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jeudi 9 août 2018

AUX SOLOVKI - 2 - Saint Cyrille du Lac Blanc


Voilà, mon bain du lendemain de la saint Elie sera sans doute le dernier, le vent se lève, le ciel se couvre, on annonce de la pluie, mais cette heure de nage solitaire, sous les nuages montants, des nuages qui s’épaississent insensiblement, qui caillent dans le pâle azur du matin comme un lait nacré, avec les étoiles blanches et criardes des mouettes de rivière, m’a fait le plus grand bien, moralement et physiquement. J’ai rencontré un chat, un chat heureux que j’ai revu ensuite, il suivait un ponton, quelle belle vie pour un chat, ce bord de rivière…
J’ai un peu peur de marcher sur le ponton, car il tangue, et moi aussi, je tangue de plus en plus.
Anna m’a emmenée à Saint-Cyrille. Je ne me souvenais pas de la ville de Kirillov qui l’entoure et qui date principalement de Catherine II, bien qu'il ne subsiste pas grand chose de son plan et de ses bâtiments initiaux. Comme partout ailleurs, il reste quelques maisons anciennes au milieu d’un chaos post-industriel de cabanes en plastique mal fichues, avec des toits en tuile métallique criarde. Une sorte de bidonville amélioré avec des administrations et des églises, d'ailleurs en très mauvais état, qu'on a oublié de détruire. A vrai dire, dans les temps anciens, les villes russes étaient composées de bâtiments en dur, palais princiers, églises, administrations qui résistaient aux incendies et aux aléas climatiques, et de bâtiments en bois renouvelés fréquemment, la différence est qu’ils étaient beaux, abondamment décorés, que la tradition de leur fabrication était vivante…
J’étais très fatiguée, et j’avais du mal à marcher. J’ai remarqué que Saint Cyrille était composé de deux grandes cours, la première pratiquement vide, où peut-être les moines avaient autrefois des cultures, des animaux domestiques, et d’une autre cour où se trouvent les églises, magnifiques et majoritairement du XVI° et du XVII° siècle. Il devait aussi s’y trouver des édifices de bois disparus depuis.  Dans la première cour, une espèce d’isba m’a fait penser à celle que l’higoumène attribue à Fédia. On a implanté là des constructions en bois du nord, soustraites aux villages où elles pourrissaient, notemment une petite église du XIV° siècle, en tous points semblables à celles que l’on continuait à faire ultérieurement dans la même tradition. Mais pourquoi déplacer des monuments conçus pour un autre environnement, au lieu de les restaurer sur place ? C’est l’esprit des musées, faire d’un objet vivant une pièce de collection coupée de son contexte. Même chose pour les icônes en conserve à la galerie Tretiakov…



Le mur d’enceinte est énorme, un vrai mur de forteresse, avec de grosses tours du XVI° et du XVII°. Je suis sûre d’avoir pris une photo d’un point de vue qui montrait, du haut de ces remparts, le rempart d’en face, une tour et le lac derrière. J’en ai parlé à la sous-directrice du musée, que connaît Anna, et elle m’envoyait obstinément sur le clocher, pour avoir la vue, mais ce que je voulais, moi, c’était déterminer si Fédia pouvait régulièrement contempler le lac du haut des remparts avec ses fils.  Je suis montée héroïquement sur le clocher, avec ma patte folle. La vue est panoramique, le clocher récent, mais en réalité, il existait à l’époque sous une autre forme,  il était surmonté de trois pyramides, trois bulbes sur une structure en forme de tente, comme à saint Théraponte, où il n’y en a que deux. Ce devait être très beau.
Je pense qu’il pouvait voir le lac, comme moi quand j’avais pris la photo, non en s’accoudant au rempart, comme je l’avais écrit, mais en lui tournant le dos, et en s’appuyant à la rambarde de la galerie pour regarder le lac qui s’étendait derrière le rempart opposé. Car les remparts sont absolument opaques, les seules ouvertures existantes sont des meurtrières permettant de tirer à travers, un point c’est tout. Les gardes déambulaient sur la galerie, et sous un toit, sans doute à cause des intempéries.
 La sous-directrice nous a montré des reconstitutions de cellules de moines, avec le mobilier, une sorte de petit placard dont les portes sont faites d’écorce tressée, des coffres, un banc au dossier mobile. Ils suspendaient un récipient à deux orifices au dessus d’un baquet en bois pour leur toilette quotidienne, et en fait d’éclairage, recouraient à la fameuse  « loutchina », un long bout d’écorce coincé dans une pince en fer forgé installée sur un récipient de bois évidé oblong. Il était rempli d’eau, pour que la cendre ne risquât pas de mettre le feu à la maison. Les cellules n’étaient pas mal, chauffées par un poêle, mais ils dormaient sur des bancs, comme la plupart des Russes.
Cet ensemble de cellules date du XVII° et a été construit par des Italiens. Il m’est venu à l’esprit que le recours fréquent aux services des Italiens venait sans doute du fait que les Russes n’avaient pas l’expérience traditionnelle de la maçonnerie, contrairement à eux ; les Russes sont des charpentiers, qui faisaient des merveilles avec le bois. La brique et la pierre n’étaient pas vraiment leur truc. A l’époque de mon livre, ces bâtiments devaient être en bois, il y avait sans doute aussi des églises en bois remplacées ensuite par des églises en brique. Tout ce qui est du XVII° siècle n’a pas lieu d’être dans mon livre.
Une église datant de 1530/1534 est consacrée à saint Jean Baptiste, sans doute a-t-elle été construite pour la naissance d’Ivan le Terrible, dont il était le protecteur céleste.  L’église est sur une sorte de petite éminence, ce qui donne un joli relief à cette cour, et aurait pu permettre aux enfants de Fédia de la dévaler sur une luge, mais le monastère étant très sévère, j’ai renoncé à cette idée aussitôt qu’elle m’est venue.
J’ai visité l’exposition d’Anna et de son mari Sacha, il y avait de très jolis tableaux vibrants et chatoyants.
Anna a absolument voulu entrer vénérer les reliques de saint Cyrille, alors que je n’en pouvais plus et que je n’avais pas osé me lancer dans la tour des galeries du rempart, qui m’aurait été utile. Mais une fois dans l’église, je me suis souvenue de ce que m’avait dit ma cousine : «Si Fédia est mort à saint Cyrille, c’est là bas qu’il faut prier pour lui ». Et j’ai commandé pour lui une quarantaine.
Pour des renseignements complémentaires, j’ai trouvé un bel album sur le monastère.



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