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vendredi 14 octobre 2016

La Protection de la Mère de Dieu à Krasnoselskaïa

Les vigiles dans ma paroisse moscovite

J’ai dû aller à Moscou, pour récupérer l'enregistrement de mon visa et différentes démarches. Je voulais aussi fêter la Protection de la Mère de Dieu dans l’église de mon père spirituel, qui lui est consacrée. Au départ, j’ai dit au taxi que j’avais peur de manquer l’autobus, il prend son téléphone : «Allo… dis donc, tu ne peux pas attendre deux minutes pour partir ? Ma cliente va à Moscou, et je suis presque arrivé, là, je viens de dépasser le monastère Fiodorovski… »
En chemin, grosse averse de neige, mais elle ne tient pas encore.
Les corvées expédiées, je retrouve Xioucha, la fille du père Valentin, et ses nombreux enfants, dans son appartement si joliment décoré, puis je vais aux vigiles de la fête, dans la paroisse que j’ai longuement fréquentée quand je travaillais à Moscou : la Protection de la Mère de Dieu à Krasnoselskaïa. C’est une église que j’ai connue pratiquement en ruines, et que le père Valentin et son équipe ont restaurée peu à peu. Elle est située au dessus des chemins de fer de la gare de Kazan, au quartier des trois Gares, en plein centre, à la limite d’un des plus vieux quartiers de Moscou qui devait être ravissant, avant qu’on le massacre, et qui garde quelques beaux restes. Ce quartier trépidant a quelque chose de fantasmagorique qui m’a toujours séduite, et j’avais écrit un poème sur la fête de Noël à cet endroit, et sur la femme du père Valentin, la « matouchka » Inna. La matouchka était dissidente au temps du communisme, mais horrifiée par ce qui se passait à la période Eltsine, les spoliations des oligarques prêts à vendre le pays à n’importe qui, les menées américaines pour le dépecer avec la complicité d’apparatchiks véreux, elle était devenue complètement communiste. Cela engendrait toutes sortes de querelles homériques et fort pittoresques entre elle et son mari monarchiste, et moi-même, anticommuniste primaire et viscérale, à qui elle répétait : «Vous verrez qu’un jour vous trouverez que j’ai raison ». Cette prédiction s’est en partie réalisée. Disons que je me suis rendue à l’opinion d’Alexandre Panarine, selon laquelle le communisme a été une abomination, un viol méticuleux et d’une rare méchanceté de tout ce qui faisait la grandeur, la beauté, la poésie, la spiritualité, l'originalité de la Russie par des gnomes particulièrement immondes, mais ce pays étrange avait fini par avaler ce fruit indigeste après en avoir recraché le noyau trotskyste, et avait entamé le processus de russification de cette monstruosité inoculée par l'Occident. Une fois opérée la réconciliation avec l’Eglise, il eût fallu ne pas y toucher. Quand on aime la Russie, bien entendu. Mais les démocrates occidentaux n’avaient qu’une idée : l’achever, et le coloniser. Idée qu’ils poursuivent toujours, avec une détestation enragée.
Entrant dans mon ancienne paroisse, je retrouve avec émotion des petites dames qui se jettent à mon cou, le clergé qui m’est cher, le père Valéri, le père Dmitri, le père Fiodor, et je vais me confesser au père Valentin. Il est tellement heureux de voir que je suis venue à la fête votive que j’aurais pu lui avouer ma participation à une orgie romaine, cela serait passé comme une lettre à la poste. Je vais ensuite remplir les dyptiques des noms de tous mes orthodoxes français et mettre un cierge à saint Philippe de Moscou et à sainte Matrona. Je m’aperçois qu’en slavon, quand même, je ne comprends pas grand-chose, par rapport aux offices en français de Solan, il va me falloir trouver une solution. La sœur qui lit les psaumes le fait à toute vitesse. Moment d’émotion, les 40 kyrie eleison sont chantés comme à Solan, en grec, et sur la mélodie byzantine, comme si Dieu avait voulu unir dans cette fête mon monastère français et ma paroisse russe, également consacrés à la Protection de la Mère de Dieu.
J'entre dans la boutique de l’église pour acheter une étagère à icônes en bois sculpté, mais la petite dame qui fait office de vendeuse n’est pas disposée. Elle est en train d’écouter passionnément une autre cliente qui lui parle de miracles et de reliques. Je remets au lendemain. Mais le lendemain, la boutique est fermée. Du coup, elle l’ouvre spécialement pour moi, et je repars avec mon trophée qui dépasse de mon sac à dos bourré, car j'avais aussi emporté ma lessive, pour la faire chez Xioucha..
Dans la cour de l'église, on a dressé un buffet pour les paroissiens et les SDF et épaves du coin, avec des crêpes et toutes sortes de salades, du thé chaud, de la "compot", boisson obtenue en faisant bouillir des fruits dans de l'eau. Le père Valentin m'offre un livre sur les saints de Pereslavl-Zalesski, et sa bénédiction en prime. J'ai droit aussi à celle du père Dmitri. Un iris blanc s'obstine à  fleurir dans les plates bandes, malgré le vent aigre et les 5 petits degrés qui nous séparent de la neige.

 L'église de la Protection de la mère de Dieu à Krasnoselskaïa  par Constantin Soutiaguine,


A la mémoire d’Inna Victorovna Asmus

Où est-elle mon église, son clocher dans l’hiver,
Perché sur le lacis des longs chemins de fer
Qui portaient vers l’Asie de somnolents trains verts ?
Où est-elle cette amie qui marchait à mon bras,
Sur le pont enneigé, allant à petits pas,
Corpulente et joviale, alors que tout là bas,
Des fantômes pressés bousculaient les frimas,
Tordant leurs blancs cheveux dans les rayons des phares
Qui cherchaient dans la nuit le chemin des trois Gares.

Où sont les fenêtres de la nef bleutée,
Fleuries de cierges d’or et d’encens embrumées,
Portes du paradis dans l’enfer retrouvées ?
Sous l’iconostase, les sapins et les fleurs
Répandant alentour leurs prenantes odeurs?
Et les nimbes luisants et les sombres visages
Qu’éclairaient de grands yeux et de vagues lueurs,
Les enfants chahuteurs, les vieillards recueillis,
Et les jolies filles, si fraîches et si sages
Et les garçons barbus, aux beaux regards songeurs,
Les chasubles brillantes du clergé réjoui ?

Au retour, sur le pont, dans un brouillard cuivré,
Nous voyions suspendues, bien au dessus des voies,
Les grosses lanternes des hôtels éclairés,
Quelques points lumineux, ça et là clairsemés,
Bleus dans les serpents gris qui rampaient vers les gares,
Emportant des wagons jusqu’aux rigides barres,
Bétonnées par là bas dans les remous du froid.
Les croyants se hâtaient, évitant le verglas,
Les ivrognes hagards et les chiens affamés,
Vous marchiez à mon bras d’un pas mal assuré,
Mon cœur s’élargissait au son du carillon
Trébuchant, infini, s’envolant et tintant,
Retentissant tout clair au travers des flocons,
Et s’en allant quêtant par delà l’horizon,
L’étoile de Noël au faîte des nuées.







4 commentaires:

  1. Très belle "fenêtre" sur ton monde moscovite. Merci pour les dyptiques à notre intention: Solan t'accompagne. Kyrie eleison!

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    1. Chère Anna Maria, je pense beaucoup à vous. A notre mère Hypandia, à toutes nos soeurs, nos petites novices, et nos pères spirituels.

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  2. Magnifique j'ai des images plein la tête et Inçroyable plein les yeux mérci et Tres belle soiree amities

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