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samedi 19 novembre 2016

papillon d'hiver


papillon d'hiver

Je garde à l'esprit un jeune homme entrevu dans le métro, un très beau jeune homme de type résolument slave, qui devait avoir dans les dix sept ans et serrait contre lui,d'un geste protecteur et pataud, une jeune fille mignonne aux cheveux endommagés par une teinture et une coupe épouvantables, comme les ados aiment à en faire. Le garçon avait de grands yeux clairs et brillants, un sourire heureux et songeur, il était amoureux, bonne chance, petit bonhomme...
Chez Xioucha, une belle jeune femme au physique éthéré, son amie Marfa, m'a raconté l'histoire de "Vaska le Peinturluré", un repris de justice couvert de tatouages, d'où son surnom, et de condamnations à répétitions, car il n'arrivait pas à se réinsérer, et retombait toujours dans son ornière. Jusqu'au jour où il a croisé le chemin d'un homme riche au désespoir, dont le fils tombé en prison y était mort. En souvenir de son fils, cet homme a pris Vaska sous sa protection, lui a donné du travail. Et Vaska s'est marié à cinquante ans, il vient d'avoir un enfant, il va à l'église, il s'est entièrement racheté.
Marfa est une fervente admiratrice de Marcel Proust et m'envie de pouvoir le lire dans le texte...
J'ai dans la maison un papillon que le chauffage a dû réveiller de son hibernation. Ce genre de papillons hiberne souvent dans les greniers des maisons, j'en avais aussi à la datcha et, au mois de février, j'avais trouvé leurs ailes précieuses semées sur la neige. Je suis allée le mettre près de ma cheminée désaffectée, pour qu'il retrouve un endroit plus frais, je ne voudrais pas que son réveil prématuré ne causât sa perte. Il est resté un moment perché sur mon doigt, ouvrant et fermant ses ailes, et il faisait un bruit, comme un minuscule éternuement, je ne savais pas que les papillons pouvaient produire des sons.
Il est étonnant de voir autant de neige, et avec cette permanence, au mois de novembre, j'espère que nous n'aurons pas la pluie au mois de janvier... La neige est la lumière de nos hivers ténébreux.
l'éléphant rose et la maison jaune du café français dans leur environnement hivernal.

La rivière Troubej sous la neige

jeudi 17 novembre 2016

Méfiez-vous des plans russes

Les Russes sont des gens très serviables et compatissent avec énergie à votre destin, sous forme de conseils et d'offres de services divers, ce qui peut être parfois étouffant, parfois réconfortant et utile, et peut aussi revêtir la forme du plan russe, ou de la combine russe, il faut savoir que ce plan est généralement foireux, car la plupart du temps, il est mal préparé et repose sur de bonnes intentions n'allant pas jusqu'à la réalisation concrète, des relations qui vous assurent de leur soutien et vous plantent.
Lorsque je cherchais à revenir ici et voulais acheter une maison, un ami adorable, serviable que je considérais quasiment comme un neveu, m'avait proposé son aide, et même enjoint de ne rien faire sans lui, car j’allais me faire forcément avoir. (Dans le plan russe entre souvent le paramètre qu'à part l'obligeant ami, le reste de la Russie est constitué d'affreux individus, avides de rouler l'étranger naïf). Il avait commencé par m'offrir carrément de construire sur le terrain de ses parents, ce qui m'avait semblé quand même difficile à envisager et n'avait d'ailleurs pas eu de suite. Dans la foulée de son aide pour trouver une maison, aide indispensable étant donné le contexte, ma naïveté et les individus susnommés, il m'offrait aussi d'essayer de me faire un visa de travail comme collaboratrice. Je lui envoyais scrupuleusement les offres qui me paraissaient intéressantes, j'attendais sa réponse, son avis. Il me disait que sa mère était au courant de tout ce qui se vendait d'intéressant du côté de chez eux, et j'attendais les propositions. Mais comme il était très occupé, sur place en  permanence, et moi en séjour de trois semaines, j'en perdis deux à attendre que tout cela se concrétisât et me retrouvai à la veille de mon départ sans avoir rien acheté. Je me permis alors de lui faire observer que sans ses promesses et exhortations, j'aurais cherché toute seule et peut-être trouvé, et il ne m'a plus jamais répondu depuis, à mon grand chagrin: le plan russe, s'il est foireux, et il l'est bien souvent, il convient de s'en détourner sans faire remarquer à son auteur qu'il ne tient pas debout.
Dans le même cas de figure, de gentils amis se sont emparé de mes problèmes de permis de séjour pour en simplifier l'obtention, car n'ayant pas de conjoint russe, et les années que j'ai passées à travailler au lycée français ne comptant pas pour l'administration en raison de mon passeport de service, je suis obligée de passer par le système des quotas, plus compliqué et aléatoire. Avec une juriste, tout cela me coûterait dans les 5000 €, et je n'ai pas d'argent en trop. Le patron du café français me donnait le sage conseil de faire tout cela à Iaroslavl, où il y a moins de demandes, et pas de Français depuis lui-même, mais mon enregistrement sur Moscou complique un peu les choses. avant l'élection de Trump, je craignais aussi que la guerre n'éclatât au milieu de mes démarches longues et assorties d'allers et retours pour refaire des visas de tourisme en attendant un permis de séjour. Et au moment où j'allais commencer tout cela avec une juriste locale compatissante, est arrivé le plan russe, les conseils de la relation bien placée qui me téléphone et considère que je dois passer sur "statut spécial", et insister pour cela, mais elle est malade le jour où je dois aller au centre d'immigration et ne peut m'accompagner, donne des recommandations irréalisables, du genre raconter sa vie au fonctionnaire de service qui a autre chose à faire et s'en fout, mais n'a absolument pas préparé le terrain en communiquant une note pour attirer l'attention sur mon cas.
J'ai donc visité pour rien et par deux fois le centre d'immigration de Moscou. C'est à quarante minutes au sud de Moscou dans un village perdu. Quand vous sortez du métro, en bout de ligne, vous attendent à l'affût des meutes d'Ouzbeks pour, une fois la bagnole pourrie bourrée au maximum, vous transporter là bas à tombeau ouvert. Le centre est un immense truc bien propre avec des toilettes super et des distributeurs de boisson, des vérifications minutieuses à chaque palier, on ne va pas vous le donner comme ça, le permis de séjour, encore moins selon le "statut spécial" recommandé par le copain de mes copains, je l'ai senti tout de suite. Cependant, mes bienfaiteurs insistaient avec la dernière énergie pour me garder dans le cadre de leur plan russe: je n'avais pas compris, je ne savais pas expliquer, il me fallait y retourner, j'avais payé 5000 roubles pour déposer une demande et rien n'avait été fait, il me fallait raconter ma vie à l'inspecteur. L'inspecteur avait le regard de la tête de Méduse, et encore je ne sais pas si celui-ci n'avait pas plus de douceur er de compréhension.
Résultat de la galère: les demandes ne se déposent pas là bas, mais à Moscou dans un autre service, et seulement la première semaine du mois. De sorte que j'ai perdu encore des jours et mon énergie pour rien, comme disait le ministre Tchernomyrdine, ce qui est devenu ici quasiment un proverbe, : "Nous voulions faire pour le mieux, et ça s'est passé comme d'habitude!"

lundi 14 novembre 2016

Alla


Le petit chat noir commence à devenir insolent et agressif avec mes autres chats, je n’en sortirai jamais de ce cauchemar, ni des pisses qui vont avec. Kostia et Rouslan sont revenus s’occuper de mon chauffage, et devant mon incapacité à me débarrasser des intrus, se sont lancés, tout en examinant la chaudière et la tuyauterie, dans toutes sortes de considérations sur ce thème. « Laurence, me dit Kostia, peut-être devriez-vous ouvrir un refuge, c’est peut-être votre vocation, le bien qu’on fait à ces créatures, il compte aussi, tout le bien que nous aurons fait nous sera compté, peu importe à qui.
- Ils sont en Dieu, ils ont des sentiments, des émotions, renchérit Rouslan, et lorsqu’ils meurent, ils ne disparaissent pas, saint Théophane le Reclus disait qu’ils s’en allaient rejoindre l’âme collective du monde. Que tout esprit loue le Seigneur… »
Le chauffage s’est plus ou moins remis en route, mais il faudra quand même remonter les tuyaux de la cave dans la maison et corriger la hauteur de la cheminée d’évacuation.
Je suis allée à l’église à travers des rues couvertes de neige, nous avons quasiment un temps de mois de janvier, j’espère que nous n’aurons pas le mois de novembre en janvier. Le père Dmitri a été un peu moins prolixe que d’habitude. Je n’ai pas pu me défiler après l’office, pour retourner sur mon chantier, il me fallait absolument partager les agapes dominicales, les vieilles y comptaient bien. J’aurais peur de faire de la peine à tout le monde si j’allais ailleurs, et pourtant, si gentil que soit le père Dmitri, je sens que ce n’est pas la paroisse qu’il me faut. Comme me dit Kostia: "Je n'aime pas qu'on s'impose dans mon âme".
Echange téléphonique avec mon amie Alla, à Moscou. Du temps de mon petit chien Joulik, quand je travaillais au lycée, je l'avais rencontrée dans notre quartier où elle promenait son propre spitz, Faïtchik, toujours impeccablement toiletté, comme sa maîtresse, qui avait beaucoup plus que moi le profil d'une femme à chien de salon: une jolie blonde apprêtée, manucurée, tailleurs roses, fanfreluches. Bien que nous n'ayons vraiment pas grand chose en commun, notre amitié a survécu à la distance. Entretemps, Joulik et Faïtchik sont morts, à la grande douleur de leurs maîtresses respectives, et ont laissé la place à Yana et Doggie, tous deux "en solde", rebuts d'élevage, Yana, en raison d'une tache blanche sur le museau, et Doggie d'une luxation congénitale, qui se sont aimés ua premier regard!
Alla a quelque chose qui retient, elle est absolument désarmante de bonté. Quand je partageais son quartier, nous y voyions à l'oeuvre une affreuse vieille sorcière qui habitait son immeuble. Cette vieille avait été journaliste, député, et elle était d'une méchanceté incroyable, cherchant querelle à tout le monde, personne ne pouvait la blairer, nous non plus. Elle détestait les chiens et considérait son square collectif comme sa propriété privée. Elle se vantait auprès d'Alla d'avoir extorqué de l'argent, pendant la guerre, aux femmes et filles esseulées en leur promettant par ses prédictions le retour de leurs maris ou de leurs fiancés partis au front. Alla me disait qu'elle avait aimé sa fille, morte prématurément, mais tyrannisé sa petite-fille. Or à plus de 90 ans, cette épouvantable vieille était tombée récemment entre les mains de bandits qui essayaient de la spolier de son appartement, et comme elle avait fait le vide complet autour d'elle, il n'y avait personne pour la défendre, à part la blonde et rose Alla qui s'est lancée dans la bataille, au risque d'avoir de gros ennuis. La bataille gagnée, Alla et la petite-fille pas rancunière ont trouvé une maison de retraite décente pour placer le vieux monstre. "Alla, lui ai-je dit, et je le pense profondément, vous avez gagné votre paradis!"










samedi 12 novembre 2016

Matin glacial

Berce du Caucase


Après la pluie sur la neige, le gel et la neige, avec du vent, et panne de chauffage. SOS et débarquement de Kostia et de Rouslan le plombier. Déjà, le chauffage, il faut savoir s'en occuper, lui parler, tous les deux jours tripoter des robinets, et puis aussi régler celui de la cuisine, toute une histoire. On fait tout ça, mais ça recommence une demie heure plus tard, retour de Rouslan: "Laurence, si vous ne voulez plus avoir d'ennuis, il faut faire les choses autrement, il faut retourner au classicisme. Le chauffage au gaz classique, chez nous, c'est les tuyaux à l'intérieur de la maison, ce sera la solution économique et définitive. Je vous mets des radiateurs là où ils manquent, en fonte, on les récupère pour rien à la casse, et des tuyaux sous le plafond et au ras du sol, avec la pente nécessaire, vous êtes sûre qu'ils ne gèleront pas, vous n'avez plus besoin de pompe électrique et ça marchera au poil.
- Mais ça transformera ma maison en usine à gaz?"
Sourire impuissant et désarmant de Rouslan. Un peu plus tard, la femme du patron du café français me dit qu'ils ont dû eux aussi rentrer tous leurs tuyaux à l'intérieur de la maison. Dans un pays où il peut faire moins trente ou moins quarante l'hiver, on préfère l'usine à gaz, le style Beaubourg.
Le lot de consolation de l'aventure, c'est le charme et la conversation de Rouslan au physique eisensteinien! Debout devant ma chaudière, le voilà qui commence à m'expliquer que tous les mots russes techniques sont d'origine allemande, il adore la philologie et l'étymologie. Puis à l'une de mes remarques, il réplique que les Russes sont incompréhensibles aux occidentaux parce qu'ils sont non formatés et informatables. "Oui, lui dis-je, même 70 ans de communisme ne sont pas arrivés à les formater! Quelle résistance!
- Laurence, mais les 70 ans de communisme, remarquez bien, correspondent aux 70 ans d'esclavage des Hébreux en Egypte! Nous allions devenir cupides et matérialistes, à la fin du XIX° siècle, dans notre prospérité, alors Dieu qui nous aime nous a envoyé ce fléau pour nous purifier et nous protéger de la corruption capitaliste par l'isolement du rideau de fer. Il sait où il nous mène."
La conversation est venue, avec Kostia, sur l'hypocrisie occidentale, due d'après eux au catholicisme et au protestantisme qui en a dérivé, à leur conception juridique de la religion. "Nous n'avons pas cette conception-là, chez les orthodoxes, par exemple, saint Silouane l'Athonite parle d'un homme qui en avait presque tué un autre dans une rixe, et il le voit ensuite jouer de l'accordéon: "Comment peux-tu être aussi joyeux après avoir presque tué quelqu'un?
- C'est que je me suis confessé, Dieu m'a pardonné, alors mon péché n'existe plus!" C'est ça, le pardon, chez nous..."
J'ai repensé au commentaire d'hier, sur la Russie néolithique, très bien contredit en détail par Louis Julia, avec des exemples de réalisations grandioses, comme le pont reliant la Russie et la Crimée. Le type donnait la Suisse en exemple, ou la Norvège, pays éminemment chiants, à l'Europe dont il rêve. Mon grand-père, homme honnête, vertueux, réglé comme une horloge et dépourvu d'humour, lorsque quelqu'un dans la famille lui paraissait affligé d'un tempérament excentrique s'exclamait avec désapprobation: "Oh, c'est une Combe!" C'est-à-dire que la personne avait pour lui 'héritage génétique regrettable de ma délicieuse grand-mère sentimentale et farfelue. Les peuples d'Europe ont tendance à avoir le même réflexe en face du charme et du génie slave. Ca les énerve que ces branques de Russes, qui bricolent tout avec trois bouts de fil de fer, arrivent à faire des choses extraordinaires, héroïques, et cela sous l'impulsion de la foi, de l'idéal, de motivations tout à fait infantiles et déraisonnables. Ils ne comprennent pas cet esprit médiéval vivace et capricieux, qu'ils ont perdu, et qui a résisté chez les Russes aux inoculations violentes d'académisme et de pragmatisme opérées par Pierre le Grand et ses successeurs communistes.

Les mésanges prêtes pour le petit déjeuner




vendredi 11 novembre 2016

Surarmés

Quelqu'un a écrit, à propos de mes chroniques de Pereslavl, qu’elles montraient bien que ce pays surarmé en était resté au néolithique. Il reproche au gouvernement russe une « course aux armements démentielle », alors que les gens ont un très mauvais niveau de vie, et n’ont pas connu, à cause du communisme, le « développement humain » qui fut le nôtre en occident. J’en ai parlé à Kostia, qui m’a répondu : « Laissez les dire, nous nous avons l’espoir, et nous nous soutenons les uns les autres pour le garder. En face, ils ont peut être plus de biens matériels, mais ils sont sur le point de les perdre, et ils n’ont ni foi ni espoir. Les choses s’améliorent petit à petit, on ne peut les changer du jour au lendemain. Poutine est très prudent. On ne peut pas mettre en prison tous les fonctionnaires et tous les gouverneurs corrompus et voleurs, car nous n’aurions pas assez de monde pour les renouveler. En revanche, on peut organiser les choses pour qu’il leur soit beaucoup plus difficile de voler et c’est ce qu’il est en train de faire. Il agit sagement, pas à pas. Peut-être n’est-il pas parfait, mais nous n’en avons pas d’autre. Et où en serions-nous sans lui ? Quand au surarmement, il suffit de comparer l’armement américain au nôtre, et le nombre des bases américaines déployées, pour voir où est l’agresseur, nous faudrait-il attendre gentiment et sans rien faire qu’on nous tombe dessus ? »
Il m’a parlé du mouvement cosaque, auquel il est affilié, et m’a appris que c’était un mouvement bénévole qui s’apparentait à une milice populaire. Les cosaques se substituent de plus en plus à la police, et font preuve d’une mentalité incorruptible et d’un patriotisme en béton. Les cosaques sont l’épaule sur laquelle le peuple russe peut s’appuyer. Les cosaques ressuscitent les traditions et font des enfants en pagaille, qu’ils élèvent dans ces traditions. Il croit que les orthodoxes et les cosaques, sont le ferment de la renaissance russe, et déplore l’action corruptrice des médias, au sein desquelles il faudrait faire le ménage, car elles diffusent souvent des informations fausses et tendancieuses, des distractions nocives et dégradantes. Les dessins animés proposés n’apportent rien de bon aux enfants, et les jouets monstrueux qu’on leur vend non plus, il lutte contre cela dans sa propre famille. C’est un idéaliste pragmatique, il faut à ses yeux agir à son niveau, là où on est placé par la vie, et accomplir ce qui nous revient, sans faiblir. J'ai trouvé un encouragement dans ce qu'il me disait, et un sens à ma présence ici.
J’ai été malade, et il est venu trois fois voir comment je me sentais et me porter des médicaments, contrôler si le chauffage marchait. Il m’a emmenée aujourd’hui au magasin faire des courses.
J’ai une invasion de chats. Deux compères qui viennent par la cave. L’un, qui est noir et tout jeune, a le bout d’une oreille coupé. Il me fait un charme terrible, et je n’ai vraiment pas besoin de chats supplémentaires, mais il m’est très difficile de les chasser dans le froid.
Les mésanges ont trouvé le garde-manger que je leur ai installé. Elles étaient venues voleter devant la fenêtre, pour m'indiquer qu'il faudrait peut-être faire quelque chose pour elles.
J'ai mis en oeuvre la recette d'Olga pour faire du vin de pommes: les pommes, de l'eau, du sucre, et un gant de chirurgie pour fermer le bocal. Le gant gonfle et lorsqu'il redevient plat, le vin est prêt.



                                       


mercredi 9 novembre 2016

Chaton

vu sur la palissade d'une maison: "Liéne, je t'aime"
Je suis allée à Moscou avant-hier, et j’ai voyagé avec Olga, la sœur de l’électricien. Nous avons traversé une vraie carte postale de Noël, tout est sous la neige. Mais en arrivant à Moscou, il pleuvait, tout fondait, les rues étaient transformées en marécage, et je me suis aperçue, pour la première fois depuis que je les porte, que les bottines données par Cécile prenaient l’eau.
Quand tout fond à Moscou, on a le choix entre prendre sur la tête les glaçons qui tombent des toits ou se faire éclabousser par les voitures des pieds à la tête, entre la glace savonneuse ou les flaques de profondeur indéterminée. En arrivant chez Xioucha, comme elle dormait, fatiguée par une opération dentaire, je suis ressortie lui faire des courses. Arriver au supermarché et en revenir chargée de sacs a été un exploit qui m’a laissée épuisée et m’a rappelé les moments où je travaillais et vivais dans cette ville, l’état d’extrême fatigue chronique qui était le mien, car la quotidien devient en hiver un parcours du combattant.
Sur le conseil de Xioucha, j’ai fait l’acquisition d’une paire de bottines imperméables de type canadien. Dans le magasin, je tombe sur oncle Slava et tante Ira qui me sautent au cou, un couple d'intellectuels, des amis du père Valentin. Slava me dit de prendre les bottines que je suis en train d’essayer, aussitôt sa femme m’en conseille d’autres, avec une grande force de conviction, j’opte pour oncle Slava et les bottines noires. Je repars avec enfin les pieds au sec, après avoir aussi dévalisé un magasin de fringues chic, souples et décontractées qui ne serrent pas, ne grattent pas, enveloppent doucement le corps et l’accompagnent.
Le soir, j’ai rencontré Dany, je lui ai présenté le père Valentin. Elle est venue rejoindre son mari russe et a besoin d'un confesseur qui parle français.
J’étais venue chercher une armoire ancienne que m’a donnée Xioucha, car sa fille aînée n’en veut plus dans sa chambre. Elle l’a démonté elle-même, une porte m’est tombée sur la main, ce qui a détourné le choc de sa fille de deux ans qui rampait là au milieu. Son ex mari m’a remmenée à Pereslavl en passant par IKEA. J’étais hallucinée de fatigue, et n’ai pu acheter que le quart de ce que je projetais d’y acquérir. Tous les IKEA sont identique dans le monde, mais je me sentais complètement perdue, je n’arrivais plus à lire les étiquettes. Retour à 23 h. 30, montage de l’armoire.
J’ai trouvé de la neige en quantité, un froid vif, rien ne fond, à Pereslavl. Génia, le carreleur, m’avait fait une douche à l’italienne façon russe, et devant mon désaccord, proposait de la tester avec un seau d’eau. «Un seau d’eau ! Combien de seaux d’eau passent dans une douche quand on se lave les cheveux ? » Nous avons essayé avec la douche, l’eau stagne. Nous mettrons un bac ordinaire. Le soir venu, ayant carrelé tout un mur, Génia m’appelle tout excité : « Laurence, venez voir ! Venez voir vos carreaux comme ils brillent dans la lumière…
- En effet, Génia, on se croirait déjà à Noël ! »
J’ai eu une conversation avec Kostia : «A Moscou, presque tous mes amis étaient des hommes, car les femmes russes sont souvent terriblement pénibles. Elles veulent votre bien malgré vous, savent mieux que vous ce qui vous convient et vous assaillent de conseils, tout cela avec une douce petite voix et une tendresse maternelle.
- C’est vrai, me répond-il, c’est le matriarcat, chez nous, et ce n’est pas bon signe, des femmes orthodoxes qui ne respectent pas leur mari, ce n’est pas normal. « Et les femmes domineront sur vous », dit-on dans la Bible, c’est une malédiction. D’ailleurs voyez, ceci est une photo de la mienne.» il me montre sur son téléphone un chaton qui se voit dans un miroir en tigre : « Elle ne comprend pas l’allusion ! »
J’ai descendu l’escalier extérieur en pantoufles pour mettre le chien dehors et le laisser faire pipi, et cela m’a suffi pour me demander comment saint Basile le Bienheureux pouvait se promener pieds nus hiver comme été







dimanche 6 novembre 2016

Fééries hivernales




L'église de la Nativité de la Mère de Dieu (contemporaine)

le lac gelé
Moins huit ce matin et beau soleil, je suis partie pour une grande balade, avec mon petit chien guilleret. Je suis retournée au lac. Ce n’est pas le Baïkal, mais jamais je n’avais vu une aussi grande étendue d’eau gelée. Cela me surprend par son immobilité et ses nuances de vert aquatique, de bleu profond. La neige scintille, tout est pur, propre, céleste.
J’ai rattrapé à pied la rivière Troubej et l’ai franchie par une passerelle. Je voyais l’église des quarante martyrs de Sébaste, construite par les pêcheurs locaux, à l’embouchure. Et puis les coupoles du monastère saint Nicolas, à contre jour, avec leurs reflets dorés : ce coin de Pereslavl est encore relativement préservé, pour combien de temps ? La belle église de saint Nicolas est neuve, elle n’existait pas, il y a quelques décennies, mais on dirait qu’elle a toujours été là. L’horizon que dessine le monastère au dessus des isbas est vraiment féérique, l’orthodoxie est un rêve d’enfant, elle est austère, exigeante, mais elle met de la beauté, de la poésie, là où il n’y en aurait plus du tout sans elle.
Au détour de la route, je revois l’église que m’avait montrée Olga. Elle est neuve, elle aussi, et semble sortir d’un conte, à côté d’elle une isba ravissante, à qui je souhaite longue vie, ce serait un crime de la remplacer par un caca boursouflé.
L'église des quarante martyrs de Sébaste

Mon petit chien marque brusquement son désaccord en se couchant sur la route avec un regard éloquent : ras le bol de marcher, nous avons fait dans les cinq kilomètres, et il a froid aux pattes.  Je décide donc d’aller au café Montpensier, le café français me paraît tout à coup trop loin.
Gilles, le patron du café, alors que je lui disais que je philosophais ici avec tout le monde, m’a répondu : « Oh ça, pour la philosophie, ici, il n’y a pas de problèmes, pour les mettre au boulot, c’est plus dur. Je ne peux pas compter sur eux, ils s’absentent pour un oui ou pour un non. Et je n’en trouve pas que l’acquisition du métier intéresse tellement, alors que c’est peu développé, ici, la pâtisserie et la boulange, il y a vraiment de quoi faire, et une clientèle à prendre ! »
Oui, c’est bien connu, les Russes sont plutôt des rêveurs et des mystiques, il leur faut une motivation supérieure et collective pour accomplir des exploits, mais je le comprends bien, je suis pareille. Il m’est revenu à l’esprit ce que disait je ne sais plus quel chef indien, que les hommes n’étaient pas faits pour travailler et gagner de l’argent, mais pour chasser, cultiver la terre, contempler et rêver. Le Russe et moi-même (et les indiens) avons gardé notre tempérament archaïque : nomade, cosmique, épique, lyrique, mystique. Le reste n’est pas important, le reste n’est que vanité, et introduit une oppression intolérable et malsaine des côtés les plus vitaux et les plus sublimes de l’être humain.
Mais enfin, évidemment, cela ne fait pas marcher le commerce et l’industrie. Et ce tempérament exaspérait un triste individu comme Pierre le Grand, avec son petit esprit mécanique, son goût pour les putains et les bandits occidentaux. Alors qu’Ivan le Terrible avait besoin qu’on lui joue des gousli le soir et qu’on lui chante des épopées pour s’endormir, et composait lui-même des hymnes et de stichères, et en vertu de cela, il lui sera beaucoup pardonné, en tous cas de mon côté.

Ne changez pas, les Russes, et même si mes prises de courant sont posées au milieu des panneaux, je ferai avec. 
par la fenêtre du café Montpensier

Une petite fille s'intéresse à Doggie. Elle veut absolument le dresser ce qui est fréquent
chez les enfants, surtout les filles, sans doute une future maîtresse d'école...