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dimanche 16 octobre 2016

Soirée grise

Selfie emmitouflé. On supporte
beaucoup moins le froid en début d'hiver
qu'à la fin!

Il souffle un vent aigre, et j'ai fait la rencontre que je redoute toujours, le chien famélique par un temps à ne pas mettre un chien dehors.
J’ai enfin Internet et j’ai appelé ma tante, sur Skype. Elle suit mon blog avec passion et imprime les pages pour les envoyer à sa soeur. Elles font ce que faisait maman, ces dernières survivantes de la merveilleuse entité des filles Pleynet, ce bouquet de fées qui se penchaient sur mon enfance.
Elle trouve que j’ai une voix tonique, que j’ai l’air bien dans ma peau, et c’est vrai, je pense que je suis à ma place, et que j’accomplis un témoignage, pour les Russes qui voient que j’ai choisi leur pays, et pour les Français qui le connaissent mal. Cependant, j’ai vraiment l’impression d’avoir changé de planète. Il me semble être partie depuis très longtemps. Cavillargues, ce joli village de pierres et de tuiles, les chemins que je parcourais à vélo, dans la lumière du midi, avec alentour les collines, les vignes, les pins parasols, la garrigue, m’apparaissent comme un souvenir lointain ou un rêve. Je pense à mon noyau d'orthodoxes, autour du beau monastère de Solan, à l'avenir inquiétant de l'Europe. Fallait-il en avoir, de la méchanceté et de la vilenie, pour nous préparer une telle fin!
 Ici, le climat est rude, la lumière rare en cette saison, les rues défoncées et détrempées, les maisons hideuses, car les isbas pittoresques sont peu à peu remplacées par des horreurs prétentieuses, ou défigurées. Il reste des oasis de beauté, la rivière Troubej, les églises, le lac, mais tout cela est très menacé par la cupidité, l’inculture, la brutalité des fonctionnaires plus ou moins véreux. Et pourtant, comme dit mon plombier, la Russie a une richesse inépuisable, ce sont les gens, le peuple russe mystérieusement solidaire, et qui reste constitué d’individus aux personnalités affirmées, colorées, souvent préoccupées de questions profondes et unies par un sentiment familial d’appartenance à la même communauté historique, culturelle, spirituelle, tout ce que déteste la clique de trotskistes et d’usuriers qui cherchent à s’emparer du monde et à détruire les peuples européens. Ici, tout reste possible, une réelle rédemption succédant à une telle chute dans les abominations du XX° siècle et de la modernité que ce pays n’aurait, en principe, pas dû s’en remettre. Chez nous, le ferment spirituel n’agit plus, il n’y a plus de levain dans la pâte, peut-être parce que l’Eglise a trahi, alors qu’ici, elle est restée ferme à travers les persécutions, elle a gardé sa tradition, son enracinement millénaire, sa foi médiévale, virile.
Les habitants de Pereslavl me touchent par leur spontanéité, leur sincérité, leur bienveillance. La Russie ne fait pas semblant, on la trouve parfois brute de fonderie, mais quand elle vous sourit, c’est du fond du cœur.



samedi 15 octobre 2016

Plomberie et bricolage

Mon plombier m’explique ce matin que Saint Séraphin de Sarov avait prédit la révolution et les persécutions religieuses, mais aussi un grand renouveau spirituel : «Saint Séraphin de Sarov était tout amour, c’est pourquoi tout le monde venait le voir, et cet amour s’étend encore jusqu’à nous. Il appelait tous ceux qu’il rencontrait « ma joie ». Il a prédit que la Russie renaîtrait de ses cendres et resplendirait, et c’est cela qui va se passer. Vous avez vraiment bien fait de venir ici, les Français conscients viennent chez nous, les autres restent là où l’on détruit les églises et où l’on blasphème. Et nous, nous les reconstruisons toutes. vous n'imaginez pas le nombre d'églises qui ont été détruites, et l'Eglise n'avait pas l'argent pour les reconstruire, mais cet argent, nous l'avons trouvé.»
Il m'a parlé des expressions particulières à la région: "Lorsque vous les connaîtrez, vous serez vraiment d'ici.
- Et vous, vous êtes d'ici?
- Complètement!"
Il enlève son bonnet enfoncé jusqu'aux yeux pour que je le voie mieux et sourit modestement: "Je suis le pur produit du mélange de tribus slaves et finno-ougriennes avec l'envahisseur mongol!"

Je suis allée ensuite faire des courses, j’avais besoin d’un tournevis électrique. Je demande cela à la vendeuse qui me regarde les yeux exorbités comme si je lui demandais un tapis volant : «VOUS voulez acheter un tournevis électrique ?
- Oui, vous n’en avez pas ?
- Si, plein… voilà, c’est là… dit-elle en me montrant la vitrine d’un air navré.
- Que voulez-vous, j’en ai assez de courir après les bonshommes chaque fois que j’ai besoin de faire un trou, soit ils n’ont pas le temps, soit ils se font payer… »
Un gros artisan venu renouveler ses fournitures s’en mêle : «Chez vous, c’est du bois ?
- Oui, tout est en bois.
- Alors prenez ce modèle, ça suffira amplement. »
Le même gros type obligeant m’aide à choisir le papier de verre pour mes portes. Visiblement, la vendeuse a toujours eu auprès d’elle un joyeux bricoleur prêt à la dépanner. Et moi pas.
J’aime la satisfaction évidente du mâle connaisseur qui se sent utile à la pauvre vieille en détresse !
Au café français, une femme m’aborde, et se présente comme artiste peintre. Elle s’appelle Olga. Juste au dessus du café français, il y a une espèce de centre culturel, où l’on donne des cours de tout, et aussi de peinture. Croûtes redoutables à foison. On ne décore plus sa maison de bêtes fantastiques et de sirènes, on ne fait plus de beaux costumes, on ne peint plus de coffres merveilleux, mais on aligne les croûtes. Comme chez nous. Tuer la culture populaire n’ouvre pas aux gens l’accès à la culture distinguée des musées.
la carte d'Olga

Dans ce centre ont lieu parfois des concerts, je subodore qu’on n’y chante pas sa tradition, mais qu’on y fait du mauvais académisme, c’est quand même bien que cela existe, cela peut servir pour autre chose. Et j’ai trouvé un monsieur qui fait des encadrements, mais je n’ai pratiquement rien à encadrer, toutes mes aquarelles sont dans mon déménagement maudit, qui arrivera quand j’aurai le visa de trois ans, qui s’obtient au bout d’au moins six mois d’attente, si la guerre ne bloque pas tout cela jusqu’à l’apocalypse.

vendredi 14 octobre 2016

La Protection de la Mère de Dieu à Krasnoselskaïa

Les vigiles dans ma paroisse moscovite

J’ai dû aller à Moscou, pour récupérer l'enregistrement de mon visa et différentes démarches. Je voulais aussi fêter la Protection de la Mère de Dieu dans l’église de mon père spirituel, qui lui est consacrée. Au départ, j’ai dit au taxi que j’avais peur de manquer l’autobus, il prend son téléphone : «Allo… dis donc, tu ne peux pas attendre deux minutes pour partir ? Ma cliente va à Moscou, et je suis presque arrivé, là, je viens de dépasser le monastère Fiodorovski… »
En chemin, grosse averse de neige, mais elle ne tient pas encore.
Les corvées expédiées, je retrouve Xioucha, la fille du père Valentin, et ses nombreux enfants, dans son appartement si joliment décoré, puis je vais aux vigiles de la fête, dans la paroisse que j’ai longuement fréquentée quand je travaillais à Moscou : la Protection de la Mère de Dieu à Krasnoselskaïa. C’est une église que j’ai connue pratiquement en ruines, et que le père Valentin et son équipe ont restaurée peu à peu. Elle est située au dessus des chemins de fer de la gare de Kazan, au quartier des trois Gares, en plein centre, à la limite d’un des plus vieux quartiers de Moscou qui devait être ravissant, avant qu’on le massacre, et qui garde quelques beaux restes. Ce quartier trépidant a quelque chose de fantasmagorique qui m’a toujours séduite, et j’avais écrit un poème sur la fête de Noël à cet endroit, et sur la femme du père Valentin, la « matouchka » Inna. La matouchka était dissidente au temps du communisme, mais horrifiée par ce qui se passait à la période Eltsine, les spoliations des oligarques prêts à vendre le pays à n’importe qui, les menées américaines pour le dépecer avec la complicité d’apparatchiks véreux, elle était devenue complètement communiste. Cela engendrait toutes sortes de querelles homériques et fort pittoresques entre elle et son mari monarchiste, et moi-même, anticommuniste primaire et viscérale, à qui elle répétait : «Vous verrez qu’un jour vous trouverez que j’ai raison ». Cette prédiction s’est en partie réalisée. Disons que je me suis rendue à l’opinion d’Alexandre Panarine, selon laquelle le communisme a été une abomination, un viol méticuleux et d’une rare méchanceté de tout ce qui faisait la grandeur, la beauté, la poésie, la spiritualité, l'originalité de la Russie par des gnomes particulièrement immondes, mais ce pays étrange avait fini par avaler ce fruit indigeste après en avoir recraché le noyau trotskyste, et avait entamé le processus de russification de cette monstruosité inoculée par l'Occident. Une fois opérée la réconciliation avec l’Eglise, il eût fallu ne pas y toucher. Quand on aime la Russie, bien entendu. Mais les démocrates occidentaux n’avaient qu’une idée : l’achever, et le coloniser. Idée qu’ils poursuivent toujours, avec une détestation enragée.
Entrant dans mon ancienne paroisse, je retrouve avec émotion des petites dames qui se jettent à mon cou, le clergé qui m’est cher, le père Valéri, le père Dmitri, le père Fiodor, et je vais me confesser au père Valentin. Il est tellement heureux de voir que je suis venue à la fête votive que j’aurais pu lui avouer ma participation à une orgie romaine, cela serait passé comme une lettre à la poste. Je vais ensuite remplir les dyptiques des noms de tous mes orthodoxes français et mettre un cierge à saint Philippe de Moscou et à sainte Matrona. Je m’aperçois qu’en slavon, quand même, je ne comprends pas grand-chose, par rapport aux offices en français de Solan, il va me falloir trouver une solution. La sœur qui lit les psaumes le fait à toute vitesse. Moment d’émotion, les 40 kyrie eleison sont chantés comme à Solan, en grec, et sur la mélodie byzantine, comme si Dieu avait voulu unir dans cette fête mon monastère français et ma paroisse russe, également consacrés à la Protection de la Mère de Dieu.
J'entre dans la boutique de l’église pour acheter une étagère à icônes en bois sculpté, mais la petite dame qui fait office de vendeuse n’est pas disposée. Elle est en train d’écouter passionnément une autre cliente qui lui parle de miracles et de reliques. Je remets au lendemain. Mais le lendemain, la boutique est fermée. Du coup, elle l’ouvre spécialement pour moi, et je repars avec mon trophée qui dépasse de mon sac à dos bourré, car j'avais aussi emporté ma lessive, pour la faire chez Xioucha..
Dans la cour de l'église, on a dressé un buffet pour les paroissiens et les SDF et épaves du coin, avec des crêpes et toutes sortes de salades, du thé chaud, de la "compot", boisson obtenue en faisant bouillir des fruits dans de l'eau. Le père Valentin m'offre un livre sur les saints de Pereslavl-Zalesski, et sa bénédiction en prime. J'ai droit aussi à celle du père Dmitri. Un iris blanc s'obstine à  fleurir dans les plates bandes, malgré le vent aigre et les 5 petits degrés qui nous séparent de la neige.

 L'église de la Protection de la mère de Dieu à Krasnoselskaïa  par Constantin Soutiaguine,


A la mémoire d’Inna Victorovna Asmus

Où est-elle mon église, son clocher dans l’hiver,
Perché sur le lacis des longs chemins de fer
Qui portaient vers l’Asie de somnolents trains verts ?
Où est-elle cette amie qui marchait à mon bras,
Sur le pont enneigé, allant à petits pas,
Corpulente et joviale, alors que tout là bas,
Des fantômes pressés bousculaient les frimas,
Tordant leurs blancs cheveux dans les rayons des phares
Qui cherchaient dans la nuit le chemin des trois Gares.

Où sont les fenêtres de la nef bleutée,
Fleuries de cierges d’or et d’encens embrumées,
Portes du paradis dans l’enfer retrouvées ?
Sous l’iconostase, les sapins et les fleurs
Répandant alentour leurs prenantes odeurs?
Et les nimbes luisants et les sombres visages
Qu’éclairaient de grands yeux et de vagues lueurs,
Les enfants chahuteurs, les vieillards recueillis,
Et les jolies filles, si fraîches et si sages
Et les garçons barbus, aux beaux regards songeurs,
Les chasubles brillantes du clergé réjoui ?

Au retour, sur le pont, dans un brouillard cuivré,
Nous voyions suspendues, bien au dessus des voies,
Les grosses lanternes des hôtels éclairés,
Quelques points lumineux, ça et là clairsemés,
Bleus dans les serpents gris qui rampaient vers les gares,
Emportant des wagons jusqu’aux rigides barres,
Bétonnées par là bas dans les remous du froid.
Les croyants se hâtaient, évitant le verglas,
Les ivrognes hagards et les chiens affamés,
Vous marchiez à mon bras d’un pas mal assuré,
Mon cœur s’élargissait au son du carillon
Trébuchant, infini, s’envolant et tintant,
Retentissant tout clair au travers des flocons,
Et s’en allant quêtant par delà l’horizon,
L’étoile de Noël au faîte des nuées.







mercredi 12 octobre 2016

L'église de la Protection de la Mère de Dieu











L'église de la Protection de la Mère de Dieu, fête le 14 octobre


Je la vois de loin, quand je viens dans le centre par la rue du premier mai (Piervomaïskaïa). Elle est très gracieuse, et j'aime le bleu vif de sa coupole, agréablement délavé par endroits, pourvu qu'on ne le badigeonne pas je ne sais comment un de ces jours. Une affiche m'apprend qu'elle est la seule église de Pereslavl à n'avoir jamais fermé pendant la période soviétique, ce qui est considéré en Russie comme une grâce spéciale. Apparemment, l'un de ses prêtres, le père Ivan Beliakov,  s'est distingué au point d'être nommé citoyen d'honneur de la ville.



C'est bientôt la fête de la Protection de la  Mère de Dieu, et de cette église. C'est bientôt celle de ma paroisse de Moscou et du monastère de Solan:


http://www.egliserusse.eu/bl
ogdiscussion/Pokrov--fete-de-Notre-Dame-de-Toute-Protection_a1953.html

Il fait froid, aujourd'hui, 4°. Ca sent la neige. Les berges de la rivière Troubej sont garnies de pêcheurs paisibles. Pourtant, j'ai entendu dire qu'il n'y avait plus beaucoup de poisson et que le lac était victime de surpêche de la part des bandits locaux, à cause d'un poisson renommé qui agrémentait la table des tsars et qu'il faut naturellement conduire fiévreusement à l'extinction pour se remplir vite les poches, prends l'oseille et tire-toi...
On s'y baigne l'été, on y pêche maintenant.





Mon existence prend forme, j'ai une armoire, un lit et des stores, et l'ensemble n'a pas mauvaise allure.
J'ai fait la connaissance de ma voisine, de la famille de ceux qui m'ont vendu la maison. Elle vient des pays baltes, une femme très aimable qui me propose des plants divers, dont une vigne adaptée au froid qui fait des raisins délicieux, dont le parfum me rappelle un peu celui du monastère de Solan.
La grande mode, ici, c'est de recouvrir les maisons de bois de panneaux de plastique imitant la pierre, à vous faire regretter l'abominable siding, comme quoi, on peut toujours faire pire. "C'est facile et pratique, et économique, me dit Kostia.
- Kostia, quand c'est pratique, facile et économique, vous avez toutes les chances d'être en face d'un piège du diable qui vous entraîne dans un marché de dupes, vous savez bien que la facilité mène au diable et la difficulté à Dieu?"
Je vois que Kostia est ébranlé, cette fois, c'est moi qui ai eu le dernier mot.

Une isba en voie de plastification. On raffole aussi des auvents en plastique qui servent de garage: c'est facile à poser, c'est pratique, c'est atrocement moche, le diable nous mène par le bout du nez et nous fait perdre le souvenir de ce qui est beau et vrai, car le beau est toujours vrai, et le faux toujours moche.

mardi 11 octobre 2016

Moine errant

Le café la Forêt et ses délicieux petits gâteaux. Les chocolats, très raffinés, aussi. Et le plus drôle: J'AI MAIGRI, en y allant tous les jours! D'après le patron, c'est parce que les ingrédients sont naturels.

Retour au café français. J’y passe ma vie, car cela m’évite de cuisiner, et je m’y plais bien. Le patron et sa femme sont très sympathiques et partagent avec moi toutes sortes de tuyaux, les tuyaux, ici, c’est très important. Leur petite chienne voudrait bien copiner avec Doggie qui lui fait la gueule, il n’est pas joueur, et puis il a besoin de s’habituer. Les gâteaux sont délicieux, les chocolats aussi. Un vrai piège, pour les grosses.
Le patron est scandalisé par les salades qu'on raconte en France sur la Russie et la grossière propagande de guerre à laquelle se livrent les médias.
J’y ai vu arriver un barbu avec un sac à dos. « Je suis un moine errant, dit-il à Gilles, le patron, puis-je avoir un chocolat et vous donner une pomme en échange ? »
Le patron lui sert un chocolat et des morceaux de kougloff. Il a l’habitude, me dit-il, il en voit régulièrement de semblables. Je demande au jeune moine de prier pour moi et il vient s’asseoir à côté de moi. Je lui raconte ma conversion à l’orthodoxie, celle du père Placide, la fondation de ses monastères, tout ce qui se passe chez nous sur ce plan-là, et qu’il ignorait complètement. Il me dit avec assurance que mes affaires ici s'arrangeront très bien, puisque j'y suis venue avec la bénédiction de mon père spirituel. Puis il reprend la route, dans l’intention de demander asile pour la nuit à un monastère local. D'après ce que j’ai compris, il rédige quelque chose sur son expérience vagabonde d’un lieu saint à l’autre.
Quand je cherchais mon armoire, parmi toutes les horreurs disponibles, Kostia m’avait recommandé de prier pour la trouver. «Je ne vais pas déranger Dieu pour si peu, ai-je objecté.
- Vous avez tort, car il a dit que nous ne pouvions rien faire sans lui, même trouver une armoire ; et d’autre part, il nous est recommandé de prier sans cesse. »
Ce matin, visite du beau plombier, qui m’a fait un cours sur la météorologie en Russie à l’époque d’Ivan le Terrible, et m’a dit que quelque soit le temps, la Russie survivrait à tout, comme elle l’a déjà fait jusqu’alors. Tout ceci raconté avec une douce ironie, des gestes expressifs et dansants, je n’ai jamais vu un plombier pareil. Gilles le connaît : «Ah oui, le plombier philosophe ! C’est lui qui a travaillé chez moi.
- Et alors ?
- Et alors, normal ! »
Il a une cicatrice sur la joue. Le beau balafré, ça fait médiéval.
J’ai appris par Kostia qu’il fallait avoir le numéro de téléphone du détachement de cosaques, pour pouvoir les appeler en cas de problème.

lundi 10 octobre 2016

Une vieille et des chèvres.


Le patron du café la Forêt semble très aimable et très solidaire. En dehors de lui et de moi, il y a encore un Français, qui monte une écurie de chevaux. Il y a aussi un Anglais, et un Suisse orthodoxe apiculteur, dont Kostia m’a donné un pot de miel. Ce Suisse avait épousé une Russe qui n’a pas voulu le suivre dans son pays d’origine, comme quoi méfiez-vous messieurs, parfois, si on choisit un étranger, c’est parce qu’on pense trouver le paradis en Europe, celui des petites culottes en dentelles des nunuches du Maïdan.
On est en train de m’empaqueter la maison dans de la laine de basalte. Je ne vois pas le moment où cela sera terminé. Pour trouver de simples bancs, j’ai dû aller dans un magasin de mobilier pour les bains de vapeur. Pour les stores, ça n’a pas été simple non plus, couleurs tristounes, tissus brillants pour faire riche... J’ai pris les seuls stores décents, jaune pâle. Au café français, on m’a donné l’adresse d’une firme locale qui s’occupe d’aller acheter pour nous et chercher la commande IKEA.
Décorer sa maison avec ce qu'on trouve sur place peut être un défi intéressant...
A la Sberbank, j'ai eu affaire à une jeune fille d'une fraîcheur, d'une spontanéité, d'une diligence et d'une complaisance qui m'ont séduite, elle semble s'occuper de tous ses clients comme s'ils étaient de sa famille, je n'avais jamais vu cela dans aucune banque, ni ici, ni ailleurs.
Kostia m’a appris que si la moitié du magnifique plateau désert du monastère Nikitski avait été happée par des requins, c’est qu’une grosse truande a escroqué l’higoumène, et il paraît que c’est sans possibilité de retour en arrière, pour cause de « respect de la propriété privée ». Je vous dis que tout cela finira par me rendre communiste. La propriété privée n’existe plus, en fait, que pour les bandits, qui spolient les autres et ne respectent rien. Si vous saviez quelle merveille cette créature des ténèbres va saccager, vous en pleureriez comme moi des larmes de sang. J’attends le châtiment du ciel. Le second avènement, avant que tout ne devienne irrespirable.
Je suis partie explorer les environs de ma maison verte, et j’ai pris un chemin qui part dans les champs, et dont les bords sont malheureusement jonchés d’ordures. D'un côté les champs, de l’autre des escarpements, assez abrupts, j’avais envie de grimper voir un peu là haut ce qui se passait, il y avait une petite chapelle, une croix, un chevrier et ses trois chèvres. J’ai fait comme les chèvres, sauf que je suis beaucoup moins agile, mais au sommet, j’ai découvert le lac, ses berges dorées par l’automne, la ville scintillante de fenêtres et de coupoles, l’eau bleu foncé, les nuages pleins de lumière. Quelques maisons moches, évidemment, il faut avoir la vision sélective, regarder le paradis mité par l’enfer, en fermant les yeux sur les vilains trous noirs de la laideur contemporaine.

Un petit chien et un grand lac.







dimanche 9 octobre 2016

Premier dimanche à Pereslavl-Zalesski








Le vieux Pereslavl vu du "val"

Matin gris, venteux et froid qui paraît au bord de la neige, je pars à l’église, saint Syméon le stylite, dans le centre. De belles icônes, une chaleur insupportable, des chants sobres, un office et un sermon très longs, très peu de places assises pour les vieilles qui ont de l’arthrose du genou.

Saint-Syméon-le-Stylite, rue Rostovskaïa

Après cela, je prends mon petit chien et me rend au café Montpensier, sur la « belle place » de Pereslavl, là où se dresse l’église du XII° siècle où fut baptisé Alexandre Nevski. Je n’avais pas envie de « cuisiner » dans mon chantier. On a reconnu mon petit chien, on lui a donné de l’eau, et une espèce de biscuit sec. J’ai mangé le borchtch délicieux de ce restaurant, avec une brioche à l’ail.
Le soleil, que je n’avais pas vu depuis mon arrivée, était revenu, avec le vent frais, de nord est, qui balayait des feuilles dorées. Il faut dire que cela change tout. Après une semaine de grisaille humide, ce temps tonique et lumineux monte à la tête comme une vodka bien frappée. L’idée me vient de monter sur le « val », cette haute butée de terre qui, au temps du prince Alexandre, cernait la ville et supportait les remparts de bois. De là, j’ai fait une promenade avec le petit chien, sans voitures pour nous gêner, et avec la vue sur la rivière Troubej, les églises, les arbres dorés dans la lumière. Cette poignée d’étoiles diurnes, ce sont les coupoles du monastère saint Nicolas. Ici, on est vraiment à Pereslavl-Zalesski, la ville du prince Alexandre. Pas de cottages ni de centres commerciaux pour nous gâcher le rêve.

L'église du XII° siècle où le saint prince fut baptisé

Le borchtch du café Montpensier et sa brioche à l'ail: grandiose.


Nous traversons la rivière, et arrivons près de la belle église que je voyais depuis l’autre côté. Elle est consacrée à la Protection de la Mère de Dieu, cela me paraît de bon augure, car ma paroisse de Moscou l’est aussi, tout comme le monastère de Solan. Les offices commencent à 7h.15, et cela me convient également. Reste à aller y assister pour se faire une idée.



l'église de la Protection de la Mère de Dieu

Au retour, j’ai trouvé un service à thé de design soviétique adorable pour 1500 roubles, et comme je n’ai plus rien, et que lorsque j’aurai des invités, il faudra leur servir du thé, j’ai acheté cette merveille à ce prix dérisoire.
Le service à thé de style soviétique, on trouve encore beaucoup de
choses comme cela, ici.

Pour me tenir chaud, j’ai fait l’acquisition d’une couette pure laine pour le même prix de 1500 roubles, Kostia m’a dit en la voyant : « C’est beau, ça fait riche ! » Je lui ai répondu : «Ca fait riche, mais je ne suis pas sûre que ce soit très beau ! »

La couette attention les yeux! Mais c'est chaud...

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