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dimanche 22 mars 2020

Sauve Seigneur ton peuple

La fête de la Croix coïncidait avec celle des quarante martyrs de Sébaste, cette année, qui est aussi le jour où les enfants appellent les oiseaux migrateurs avec des petites chansons et où l'on cuit des biscuits en forme d'oiseaux. Je suis donc allée pour les vigiles à l'église de ces mêmes martyrs, à l'embouchure de la rivière Troubej. Je suis allée m'élargir l'esprit devant le lac, avant l'office. Le temps s'était bien rafraîchi, il soufflait un vent glacial.
J'aime bien cette église, je la trouve très jolie, et on y a déplacé le père Ioann, que j'aime bien aussi. Je voulais me confesser à lui, mais c'était un office épiscopal, pas le temps. L'office a été très long, trois heures, mais magnifique; non par les chants, qui étaient très bien, mais enfin ce n'était ni Valaam ni la Laure de la Trintié-Saint-Serge, mais par la ferveur, et une espèce d'atmosphère d'allégresse et d'amour qui est, je crois, suscitée par notre évêque Théoctyste: il émane de lui tant de bonté, d'intelligence, et cet humour malicieux qu'ont souvent les grands spirituels. Je voyais fondre des rangées de vieilles, dont je faisais partie, mais aussi des jeunes gens, des cosaques, et le clergé lui-même, tout le monde aime Théoctyste. Il y avait aussi peut-être dans cette joie, et cet amour ambiant, le bonheur d'être ensemble autour de la croix, face aux ténèbres montantes, quelque chose de ce que l'on ressent quand on voit les Ukrainiens autour de leur métropolite Onuphre ou de l'archevêque de Vinnitsa Barsanuphe. En de tels moments, de tels hiérarques, par ailleurs si simples et proches des gens, sont vraiment des princes de l'Eglise, nos derniers princes, et nous comprenons combien il est doux de vénérer, d'offrir son front à la main bénissante, son sourire au regard chaleureux et encourageant qui prend en considération chacun de nous. Nous étions tous heureux d'être en sainte Russie, au pied de la croix, avec notre prince évêque Théoctyste.
Sauve Seigneur ton peuple, et bénis ton héritage...
Beaucoup de gens ricanent à ce sujet dans les fils de commentaires, ils ne comprennent pas que courber le front devant quelqu'un qu'on respecte nous grandit. Ces gens-là me glacent le sang. Pour moi, il n'y a plus parmi eux ni Russes, ni Français, mais le peuple indifférencié de l'antéchrist uni seulement par la bêtise, la méchanceté, la médiocrité revendiquée et un incommensurable orgueil.
Au retour, j'ai vu que le ciel était pur et plein d'étoiles, presque comme à Solan le soir de Noël.
Je voulais retourner le lendemain aux quarante martyrs, mais je suis si lente à réagir que l'heure était passée, je suis allée à la cathédrale. J'ai communié avec joie, la joie de la veille, et je ne sais combien de temps cela nous restera possible, à Moscou, on prend déjà des mesures qui dénaturent la liturgie et l'eucharistie, quand à l'occident, il profite du virus pour tout interdire et arrêter les ecclésiastiques contrevenants. Mais je m'en remets à Dieu. Malgré toutes les questions que je peux me poser, je crois en l'eucharistie, et je crois dans tous les signes eschatologiques qui nous sont donnés.
Je conseille au passage la lecture du remarquable article du père Elie de Terrasson:
https://www.monastere-transfiguration.fr/au-feu.html?fbclid=IwAR3YPAbX1psr3fl5j8O0BvQtjB9xbovgk0xYSnaqJENGzxDTRuwEiMXJZ98
J'ai vu un cosaque que je connais un peu, c'est une famille qui me plaît beaucoup, ils ont plein de gosses, le petit dernier, Gricha, est très rigolo, je l'ai aidé hier à raccrocher son pantalon, j'ai fait cela pendant vingt ans à la maternelle. Il prend toujours des airs de gros dur, et porte souvent une chapka cosaque. Son père m'a demandé si je me faisais du souci pour la France:"Et comment ne pas m'en faire?   La France est aux mains de malfaiteurs internationaux et de leurs satrapes, qui vont en faire un énorme Kosovo, et l'histoire du virus me fait peur autant par les aspects sanitaires que par la criminelle gestion de ces gens-là et les conséquences que cela nous prépare!"
Le cosaque Alexandre ne croit pas au virus, il pense que c'est une énorme manipulation, ce qui est sans doute excessif, encore que si le virus me semble bien réel, on peut se poser toutes sortes de questions sur son apparition opportune et l'exploitation qu'on en fait. Il avait à coeur de m'expliquer que la France devait trouver son salut dans la restauration d'une monarchie orthodoxe et que pour ce faire, il fallait commander une icône où figureraient les saints français et les saints russes, et que financeraient des Français et des Russes.


A la suite du séjour des poètes, j'ai décidé de fermer la communication entre ma cuisine et la partie des hôtes, en gardant un accès par l'entrée de derrière. J'en ai fait une niche, avec des étagères, cela me plaît bien, j'espère que les chats n'iront pas tout casser. Monsieur Schtroumpf est tout à fait euphorique, il me témoigne une affection débordante, et il est extrêmement comique et expressif.
J'ai deux jeunes amis russes qui se sont exilés au Monténégro et y recueillent des chats, il paraît qu'ils sont là bas très malheureux, et ils se sont pris de passion pour ces animaux, dont ils décrivent avec humour et tendresse le caractère et les aventures. Fédia est à présent handicapé. Et Katia a eu la malencontreuse idée d'aller à Moscou, la voilà coincée là bas, loin de son mari, et des chats, pour une période indéterminée. Pourtant, il n'y a pas de cas au Monténégro, pour l'instant, et à Moscou, on est loin de la situation européenne mais on lui a refusé l'accès. Cette histoire me bouleverse, car cela ne va pas être simple pour Fédia et ses protégés, et l'on ne sait ni combien de temps cela va durer, ni comment cela va se terminer. J'en avais ce matin la larme à l'oeil.


jeudi 19 mars 2020

Giboulées


Aujourd'hui, c'était le festival des beaux nuages, un temps de giboulées, avec des averses de grésil et des bourrasques. Je recommence à "faire le tour du jardin", une activité rituelle chez maman, que j'accompagnais le matin de massifs en massifs. Pour l'instant, il n'y a pas grand chose, mais le sol
reverdit lentement, des plantes se manifestent, de toutes petites feuilles de roses trémières, de timides pousses d'iris et d'hémérocalles, deux ou trois crocus.
Il me faudrait lancer un petit potager, je me demande si j'en aurai encore la force. Pourtant, devant les désastres qui viennent, la douma conseille aux gens de se replier sur leurs datchas, leurs lopins, leurs potagers, et ceux qui ont déjà opté pour le retour à la communauté agricole ont vraiment fait le bon choix.
Je suis allée faire des courses, j'ai vu pour la première fois une bonne femme avec un masque et une affiche à la pharmacie indiquant qu'il n'y en avait pas et qu'il n'y avait pas non plus de gel désinfectant, je ne vois d'ailleurs pas très bien comment on peut désinfecter tout ce qu'on touche. Personne ne dévalise les magasins, les gens vivent normalement. On évite juste d'aller à Moscou ou de faire des déplacements inutiles.
Curieusement, aucun cas de coronavirus au Monténégro, en plein "printemps orthodoxe", et pas non plus en Biélorussie.
Ensuite, j'ai voulu aller au monastère Nikitski acheter du pain, car il y est très bon, des pirojki, et par la même occasion, je suis allée contempler le lac. Le problème est que si le site est très beau, il y a peu de petites routes où se promener tranquille et les champs sont détrempés. Pour avoir une vue dégagée et grandiose sur le lac aux teintes nordiques, exaltantes et sévères, j'ai dû traverser une zone souillée par toutes sortes de détritus. Je suis toujours énormément déprimée de voir combien en cent ou deux cents ans, on a réussi, à coup de matérialisme au front bas et d"idéologies aussi stupides qu'implacables, amener des peuples splendides à une véritable dégradation.
Je n'ai pas pu contempler le lac bien longtemps, à cause de la bourrasque et du grésil. Pourtant, il me poussait des ailes, et je changeais même de siècle, j'allais à la rencontre des Russes un peu finnois sur les bords du prince Alexandre, qui vivaient dans la beauté et la magie. De l'autre côté, je voyais le monastère, ses bouquets de coupoles qui brillaient et chatoyaient autant que les nuées, qui semblaient faites de nuées, modelées dans une masse éblouissante et argentée.
Je m'y suis rendue dans l'intention d'acheter vite fait ce qu'il me fallait, mais voilà que la dame qui tient la boutique du monastère me demande si je ne suis pas "la Française qui a un café dans le centre, joue de la flûte et s'intéresse à l'orthodoxie"! Je réponds que je suis bien française, que je suis un pilier du café français, mais qu'il n'est pas ma propriété, et que je ne joue pas de la flûte, mais comme je le peux, de la vielle à roue! Elle voulait absolument me présenter mère Solomonie, qui rêve de me rencontrer, et de m'inclure dans ses activités de chant, tout le monde veut m'inclure dans des activités de chant, et aussi me faire donner des cours de français ou de dessin, gratuits, "pour la gloire de Dieu"! En l'occurrence, les activités de chant sont patriotiques, chez mère Solomonie, on chante "debout, pays immense" ou "l'adieu de la slave", et puis aussi du chant religieux, mais pas celui qui précédait la mode occidentale, le chant znaménié. Moi, je chante du folklore, plus précisément des vers spirituels. "Devenons amies!" me propose la dame, et elle m'offre du pain, du sel noir de Kostroma, et de l'infusion de baie d'argousier. Les Russes proposent leur amitié comme me la proposaient les petites filles à l'école.
Elle hésitait entre me présenter à mère Solomonie ou à l'higoumène Dmitri, ne sachant ce que Dieu en pensait, et opta pour le second qui avait l'air bien sévère, que l'on vient voir comme un starets et qui n'avait pas de temps pour moi, et d'ailleurs, j'étais entrée acheter du pain et des pirojki, et ne m'étais absolument pas préparée à ouvrir mon âme à un starets.
Je lui dis que m'avait bien plu le père Corneille, que j'avais vu officier à la campagne. "Tous nos moines, ici, sont des saints!" me déclara-t-elle avec foi.
Elle est venue de Moscou s'installer à proximité de saint Nicétas et de l'higoumène Dmitri, et elles sont plusieurs comme cela, sous la maternelle direction de mère Solomonie. "Voyez, me dit-elle, je me plains parfois de ne pas avoir de temps pour rencontrer des gens, et ils viennent d'eux-mêmes, comme vous, au magasin! Quand c'est la volonté de Dieu..." Elle est divorcée et vit seule, mais forme une sororité avec les autres filles spirituelles du père Dmitri. "Que pourrions-nous désirer de plus que de vivre entre femmes"? me demande-t-elle. Je n'ai pas osé lui dire que j'aimais plus que tout la compagnie des hommes et que me trouver environnée de femmes me donnait plutôt des angoisses...


dimanche 15 mars 2020

Coup de froid

Surprise, ce matin - 10° et plein de neige... Hier, je regardais les premiers crocus pointer leur nez, et les voilà sous la neige.  Mais avec une belle lumière vive et de gros nuages blancs, chatoyants, qui semblent une émanation directe de la terre et du lac, leurs prolongements célestes.
Je suis allée à l'église où tout était calme. Je ne suis pas du tout prête à partir de l'autre côté, mais les jeux sont pratiquement faits, et je m'en remets à Dieu, qu'il fasse de moi ce qu'il juge bon. J'aimerais publier mes livres en russe, et écrire le troisième qui avance, que je voudrais terminer.
J'ai commencé à faire ma propre traduction en collaboration avec Natacha, elle adore mon livre, je pense que cela va aller, cela l'aidera à payer son loyer, et il faut avancer un peu.
Quand j'étais jeune, je pressentais que notre vieillesse pourrait connaître de grands bouleversements. Or ils sont plus faciles à vivre quand on est jeune que lorsqu'on est vieux, usé moralement et physiquement. D'un autre côté, on a moins de choses à perdre... Et puis, malgré toutes les questions que je peux me poser sur divers aspects de ma religion et de ses Ecritures, j'ai en fin de compte, une confiance en Dieu quasi enfantine. La certitude que lorsqu'on lui a donné une fois la main et qu'on le suit comme on peux, sage ou pas sage, il ne nous laisse pas tomber.
Il me vient comme à tout le monde les pires soupçons concernant le gouvernement français, et dans l'ensemble tous ce qu'on appelle "l'occident", et il est possible qu'ils ne soient pas justifiés, ou pas entièrement, bien que j'en doute, mais ce qui est clair, c'est qu'on n'a plus aucune raison de faire confiance à ceux qui ont le pouvoir, qui l'ont, en réalité, confisqué, et que c'est en soi, suffisamment inquiétant. Le monde est devenu une nef des fous dont le commandement scélérat la mène délibérément dans l'abîme. Plus de confiance, plus de respect, plus rien que mépris, aversion et détestation. Je suis de plus en plus indulgente à ceux qui m'entourent, à leurs faiblesses humaines, comme disait maman, "j'ai été si souvent amenée à faire ce que je n'aurais jamais cru que je ferais un jour, que je ne peux plus juger grand monde"... Mais il y a une sorte de gens qui me paraissent ne plus rien avoir d'humain, que Dieu les aime, lui, puisqu'il le peut...
Je prie tous les jours pour que les patrons de la chienne d'à côté réalisent ce qu'ils lui font, et Natacha m'a dit qu'une bonne femme était venue les voir hier, avait détaché et promené la pauvre bête, et était même entrée dans la maison avec elle. Si des amis ou des proches commencent à s'en mêler, cela peut faire évoluer les choses...
Il paraît qu'elle pleure, la nuit, Natacha ouvre les fenêtres, mais moi, fenêtres fermées, je n'entends rien.



jeudi 12 mars 2020

Poursuis ton chemin avec Dieu

A l'usage de mes proches et amis en France, je fais part des conseils du célèbre docteur Rochal, pédiatre russe très estimé, concernant le coronavirus. Afin de nous rendre plus résistants, il convient de couper chaque matin une gousse d'ail en morceaux et de les avaler à jeun avec un verre d'eau, comme des pilules, j'ai essayé, ça passe. Il paraît que ça nettoie le sang et a toutes sortes de vertus. Il conseille aussi de boire beaucoup de boissons chaudes, ce que je fais toujours, thé au miel  etc... le virus n'aime pas la chaleur, et le liquide l'entraîne vers les sucs gastriques destructeurs!
Il n'y a pas beaucoup de cas en Russie pour l'instant, la frontière avec la Chine a tout de suite été fermée, et on semble appliquer de rigoureuses quarantaines. Je ne suis pas dans la plus profonde panique, bien que je n'ai nulle envie de l'attraper, car je suis déjà âgée, et faible des bronches. Qui plus est, j'ai tous ces chats, et Rita, et l'idée de les laisser orphelins est pour moi un véritable tourment. De plus, j'aimerais écrire les livres que je suis maintenant prête à écrire, mieux vaut tard que jamais.
Je ne sais trop que penser de ce virus, car ce ne sont plus des infos que nous avons de toutes parts mais un vrai tohu-bohu, et les gens deviennent complètement dingues. Il est évident pour moi que les malfaiteurs mondialistes, s'ils ne sont pas à l'origine de la contamination, cherchent à l'exploiter à leurs fins. Je crois possible que des tarés à la fortune, et donc au pouvoir, exorbitants puisssent décider d'utiliser une telle arme, ce qui est proprement vertigineux, mais possible, et avant de me traiter de complotiste, pensez à ce qui s'est fait en Russie bolchevique et en Allemagne nazie. Ou à Daech, création de ces mêmes malfaiteurs supranationaux. Il faut parfois juste écouter ce qu'ils disent eux-mêmes, eux ou les politiciens à leur solde, ou leurs diverses éminences grises, par exemple, en France, Attali...
Chaque fois que je quitte la France, je me demande si j'y reviendrai, si je n'en serai pas coupée pour des années, voire pour toujours, étant donné mon âge et le tour très effrayant que prennent les choses.
Il fut un temps où, après les excès progressistes des années 50 60, on pouvait avoir l'illusion que l'on se calmait sur le béton, ou le DDT, que la protection des sites naturels ou urbains revenait à l'honneur, on ne pouvait plus construire n'importe quoi n'importe où, on favorisait les espaces verts, les recherches sur les maisons autonomes, les expériences écologiques, surtout en Allemagne. Puis tout cela a été balayé par le néolibéralisme, mot convenable qu'on applique à ce que je crois être la prise de pouvoir par des mafias plus ou moins satanistes qui unissent l'ultracapitalisme sans frein au rêve trotskiste de destruction du christianisme, des enracinements et des spécificités locales au profit de la création d'un lumpen proletariat général, métissé, abruti et sans culture ni mémoire. C'est dans ce tableau que s'inscrit aussi l'invasion des migrants, largement favorisée par ces mafias et servie par une propagande active, éhontée et  malheureusement efficace qui consiste à mentir avec impudence, asséner des contre-vérités avec aplomb grâce aux bons services d'une presse entièrement inféodée. C'est naturellement pour moi la confirmation de ce que j'avais compris dès les années 90: toutes les monstruosités du XX° siècle sont les multiples têtes d'un même serpent qui s'appelle progressisme matérialiste capitaliste, et il est inutile d'en opposer sans cesse les manifestations les unes aux autres. Il est né avec la renaissance, l'humanisme, le protestantisme, le capitalisme, et continue son effrayante progression. Satan est déchaîné. Au début, le monde restant massivement normal, ou du moins organique, avec une nature encore saine et des structures sociales ancestrales, on a préféré ne pas voir les problèmes et ne s'attacher qu'aux avantages apparents et aux séduisants discours, et maintenant, de plus en plus, se font jour les terrifiants ravages et le sombre avenir que tout cela nous prépare.
Mon ami Henri s'inquiète de l'installation éventuelle d'éoliennes dans le site naturel  magnifique où il va se ressourcer dans la contemplation, autour du pic de Bugarach. Ces machins à prétexte écologique, dont le seul aspect trahit le caractère satanique: c'est laid, énorme, contrefait, mortel pour les oiseaux, cela nécessite des tonnes de béton, condamne pour toute forme de vie d'énormes surfaces, et cela nous pollue nos plus beaux paysages, car en réalité, toutes les expériences qui ne sont pas, en ce domaine, individuelles ou limitées à de petites communautés, deviennent de l'industrie démesurée et donc une autre manière de nous détruire physiquement et spirituellement. Ce qui est valable, c'est la maison autonome, mais à qui rapporte-t-elle de l'argent?
Mon pic de Bugarach, ici, c'est le lac Plechtcheïevo. J'en ai repris le chemin aujourd'hui, par ce froid début de printemps où sur l'aile du vent aigre, le soleil jouait avec la pluie. Ici, pas d'éoliennes, mais l'accumulation des baraques affreuses, sans style ni proportions, qui remplacent les poétiques isbas d'autrefois. Les berges mornes et boueuses longeaient une rivière encore bleue de froid, plissée et frissonnante, et au travers des branches nues, montait l'éternelle floraison dorée des coupoles et des croix qui jetaient sur les flots de longs feux jaunes. Et puis je suis arrivée sur le béton qui borde désormais l'église des Quarante Martyrs, et qu'ornent de bêtes thuyas pas très en forme, là où s'élevaient des saules mousseux, l'été, comme de verts nuages. Et le sévère lac nordique s'est ouvert à moi comme l'espace énorme et fascinant d'au-delà la mort prochaine, avec sa glace mitée où serpentaient des reflets turquoise et verdâtres, invinciblement attirés au large par la béance sombre des flots, et les torsades d'argent que traînait derrière elle une lumière rase. Je me suis assise sur un banc. J'étais très fatiguée, je n'avais pas marché comme cela depuis longtemps, et puis le carême peut-être.

Le peintre Alexandre Pesterev dit que tôt ou tard, tout sera détruit.
 Les autorités israéliennes, pour cause ou sous prétexte de précautions sanitaires, vont interdire l'office de la descente du feu céleste, au tombeau du Christ, qui a lieu depuis des siècles et dont la tradition orthodoxe prédit que l'interruption serait le signe de l'apocalypse imminente.






J'ai prêté attention à un écriteau, sur la balustrade:

Cher ami, 

Arrête-toi, assieds-toi, repose-toi un peu;
regarde autour de toi, comme c'est beau!
Réfléchis au fait que tu es vivant, vérifie
la justesse de tes mots et de tes actes et 
ensuite, poursuis ton chemin avec Dieu




mardi 10 mars 2020

Leur malheur


Pluie glaciale. Cet hiver trop doux se termine par une interminable période déprimante et boueuse.  J’ai toujours mes deux « locataires ».  Ils m’avaient dit qu’ils allaient récupérer un appartement , mais cela ne va pas marcher. Pour retrouver une intimité convenable, je vais fermer la porte de communication entre la cuisine et l’autre partie. Je suis obligée de laisser un accès à leur cuisine où sont les compteurs. Mais je vais pratiquer un autre accès, faire comme je le voulais une petite terrasse ou une véranda pour les locataires. De sorte qu’en attendant qu’ils s’en aillent, je serai plus tranquille. Et quand ils s’en iront, je louerai ponctuellement. De toute façon, même avec des locataires ponctuels ou une famille d'amis, il serait nécessaire de mieux séparer les deux logements.
Je suis profondément perturbée par la chienne des voisins, une adorable et intelligente jeune chienne, j’ai l’impression que c’est un patou, donc une bête énergique faite pour travailler avec des moutons. Elle est tout le temps à la chaîne, ils lui ont fait une grosse niche qui doit être froide, car les petites niches permettent aux chiens de créer un microclimat, grâce à leur haleine, et qui reproduit la grosse maison du patron. Mais en ce moment, avec la boue, elle est sous la pluie, crottée boueuse. Ils la nourrissent bien, et lui font quelques caresses en passant, ils sont sans doute persuadés de la traiter normalement, puisqu’elle n’est ni battue ni affamée, alors que certains meurent de faim au bout de leur chaîne. Elle périt de solitude et d’ennui, et pousse parfois des plaintes désespérées. Mais elle leur fait des fêtes, sa fonction de chien est d’aimer ses maîtres, et elle a besoin d’amour, comme toute créature sociale évoluée. Si au moins le bonhomme prenait deux heures par jour pour aller la promener, jouer avec elle…Mais non, ça ne lui vient pas à l’idée. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut vivre avec cela, avec cette pauvre prisonnière à la vie sacrifiée, sans jamais se poser de questions. Par ailleurs, ces gens sont très aimables, très bien disposés envers moi. Je ne vois absolument pas ce que je pourrais faire pour cet animal. Je prie pour que Dieu rende ses patrons un peu moins bouchés à l’émeri : ils aimeraient être à la chaîne dans une cour boueuse, sans stimulations autres que de voir passer les gens et les voitures, et sans contacts affectifs ? Je ne sais plus lequel de  mes divers conseillers spirituels, peut-être la mère Hypandia, m’avait conseillé de confier à Dieu le malheur d’autrui quand je n’y pouvais rien. Mais le spectacle de cette chienne me gâche tellement la vie que je déménagerais, si je ne pressentais qu’ailleurs, je trouverais autre chose du même genre. S’ils pouvaient déménager et l’abandonner, je la recueillerais.
Les amis qui sont chez moi en ce moment pour une durée indéterminée la caressent, et il parait qu’elle réagit avec une détresse bouleversante, raison pour laquelle moi, je ne vais pas le faire. J’ai dit à Natacha, qui n’est pas ici pour toujours, qu’elle pourrait peut-être essayer de parler délicatement à ces gens, ce que d’ailleurs elle pensait faire.
La cruauté des gens, qui est souvent de la bêtise, m’aura toujours gâché la vie. Quand je lis des considérations de divers religieux sur le fait que les animaux n’ont pas d’âme (mais je connais aussi au moins autant de religieux qui ne sont pas de cet avis) je ne peux absolument pas être d’accord avec cela. Ce serait d’une injustice impossible, et puis ce n’est même pas intellectuellement recevable. Je suis persuadée que chaque être vivant qui arrive au monde est destiné à expérimenter la vie par tous les pores, par tous les sens, odeurs, saveurs, couleurs, et par tous les sentiments. Même si cette vie est brève. Ou même si l’être en question, lorsqu’il est humain, se détourne ensuite par ascèse de cette jouissance immédiate d’exister, ce qui m’est complètement étranger. Même à mon âge, l’été, je savoure le contact du vent, de l’eau, du soleil, la beauté du monde qui m’entoure, les nuages, les étoiles, la joie des réunions entre proches, la vie, en un mot, et j’emporterai cela avec moi, tout ce que j’ai vu, admiré, senti, aimé.  « Nous partons là bas avec tout ce que nous aimons » m’a dit mon père Valentin quand je pleurais un chat assassiné par des cons. Et la prière m’apparaît comme le prolongement dans l’éternel de cette intensité de vie.  Alors que dire de ce que nous infligeons à d’autres êtres, de façon complètement arbitraire ? Au nom du droit que nous nous arrogeons sur eux ? D’acheter un jeune être et de le mettre à la chaîne devant chez soi, ou dans une cage ? De faire vivre des animaux dans des conditions épouvantables, pour ensuite leur faire connaître une mort absolument atroce ? De les faire venir au monde juste pour ça, pour souffrir, nous nourrir et surtout nous enrichir ? Auront-ils connu le destin prévu par le Créateur ou la nature, jouer et faire des câlins avec ses congénères, s’imprégner de soleil et de vent, chasser, procréer, exulter avant de mourir ? Or ils ne sont un amas de cellules sans sentiments ni raison que pour les imbéciles que cela arrange de se croire infiniment supérieurs et de justifier leur tyrannie de plus en plus ignoble sur tout ce qui vit et qui a autant que nous  le droit de vivre, de vivre vraiment, et de ne pas souffrir sans espoir  dans l’enfer que nous faisons de la terre à nous confiée. Je crois qu’au jour du Jugement,  beaucoup d’animaux témoigneront contre les hommes.
Une grande découverte de cette première semaine de carême que j'ai fait rigoureux: chaque jour qui passe, j'ai moins mal au genoux. Comme quoi la preuve est faite que les produits laitiers sont effectivement un poison pour les articulations. Dans un sens, je ne m'attendais pas à retrouver un usage plus facile de mes jambes et des nuits sans douleurs. Mais dans l'autre, je me retrouve au carême pour toute ma vie, car j'adore les produits laitiers et m'en passer sera une grande privation et me compliquera aussi la vie.





dimanche 8 mars 2020

la fête du bienheureux Michenka

Vendredi soir, la soeur de mon électricien, Olga, qui chante dans un choeur d'église, m'a conviée à venir la rejoindre le lendemain pour commémorer le fou en Christ local, le bienheureux Michenka, là où elle chante et où il est enterré, à l'église de la Trinité, village de Troïtskaïa Sloboda, à la sortie de Pereslavl.
Je ne sais pas comment était le village avant, c'est-à-dire il y a encore dix ans, mais il n'en reste absolument rien. tout a été détruit et remplacé par une accumulation anarchique de maisons affreuses, dont le pompon est remporté par un énorme truc avec des colonnes et un fronton grec, bordé d'une palissade métallique branlante. C'est effrayant de voir avec quelle irrémédiable rapidité le pays est saccagé par ses propres habitants.
L'église est en voie de restauration, l'iconostase me rappelait des images pieuses de communion solennelle, avec quelque chose de tendre, d'enfantin, bien que les icônes soient traditionnelles. Cela tenait plutôt à l'ambiance, légère, nacrée, dorée...
Je suis tombée sur Katia et Nadia, venues aussi fêter le fou en Christ. Il y avait notre évêque qui, me voyant, s'est exclamé avec son air naïf et malicieux: "Oh? quelle bonne surprise!" Puis, au moment de distribuer sa bénédiction à tout le monde: "Est-ce vous qui avez amené vos amies, ou le contraire? Ou bien le hasard?
- Nous nous sommes retrouvées par hasard, moi, c'est la choriste Olga qui m'a fait venir!"
sur la tombe du bineheureux Michenka
Nous sommes tous allés en procession sur la tombe du bienheureux Michenka, puis j'ai présenté Katia à Olga, qui voudrait chanter du folklore, et la femme du prêtre voulait nous réquisitionner. Elle fait des séances de chant liturgique, et ne serait pas contre y inclure des vers spirituels populaires. Elle voulait absolument me faire revenir le soir même, mais je n'en ai pas eu le courage, car ensuite, j'ai fait des tas de choses ave Nadia et Katia, je n'en pouvais plus. Nous avons rencontré aussi un monsieur qui est un passionné de folklore local. Katia voudrait réunir tout le monde et voir ce que nous pourrions faire, et dans quels locaux, pour que le folklore soit pratiqué en commun par tous ceux qui l'aiment, le folklore, pas d'affreux succédanés kitsch.
Après échanges de coordonnés, nous sommes allées toutes les trois au café Montpensier, qui fait des menus carémiques, d'ailleurs délicieux. Rita y est toujours fêtée par le personnel, elle a droit à son assiette de poulet! Puis nous sommes allées à la galerie qui dépend de la cathédrale, et où je voudrais exposer, mais il faut attendre un an pour avoir la salle. Et ensuite, au centre que vient d'ouvrir l'association d'entrepreneneurs, artisans, fermiers "les Gens Heureux", dans Pereslavl.
Il y avait fromage, miel, friandises et denrées diverses. Nous avons parlé au Suisse cosaque et vieux-croyant Benjamin, qui est apiculteur, de nos projets.
A l'étage, il y a de l'artisanat, enfin plutôt des travaux de dames, ce qu'on appelle artisanat et qui n'en est pas, en Russie comme en France. On organise là des stages d'initiation à la poterie ou autres occupations manuelles, Katia y songe pour des stages de folklore ou des rencontres. J'ai acheté un linge brodé ancien très beau à une bonne femme bonimenteuse qui en faisait des tonnes, et nous expliquait comment soutirer de l'argent à l'évêque et au clergé local pour nos projets, je dois dire que j'ai beaucoup apprécié ces conseils éhontés.
C'est malheureux, mais quand je passe plusieurs heures avec des gens, que je fais plusieurs démarches, je n'ai plus le courage de rien. Et puis j'ai envie d'écrire, en ce moment. Le roman suivant commence à me prendre la tête.
Parfois, je me demande si ça vaut le coup d'écrire quand nous allons peut-être vers l'apocalypse, mais j'écris comme les oies migrent...
L'apocalypse peut-être pas, mais la mort de la France et de l'Europe, à moins d'un miracle, certainement, car tout est fait pour, et c'est de cela que parle mon roman. J'ai lu aujourd'hui le commentaire d'une dame qui économise 500 euros par mois sur le peu qu'elle a pour vivre afin de pouvoir émigrer à temps avec son petit chat. Je vais recevoir un monsieur qui se cherche une maison. Les Grecs sont assaillis par des milliers de types jeunes, agressifs, sur lesquels nous sommes invités à nous attendrir, que nous devrions tous héberger, à qui nous devrions aussi, pour nous conduire gentiment et ne pas nous faire traiter de fascistes, laisser les clés de nos maisons et la vertu de nos filles, puis boucler nos valises et partir ou mourir, et justement, pour dégager les vieux, il y a le coronavirus qui se pointe. Et il y en a qui s'attendrissent. Qui se fichent des petites dames pauvres économisant sur leurs maigres ressources pour se sauver avec leur petit chat, et tout autant des Grecs ruinés, submergés par ces hordes après avoir été occuppés et opprimés quatre cents ans par les ottomans. Non, ces bien pensants sont sensibles uniquement au malheur exotique.

au café Montpensier


jeudi 5 mars 2020

Néo russe


Les lectures du grand canon ont pris fin. Il y a deux jours, une fidèle de la cathédrale, toujours très aimable, a voulu me montrer la petite église voisine consacrée à saint Serge. Elle était toute excitée de me dire qu'on y avait trouvé des fresques. Et en chemin, nous avons rencontré le prêtre. "Ce sont des fresques de style néo russe, art nouveau, Vaznetsov.
- Elles sont de lui?
- Non, mais c'est le même genre".
J'avais vu cette église il y a peut-être un an, quand on venait de la restituer à l'église après avoir servi de local à la Sberbank pendant des décennies. elle était dans un état affreux, badigeonnée de plusieurs couches de peinture verdâtre, et il y avait encore l'escalier menant à l'étage ménagé sous la coupole. On voyait  juste un lutrin et quelques cierges au milieu du désastre.
Elle est à présent couverte d'échafaudages, décroûtée, il y a une modeste iconostase. Je n'ai pas vu grand chose des fresques révélées, à part une tête de Christ, d'une excellente qualité artistique. J'ai mieux vu sur le téléphone du prêtre. Pour l'instant, on a retrouvé le Christ, saint Alexandre NEvski et saint Nicétas le Stylite. Et puis des ornements, typiques de l'époque. Ce devait être beau. Comme il s'est trouvé un sponsor, l'église bénéficiera d'un fresquiste qui essaiera d'en retrouver l'esprit, d'après tous ces fragments.



J'y suis  retournée ce soir pour la dernière lecture. J'en aime beaucoup l'ambiance. Les gens se saluent joyeusement, car ils sont peu nombreux à y aller et à avoir pris tout cela en mains. J'y ai retrouvé Anastassia et une autre jeune femme très expressive et très gaie que je ne voyais plus à la cathédrale. Puis sont arrivés deux cosaques. Le prêtre est chaleureux, familier. Il a dit une homélie, ils adorent les homélies, en province. Chez le père Valentin, on ne fait d'homélies que pour les liturgies, pas pendant les offices de carême... je n'ai pas tout compris, mais je l'ai entendu dire qu'on était capable de faire de grands efforts pour maigrir en se privant de manger et en allant dans les salles de sport et qu'on pouvait faire les mêmes efforts pour jeûner pendant le carême et accumuler les prosternations...
Pour ce qui est des prosternations, je reste modérée, désormais, car une fois prosternée, je ne suis jamais sûre de pouvoir me relever sans aide.
J'aime bien ces célébrations dans des églises ruinées couvertes d'échafaudage, avec quelques enthousiastes. Des paroissiennes se dévouent pour chanter comme elles le peuvent.C'est très fraternel.
Sur la gauche bée encore l'énorme coffre-fort de la banque...
Etant donné ce n'est pas un monument historique, comme la malheureuse église du métropolite Pierre, elle est plus facile à réparer, mais depuis l'apparition d'un sponsor, voilà qu'on commence à exiger des autorisations et à faire des vérifications, sur ce bâtiment qu'on avait entièrement saccagé et qui serait resté une ruine sans l'intervention de tous ceux qui y travaillent et y officient.
Je n'ai pas fait de photos, je n'avais pas d'appareil, mon téléphone était déchargé. Le père Serge me les a transmises ultérieurement.
Un vent glacial et humide m'attendait à la sortie. Pendant tout le mois de mars, nous aurons plus ou moins ce temps-là,  Entre deux et cinq ou sept degrés, peut-être avec des regels. Mais quand même... Dans un mois, on peut espérer commencer à voir reverdir le jardin et pointer des crocus... on est plus près du printemps que de l'automne.



kondakion du grand Canon de saint André de Crète
par les moines de Valaam

 Réveille-toi, pourquoi dormir, ô mon âme,
pourquoi dormir ainsi? Car voici, la fin s'approche et
tu rendras compte au jugement. Veille donc ô mon 
âme pour que t'épargne le Christ Dieu, lui aui est partout, dans
tout l'univers, qu'il comble de sa présence.