Translate

vendredi 19 janvier 2018

Théophanie

C'est la Théophanie. J'aurais dû aller à l'office hier soir, mais après la pâtisserie et les courses, je n'ai plus eu le courage. J'y suis allée ce matin, avec une bouteille à remplir d'eau bénite. Beaucoup de neige était tombée, et il faisait froid, pas ce qu'on appelle "les froids de la Théophanie" qui ont la réputation d'être les plus féroces, mais moins dix degrés avec un peu de vent. Peut-être que ce sont là les plus basses températures que nous aurons au cours de cet hiver tiédasse.
Au moins nous avons de la lumière, et même du soleil, j'ai vu ce matin une magnifique aurore. La neige blanche et poudreuse recouvre les disgrâces des rues et étincelle.
J'ai honte de ma flemme, de ma faiblesse. A Cavillargues, je ne manquais pas une liturgie ni surtout les vigiles des fêtes, surtout une fête comme la Théophanie, si pleine de sens, si belle, et c'est à la Théophanie que je suis devenue orthodoxe, il y a... 46 ans.
Après avoir tout fait pour cela, je me souviens que j'avais peur. Ma tante Renée, qui est aussi ma marraine, avait voulu venir, bien qu'elle ne comprît pas du tout ce que je faisais là. Et tout à coup, j'avais eu l'impression de me séparer de ma famille bien aimée, et aussi de mon pays. Je ne m'étais sentie allègrement orthodoxe qu'à la Pâque suivante.
Je m'étais convertie en même temps que ma meilleure amie Béatrix, devant le père Serge Chevitch qui, la première fois que je l'avais vu, m'avais fait l'effet d'un saint. J'avais annoncé à mes tantes et mes cousines: "J'ai vu un saint". Ce qui était sûrement le cas, mais cette déclaration n'a pas eu sur les miens grand effet, sinon d'accroître ma réputation d'originalité.
Trente ans plus tard, à Moscou, je suis allée à la Théophanie comme aujourd'hui sans entrain, avec lassitude, et je me tenais dans ma paroisse moscovite en me demandant quand tout cela allait finir, et quand je pourrais rentrer chez moi, et j'en avais éprouvé, comme aujourd'hui, tant de honte, que j'ai supplié Dieu de faire quelque chose pour moi, ou avec moi. J'avais alors connu un moment de grâce indescriptible et compris, en voyant mon père Valentin plonger sa croix dans la cuve d'eau, qu'il était réellement, quand il officiait, investi de l'Esprit Saint. J'avais alors réalisé que cela faisait exactement trente ans que j'avais franchi le pas et qu'une telle grâce était la confirmation divine que j'avais fait le bon choix.
La soeur Larissa a tenu une fois de plus à me garder à déjeuner, et je me suis retrouvée avec la dame qui dirige le choeur. Elle connaît Sacha Joukovski, folkloriste qui a fabriqué ma vielle et mes gousli, et m'a passé le bonjour de l'accordéoniste Boris, elle a l'intention de venir au concert demain. Elle s'occupe de l'ensemble folklorique local, mais de son aveu même, c'est de la "stylisation", ce qu'on appelait sous l'URSS "la culture de kolkhose" qu'on cherchait à substituer au folklore traditionnel authentique... Une culture de kolkhose qui a découragé bien des intellectuels de s'intéresser à leur propre tradition. Cette dame qui, à priori ne paraît pas spécialement marrante, chuchotait à table où nous étions censées écouter la lecture en silence et pouffait comme une gamine parce que son portable se mettait tout à coup à diffuser de la musique quand elle essayait de me montrer des vues de ses concerts.
Il y aura du monde à notre concert, en réalité nous commençons à craindre qu'il y en ait même trop.
L'autre jour, le taxi qui m'a emmenée chercher la voiture, et qui se signait devant chaque église devant laquelle il passait, m'a dit qu'il jouait enfant dans le monastère saint Théodore fermé par le pouvoir soviétique, et qu'il avait trouvé dans une cave, avec des copains, un sac contenant des chasubles liturgiques brodées, datant d'avant la révolution, mais qu'il ne se souvenait plus de ce qu'ils en avaient fait...
Les gens trouvent partout des vestiges, des objets, des monnaies, des icônes, des croix... Etre exilé dans l'espace est parfois difficile mais être exilé dans le temps est sans remède... Encore qu'ici, et c'est ce que j'apprécie, tous les temps se télescopent, une réalité russe se poursuit plus ou moins déformée, mais obstinée, irréductible, tandis que parallèlement, une réalité contemporaine coupée de ses sources saccage au hasard de son idéologie ou de sa cupidité, comme un camion dont le conducteur s'est bourré la gueule et va zigzagant, écrasant et défonçant tout ce qui se trouve sur son passage.


l'aurore
La veille du baptême d’Arthur, qui avait été fixé à la fête de la Théophanie, le tsar lui avait fait porter une longue tunique de lin blanc, qu’il avait prise avec lui. Arthur assista à la bénédiction des eaux. Un trou en forme de croix avait été ouvert dans la glace de la rivière Seraïa. Emmitouflé dans sa touloupe, coiffé d’une chapka, les mains au chaud dans des moufles fourrées, les pieds dans de douillettes bottes de feutre, Arthur regardait la cérémonie avec un intérêt révérencieux. « Dans ton baptême au Jourdain, ô Christ, s’est manifestée l’adoration de la Trinité. Car la voix du Père te rendait témoignage en t’appelant Fils bien aimé ; et l’Esprit, sous la forme d’une colombe confirmait cette parole inébranlable. Toi qui as paru, ô Christ notre Dieu, et illuminé le monde, gloire à toi ! » chantait le chœur. L’Anglais regardait le métropolite Philippe, venu pour l’occasion,  qui, dans ses brillants habits liturgiques, plongeait une croix d’or dans l’eau noire. Des diacres projetaient de grands arcs cristallins sur la foule aux vêtements bigarrés. Suspendues dans une brume neigeuse, les coupoles des églises de la Sloboda luisaient d’un éclat sourd. Alors Arthur vit une chose inconcevable : un certain nombre d’opritchniks, parmi lesquels Fédia, qui se déshabillaient et allaient se plonger dans le trou. Avec une terreur respectueuse, il les regardait sortir vivants de l’épreuve, et se sécher mutuellement dans de grands draps en riant, quand le père Arkadi lui fit signe d’approcher : « Nous allons procéder au baptême, Artour Robertovitch !
- Ici ?
- Eh bien oui : ici, nous ne manquons pas d’eau !
- Tu veux dire, père Arkadi, ici, dans ce trou ?
- Oui, oui ! approuva le père Arkadi, avec un sourire confiant. Ici même ! Monseigneur Philippe a manifesté le désir de te baptiser de sa main… »
Arthur croisa le regard du tsar, à la fois attendri et railleur. Le métropolite s’avança vers lui,  prononça les trois exorcismes, et, se tournant vers l’occident, Arthur renonça par trois fois à Satan, et récita le Credo en slavon, sans le filioque. Vint le moment où il dut se déshabiller, et posant ses pieds nus dans la neige, marcher jusqu’à la terrible croix noire et scintillante, enchâssée dans ses brèches de glace, et se laisser glisser dans ce froid liquide et consumant. Le prenant par les cheveux avec une douce autorité, le métropolite l’immergea par trois fois, en prononçant la formule rituelle : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit… » Et chaque fois, suffoqué, il entrevoyait, brouillés par le ruissellement de l’eau glaciale, la croix d’or brûlante, comme une grande étoile, le saint vieillard resplendissant,  dans l’étincelante armure de sa chasuble, le soleil voilé et miroitant dans les brumes fuligineuses, et pensait qu’il allait mourir ou que c’était même déjà fait. Mais il en ressortit vivant,  hoquetant et à moitié noyé, et se laissa envelopper, frotter et sécher par des mains compatissantes, qui lui passèrent la tunique blanche : « Accorde-moi la tunique de clarté, toi qui te drapes de lumière comme d’un manteau, trésor de tendresse, ô Christ notre Dieu. »
Fédia glissa un tapis sous ses pieds nus, et sur un signe du tsar, lui apporta la propre pelisse du souverain, dans laquelle il le drapa. Arthur s’inclina profondément, car c’était là un grand honneur. Il porta la main à ses mèches rousses et les sentit craquer comme du verre : ses cheveux étaient en train de geler. Le métropolite lui administra la chrismation, traçant avec de l’huile sainte une croix sur ses mains, ses pieds, sa bouche, ses narines et ses oreilles : « Sceau du don du saint Esprit ». Arthur se sentait bien, mort et ressuscité, la chaleur revenait doucement dans son corps paisible et régénéré. Tout prenait autour de lui un nouvel éclat : l’azur du ciel qui perçait à travers les mailles lâches et translucides des nuées défaites, les oiseaux planant, le tintement des encensoirs et leurs bouffées odorantes, la splendeur hiératique des vêtements sacerdotaux, les visages recueillis, les cierges, les lanternes, les icônes et les bannières, le lumineux métropolite, tout lui semblait saint et magnifique, miraculeusement réconcilié, les fidèles ordinaires, les boïars richement vêtus, les sombres gardes et leur tsar. Ils ne formaient plus qu’un seul corps, relié par des myriades d’invisibles nervures à un unique tronc cosmique, exubérant d’une joie calme et infiniment croissante à laquelle, lui, Arthur, se trouvait intégré désormais sous le nom d’Artiom, Arthème, qui venait de lui être donné.
« Vous tous qui avez été baptisé en Christ, vous avez revêtu le Christ, alléluia… »
C’était sans doute cela, revêtir le Christ. Revêtir un nouveau corps et une nouvelle âme qui se trouvaient tout à coup mystérieusement solidaires de toutes les autres, pris dans ce Souffle unique qui pénétrait toutes choses. C’était sans doute cela, la grâce, la descente du Saint Esprit, sous la forme d’une colombe…


mercredi 17 janvier 2018

Logan

Il m'a fallu aller chercher ma Logan toute affaire cessante. On m'a fait attendre trois jours de plus, mais quand c'est prêt, c'est prêt. J'aurais voulu remettre au lendemain, pour venir le matin et repartir de jour tranquillement, sans bouchons, mais non, le client n'est pas roi.
Arrivée là bas, j'ai attendu des heures que l'on mît en ordre toute la paperasserie, j'ai cru que je n'en sortirais jamais. Pour finir, la vendeur m'a déclaré qu'il y avait encore la "solennité finale". Ho? Et c'est quoi? La voiture m'attendait, drapée comme un monument à inaugurer, avec une affiche devant:

NOUS VOUS FELICITONS

Laurence, Marguerite, Madeleine Guillon,

Et en effet, le directeur m'a félicitée, puis SHAZAM! a tiré sur la bâche pour dévoiler l'engin, mais il n'y a pas eu de fanfare, ni de bouteille de champagne cassée sur le capot, je trouve que c'est dommage.
Je suis repartie de nuit, comme je le craignais, et j'ai eu des bouchons, mais pas trop. Il faut que je m'habitue, cette Logan a toutes sortes de gadgets que n'avait pas mon modèle précédent.
Mon plombier m'a dit qu'il m'avait fait une réclame énorme, pour le concert,et que beaucoup de gens allaient venir. J'ai en effet l'impression qu'il y aura du monde, et ce sera j'en suis sûre, très réussi du côté des petits Leïkine & Co et des virtuoses des gousli, mais moi, tout ira bien si la salope de vielle ne me trahit pas et ma mémoire non plus...

mardi 16 janvier 2018

Le monde est petit.


 J'ai trouvé dans ma boîte ce mot d'une correspondante qui habite en Suisse:

Chère Laurence, 
Bon Nouvel An orthodoxe!!!
Ce jour, j'ai eu l'immense joie de voir, écouter et faire connaissance avec vos amis, les Skuntsev !!! Eh oui, ils sont venus donner un concert près de chez moi (25 km), magnifique, vrai, ils nous ont donné de la joie et profondeur - j' y suis allée avec Nikola , mon fils (l'un des fils de Vladimir s'appelle aussi Nikolaï) - et c'est mon anniversaire aujourd'hui et c'est la fête de Saint Basile le Grand , c'est un cadeau inoubliable du Seigneur!!! J'ai parlé à votre ami de vous (comme j'ai pu, je comprends un peu le russe grâce au serbe) et il me dut "Lorans Gijon, drug moï..."  (Laurence Guillon est mon amie)- cela fait plus d'un an que je vous lis et que vous citez très souvent cette famille merveilleuse - et voici qu'ils sont la, devant mes yeux, dans mes oreilles et - dans mon coeur !!! Merci merci merci, vous êtes à votre place en Russie, ne nous laissez pas sans nouvelles, sans beauté dans votre blog, sans vérité! Srećna Nova Gidina, Lorans

Le monde est vraiment petit, et voici les photos:




La famille Skountsev chez les Suisses.

En dehors d'Ivan le Terrible, j'ai en permanence le père Placide à l'esprit. Et maman. C'est curieux, mais c'est comme cela. Le père Placide va sans doute m'accompagner et m'avoir à l'oeil, il a tellement insisté pour me faire partir en Russie... Les soeurs de Solan ont eu un accident très grave sur l'autoroute et en sont sorties indemnes: elles pensent que c'est le premier miracle du père Placide... Le nombre de mes intercesseurs s'agrandit: le père Placide, le métropolite Philippe, le tsar Théodore, saint Alexandre Nevski... quand à maman, le père Placide va sûrement s'en occuper. Mais elle me manque souvent, et comme celui de mon petit chien, son souvenir me fend le coeur.
J'ai décidé de finir les peintures de la cuisine. C'est toujours intimidant, si c'est raté, que faire? Je me suis lancée. 
Voici le résultat:




dimanche 14 janvier 2018

Le concert prend forme

Le concert est prévu depuis la nuit des temps, mais comme d'habitude en Russie, j'ai les renseignements indispensables une semaine à l'avance... avec Micha, Serioja et Vadim, c'était d'ailleurs plutôt la veille!
Les merveilleux enfants Leïkine et leurs petits copains ouvriront le concert avec des chansons de leur choix. Ensuite, ce sera Dima Paramonov et ses élèves, puis moi avec deux ou trois chansons (je pense que ce sera trois, ça dépend de l'humeur de ma vielle). Puis l'ensemble Jivaïa Voda avec Yegor Strelnikov et Romane. Ensuite, nous chanterons ensemble un vers spirituel.
Mais auparavant, il y aura un stage, une leçon de deux heures et des élèves qui viendront de Yaroslavl, et même de Kostroma ou de villages perdus de la région de Yaroslavl, et ça, je n'étais pas au courant.
Mais ce n'est pas trop grave, je pense, car côté Gilles et Lika, c'est pareil, il y a des Français qui ne viennent pas par hasard faire leur vie en Russie, ils ont des dispositions...
Lika ne pouvait me donner une heure pour le concert, car elle voulait voir s'il n'y avait pas une éclipse de lune ce jour-là. Dima m'a dit: "A six heures, l'éclipse sera terminée". Ouf, me voilà soulagée. Nous avons décidé de l'heure et du stage et du concert, car sinon, nous aurions encore perdu deux jours.
J'avais préparé des chansons, mais il me faut apprendre le vers spirituel final, qui est très beau, d'ailleurs, et sûrement très ancien.

"Dans les eaux du Jourdain
J'irai trouver le Seigneur
Et le Saint Esprit
Descendu sur Lui"

Hier, j'ai lu le canon à l'archange Michel composé par Parthène le Fou, soit Ivan le Terrible. Je l'ai lu pour son âme et pour la mienne. Quelle étrange impression d'entendre prononcés par ma voix les mots de cette prière que le redoutable et malheureux tsar a conçue il y a quatre siècles... Je crois que je vais le faire régulièrement, pour lui et pour moi. C'est le père Valentin qui m'a fait passer par Xioucha les épîtres du tsar et son canon.
"Saint Ange, fais-moi boire la coupe du salut, et j’accueillerai ta venue avec joie et bonheur et je te prierai: ne me laisse pas dans la solitude"
La solitude, tsar Ivan, nous savons l'un et l'autre ce que c'est. Prions ensemble... ou plutôt laisse-moi prier à ta place, puisque là où tu es, tu ne peux plus rien faire.




Surgi du néant, l’Archange s’embrasait tout entier pour se ternir ensuite, comme un métal surchauffé retombe peu à peu dans son inertie et sa froideur initiales. Ses ailes coulaient sur son manteau, entrelaçant à l’infini leurs diagonales sanglantes, et son image se désagrégeait et s’effaçait dans la nuit. C’était une illusion récurrente des ténèbres, une illusion mortelle qui hantait ses songes.
Le tsar s’éveillait d’un court sommeil agité. Au dessus de sa tête voguaient, paisibles, les nefs translucides des veilleuses. « Eloigne-toi de moi, Satan ! » souffla-t-il et, se signant, il ajouta: « Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés, et que ceux qui le haïssent fuient devant sa Face ! »
Il chercha autour de lui et le vit près de l’icône d’or où figurait saint Michel en relief, dans son armure émaillée. Le jeune garçon chantait d’une voix sonore et poignante. Son avant-bras drapé de soie rouge, son joli visage et ses boucles blondes se détachaient de l’ombre par intermittence. Vêtu d’un caftan de laine blanche largement brodé de motifs noirs au point de croix, avec de longues manches à crevés nouées dans le dos, des braies rayées, une ceinture  et des bottes écarlates, il portait en travers de sa poitrine des gousli en forme d’aile : c’était avec l’escarboucle qu’il avait au doigt, une partie de l’héritage de son père.

Ils viennent, ils viennent, les derniers siècles
Les sources des rivières vont se tarir
Le soleil et la lune vont s’assombrir
Les claires étoiles tomber sur la terre
Et l’archange Michel va surgir
Il va sortir sur la haute montagne
Et jouer de sa trompette d’or :
Debout, les vivants et les morts…[1]







vendredi 12 janvier 2018

Une barque en partance dans les étoiles

Ce matin, en regardant mon téléphone, je vois s'aligner des photos, celles des funérailles du père Placide... Comme tout cela m'a paru organiquement orthodoxe, dans cette belle église du monastère, avec ses fresques remarquables, et notre géronda, notre starets français, couché dans un cercueil qui semblait une barque en partance, accompagné par de nombreux cierges, et par toute sa communauté. Une tache rouge, allègre et noble comme le manteau d'un saint guerrier me tirait l'oeil dans toute cette chaude et chatoyante pénombre, et j'ai discerné plus tard, sur mon ordinateur, en grand, qu'il s'agissait de deux petits Odayski, Anna et Vassili, avec en arrière-plan flou, leur maman Myriam, et leur père officiait avec le clergé assemblé, les évêques accourus, oui, tous mes chers orthodoxes de la constellation athonique du père Placide étaient réunis là bas, sans moi. Il y avait même une photo de groupe avec les soeurs de Solan...
Le père Placide voyait sans doute tout cela, l'oeuvre de sa vie, ce foyer de foi, de beauté, de santé morale et spirituelle au sein d'une France en pleine débâcle, car il est encore un peu parmi nous, son âme n'a pas commencé le grand voyage.
Je ne devrais pas être triste, et pourtant je le suis, et ma tristesse se mêle de crainte, car si ce que m'a dit un jour le père Barsanuphe, que le monde reposait en permanence sur la prière de sept saints ascètes, est vrai, alors nous avons peut-être perdu l'un d'entre eux.
Vous me manquerez, père Placide, et aussi tous mes orthodoxes de Solan, mère Hypandia et toutes les soeurs, que Dieu vous garde, qu'il nous garde tous, et vous aussi petits Odayski et leurs gentils parents, je multiplie sur vous tous les signes de croix, foyers de lumière, discrètes étoiles des monastères du père Placide.











jeudi 11 janvier 2018

Plus dure sera la chute....

A Moscou, j'ai revu le soleil pour la première fois depuis? J'avais oublié à quoi il ressemblait...


La cathédrale Elokovski était toute illuminée. Et ses cloches sonnaient. Je revenais de chez le notaire où j'ai fait traduire mon permis, car je fais l'acquisition d'une Logan. A moi les routes, les monastères, les villages, les lacs, Saint-Cyrille-du-Lac-Blanc. Kostroma...
Je logeais chez Xioucha avec les gosses braillards et le fumoir aménagé dans l'escalier de service condamné de l'immeuble qu'elle a colonisé, avec des canapés sommaires. Elle racontait à son compagnon Igor comment, alors que je lui avais laissé la garde et l'usage de mon appartement, quand elle était adolescente, elle avait oublié d'arroser ma plante qui était morte desséchée. Elle avait alors trouvé une enveloppe avec des roubles en vrac dedans, ce qui était tout à fait mon style, et était allée me racheter une plante identique. "J'en ai eu de reste pour aller dans un club!" me dit-elle en riant.
Je n'y avais vu que du feu, et pour la plante, et pour le fric!
"Je ne vous ai jamais remboursée, me dit-elle finement, mais disons que cela faisait peut-être la valeur de la doudoune noire que je viens de vous donner!"
Faute avouée est à moitié pardonnée, et elle l'a avouée deux fois, car avant qu'elle ne conte l'histoire à Igor, je l'avais déjà entendue...
Xioucha considère que je ne dois pas faire exagérément la charité, quand je me reproche de ne pas être assez généreuse: "Lolo, vous êtes seule, et vous n'avez que des amis fauchés, alors gardez votre fric pour les mauvais jours!"
Xioucha n'arrête pas de me donner des affaires, tout ce qui ne lui sert pas atterrit chez moi. Avant, c'était le contraire.
J'ai trouvé la neige à Pereslavl et enfin des températures négatives, et le ciel bleu. Du moins en milieu de journée. Voici que s'annonce la partie lumineuse de l'hiver, et la Théophanie, le baptême du Christ.
Cet après-midi, j'ai dérapé sur la neige, dans ma cour, ou plutôt sur un truc en plastique dissimulé dessous, et malgré mes efforts pour retrouver mon équilibre, j'ai vu arriver, inéluctablement, la chute que je redoute toujours. J'ai eu un peu mal, j'étais un peu abasourdie, Rosie me tournait autour avec un empressement affolé. Puis je suis allée faire la vaisselle, la cuisine, et peu à peu, j'ai réalisé que j'avais un doigt raide et douloureux, la cheville et le côté me font mal, j'ai toutes sortes de contusions du côté droit qui font pendant à l'arthrose du côté gauche.
Avant ce fâcheux événement, j'avais discuté avec deux de mes voisines. De Rosie que tout le monde nourrit et qui ne veut plus bouffer ce que je lui donne. Ce matin, je l'ai vue avec un énorme cuisseau de je ne sais quelle bestiole, c'était le petit déjeuner de la chienne du voisin, qu'elle avait chouravé sans complexes.
La patronne de la malheureuse chienne déplore que son fils étudie l'allemand, alors que je pourrais lui donner des cours de français. Tout le monde veut des cours de français. Hier, je suis tombée sur le même taxi qui m'en a réclamé l'autre jour et suit son idée.
La voisine est pharmacienne de formation. Elle m'a conseillé des médicaments. La sollicitude, la bienveillance de tous ces gens envers la Française du quartier m'émeut profondément.

Ma rue sous la neige.

mercredi 10 janvier 2018

Compradores?

J’ai fait la connaissance de Xénia, qui me suit sur Facebook.  Elle a de l’évolution de nos pays la même vision que moi : quelque chose est à l’œuvre de terrible, et partout, et notre résistance doit être également transnationale . Le communisme, le nazisme, ces épiphénomènes du capitalisme, lui-même issu du progressisme et du matérialisme, ne sont que le brouillon de ce qui nous attend maintenant, si nous ne réagissons pas et si Dieu ne nous vient pas en aide. Les signaux sont partout extrêmement inquiétants.
Il me semble que les choses, ici, sont moins avancées et irrémédiables qu’en Europe, Xénia le pense aussi, cependant, elle me dit, et je l’ai observé également, que les mêmes nuisibles travaillent ici la société pour lui faire perdre sa cohésion, sa mémoire, le sentiment qu’elle a d’elle-même de son appartenance à une entité historique, culturelle et spirituelle. On s’attaque à l’éducation, en supprimant, me dit-elle, les manuels et en promouvant le tout électronique : on substitue tablettes et tableaux numériques, ordinateurs, aux supports matériels d’antan, or je sais par expérience d’institutrice et d’être humain cultivé et conscient à quel point l’ordinateur et internet sont nocifs pour le développement de l’enfant. Contrairement à ce que croient pas mal d’imbéciles, l’ordinateur ne rend pas les enfants intelligents et savoir s’en servir n’est pas une preuve d’intelligence. Ce qui développe l'esprit, c'est les interactions avec les autres, qui sont favorisées par la pratique d'arts collectifs, de création ou de recherche en équipe, la manipulation de divers outils ou instruments, l'approche sensible de notre environnement. Aux parents qui m'annonçaient que leur prodige se servait d'un ordinateur à trois ans, je demandais s'il  savait tenir un crayon, une paire de ciseaux ou mettre ses chaussons tout seul. On devrait aborder l'informatique le plus tard possible, car je vois les dangers d’addiction et de perte de concentration et de logique dans le raisonnement, de lien avec le réel se manifester jusque dans ma propre personnalité, alors que j’ai un solide arrière-plan culturel et un esprit rebelle au formatage. Je peux me représenter les ravages sur des enfants qui grandissent dans un milieu  hors sol, coupé de la nature et de toutes les traditions de leurs ancêtres, qui n’apprennent pas à se servir de leurs mains, de leur imagination, de leurs sens, de leur corps, sauf en ce qui concerne l’éducation sexuelle imposée brutalement, sans aucun respect pour leur jardin secret, leur intimité, leur développement naturel subtil.
Couper les gens de leur passé, de leurs familles, de leur arrière-plan traditionnel, de leur culture et de leur foi, les croiser entre eux comme des vaches afin de créer une « nouvelle race » et de faire disparaître les européens,  est naturellement un projet satanique réel et concerté visant à créer une foule de sous-hommes hagards, tandis que la caste internationale au pouvoir, elle, se gardera bien de se métisser, elle restera la seule aristocratie blanche en piste, après avoir anéanti les trois quarts de l’humanité.
Xénia me dit que des livres disparaissent massivement des bibliothèques, des livres scientifiques de l’époque soviétique, et cela me paraît correspondre à ce qui se passe avec le centre du folklore russe, fermé brutalement, après enlèvement de ses archives. Il y a quelques temps, avec plusieurs personnes de Facebook, nous en sommes venus à la conclusion qu’il fallait garder et sauver le maximum de livres, car en France, on a commencé à les dénaturer. On réécrit toute la littérature enfantine en la simplifiant et en l’adaptant à la mentalité requise. On réécrit l’histoire. On fait du blond Achille de l’Iliade un noir et ainsi de suite.
Il est certain que tout ce qui est numérisé peut être imprimé n’importe où mais peut-être aussi supprimé d’un clic, si le support matériel originel a été préalablement détruit.
Parallèlement, on peut tout contrôler électroniquement et c’est ce que l’on essaie de faire de plus en plus, en supprimant à terme l'argent liquide ou en puçant les gens.
Je suis prise d’une véritable horreur métaphysique quand j’envisage la société qu’on est en train de nous créer, ses dérives affreuses déjà perceptibles partout. Car dans toute notre histoire, quelles qu’en fussent les péripéties, nous avons toujours gardé notre héritage, notre culture. Depuis la révolution française suivie de la révolution russe, on s’est d’abord acharné sur la culture populaire, paysanne, qui remontait à la nuit des temps, et maintenant, on commence à détruire et dénaturer la culture classique qui était considérée comme la seule valable et la seule permise. Que restera-t-il aux gens qui n’auront plus ni l’une ni l’autre, quand plus aucun souvenir de tout notre héritage humain ne subsistera ?
Xénia, sans être excessivement préoccupée par la religion, voit devant les attaques permanentes, sournoises, inlassables de forces extrêmement ténébreuses contre ce que l'humanité conserve de valeurs et de culture, un phénomène qui ne peut avoir d'autre explication que d'ordre métaphysique. Elle pense que le gouvernement russe est entièrement pourri et au service de cette abomination, même Poutine. Elle le redoute fortement. 
Hier, j’ai vu et traduit une annonce intéressante parue sur Facebook. C’est peut-être la réponse aux questions que je me pose sur Poutine et ce qui se passe ici.
EN RAISON DU SABOTAGE DES OUKASES DU PRESIDENT DE RUSSIE, nous demandons pour lui les pleins pouvoirs exceptionnels:
Malgré l'énorme soutien de la population, qui se monte à 80%, le président n'a pas celui de la plus grande partie de la Douma, il n'a pas le droit de confirmer les lois orientées vers la défense de la souveraineté de la Russie et de sa population, il a seulement celui d'édicter des oukases qui commentent les lois adoptées par la majorité des députés de la Douma. Dissoudre le gouvernement, il ne le peut pas, parce que la Douma ne le permettra pas, c'est-à-dire que sa majorité écrasante s'élève contre la politique du président Vladimir Poutine et soutient la politique économique imposée à la Russie par le FMI et les USA, qui vote pour des lois élaborées avec la participation du département d'état et des collaborateurs de l'Ambassade des USA en Russie.
Je ne sais pas si quelque chose a changé dans la constitution de la Fédération de Russie depuis... Les "pleins pouvoirs" du président de la Fédération de Russie selon la constitution de 1993:
1. changer la constitution IL N'EN A PAS LE DROIT (p. 134,135)
2. édicter des lois IL N'EN A PAS LE DROIT (p.105, 107, 108)
3. Donner une interprétation des lois IL N'EN A PAS LE DROIT (p.125, §5)
4.Faire un référendum IL N'EN A PAS LE DROIT (p.84 § e)
5.ratifier et dénoncer des traités internationaux IL N'EN A PAS LE DROIT (p.107 § 3)
6. Nommer les juges du Tribunal suprême ou de la procurature générale IL N'EN A PAS LE DROIT (p.83 § e, 102 §§ j, z)
7. Ne pas signer une loi ou lui apporter des rectifications IL N'EN A PAS LE DROIT (p. 107 § 3)
8. former et nommer le gouvernement sans l’accord des autres organes de pouvoir, IL N'EN A PAS LE DROIT (p.83 §§ a,d)
9. nommer et défaire de ses fonctions le président de la banque centrale de Russie IL N'EN A PAS LE DROIT (p. 83 §§ g) loi n° 86 F 3 de la Banque Centrale de Russie (p.5§ 14)
Cette constitution, adoptée sous Eltsine, a été dictée par les Etats Unis, par la caste. C’est peut-être la raison pour laquelle Poutine donne une direction, ses ministres en suivent une autre, diamétralement opposée. Intuitivement, je pense qu’il essaie de faire ce qu’il peut pour lutter contre tout cela, sans en avoir tellement les moyens. Il est possible que mis là où il est pour jouer le même rôle de compradore qu'Eltsine, il ne remplisse pas son contrat, et soit devenu un électron libre gênant. Les problèmes de la Russie actuelle viennent essentiellement des libéraux inféodés au grand capitalisme international, ce sont eux qui la minent. Et ce sont eux qui, en Occident, injurient Poutine à longueur de temps, l’assimilant à un revanchard communiste, ce qu’il n’est pas. Je peux me tromper mais intuitivement, je fais confiance à Poutine, tout en me demandant s’il peut faire quelque chose. Je fais confiance à son regard, à ses expressions, à ses discours, à une certaine modestie pleine d’humour, à sa politique prudente et astucieuse. De plus, comme dit le père Valentin, c’est le premier homme d’état russe depuis Nicolas II à aller à l’église. Il a un père spirituel, il a le soutien de l’Eglise, et je soulèverai sans doute plein de sarcasmes, mais c’est pour moi la chose la plus importante, car l’Eglise est le seul organisme russe à résister encore, je dirais le seul organisme chrétien, avec le mont Athos et peut-être les églises des Balkans, à rester ferme dans la débâcle. La recrudescence de hargne à son égard prouve d'ailleurs à quel point elle gêne.
En face de lui, on est en train de promouvoir le successeur du pâle communiste Ziouganov, un certain Groudinine qui, comme par hasard a un certain air de famille avec Staline, la moustache, l’œil noir... Une correspondante m’en fait la réclame, prônant l’union de tous derrière lui quelles que soient nos opinions. Mais j’ai cru voir que nos journaux occidentaux s’y intéressaient, et j’attends les développements. Car s’ils commencent à le soutenir, alors que Navalny et les libéraux bobos sont discrédités, ce sera pour moi le signe évident que la ressemblance du sauveur de la patrie communiste avec l’oncle Jo n’est pas fortuite, comme celle de Trudeau et de Macron avec des héros de série américaines genre « Amour, gloire et beauté » ou « Dallas ton univers impitoyable ».  Utiliser les communistes pour diviser les Russes a déjà été fait avec succès, pourquoi hésiterait-on devant un procédé qui a fait ses preuves ?

Dans cette affaire, je me fierai, comme d’habitude, à l’Eglise. Je n'ai aucune prétention à l'analyse politique et transmets-là mon impression de café du Commerce, comme je l'ai toujours fait. Mais mes intuitions ne m'ont jusqu'alors pas trompée. J'ajouterais même "hélas".