Translate

dimanche 5 février 2017

Les martyrs et confesseurs de l’Eglise russe

L'Eglise russe fête ce jour les nouveaux martyrs et confesseurs de Russie qui sont en très grand nombre, et dont les noms et les visages se sont en partie conservés dans les archives du KGB. Leurs corps reposent dans les fosses communes que l'on ne finit pas de retrouver en Russie, à l'occasion de restaurations d'églises, notamment, car les monastères servaient souvent de prisons et les sanctuaires de salles de torture.
Le père Vladimir Viguilianski a écrit un post sur Facebook pour commémorer cet événement
Aujourd’hui, jour de l’assemblée des nouveaux martyrs et confesseurs de l’Eglise russe, on a prié pour « tous les défunts qui ont souffert pour la foi du Christ au temps des persécutions ».
Jusqu’à la révolution de 1917, dans les listes des saints martyrs russes canonisés, il y avait 61 saints plus près de 100 confesseurs anonymes .
Après la révolution leur nombre s’était considérablement élevé, il s’y était ajouté plus de deux mille saints, et le processus de canonisation des martyrs n’est pas terminé, il se développe avec une grande intensité.
En 1917, on comptait plus de 200 mille prêtres et moines. Tous, à l’époque du pouvoir antireligieux tombèrent dans la catégorie des citoyens particulièrement suspects. On les arrêta de nombreuses fois, on les déporta, les accusa d’opinions et actions contrerévolutionnaires, de participation à des organisations terroristes et même d’espionnage.
Malgré le fait que, sous la torture, certains membres du clergé admirent avoir commis ces crimes, ils furent complètement justifiés dans la période des réhabilitations.
Et si l’on ajoute à ces serviteurs du culte les membres de leurs familles, leurs enfants spirituels, les travailleurs ordinaires de leurs paroisses, leurs simples paroissiens, le nombre des persécutés pour leur foi peut monter à au moins un million de personnes.
Par exemple en 1930, le secrétaire du Comité Central du PCUS G.M. Malenkov écrivait à J.V. Staline au sujet des communautés religieuses existantes qu’elles étaient « une organisation hostile au pouvoir soviétique légale largement infiltrée de 600 000 personnes sur toute l’URSS ». Et cela fut écrit après les répressions de grande ampleur des années 20 et 30.
C’est pourquoi nous pouvons entendre souvent à l’église, au cours des prières sur ceux qui ont souffert pour la foi : « Leurs noms, Seigneur, te sont connus ».
La mise en évidence des biographies détaillées de ceux qui ont souffert pour la foi du Christ se poursuit. A présent, la liste de ces descriptions de vies atteint pour l’instant près de 35000 noms.
J’ai déjà parlé de ces serviteurs du culte Viguilianski, mes homonymes et mes lointains parents, que l’on évoque comme des nouveaux martyrs, mais leurs biographies, à de rares exceptions, est inconnue même de moi, bien que ma famille s’en occupe de près…
Nos ennemis déclarés de l’Eglise récemment apparus, contempteurs acharnés des sanctuaires, hérétiques, fauteurs de troubles dissimulés et rénovateurs doivent se rappeler notre histoire récente pour éviter de figurer dans le camp des persécuteurs sanglants des chrétiens.
Aucune des périodes de nos deux mille ans d’histoire chrétienne ne peut se comparer en cruauté avec notre « temps des persécutions » !
L’apologète du II-III siècle Tertullien écrivait : «Le sang des martyrs est la semence du christianisme ».
Saints martyrs et confesseurs de l’Eglise Russe, priez Dieu pour nous !



samedi 4 février 2017

Anniversaires



Il y a une chose que les Russes considèrent comme sacrée, c'est le jour de l'anniversaire, peu importe l'âge de celui qui le fête, et même, j'ai vu continuer à le fêter de manière posthume. Xioucha a fêté le mien, avec son père, et des amis, de son côté et du mien.
Le père Valentin et le père Valéri ont parlé des remous occasionnés par la restitution à l'Eglise de la cathédrale saint Isaac, à Saint Pétersbourg. Les libéraux ont sauté sur l'occasion pour tenter une émeute, comme ils le font partout dans le monde, pourtant, quoi de plus normal que de restituer une église à l'Eglise, persécutée et spoliée au moment de la révolution? Un prêtre s'est fait incendier parce qu'il a osé dire qu'aujourd'hui comme alors, le même public est à l'oeuvre, ce qui est pourtant la stricte vérité.
Parallèlement, les communistes, ou ce qu'il en reste, agitent les gens dès que l'on veut construire une église dans Moscou: on prend le dixième d'un parc pour ce faire, et c'est la révolte, on vole les espaces verts et les terrains de jeux des enfants, mais quand c'est un casino ou autre établissement commercial qui fait la même chose en grand et en moche, l'émotion n'est pas si grande. A la faveur du centième anniversaire de la révolution d'octobre se manifeste un révisionnisme communiste qui voudrait blanchir la cause des innombrables cadavres innocents qu'elle a semés derrière elle, en particulier les néomartyrs de Russie. Son patriotisme est soviétique.
De sorte que les persécutions sont toujours une éventualité, d'autant plus que dans le reste du monde, elles se déchaînent contre les chrétiens avec une violence meurtrière ou sournoise.
Une jeune amie m'a ensuite montré une vidéo, une chanson intitulée "ce qui vote pour Poutine, c'est la maison de fous". Elle avait hésité à le poster sur ma page facebook pour mon anniversaire. C'est une jeune femme orthodoxe et charmante, et je l'ai regardée avec consternation: "Mais la maison de fous, la voilà, ce sont ceux qui chantent cette chanson et ce qu'ils représentent..." Elle a protesté que pour être un bon conservateur, il fallait d'abord avoir été révolutionnaire. Oui, en effet, on le dit, c'est un must, semble-t-il, je ne suis pourtant jamais passée par cette étape. Mais après avoir visionné le truc, eh bien, si j'en avais le droit, je voterais pour Poutine des deux mains, car j'ai rarement vu quelque chose d'aussi pitoyable, dégradant et sinistre, une agitation provocatrice de singes déboussolés qui voudraient ressembler aux nôtres, à qui se montrer complètement cons et déjà devenu une seconde nature.
Le lendemain, j'ai fêté à nouveau cet anniversaire dans le local de Skountsev à l'église saint Dmitri Donskoï, avec les petites dames orthodoxes qui apprennent auprès de lui le chant traditionnel. Les petites dames ont fait en mon absence des progrès impressionnants. Elles chantent avec hardiesse et enthousiasme comme si elles avaient appris cela dans leur enfance au village. C'est le miracle Skountsev.
Je me demande si nous chantions autrefois de cette manière, au moyen âge, chez nous, de tout notre être, si remontait à travers nous tout ce qui avait chanté avant nous, par les rivières, les champs et les forêts, depuis la nuit des temps. Le chant traditionnel russe, c'est l'âme du monde, l'âme collective des hommes.
Ces petites dames, qui ne m'avaient vue qu'une fois dans leur vie, m'ont accueillie comme une proche parente. Chacune d'elles m'avait apporté un gâteau. Nous en avons mangé deux, avec du thé, et l'on m'a chanté "longue vie", Skountsev m'a chanté une chanson d'anniversaire traditionnelle extraordinairement jolie. Il nous donne beaucoup de chants des cosaques Nekrasovtsi, partis en Roumanie, puis en Turquie, pour fuir les persécutions contre les vieux-croyants, et revenus en Russie dans les années 60. Leur folklore est antérieur au XVII° siècle, leurs chants religieux également. Et je retourne béatement aux sources de la sainte Russie intacte, vivace, innocente. J'y retrouve quelque chose que nous avions sans doute en commun avec elle et que nous avons complètement perdu. Quelque chose de précieux, d'indispensable, de vital, de pur et de régénérant.


Kostia Soutiaguine m'a offert un tableau!


L'hortensia de Sacha Joukovski, je pourrai le
replanter dans le jardin

Pétia, le petit garçon de Xioucha m'a
offert son lapin, j'espère que ce n'était
pas celui de sa soeur.


Les fleurs de Tania et Zakhar








mercredi 1 février 2017

Accordéon magique

Cette fois, Skountsev m'a offert de venir prendre un cours particulier, à l'Arbat dans son local magnifique. Je suis arrivée avec mes gousli, mais il y avait du monde, un spécialiste des guitares et instruments à cordes, un visiteur et un réparateur d'accordéons russes, garmochkas et baïans. Ce dernier apportait une merveille, de surcroît étincelante de verroteries que je regardais scintiller avec bonheur, une joie pour un coeur d'enfant. "Il joue tout seul, me dit Skountsev, on n'a rien à faire!" Et il s'est mis à jouer. Je pense que même avec un pareil instrument, je jouerais beaucoup moins bien.
Puis nous avons pris le thé. J'ai raconté que j'avais toujours adoré la musique, mais que plus personne n'en faisait en France, à part dans les conservatoires, ou les gamins qui rêvaient d'une carrière dans le showbiz, et que maman m'avait envoyée à une vieille fille qui me cassait les pieds avec le solfège et des ritournelles débiles. Ce n'est pas ainsi qu'on apprend la musique dans le peuple ou chez les folkloristes, on l'apprend en jouant et chantant, même si Skountsev a plus tard reçu une formation classique. Il nous a parlé du neveu de Tarkovski, qui s'est installé en Sibérie profonde, après être venu étudier la faune et la flore, il est resté sur place, subjugué par la nature locale. Skountsev est allé le voir. Là vivent des vieux croyants. Ils ont plein d'enfants qui, au fur et à mesure qu'ils grandissent, apprennent à remplir toutes les tâches de la communauté, et chacun a son rôle, chacun fait son travail, chacun est impliqué et nécessaire, personne ne s'ennuie ni ne rêve des podiums ou des sunlights. Ils connaissent tous les chants liturgiques, ils grandissent avec, et avec le slavon d'église. "Ce qui vous tue, en occident, me dit-il, c'est que vous n'avez plus le sens de la communauté." J'en suis bien persuadée. Pour moi, la vie et l'éducation normales, c'est celle de la communauté de vieux croyants qu'il nous a décrite. Les enfants s'élèvent en s'intégrant dans tout ce que fait la famille, y compris ce qu'on fait de beau avec ses mains, et en apprend naturellement les chants, les rites et les usages. Leur éducation n'est pas déléguée à l'état, pendant que les parents vont bosser du matin au soir pour un patron international afin de pouvoir s'acheter des merdes au supermarché du coin.
Ensuite nous avons travaillé les gousli. Il ne perd jamais son calme, il me montre autant de fois qu'il le faut, et des portes s'ouvrent, des éléments s'ajoutent. C'est comme cela qu'on devait apprendre à jouer, autrefois, quand on était un petit enfant des campagnes russes.


lundi 30 janvier 2017

La ville sur les nuages


L'église des 40 martyrs de Sébaste

Soleil magnifique, en février, il fait froid mais la lumière revient. J'ai décidé d'aller me promener avec le petit chien. Ce soleil était non seulement resplendissant, mais il chauffait un peu. J'ai marché jusqu'au lac, puis sur le lac, c'était la première fois de ma vie que cela m'arrivait. J'ai ressenti tout à coup un profond sentiment d'étrangeté. Cette blancheur, cette lumière, ces miroitements, ce soleil dévorant dans l'azur, et rien de vert alentour, peu de reliefs, c'était comme si j'avais avancé dans une contrée magique construite en plein ciel, sur les nuages, dans lesquels mes pas enfonçaient en crissant. Un léger vent glacial me suivait, mystérieux, subtil et bourdonnant, comme un essaim de séraphins invisibles.Je me dirigeais vers l'église des quarante martyrs de Sébaste, posée à l'embouchure de la rivière Troubej. Je la voyais à contre jour, éclaboussée de rayons. Quand j'ai abordé la rivière, je suis tombée sur les croix de glace de la Théophanie et la découpe qui avait permis de bénir les eaux. Je voyais au loin les coupoles dorées, liquides, chatoyantes du monastère saint Nicolas. Il coiffe la ville comme un diadème. Une autre église me faisait signe, ses croix brûlant dans le ciel d'un feu calme, comme de grosses étoiles. Les buttes enneigées des anciens remparts prenaient une couleur rose qui ne me paraissait pas de ce monde.
J'ai marché ainsi très longtemps, sur la rivière, et je suis arrivée au café français. J'ai discuté avec Gilles, le patron, de mes problèmes de visas et de permis de séjour. Il m'a donné des conseils utiles.

Les coupoles du monastère saint Nicolas









vendredi 27 janvier 2017

Mixtures

Ca y est, j'ai acheté mon studio à Moscou.
Kostia est venu me chercher, il a lu une prière dans la voiture pour que nous arrivions à bon port. C'est son copain Sacha qui a trouvé le studio. Sacha s'occupe de convoyer l'aide humanitaire au Donbass et de secourir les chats de son quartier, c'est un ancien militaire, reconverti dans l'immobilier. Apprenant mes activités pro Donbass, il m'a proposé de me faire signe lorsqu'il y aurait des manifestations consacrées à la Novorussie.
L'autre agent immobilier, celui des vendeurs, était aussi un ancien militaire, avec beaucoup d'autorité.
Nous avons signé des tas de papiers et attendu des heures. Je payais en liquide, je suis arrivée avec un sac bourré de liasses de billets, que je suis allée solennellement déposer au coffre de la banque. L'ancien militaire ne croit plus qu'en l'échange de liquidités, après avoir été empêché des mois par une banque de récupérer l'argent qui lui appartenait.
La température ayant remonté jusqu'à - 2, je crevais partout de chaud, ce qui favorise certainement mes problèmes ORL permanents.
Sur le chemin du retour, Kostia m'a emmenée au supermarché Globus, un énorme temple de la consommation où j'ai vite pris le tournis et fait quelques dépenses plus ou moins utiles.
Puis la dame qui m'avait gardé mes chats, Margarita, est venue soigner Georgette et Chocha, qui présentent une curieuse lésion sous le menton, une petite tache chauve, avec une sorte de bouton. Elle avait un remède infaillible: elle fabrique un cône avec du papier journal ou n'importe quel papier, elle le place sur une assiette, elle l'enflamme, puis elle prend le résidu gluant et marron qui reste après la combustion et en enduit l'endroit malade. Il paraît que c'est radical.
Elle m'a parlé d'un autre remède, avec de la cire d'abeilles, du miel et un jaune d’œuf cuit pour toutes sortes de problèmes.
Contre les allergies, elle me recommande le résidu de papier brûlé dans un peu de sucre, à jeun.
Le saint évêque et grand chirurgien Luc de Crimée avait remarqué qu'une de ses infirmières appliquait aux plaies infectées un remède de ce genre, et que cela marchait très bien, il l'avait donc inclus dans ses pratiques de soins, au grand dam de la médecine soviétique officielle de l'époque.


bonhomme en cage

jeudi 26 janvier 2017

Le bureau des passeports

Calendrier 2017: une année avec le président de
Russie!
Ce matin, je me suis levée avec un "refroidissement": la tête comme un seau, le sinus en feu. Au dehors, beau soleil, neige scintillante, - 23°. Et il me fallait d'urgence aller enregistrer mon visa puis faire diverses démarches locales en vue d'acheter un studio à Moscou pour avoir un pied-à-terre, un revenu occasionnel et ne pas dépenser ce qu'il me reste.
L'enregistrement devait être fait avec la mère de Kostia, au nom de laquelle l'invitation avait été faite. Nous étions allés la veille au "bureau des passeports" qui nous avait donné une enquête à remplir, et c'est tout. Aujourd'hui, la jeune fille de l'accueil nous déballe à toute vitesse en marmonnant que nous devons fournir aussi la photocopie de toutes les pages du passeport, de la carte d'immigration, du titre de propriété de l’appartement de la maman de Kostia. Nous voilà partis pour le faire, puis revenus. Et là, on nous dit de remplir une enquête en deux exemplaires sans la moindre rature, un côté pour Nina Grigorievna, la maman, un côté pour moi. L'employée va vérifier notre brouillon, et nous demande de le refaire, selon ses instructions, à chaque fois, nous faisons une bourde au dernier moment, ou bien le stylo dérape un peu, et la lettre est mal formée, ou bien, trouvant un détail peu visible, nous l'avons repassé, et ça ne fait pas l'affaire. Enfin nous y arrivons, et l'on nous envoie au guichet numéro 3. Là nous tombons sur un véritable sergent major: "Qui invite? qui? Nina Grigorievna? Alors je n'ai pas besoin de vous!"
Je m'éloigne un peu et au bout de quelques minutes, je me fais héler: "Où êtes-vous passée, l'invitée, votre passeport!" J'arrive avec le passeport, la traduction officielle, la carte d'immigration, les photocopies, et nous nous faisons morigéner parce que nous n'avons pas classé ni agrafé les photocopies. Puis elle découvre une petite faute d'orthographe dans le patronyme de Nina Grigorievna. Et aussi qu'elle a mis son téléphone fixe et il faut le portable, nous devons aller refaire notre copie: "Et sans l'indicatif, le portable, surtout!"
D'après son fils, Nina Grigorievna s'était étonnée de mon sentiment de panique devant l'administration, mais la voilà qui démissionne complètement, et c'est moi qui prend le rôle de copiste. "Oh comme vous écrivez facilement", me dit-elle, normal pour une institutrice et un écrivain, mais c'est diablement difficile de ne faire aucune rature, ni aucun dépassement dans la forme des lettres. Il faut une sacrée concentration, surtout avec une sinusite géante. Nous accumulons les feuilles ratées. Nina Grigorievna, compatissante, s'attelle à la tâche, mais elle semble plus perdue que moi, je reprends le stylo. Arrive Kostia, qui nous prend un peu pour deux vieilles incapables, mais me dit que lui-même, pour enregistrer son appartement, a fait des heures de copies successives qui me rappellent les cent lignes de mon enfance. Enfin tout est prêt, et nous remettons le résultat péniblement obtenu à la jeune fille de l'accueil qui disparaît avec car quelque chose ne lui plaît pas. Elle revient en nous déclarant que nous devons faire figurer l'indicatif devant le numéro de portable! Kostia le rajoute: "Ca ne va pas passer, lui dis-je, il ne faut pas raturer, c'est rédhibitoire..." Il me répond qu'il a fait cela discrètement. Nous avons perdu notre place dans la queue et nous attendons encore bien vingt minutes. Enfin nous arrivons au guichet numéro 7 où nous attend un ange de douceur qui nous règle la question sans problèmes.
Pour me consoler, Kostia m'offre un calendrier: "Toute l'année avec le Président de Russie!" Chaque mois nous présente une photo de Poutine dans diverses situations. C'est pour remplacer le portrait qu'il m'avait promis.
Je lui dis, dans la voiture: "C'est curieux, cette nuit, j'ai entendu deux fois un grand bruit, comme si quelqu'un avait sauté sur le toit. J'ai pensé à la chute d'un bloc de glace, mais je ne vois pas de traces. Ou alors peut-être un animal, un chat?"
Kostia prend un air pensif: "Vous n'avez pas pensé à faire bénir votre maison?
- Si, naturellement, j'attends seulement qu'elle soit plus aménagée, vous ne pensez quand même pas à des manifestations paranormales?"
Mais si, manifestement, il y pense!

Kostia dans sa voiture

Kostia et le père Andreï qui aidait l'électricien chez moi

mardi 24 janvier 2017

Arrêtez-vous sur vos chemins

Avant de partir de France, j'ai voulu retourner à Solan, et, dans la foulée de ma conversation avec mère Hypandia sur les profondeurs de l'âme humaine, j'ai acheté le livre du père Gleb Kaleda "Arrêtez-vous sur vos chemins", aux éditions des Syrtes. La soeur Ambrosia, qui s'occupait de la librairie, avait l'air dubitatif, mais si chère soeur Ambrosia, lisez ce livre! Il vient tout à fait en complément de ce que nous avons échangé, quand vous m'avez dit que celui qui s'élève dans la lumière voit les abîmes ténébreux avec d'autant plus de netteté.
Le père Gleb Kaléda témoigne de ce qu'il a vu dans les prisons des années 90, en Russie, avec tout son amour, et sa profonde compréhension. On ne peut que plaindre les condamnés dont il nous parle, égarés dans leur immense détresse, et saisir qu'en effet, nous sommes tous solidaires dans le péché, dans la chute comme dans la rédemption. La lumière et les ténèbres ne cessent de circuler de l'un à l'autre, et tant que la circulation se fait, les ténèbres ne sont pas irrémédiables, en revanche, si l'individu s'endurcit, s'enkyste au sein de ce courant permanent, ce qu'il enferme en lui-même, ce n'est ni la clarté ni l'air pur. Beaucoup de détenus et de condamnés à mort, car cette peine était encore appliquée dans les années 90 en Russie, ont vu dans le père Gleb Kaleda, un phare qui éclairait leur nuit. Le père Gleb dit qu'on condamne un homme et qu'on en en exécute un autre, que ces condamnés auxquels il a eu affaire n'avaient plus rien de commun avec cette partie d'eux-mêmes qui avait commis le crime.
Le livre à peine refermé, alors que j'étais encore pleine de compassion, j'ai vu sur Facebook les tronches ricanantes et atroces de trois migrants qui s'étaient filmés en train de violer une Suédoise, et si je m'étais trouvée avec une mitraillette en face d'eux, j'en aurais fait de la chair à pâtée...
Le père Gleb lui-même estime que certains détenus sont si endurcis qu'il y a bien peu de chance de les voir se repentir. Curieusement, ce ne sont manifestement pas ceux qui attendent leur exécution dans le couloir de la mort, mais de vieux truands installés dans le monde carcéral où ils règnent paisiblement.
Encore plus curieusement, ce qui m'a procuré le pire sentiment de dégoût, c'est ce passage où le saint homme évoque les journalistes venus flairer le malheur et la honte pour les exploiter à leurs fins:

Dans les prisons, il y a aussi de plus en plus de journalistes et de cinéastes étrangers et russes: ils font la course à qui filmera un événement jamais encore vu en prison, le premier qui montrera au cinéma ou à la télévision un condamné à mort ou une exécution. Les reporters français et allemands s'agitent. A ma question directe à un Français: "Faites-vous des reportages sur les exécutions dans d'autres pays, par exemple en Amérique?" il me fit une réponse qui me frappa et m'indigna: "Non, rien qu'en Russie!", et à son intonation, on pouvait comprendre: "Allons donc, que dites-vous là! Rien qu'en Russie, évidemment."
A ce correspondant du journal français le Monde, j'ai dit: "Je n'ai pas besoin d'honoraires, mais si vous pouviez donner pour l'église en prison..." J'ai reçu deux billets de banque, et quand nous nous sommes séparés, je les ai regardés: c'étaient deux billets de 100 roubles, c'est-à-dire moins d'un demi dollar. Le lendemain, ce combattant pour les droits de l'homme et la liberté dans l'ancienne Union soviétique reprenait l'avion pour Paris, et à Paris, il n'avait pas besoin de roubles.