie, des gestes expressifs et dansants, je n’ai jamais vu un plombier pareil. Gilles le connaît : «Ah oui, le plombier philosophe ! C’est lui qui a travaillé chez moi.
- Et alors ?
- Et alors, normal ! »
Il a une cicatrice sur la joue. Le beau balafré, ça fait médiéval.
J’ai appris par Kostia qu’il fallait avoir le numéro de téléphone du détachement de cosaques, pour pouvoir les appeler en cas de problème.

lundi 10 octobre 2016

Une vieille et des chèvres.


Le patron du café la Forêt semble très aimable et très solidaire. En dehors de lui et de moi, il y a encore un Français, qui monte une écurie de chevaux. Il y a aussi un Anglais, et un Suisse orthodoxe apiculteur, dont Kostia m’a donné un pot de miel. Ce Suisse avait épousé une Russe qui n’a pas voulu le suivre dans son pays d’origine, comme quoi méfiez-vous messieurs, parfois, si on choisit un étranger, c’est parce qu’on pense trouver le paradis en Europe, celui des petites culottes en dentelles des nunuches du Maïdan.
On est en train de m’empaqueter la maison dans de la laine de basalte. Je ne vois pas le moment où cela sera terminé. Pour trouver de simples bancs, j’ai dû aller dans un magasin de mobilier pour les bains de vapeur. Pour les stores, ça n’a pas été simple non plus, couleurs tristounes, tissus brillants pour faire riche... J’ai pris les seuls stores décents, jaune pâle. Au café français, on m’a donné l’adresse d’une firme locale qui s’occupe d’aller acheter pour nous et chercher la commande IKEA.
Décorer sa maison avec ce qu'on trouve sur place peut être un défi intéressant...
A la Sberbank, j'ai eu affaire à une jeune fille d'une fraîcheur, d'une spontanéité, d'une diligence et d'une complaisance qui m'ont séduite, elle semble s'occuper de tous ses clients comme s'ils étaient de sa famille, je n'avais jamais vu cela dans aucune banque, ni ici, ni ailleurs.
Kostia m’a appris que si la moitié du magnifique plateau désert du monastère Nikitski avait été happée par des requins, c’est qu’une grosse truande a escroqué l’higoumène, et il paraît que c’est sans possibilité de retour en arrière, pour cause de « respect de la propriété privée ». Je vous dis que tout cela finira par me rendre communiste. La propriété privée n’existe plus, en fait, que pour les bandits, qui spolient les autres et ne respectent rien. Si vous saviez quelle merveille cette créature des ténèbres va saccager, vous en pleureriez comme moi des larmes de sang. J’attends le châtiment du ciel. Le second avènement, avant que tout ne devienne irrespirable.
Je suis partie explorer les environs de ma maison verte, et j’ai pris un chemin qui part dans les champs, et dont les bords sont malheureusement jonchés d’ordures. D'un côté les champs, de l’autre des escarpements, assez abrupts, j’avais envie de grimper voir un peu là haut ce qui se passait, il y avait une petite chapelle, une croix, un chevrier et ses trois chèvres. J’ai fait comme les chèvres, sauf que je suis beaucoup moins agile, mais au sommet, j’ai découvert le lac, ses berges dorées par l’automne, la ville scintillante de fenêtres et de coupoles, l’eau bleu foncé, les nuages pleins de lumière. Quelques maisons moches, évidemment, il faut avoir la vision sélective, regarder le paradis mité par l’enfer, en fermant les yeux sur les vilains trous noirs de la laideur contemporaine.

Un petit chien et un grand lac.







dimanche 9 octobre 2016

Premier dimanche à Pereslavl-Zalesski








Le vieux Pereslavl vu du "val"

Matin gris, venteux et froid qui paraît au bord de la neige, je pars à l’église, saint Syméon le stylite, dans le centre. De belles icônes, une chaleur insupportable, des chants sobres, un office et un sermon très longs, très peu de places assises pour les vieilles qui ont de l’arthrose du genou.

Saint-Syméon-le-Stylite, rue Rostovskaïa

Après cela, je prends mon petit chien et me rend au café Montpensier, sur la « belle place » de Pereslavl, là où se dresse l’église du XII° siècle où fut baptisé Alexandre Nevski. Je n’avais pas envie de « cuisiner » dans mon chantier. On a reconnu mon petit chien, on lui a donné de l’eau, et une espèce de biscuit sec. J’ai mangé le borchtch délicieux de ce restaurant, avec une brioche à l’ail.
Le soleil, que je n’avais pas vu depuis mon arrivée, était revenu, avec le vent frais, de nord est, qui balayait des feuilles dorées. Il faut dire que cela change tout. Après une semaine de grisaille humide, ce temps tonique et lumineux monte à la tête comme une vodka bien frappée. L’idée me vient de monter sur le « val », cette haute butée de terre qui, au temps du prince Alexandre, cernait la ville et supportait les remparts de bois. De là, j’ai fait une promenade avec le petit chien, sans voitures pour nous gêner, et avec la vue sur la rivière Troubej, les églises, les arbres dorés dans la lumière. Cette poignée d’étoiles diurnes, ce sont les coupoles du monastère saint Nicolas. Ici, on est vraiment à Pereslavl-Zalesski, la ville du prince Alexandre. Pas de cottages ni de centres commerciaux pour nous gâcher le rêve.

L'église du XII° siècle où le saint prince fut baptisé

Le borchtch du café Montpensier et sa brioche à l'ail: grandiose.


Nous traversons la rivière, et arrivons près de la belle église que je voyais depuis l’autre côté. Elle est consacrée à la Protection de la Mère de Dieu, cela me paraît de bon augure, car ma paroisse de Moscou l’est aussi, tout comme le monastère de Solan. Les offices commencent à 7h.15, et cela me convient également. Reste à aller y assister pour se faire une idée.



l'église de la Protection de la Mère de Dieu

Au retour, j’ai trouvé un service à thé de design soviétique adorable pour 1500 roubles, et comme je n’ai plus rien, et que lorsque j’aurai des invités, il faudra leur servir du thé, j’ai acheté cette merveille à ce prix dérisoire.
Le service à thé de style soviétique, on trouve encore beaucoup de
choses comme cela, ici.

Pour me tenir chaud, j’ai fait l’acquisition d’une couette pure laine pour le même prix de 1500 roubles, Kostia m’a dit en la voyant : « C’est beau, ça fait riche ! » Je lui ai répondu : «Ca fait riche, mais je ne suis pas sûre que ce soit très beau ! »

La couette attention les yeux! Mais c'est chaud...

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samedi 8 octobre 2016

A l'ombre de la guerre

Je n'arrive pas à suivre l'actualité de très près, parce que cela menace ma mobilisation intérieure. Me voici au fond de la Russie, où je me sens très bien, dans une maison qui, pour être actuellement peu confortable, me plaît par sa clarté et son atmosphère bienfaisante. Mais ayant lancé toutes les procédures pour rester ici, et elles sont longues et supposent des allées et venues entre les deux pays, qu'est-ce que je deviens, si les Américains trois fois maudits que je conspue finissent par déclencher la guerre totale dont ils rêvent? N'est-il pas étonnant qu'une poignée de salauds et de fous dangereux suffise à plonger des millions de gens dans l'horreur?
Kostia m'a dit aujourd'hui que Poutine était en train de changer tout son personnel politique, et qu'on faisait la guerre à la corruption. Cela me donne de l'espoir pour la Russie. J'aurais personnellement toutes les raisons de me faire du souci, en ce qui me concerne, mais j'ai plutôt confiance, je n'en reviens pas. Je devrais grimper aux rideaux d'angoisse, eh bien non. Je vis au jour le jour, comme mon héros anglais à la Sloboda Alexandrovskaïa, mais j'aimerais bien être comme lui dans les petits papiers du tsar, pour qu'il me fasse les miens, définitifs, rapides et solides!
Tout le monde espère qu'il n'y aura pas la guerre, mais s'y prépare plus que nous, la guerre, ici, ils connaissent, elle a laissé des traces profondes. Tout le monde vit dans la débrouillardise, la solidarité et les coups de main réciproques, au jour le jour.
J'ai enfin pris le temps d'aller promener Doggie, entendu et vu un coq faraud. Les maisons moches remplacent peu à peu les isbas charmantes. On achète une isba et son terrain, on construit derrière un gros monstre et on détruit la petite maison. C'est sûr que les isbas sont souvent trop petites, mais que leurs remplaçantes sont disgracieuses...
Je n'ai pas trouvé le lac, à mon avis, il n'est pas à 200 mètres mais un soupçon plus loin. Il fait froid et il pleut, ce n'est vraiment pas la côte d'azur. Je me sens loin, et pourtant mystérieusement chez moi, bien que la France m'apparaisse comme le souvenir d'une grand-mère morte depuis longtemps qu'on aimait vraiment beaucoup, la mienne, par exemple, morte au début des années 70. Avec la France, ou ce qu'il en restait...

isba survivante
Maison à vendre! 

Maisons moches


Aster mémorable

Les travaux avancent, on me commence la salle de bains et me pose la chaudière lundi, on va aussi terminer l’extérieur et refaire la petite entrée sur le jardin, avec moins de fenêtres, et la porte sur le côté, afin d’éviter les courants d’air et me permettre de l’utiliser pour ranger manteaux, bottes et outils. Kostia a la manie des fenêtres qui ne s’ouvrent pas. « Pas besoin d’ouvrir, il fait froid. » D’accord, mais je fais comment pour nettoyer les vitres ? « Vous montez sur un escabeau… » Oui, en effet, et combien de temps, moi, la vieille, pourrai-je me permettre cet exercice ? « C’est la pluie qui le fera… » Enfin, de toute façon, il faut bien reconnaître que même quand j’en ai la possibilité, je ne les nettoie pratiquement jamais.
J’ai planté l’aster qui restera pour moi le cadeau de bienvenue du peuple russe, et les iris de Boris. Ce sont mes premières plantations dans la terre grasse et noire de mon petit lopin. 
Au café la Forêt, j’ai retrouvé mon artisan, le père Andreï, nous avons parlé de la situation internationale, et conclu que les mêmes forces nuisibles étaient à l’œuvre partout, y compris en Russie, où une bande de libéraux hallucinés soutient une mafia sataniste internationale avec enthousiasme. Ce que j’apprécie, à Pereslavl, c’est que je n’y vois pas d’intellectuels de broussaille mais des gens simples, aussi profonds mais moins aveuglés. Le problème d’une certaine intelligentsia, dans tous les pays, c’est qu’elle se croit intelligente et éclairée parce qu’elle va voir les expositions ou écouter les concerts qu’on lui recommande, et adopte les opinions admises dans ses cénacles et dispensées dans ses journaux, sans aucun discernement. Il est agréable de constater que les gens de Pereslavl semblent se foutre éperdument de ce que la presse leur dit de penser, et s’ils déplorent la baisse de leur niveau de vie, ils la supportent avec stoïcisme, le ruban de saint Georges accroché à leur rétroviseur, et les icônes adhésives collées sur le tableau de bord. Je ne doute pas, à première vue, que ces gens-là, au cas où la situation tournerait vraiment mal, se défendront comme au Donbass. Le père Andreï me dit que la Russie sera aussi exposée que le reste du monde, sinon plus. «Je ne suis pas venue ici pour fuir les problèmes, lui réponds-je, je suis venue pour les vivre avec vous, du bon côté de la barrière. Je ne supporte plus la politique ignoble des occidentaux, leurs mensonges éhontés, leurs calomnies, leur vilenie, et nous sommes encore trop nombreux à prendre les vessies pour des lanternes. En un mot, s’il faut mourir, que ce soit avec les Russes. » Le père Andreï, à propos du manque de réaction des populations occidentales devant ce qui est en train de leur arriver, parle de « paralysie de la volonté ». En effet, on dirait que nous sommes tous hypnotisés, en Europe, et j’avais moi-même tellement de mal à prendre des décisions, une flemme monumentale, tout me paraissait insurmontable, alors qu’ici, je supporte des conditions spartiates et je pète le feu. Il y a quelque chose de très maléfique à l’œuvre dans le monde entier, et plus particulièrement chez nous, quelque chose qui nous dévitalise, nous prive de notre âme, de l’accès aux forces vives de notre être. Aussi, déclarai-je au père Andreï, je suis plus que jamais persuadée que Moscou est la troisième Rome et qu’il n’y en aura pas de quatrième, qu’ici se trouve la dernière Arche. Je suis montée dans l’Arche, avec Doggie, Chocha, Georgette et Rominet. Gloire à Dieu pour tout, et qu’il veuille bien m’y garder jusqu’à la fin.
Je suis venue à Moscou pour régler des affaires, et me heurter à toutes sortes de tracasseries administratives. En chemin, j’ai aperçu un éléphant doré de trois mètres de haut, ils aiment bien les éléphants, ici. J’ai vu aussi un tank sur son socle. Et puis l’habituel chaos, sous la pluie, de barrières en bétons, de panneaux publicitaires, d’églises, de centres commerciaux, de bagnoles et de camions qui devrait révolter mon sens esthétique, et le révolte d’ailleurs, mais c’est la Russie, avec les cicatrices de la modernité, on l’aime telle qu’elle est… Défigurée, elle reste vivante.
Je n’ai pas vu le soleil depuis mon arrivée. Le bal des feuilles d’automne se déroule sans lumière, les ors restent sourds, comme ceux des étoffes défraîchies, et les sapins d’un vert sombre et terne de soutane monastique usée et décolorée.
J’ai pris ma première douche depuis mon arrivée, chez Xioucha. Autrefois, on passait à l’étuve une fois par semaine, je suis dans les normes. J’ai trouvé un magasin, pas loin de chez moi, qui est une véritable caverne d’Ali Baba. Des pommes, des tomates, des poires qui ne sont pas calibrées, qui ont du goût, et le merveilleux raisin ouzbek Kich Mych, toutes sortes de fruits séchés et de légumes. J’ai pris aussi du chou mariné. C’est tout ce que je mange, avec du pain, si je ne suis pas entraînée au restaurant ou invitée, car je n’ai ni couverts, ni vaisselle, ni évier pour les laver.

Eléphant rose


L'éléphant rose. C'est un copain de Kostia qui en est responsable.

J’ai appris aujourd’hui que l’artisan Andreï, au physique de preux du XIII° siècle, est en fait un prêtre orthodoxe du coin qui vient arrondir ses fins de mois. Tout s’explique, les prêtres orthodoxes ont souvent cet air-là.
J’ai dîné hier soir chez Boris, dans sa maison de décorateur complètement fantastique, où même les pommes dans la coupe, sur la table, semblent avoir été mises là pour compléter le reste du tableau par la touche de rouge brillant et sourd qui manquait à tout le reste. Nous avons bu à mon arrivée de la vodka aromatisée et il m’a donné des iris pour mon jardin. Pour aller chez lui, Olga et moi avons traversé la plateau qui s’étend derrière le magnifique monastère Nikitski : des requins en ont privatisé une énorme portion pour continuer à défigurer cet endroit unique avec leurs épouvantables cottages, mais la population semble s’en émouvoir, et couvre la palissade de slogans vengeurs.
Cette même Olga m’apporte le soir un plant d’asters : près du monastère Nikitski, elle a discuté avec une vieille qui en avait de très beaux, et lui a expliqué mon histoire. «Si elle a quitté l’Europe pour venir chez nous, alors il faut lui faire un cadeau », a déclaré la bonne femme en déterrant un plant.
J’ai fait les magasins pour trouver une cuisine équipée et une armoire. Ce qu’il y a de bien ici, c’est que tout est de tellement mauvais goût qu’on n’a pas à réfléchir longtemps, il n’y a généralement qu’un seul article acceptable, et c’est celui-là qu’on prend sans hésiter, car il n’y en a pas d’autre. J’ai donc commandé LA cuisine équipée qui ne me fera pas cuire les yeux, et elle se révèle, en outre, fort peu chère. La patronne du magasin était très gentille et enthousiasmée de me voir emménager dans le pays.
Je me suis rendue ensuite au café français du coin le café « la Forêt », dans la maison jaune, près de l’éléphant rose, au carrefour central, au dessus de la rivière Troubej.  Le café est tenu par Gilles Walter, qui connaît tous les vieux de la vieille du lycée français, mais moi, il ne me connaissait pas encore. On mange chez lui des trucs français qui ont bien un goût français, tout à coup ça me fait drôle. Il faut dire que je mange n’importe quoi n’importe quand depuis mon arrivée, et j’ai peur de prendre dix kilos.

L’éléphant rose est une sorte de sculpture qu’a du pondre un ivrogne en plein delirium tremens et qui orne la berge de la jolie rivière.

La rivière Troubej