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jeudi 29 mars 2018

Dans les nuages




Je me suis poussée à sortir hier soir faire une petite marche à pied, car il fait froid, mais il y a tant de soleil, et cela me fait du bien d’être à l’air libre. Je suis montée jusqu’à l’ancien monastère, dont il ne reste rien, qu’une chapelle commémorative, une grande croix orthodoxe et une pierre tombale. La neige est si blanche, sous le soleil, et l’on ne sait où commencent les nuages, où s’arrête l’escarpement enneigé, il semble que l’on marche en plein ciel, que l’on va tout à coup voir défiler des anges, dans toute cette lumière radieuse et douce. Pereslavl s’étendait dans une ombre bleue, et je voyais scintiller les coupoles du monastère saint Nicolas comme une poignée d’étoiles. Le lac opalescent semble éclairé de l’intérieur, et les arbres parfois prennent l’éclat lustré du laiton, comme autant de chandeliers jaunes qui attendent que le printemps éclaire leurs innombrables flammèches vertes. Et des oiseaux passent en bande. Un jeune père fait de la luge avec son petit garçon de trois ou quatre ans.
Je me suis assise au pied de la chapelle, dans le vent discret. Je pensais au spectacle que devait offrir Pereslavl au XIX° siècle, avant l’effondrement. Je rêvais de la ville invisible de Kitej où j’aimerais m’enfuir à jamais. Car dès mon enfance, je n’étais pas de ce temps, d’ailleurs s’y adapter, n’est-ce pas se donner au démon ?
Cependant, les gros nuages immaculés  passaient dans leur mouvement éternel et emportaient la lune, toute blanche, dans ce gouffre profondément bleu qui me faisait face, et derrière moi, brillait une maison jaune, elle brillait si gaiment, qu’elle éclipsait toutes les autres, les neuves et moches et leurs palissades métalliques.
Le prince Alexandre n’était pas loin de mon âme, et aussi le tsar Ivan et son serviteur Féodor, le tsar redoutable et son Peter Pan ténébreux, et je conversais intérieurement avec eux, comme bien souvent, avec ces deux personnages qui me semblent si malheureux, et envers moi, bienveillants. Mais qui prie encore pour eux ? Sans nul doute, ils se raccrochent à cette prière, comme Ariane à son fil, dans le labyrinthe des siècles désertiques. 
 Le paysage d'ici est plein de ces présences, ce qui fut m'est plus réel que ce qui est, ou disons que ne je puis séparer ce qui est de ce qui fut. Mon présent est plein de passé, mon présent est insondable et mon être millénaire.




La maison jaune


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