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samedi 6 juillet 2019

La routine...


Je m’active pour préparer l’appartement de l’artiste-peintre et de sa mère. Qu’elle me soit tombée du ciel m’a obligée à m’en occuper, mais que de corvées… Je suis encore retournée au siège de l’électricité Energo, qui était tout le temps fermé pour « causes techniques ». Les employées étaient présentes, mais ne me voyaient pas, j'avais un avant-goût de ce que peut signifier être sorti de son corps et imperceptible au monde des vivants, et cela a duré un bon quart d'heure. Quand on m'a enfin aperçue, on m’a encore envoyée ailleurs. Valia, du café français, m’a accompagnée, car c’est son mari qui a changé le compteur. Et là, on me dit qu’avant de changer le compteur, j’aurais dû les appeler, et que d’ailleurs j’avais une dette de 20 000 roubles. Théoriquement, je paie à travers la banque, mais il faut quand même leur envoyer le relevé du compteur, sinon, ça ne marche pas, alors à quoi bon passer par la banque ? En France, il y a un prélèvement mensuel, une vérification ponctuelle du compteur et un réajustement si besoin est, mais ce serait sans doute trop simple… D'un autre côté, les employés sont eux-mêmes tellement conscients que c'est le bordel, que cela ne va généralement pas plus loin et qu'on s'arrange...
Maintenant, il me faut attendre le gars qui viendra plomber le truc.
Pour le gaz, j’ai renoncé à faire le raccordement des plaques au reste du circuit, car c’était également toute une affaire, et j’aurais dû mettre des plaques à induction sans me poser de questions. Là j’ai vraiment manqué de jugeotte. La même Valia m’a dit de prendre une bonbonne, normalement, ici, on doit les placer à l’extérieur, ce qu’en France, on ne fait pas. J’espère que son mari va bien venir finir l’électricité, il manque des prises…
Avec cela, il parait que les flics ont omis de me donner un papier pour l’assurance de la voiture, et il va me falloir aller les trouver, ce que je remets à demain depuis quinze jours.
Et côté permis de séjour, ce n’est pas fini non plus.
Je vais à nouveau chanter toutes les semaines avec Katia à Rostov, car Liéna est plus libre de son temps et désireuse de travailler avec des adultes et de fonder un petit ensemble. Cette fois, elle nous a reçues chez elle. Elle vit dans une isba, et son mari est charpentier, quel beau et véritable métier... Il a agrandi cette isba, pour y mettre les commodités modernes et avoir plus de place, sans aucunement la défigurer, elle reste une jolie maison russe. Il a sculpté lui-même les encadrements de fenêtres, et j'envisage d'en faire poser chez moi, aux fenêtres de la partie ancienne de ma maison. A titre de témoignage!
Nous en sommes au choix de vêtements typiques pour d'éventuels concerts. Ils ne doivent pas être trop typiques non plus. Nous allons nous adresser à une femme qui en fait sur commande, avec des imprimés traditionnels ravissants, à Vologda.
sarafanes de Tatiana Cheoulina

La ville de Rostov est encore très belle, délabrée, mais belle, avec des dentelles de bois sur les vieilles isbas, des petits hôtels particuliers de brique, des maisons de marchands, quelle magnifique destination touristique elle pourrait devenir si ceux qui décident avaient un minimum de goût et d'intelligence...
L’actualité est abominable, ce ne sont que destructions, génocides discrets, comme au Yemen et au Donbass, indignations bruyantes et manipulées dans le sens voulu par la dictature mondiale qui se met en place avec de plus en plus d’évidence et d’impudence,  invasions voulues et dirigées, corruption, perversion. Une amie russe m’a appelée pour m’en parler. Je vois sur Facebook plein de Français prendre Poutine pour l’homme fort et le dernier recours, et ses discours sont effectivement impeccables, le problème est que la réalité russe nous offre le démenti permanent de ce qu’il nous raconte… Cette amie me disait qu’elle ne savait pas s’il servait de paravent aux entreprises sournoises et délétères des équivalents « russes » de nos seigneurs mafieux occidentaux,  auquel cas c’est un excellent comédien, bien meilleur que Macron, ou s’il ne pouvait, au fond, pas faire grand-chose. Car d’après sa sœur, spécialiste de l’économie et de la politique, la Russie est vendue, comme l’est l’Europe, ce qui explique d’ailleurs cette arrogance des apparatchiks qui font ce qu’ils veulent,  imposent ici tout ce qui a perdu l’Europe, mais en douceur, parce que la population n’étant pas aussi abrutie que la nôtre, aussi coupée de toutes ses sources, désorientée, conditionnée, hypnotisée, il ne faut pas effrayer la grenouille qu’on a mise dans l’eau tiède de sa future cuisson avant que le degré d’ébullition ne lui permette plus de réagir. Aussi Poutine nous parle-t-il des valeurs humaines éternelles, des ciments spirituels et culturels de la sainte Russie et de la foi orthodoxe, et je souscris pleinement,  mais l’on continue à détruire le patrimoine architectural, à piétiner tout ce qui est russe, à promouvoir tout ce qui est étranger, et surtout ce qui peut pervertir et abrutir la jeunesse, tout en lui faisant prendre son pays en horreur. Parallèlement, une immigration musulmane est discrètement favorisée aux dépens des Russes coincés dans les républiques  ex-soviétiques et qu’on devrait inciter à venir et accueillir à bras ouverts. Quand la population sera aussi avachie, abrutie, hypnotisée que la nôtre, on pourra alors lui déverser dessus la Chine et l’Asie Centrale par millions d’envahisseurs voraces, avec peut-être aussi l’Afrique en prime, comme on le fait chez nous.
A mon humble niveau, je ne perds pas une occasion de souligner les parentés de techniques entre leurs politicards et les nôtres, leurs journaleux et les nôtres. Et de manifester mon enthousiasme pour tout ce qui est russe de chez russe.
Il me paraît de plus en plus évident que tout cela est voulu, concerté, qu’une toile d’araignée nous emprisonne tous, que des métastases détruisent nos pays les uns après les autres au profit d’une caste absolument sans foi ni loi qui confisque tout le pouvoir et toutes les richesses, et nous créera un enfer auprès duquel les totalitarismes du XX° siècle nous paraîtront d’aimables plaisanteries, un vrai cauchemar de science-fiction. Parce que ce qui fait la force des peuples, c’est leur unité, c’est leurs traditions, leur culture, leur foi, leur héritage historique, culturel, spirituel, génétique, tout ce système de code subtil qui met les gens en communion, et fait qu’ils se sentent en famille dans leur pays, et porteurs d’une certaine idée sacrée de leur destin commun. Si l’on brise tout cela, si les gens n’ont plus d’autre lien que la merde dans laquelle on les fait vivre universellement, alors on observe l’émergence d’un abruti d’une stupidité et d’une méchanceté, d’une indignité et d’une veulerie qu’on n’avait jamais connues jusqu'alors, le produit, le produit au sens marchand du terme, d’une mafias de monstres auxquels la disparition des monarchies a donné tout pouvoir sur nous, et qui nous prend pour des sous-hommes, qui nous métamorphose en sous-hommes.
Dans ce chaudron de sorcières que devient la planète,  mes seules lueurs d’espoir, c’est la résistance spirituelle du métropolite Onuphre et de ses fidèles en Ukraine; la résistance armée du Donbass qui, au moins, mourra debout, s’il faut mourir. Des prophéties, celles de saint Païssios ou celles de saint Laurent de Tchernigov. Des signes. Par exemple, les nuages. Après ceux que j'ai vus l'autre jour, j'ai observé dans la publications de mes amis russes, qu'ils en avaient aperçu d'aussi fantastiques près de Moscou. A la fois splendides et menaçants, comme un avertissement, assorti d'une bénédiction.
En attendant la suite, je profite de mon jardin, et du ciel, du vent, après deux jours de froid polaire, le soleil réchauffe un peu notre été nordique. J'ai fait une aquarelle, sur le perron, en écoutant l'air siffler à mes oreilles, et en contemplant les mouvements torses et bleuâtres de ce ciel unique, plein de lumières exaltées et d'ombres menaçantes, de rayons et de pluies traversières. Nous avons encore des oiseaux. Nous avons encore des papillons, des abeilles et des bourdons, des coccinelles... Et cela me paraît miraculeux, cela me paraît un sursis, cela qui me semblait si normal dans mon enfance, et si éternel.
Fouillis fleuri, comme dit ma tante

Vigilante gardienne

partie de hamac...



lundi 1 juillet 2019

Rouslan, le retour.

Il m'a fallu un moment pour comprendre que cette chose énorme, puissante et incroyablement belle qui s'avançait sur nos têtes était un orage grondant et traversé d'éclairs. Je n'avais jamais vu de pareilles architectures, et de pareilles nuances, on ne voit cela qu'ici, en Russie, de pareils nuages, à la fois sombres et transparents, avec des passages de formes mauves, si lointaines qu'on ne les discerne pas vraiment, des caravanes célestes dans de fantastiques décombres. A Krasnoïé, j'avais plus d'espace pour les contempler. Il me faudrait reprendre l'habitude d'aller sur l'ancienne berge du lac, le soir, pour regarder le spectacle que Dieu nous prépare tous les jours et qui vaut tout ce que nous pouvons inventer.
Ritoulia va mieux, mais il lui arrive encore de pleurer, et elle est agressive avec les chats,surtout Georgette. J'ai dû décevoir ce soir la voisine Violetta, qui passait avec la voisine Ania, devant ma palissade. J'ai discuté avec elle, dans la rue. Ritoulia en a eu vite assez, elle est allée m'attendre sur le perron, d'où elle aboyait avec autorité pour me dire que ça commençait à bien faire, et qu'il était temps de rentrer.
La petite cuisine est presque installée. Le plombier Rouslan est venu faire les raccordements. Comme d'habitude, nous avons refait le monde: "Ne vous en faites pas, ils n'ont pas encore la peau de la Russie, les Russes ne fonctionnent pas comme les Européens, l'argent, ce n'est pas une motivation, pour nous, nous pouvons vivre sans, nous ne nous sentons pas déshonorés, et nous nous débrouillons toujours. Laurence, mais voyons, nous sommes un peuple théophore, gardien de la foi chrétienne, Dieu sauvera la Russie, la catastrophe est imminente, mais la Russie résistera.
- Dieu vous entende, Rouslan, je suis contente d'être venue ici.
- Ici, mais ici, c'est le paradis, vous ne pouviez pas mieux faire. Oui, Pereslavl, c'est le paradis, c'est une sainte terre, et voyez, nos églises et notre lac...
- Oui, c'est dommage que l'on ait détruit tant de belles choses pour construire tant d'horreurs...
- Ah les Russes sont influençables, vous savez, faites une belle maison, avec des encadrements de fenêtre sculptés, et vous verrez qu'ils vous copieront!"

Le festival de nuages









mercredi 26 juin 2019

Une triste déception


A ma grande déception, Ritoulia a accouché d'un petit chien mort, qu'elle appelle en pleurant. Je suis allée aujourd'hui chez le vétérinaire: elle est en pleine forme, mais il n'y a pas d'autre petit chien à venir. C'était le seul, et il est mort. On m'a prescrit de l'antistress et un truc pour arrêter la lactation. J'ai passé trois jours difficiles dont une nuit presque sans sommeil. Elle aussi, et tout cela en vain, alors que j'avais une grande demande pour les chiots, et c'étaient des gens normaux que je connais, ma voisine Violetta par exemple...
Je devais rapporter mon ancien compteur électrique que l'on m'a changé et déclarer le nouveau, mais je n'osais pas laisser Rita. J'y étais allée une première fois tout de suite après le changement. Il y avait la queue et quelqu'un m'avait envoyé à l'autre bout de la ville, où l'on m'a réexpédiée d'où je venais. Puis le WE, puis un jour de flemme, puis l'affaire Rita. J'ai fait une tentative mardi, car on m'avait dit que j'avais le temps avant que la mise-bas ne se produisît. J'arrive devant la porte du bureau ad hoc: fermé ce jour pour "raisons techniques". Bon, me dis-je naïvement, je reviendrai plus tard. J'y suis passée aujourd'hui: fermé ce jour, pour raisons techniques. Les raisons techniques, c'est généralement très mauvais signe. Quand c'est un magasin, on peut être quasiment sûr qu'il ne rouvrira jamais.
Je suis allée au café français me remonter le moral avec un "rubis" (la tuerie à la mousse au chocolat avec gelée de framboises et écailles de chocolat craquant), alors que normalement, je ne mange plus du tout de sucre, à part sous forme de fruits, et je constate que si je n'ai pas maigri de façon spectaculaire, j'ai retrouvé une énergie que je croyais définitivement perdue. J'y ai vu Gilles et le pâtissier Didier qui voudrait faire du tourisme avec moi à travers les monastères orthodoxes, et d'abord la Trinité Saint Serge. Je sens que les commentaires ne seront pas tristes! Je pense l'emmener à Rostov, avec Martha, c'est vraiment à voir. Et à Souzdal, ce qui me permettra de renouveler mes stocks d'hydromel pétillant incomparable.
Je suis tellement pleine d'énergie que j'ai tondu moi-même une partie de mon terrain, calmement et sans tout ravager. Car le voisin, lui, c'est la tonte Monsanto... Il ne comprend pas mon amour des plants de consoude, par exemple, que j'essaie d'implanter sur ma butte, car il semble que cela éloigne les orties, et j'ai là mes framboisiers. Et puis en plus c'est joli, ça fait de petites fleurs bleues. Cet après-midi, en allant acheter les médicaments de Ritoulia, j'ai vu de merveilleux ensembles de roses-trémières; c'est exactement ce que je voudrais obtenir chez moi: des roses-trémières multicolores qui prolifèrent. La butte aux framboises et aux consoudes s'y prêterait bien, et aussi le grillage qui me sépare de la voisine Violetta, mais c'est le coin le plus marécageux. Cependant, les deux roses-trémières que j'y ai mises semblent partir au quart de tour. Je voudrais mélanger roses-trémières, topinambours, asters et roseaux le long de ce grillage, et s'il y a des "mauvaises herbes" au milieu, cela ne se verra du coup pas tellement.
J'ai vu que j'aurais mes premières airelles, cette année. Le fruit de cet arbrisseau russe ou peut-être khirghize qu'on appelle "irga" est délicieux, mais je n'en ai pas encore beaucoup.
Je croyais morte la clématite que j'avais plantée l'an dernier, mais elle s'avère très vivace et très florifère. J'avais peur d'avoir du mal à en faire pousser, eh bien pas de problèmes, et j'en ai mis une violette devant la palissade.
Il a fait très chaud et trop sec, et là tout d'un coup, on dirait que l'automne vient d'arriver en avance: temps frais et pluvieux. Les plantes ont souffert du manque d'eau, même dans mon marécage.
Ce matin, je suis allée à l'église, me confesser et communier, et ensuite prendre un café avec le père Constantin. Nous allons toujours au café Montpensier, derrière la cathédrale. De la terrasse, on peut voir l'église du XII° siècle où a été baptisé saint Alexandre Nevski. Les serveuses adorent ma chienne et la gâtent toujours beaucoup, mais elle n'était vraiment pas dans son assiette.
C'est finalement la femme du père Constantin, qui va m'aider à traduire mon livre.

Un commentaire vient de m'apprendre que irga, c'est l'amélanchier...

une large population de roses-trémières

une de mes roses-trémières commence à fleurir, cette année, elle est
énorme


Les delphiniums manquent d'eau
La clématite

dimanche 23 juin 2019

le lion miniature du père Gérasime


J’ai fait connaissance avec la mère de Katia, Lioudmila, qui est un peu plus âgée que moi mais reste belle.  Nous sommes allées nous baigner à la Vioska, mais à la « plage moscovite », cette fois.  Ce n’est pas mal non plus, mais un peu près de la route, en revanche, il y a de grands et beaux pins, une odeur de résine, et  de l’ombre. Ritoulia n’a pas souffert de la chaleur. Il y avait de l’air, elle pouvait éviter le soleil. Nager me fait du bien, assouplit et détend mes membres, et j’aime regarder les reflets sur l’eau, les fleurs aquatiques, les libellules, les canards, le ciel…
Des porcs avaient fait un chachlik sur la berge, et laissé leur dépotoir d’emballages et de bouteilles en plastique. Je ne comprends pas comment il faut être fait pour souiller ainsi la beauté dont on profite, à vrai dire, des gens pareils ne la voient pas, cette beauté, ils pourraient aussi bien se baigner dans un bassin de béton au milieu d’une décharge, je ne vois vraiment pas pourquoi il leur faut faire des kilomètres pour venir à la rivière.
Katia et moi avons répété la chanson que nous sommes censées savoir par cœur, ce n’est pas gagné… C’est une belle chanson de noces, une déploration, car la veille, la fiancée et ses amies pleuraient ensemble sa liberté bientôt perdue.
Le soir, Katia nous avait préparé à dîner, elle avait choyé ses deux vieilles avec une sollicitude attendrissante ! Je me suis très bien entendue avec  Lioudmila, c’est une femme sensible, naturelle et simple, pas du tout la comédienne cabotine. Comme Dany. Et comme Dany, elle pense maintenant plus à l’église qu’au théâtre.  J’ai revu ensuite Katia  le lendemain, nous avons visité le musée d’art populaire, ou de « design paysan » dit « le Cheval en pardessus ». Il est petit, ce sont des moscovites passionnés par la question qui l’ont ouvert chez eux, dans leur maison inspirée des palais russes du XVII siècle qui s’inscrirait bien dans le paysage, si le paysage n’était pas devenu ce qu’il est, un amoncellement de baraques hétéroclites sans style où ce qui est russe, ou d’inspiration russe,  paraît maintenant presque incongru… J’ai acheté deux livres sur le costume national russe qui est si incroyablement beau et original, et tout y a un sens, les motifs des broderies, différentes formes de croix solaires, chevaux, remontent certainement à la plus grande antiquité, sinon à l’âge de la pierre, du moins à celui du bronze, et tout cela se transmettait de génération en génération, jusqu’à la catastrophe.  « Une de mes amies françaises m’avait dit un jour que si nous pouvions voir notre pays il y a seulement cent ans, nous pleurerions de tristesse et de honte, dis-je à Katia, à l’issue de la visite.
- C’est exactement ce que je ressens devant ce que nous venons de voir…
- Milan Kundera écrivait dans l’un de ses livres que notre regard était obscurci par l’habitude et la vision utilitaire sélective mais que si nous pouvions voir notre monde dans toute l’intensité de sa laideur, nous prendrions peur, et voyez-vous, je suis un être dont le regard ne connaît pas l’habitude, ni la vision sélective, et cette laideur, je la vois, et je prends peur ! »                        
Le soir, près de la rivière, nous sommes restées assises, à regarder les canards et les mouettes,  et à nourrir les moustiques, en échangeant des confidences et des considérations sur les hommes et les femmes et sur la virginité. Katia considère que la femme est le vase qui reçoit la vie et que pour cette raison, elle doit se garder de coucher avec n’importe qui.  C’était aussi mon avis de départ.  Elle a décidé de ne plus se tourmenter avec cela, et semble y parvenir, alors que j’ai souffert  toute ma vie de la solitude et de l’abstinence, et en même temps, j’avais une trop haute idée de l’amour, une conception trop totale et trop sacrée, et en même temps trop simple et trop naturelle, pour me livrer aux profanations sinistres  de la « liberté sexuelle » dont j’ai connu quelques exemples peu engageants. Mais dans le contexte post-moderne où nous sommes, j’en suis venue à considérer que je portais une croix, la croix collective de tous les êtres intérieurement mutilés par une folie sur laquelle nous n’avons aucun contrôle. C’est ce que pense également Katia, nous ne sommes plus dans un monde normal, et peut-être Dieu nous évite-t-il de la sorte un destin encore pire.
J’ai  passé un moment au café Montpensier, avec le père Constantin, après la liturgie dominicale, et il m’a emmenée au monastère saint Daniel, où il réside à présent. J’y ai vu notre cher évêque, il est clair que les gens l’adorent, ils se précipitent avec des sourires et des yeux brillants pour recevoir sa bénédiction, et les enfants encore plus que tous les autres. Me voyant il s’est simplement exclamé : « Ah Laurence ! » avant de me bénir, et ma journée en a été illuminée.
Le monastère est très beau, très ancien, très paisible, et la laideur extérieure n’y pénètre pas. Tous les moines ont quelque chose de magnifique, de noble, de médiéval, de vrais guerriers du Christ, et des princes de la foi. C’est en de tels lieux que subsiste tout ce que recouvrent pour moi les concepts de peuple russe et de sainte Russie. A l’horizon, au travers des arbres, brillaient les coupoles dorées du monastère saint Nicolas, une grappe d’étoiles diurnes.
Nous sommes arrivés au réfectoire en fin de repas, j’avais déjà mangé, et un inconnu voulait absolument me gaver, parce qu’il est impossible de laisser quelqu’un s’asseoir à une table sans le nourrir comme il convient : « Tu ne veux pas de la soupe, petite mère ? » Devant ma résistance, il s’est résigné à me donner du thé et des bonbons russes pleins de sucre.
J’ai vu les fresques de l’église la plus ancienne, des fresques du XVI ou XVII siècle, très belles, j’ai été particulièrement subjuguée par le Christ de la coupole. Et je me suis inclinée sur les reliques de saint Daniel.
Le père Constantin voulait me présenter un moine qu’il aime particulièrement, le père Gérasime. Saint Gérasime était accompagné d’un lion et le père Gérasime est suivi d’un chat, un chat roux, tout à fait sauvage, mais il s’est pris d’affection pour le moine, qui a donc la version miniature du lion de son saint patron. Quand nous l’avons trouvé, j’ai senti qu’il était très intimidé, et moi je ne l’étais pas moins, bien qu’il eût l’air très bon, ou peut-être à cause de cela.
Après une pluie intense mais trop courte, le temps était léger, transparent, avec un vent ensoleillé et doux, et cela me rappelait les journées de fin d’été chez nous, dans le midi de la France. A part le père Gérasime, le père Constantin tenait beaucoup à me montrer des roses dans le jardin du monastère, car les roses ne sont pas fréquentes, dans le nord de la Russie, je n’imagine même pas d’en avoir chez moi. Mes ambitions s’arrêtent à l’églantier.
Près de la sortie, j’ai trouvé la tsigane Rosa qui faisait la manche et qui semblait ravie de me voir : « Tu vas toujours chez eux, là, chez les Français ?
- Je vais y manger de temps en temps de délicieuses pâtisseries » !


la plage des Moscovites

lundi 17 juin 2019

un petit miracle

Hier, je suis retournée à Borissoglebsk, rencontrer des gens avec qui j'ai des amis communs et des connaissances facebook. L'une d'elles, du plus loin qu'elle m'aperçoit, pour la première fois de sa vie, m'ouvre les bras: "Mon Dieu que vous êtes belle, mais vous êtes belle! les photos de Facebook sont nulles, vous êtes beaucoup mieux en vrai!"
J'étais contente mais un peu étonnée, car le moins qu'on puisse dire est qu'il a plu sur la marchandise, et puis à vrai dire, pour ce que cela m'a servi, je ne m'en rendais même pas compte...
Elle était avec une copine qui vit en Finlande et tient un blog de réinformation sur la Russie. Mais rien à faire, les Finlandais sont scandalisés par ce qui met à mal leurs idées reçues.
J'ai voulu faire des photos de l'intérieur de la cathédrale, où il n'y avait pas encore de service, de sa belle iconostase ancienne, couverte de branches de bouleaux pour la Pentecôte, et le sol était jonché de foin odorant. Mais je me suis fait engueuler par un moine. Cela m'a fait un choc, après l'amabilité que m'avait témoignée l'higoumène la dernière fois.
Aujourd'hui, je devais refaire une tentative immigration, bien que la bonne femme au courant de mon dossier ait pris brusquement sa retraite dans la foulée de ses vacances. Je suis d'abord allée solliciter un certificat de la banque pour la sixième fois. Puis je me suis rendue chez la juriste pour rédiger l'enquête. Mais celle-ci n'a pas voulu s'en occuper: "A quoi bon? C'est le vrai bordel, là bas, il paraît qu'ils ne transmettent plus rien! Regardez d'abord si votre dossier y est toujours, allez voir le chef!"
Je vais donc à l'immigration. Le chef me répond qu'il s'occupera de cela après la pause déjeuner, qui durait jusqu'à deux heures, j'avais deux heures et demie à tuer, je suis allée au café français.
Puis retour à l'immigration. Là, je vois passer le chef tel l'éclair dans un sens, puis dans l'autre, et disparaître je ne sais où pour encore presque une heure. J'ai adressé des prières ardentes à Dieu et à mes saints préférés, et tout à coup le téléphone sonne: Ilya, le jeune homme qui m'aidait l'année dernière: "Ne bougez pas me dit-il, j'arrive!"
Si ce n'est pas un petit miracle... Je pensais juste au même moment que son aide m'eût été précieuse.
Arrive Ilya, tel le chevalier blanc, passablement bourré, car il avait endommagé sa voiture, et il avait eu besoin d'un remontant pour encaisser le choc. Bourré, mais néanmoins efficace. Le chef a réapparu et nous a reçus obligeamment. Il a retrouvé le dossier. Mais mon certificat de la banque sera de toute façon à refaire, car il est valable une semaine et le dossier ne pourra être complété et envoyé que le 11 juillet en raison du bordel dont il était question plus haut. Ca ne fera jamais que la septième fois...
Si Ilya m'a tout à coup miraculeusement contactée, c'est que sa collaboratrice et lui-même auraient besoin de cours de français pour leurs gosses. Sur le trottoir il a fait de moi des compliments exagérés à cette jeune femme, et il est même allé jusqu'à lui dire: "Si je l'avais connue dans sa jeunesse, je crois bien que je lui aurais fait l'amour!"
Vraiment bourré! C'est la première fois que je vois ce jeune homme sérieux et compétent dans cet état. Il est vrai que plier sa voiture un mois avant de partir en vacances, c'est contrariant. Enfin, bon, ça fait toujours plaisir d'entendre cela à mon âge, bien que cela ne change plus grand chose à mon destin! Et puis, je suis si contente qu'il reprenne l'affaire en main... Il connait tout le monde, et il a une longue expérience de toutes les administrations locales. Je ne m'étais pas adressée à lui parce que je ne voulais pas le déranger et croyais naïvement qu'avec l'obtention du "RVP", le plus dur était fait... Je serais passée par lui que tout serait déjà terminé.
Donc, les tourments de l'immigration sont remis à plus tard, mais voici que se profile à l'horizon l'installation de la petite cuisine des hôtes, dans l'autre partie de la maison, qui deviendra vraiment indépendante de la mienne, et au lieu de me reposer de mes démarches, j'ai foncé acheter du matériel électrique, on va changer le compteur, ce qui m'oblige à aller faire une déclaration demain matin à l'administration qui gère l'électricité...
J'espère pouvoir vivre quelques années de tranquillité relative entre la fin de toutes ces tracasseries et mon départ pour l'autre monde.




les photos de mes nouvelles amies de Koupanskoïe



samedi 15 juin 2019

Chant des signes

Le père Pantaleimon, du monastère saint Daniel, cherche à promouvoir sur Pereslavl le chant dit "znamenoïe" iu des signes, qui  était pratiqué en Russie avant le schisme des vieux-croyants et l'occidentalisation extrêmement regrettable de la musique religieuse, et bien entendu des icônes et de l'architecture, puisque tous ces aspects sont liés dans l'orthodoxie. C'est-à-dire que ce qui a éloigné le catholicisme de ses sources a été implanté quasiment de force, en Russie, par le tsar Alexis puis par son fils Pierre, et ses successeurs, mais pas avec le même succès, car le chant znamenoïe a survécu dans les monastères et chez les vieux-croyants.
Il a invité Gleb Petchenkine  qui dirige un choeur et forme des chanteurs dans une église de Moscou. Celle-ci,  tout en étant sous la juridiction du patriarcat de Moscou, suit les rites antérieurs au schisme. Et sachant que je m'intéressais à ce genre de choses, il m'a demandé de venir à la liturgie au monastère saint Nicolas, et d'assister à la conférence qui devait suivre.
J'y suis donc allée. Les chants sont très austères, mais ne font pas écran à la prière, et alors que je regardais les icônes de facture traditionnelle, sur l'iconostase, en observant que, comme d'habitude, elles copiaient de trop près les modèles anciens, je commençais à les voir autrement, car, malgré ce défaut, elles s'accordaient au chant que j'entendais, par leur transparence, leur structure rigoureuse, leur pureté, et une sorte de profondeur qui ne tenait pas, dans le cas des icônes, à la perspective, et dans le cas des chants, à la polyphonie. Les icônes m'apparaissaient comme un chant silencieux et les chants comme des icônes sonores. J'avais envie de pleurer, ce qui m'arrive de plus en plus dans les églises. C'était le samedi des défunts, et la  liturgie a été suivie d'une pannychide. Je descendais profondément à l'intérieur de moi-même, comme si ce chant m'y avait porté de son mouvement naturel, une sorte de dérive ronde et continue, de nimbe sonore plein d'envols légers et discrets.
La conférence était très intéressante et naturellement, je ne me souviens pas de tout, c'est dommage, mais je vais creuser la question. Quand j'ai découvert le chant byzantin, à Solan, puis avec Andréa Atlanti, j'avais été frappée par ses parentés avec le chant traditionnel: son ancienneté, et ses lois internes organiques et cosmiques. Et je retrouvais la même chose dans le chant znamenie. Gleb expliquait que les crochets, qui correspondent en Russie à la notation byzantine, sont de petites briques sonores qui représentent non une note mais une modulation. Quand on les lit, on voit la modulation complète, et pas une décomposition du son en petites unités. Et pour les lire, il faut connaître ces modulations, lesquelles, comme dans le chant populaire, se transmettent de génération en génération. comme dans le chant byzantin, et comme dans le chant populaire, de sorte qu'on peut anticiper les modulations suivantes et que l'on conserve également un espace pour les improvisations, de même que dans le dessin codifié des icônes, l'artiste trouve à mettre sa couleur personnelle et il me semble d'ailleurs regrettable qu'il ne le fasse pas plus souvent.
Les chants de l'antiphonaire sont d'ailleurs connus par coeur et ne nécessitent même pas la consultation des crochets, ce qui est aussi le cas dans le chant populaire, et même, si je me souviens bien, dans le chant byzantin, quand les gens ont grandi avec.
Comme dans la tradition byzantine, le chant est au service du texte dont il doit faciliter la compréhension et l'assimilation par l'auditeur, et même sa participation au chant, ce qui en revanche, d'après Andréa, ne se pratiquait pas chez les Grecs.
Le chant de l'ancienne Russie est avant tout ascétique et destiné à rendre la prière plus accessible, sans distraction. Alors que le chant d'église importé d'occident obscurcit le texte, détourne de la prière par toutes sortes de fioritures et suscite non une absorption dans la contemplation et la grâce mais des émotions esthétiques ou des émotions tout court, ce qui est tout à fait exact. De même que les icônes académiques, au dessin réaliste, charnel, nous offrent des anecdotes religieuses et non une prise directe avec l'autre monde qui est le prolongement et la source du nôtre. Tout ce qu'on met pour faire joli, tout ce qui traduit les "idées personnelles" du peintre ou du musicien, qui n'a pas reçu l'eau vive ancestrale mais des techniques et des théories, fait obstacle.
Or cette eau vive ancestrale, que je vais chercher dans le folklore, je la sentais se déverser dans mon âme avec le chant znamenie. C'est quelque chose que ne peut donner aucun concert classique, la plus belle musique inventée par le plus grand génie. C'est simple, clair, vital et profond comme l'univers. Ce qui ne veut pas dire que la musique classique soit à proscrire. Mais que le chant d'église est un langage en soi, qu'un certain type de chant est un certain type de langage et de communication, soit entre nous, soit avec l'Invisible, soit les deux, d'ailleurs, que nous avons perdu dès que nous avons commencé à nous écouter chanter plutôt que d'écouter chanter Dieu en nous et de laisser s'envoler les anges par notre bouche.
A ma grande surprise, pas d'isson byzantin dans le chant zanmenie. "L'isson est arrivé plus tard, me répond Gleb Petchenkine.
- Ah bon? mais je le croyais très archaïque!
- Non, c'est déjà un pas vers la polyphonie"...
Il me revenait à l'esprit la réflexion de Micha écoutant une brillante interprétation académique de chants du XVI° siècle: "C'est admirablement chanté, mais quelque chose me gêne... Ah ça y est, j'ai compris: ils déchiffrent une partition. Il n'y a plus aucune fluidité".

Mon âme, bénis le Seigneur


 la conférence

vendredi 14 juin 2019

Projets...


Pour la suite du feuilleton de l’immigration, un gentil petit rebondissement : la bonne femme qui s’occupait de mon dossier, et devait revenir de vacances le 11, a pris sa retraite, et il me faudra aller trouver le chef car elle n’est pas remplacée. Il me faudra faire le papier de la banque lundi, il n’est valable que 7 jours, pas 7 jours ouvrables, 7 jours. Et tout faire dans la journée, en espérant qu’à Yaroslavl quelque chose n’aura pas encore changé.
Gilles m’a dit : « Le problème est qu’on ne comprend rien à leurs lois, eux-mêmes n’y comprennent rien et t’envoient promener jusqu’au moment où il faut bien faire quelque chose, et alors ça se dénoue, mais en attendant tu as couru de tous les côtés pour faire et refaire des papiers et les remettre ».
Mon problème supplémentaire, c’est que je suis de plus en plus paralysée par ces démarches, et que je vais lentement…
La femme du pâtissier Didier, Martha, ouvre un restaurant au même étage. J’ai l’impression que maintenant, ça va, ils s'installent, et que nous ne perdrons pas notre artiste, ce qui me rappelle Anatole, le cuisinier français de tante Dahlia que tout le monde craint de voir partir, dans les livres de Wodehouse.
Je me replonge périodiquement dans l’univers de Wodehouse, comme dans celui de Tintin ou de Gaston Lagaffe, mais la science-fiction effarante dans laquelle nous sommes précipités de plus en plus me rend ces mondes perdus presque surréalistes. Quand je lisais Wodehouse dans les années 70, il me semblait que je n’avais qu’à passer la Manche pour retrouver le petit monde de Bertie Wooster  et de son maître d’hôtel Jeeves. Mais si je passais la Manche aujourd’hui, je trouverais l’Afrique et le Pakistan.
Katia s’implique beaucoup dans nos activités de chant. Et je la crois vraiment envoyée par Dieu, et du coup cela me motive, en me prouvant que c’est précisément ce qu’Il attend de nous : que nous chantions, que nous témoignions du chant russe. Je l’ai branchée sur Balalaiker, la boîte fondée par mon copain Sérioja, qui m’a laissée tomber comme une vieille chaussette. Son propos était de fournir, comme au temps de l’URSS, de bonnes balalaïkas à un prix abordable, et c’est ce qu’il fait à Oulianovsk, ce qui lui a permis d’échapper à la banque où il bossait avec la plus grande répugnance. Il  est quasiment né avec une balalaïka dans les mains, il a appris sur le tas avec son grand-père et sa grand-mère. Son propos est même de sortir la balalaïka du ghetto folklorique. De la rendre présente et vivante dans le monde d'aujourd'hui, d’offrir à n’importe qui la joie d’en jouer quelles que soient les aliénations de la vie moderne, ce qui est d’ailleurs, en réalité, dans la droit fil de l’esprit du folklore.
Katia joue de l'ukulélé, elle devrait passer facilement à la balalaïka, et notre futur ensemble disposerait de deux vielles, une balalaïka, de gousli, des sifflets globulaires de Zadonsk et même d’un accordéon diatonique que le grand-père de ma sœur avait gagné dans une loterie au Vietnam dans les années 50. Nous n’avons pas d’accordéoniste, mais ça peut venir.
J’ai fait l’autre soir le tour du monastère Goritski, avec mes jeunes amies, un endroit où j’ai beaucoup dessiné, et qui est à présent complètement défiguré par un chaos de maisons mal foutues, banales et lourdingues absolument affreuses. Mais le coucher du soleil mettait le lac en valeur et les divers cottages et châteaux dans l’ombre.
Rita nous a fait un caprice. Elle est si mondaine qu’elle ne voulait pas repartir de chez elles. Quand je lui ai dit de monter dans la voiture, elle a filé vers leur porte et s’est assise devant en me regardant d’un air significatif. Je suis restée une demi-heure de plus…
J’ai eu le lendemain la visite de Sacha Joukovski, de sa femme Ira et de deux de leurs adorables enfants, Timocha et Tonia, en route pour leur datcha, à 40 km d’ici. Ils sont folkloristes, Sacha fabrique des instruments populaires, il a fait mes gousli et une de mes vielles. Je vais leur présenter Katia et Liéna. Ira me recommande une couturière qui pourrait nous confectionner des costumes stylisés pouvant servir pour les concerts mais passer inaperçus dans le train ou le métro et même être portés pour aller à l’église.





Avec Nadia et Ritoulia