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vendredi 10 août 2018

AUX SOLOVKI -5- Conversation avec monseigneur Philippe


j’ai suivi les Messerer et leur ami Sacha au bord de la mer Blanche, et je suis restée je ne sais combien de temps envoûtée sur place par ce que je venais de découvrir au débouché d’un bois de bouleaux et de pins rabougris et couverts de lichens : un chaos de sable et de blocs de granit au bord de cette mer métallique et glaciale, sous de vastes nuées grises, aux lumières sous jacentes pulsatiles, et je suivais leurs torsions, leurs mouvements grandioses  et l’activité des mouettes, qui animent tout cela de leurs diligents éclairs blancs, de leur affût méditatif sur les rochers, et de leurs cris mornes que déplace un vent monastique aux litanies inlassables.
J’ai su alors que c’était précisément à cet endroit que Fédia voyait pêcher le moine Théophile et commençait à lui parler. Et aussi que mon chapitre allait pas mal changer, peut-être suivre ou introduire un chapitre de plus. De même que ma traduction de la vie et de l’enseignement de saint Grégoire Palamas allait modifier la teneur de sa conversation ultérieure avec le métropolite sur la grâce.
Oui, c’était là le bout du monde, l’eau mouvante de la mer extrême et l’eau vaporisée des nuages, l’eau fantôme qui modelait dans le profond silence, le silence symphonique de la nature, réunissant en lui tous les sons légers qu’il est seul à nous laisser percevoir, des falaises d’ombre et de fulgurantes et colossales roses mystiques. Mon cœur était plein à ras bord et se dilatait comme une fleur s'épanouit.
Je décidai de louer un vélo. J’avais le choix entre un VTT et un vélo ordinaire qui n’avait plus de frein: pour les remplacer, il fallait pédaler en arrière... j’ai pris le VTT, et je suis partie à la recherche de la source miraculeuse et de l’emplacement où le métropolite Philippe, encore simple moine, était allé s’isoler.
J’ai trouvé cela dans les bois de l’intérieur de l’île, mais la source manquait d’eau et je ne pouvais y avoir accès. En revanche, m’attendait dans une pochette plastique à l’usage du pèlerin, l’acathiste à saint Philippe que je ne peux me procurer nulle part. Même à  la librairie du monastère, il n’est pas disponible jusqu’à la Transfiguration. J’ai donc lu l’acathiste tandis que les moustiques m’attaquaient en piqué. J’ai appris là que la belle église de la Dormition, avec ses quatre angles et le tambour de la coupole centrale évasés, si puissante, simple et originale de forme, était une réalisation du métropolite.  J’ai appris aussi qu’il avait eu la vision de la Mère de Dieu, et du Christ couronné d’épines. J’étais dérangée par des ouvriers qui réparaient une maison du XVIII° siècle, à côté, mais néanmoins, je me sentais en communion avec ce saint que j’étais venue voir au bout du monde, au point que des larmes me montaient aux yeux.  Je pensais à la fermeté de cet homme et de tous les martyrs qui l’ont suivi. Je lui demandais d’intercéder pour moi, faible Française, afin que Dieu me donnât la force d’assumer mon destin ultérieur, mon déclin et ma mort, et m’accordât un répit dans mes souffrances physiques, à moins qu’elles ne me fussent vraiment utiles… vivre seule en Russie, avec tout un tas d’animaux qui dépendent de moi demande de la santé, d’ailleurs, je reçois déjà un certain soutien surnaturel, car avec mon tempérament anxieux, je devrais parfois sombrer complètement dans la panique et je fais comme les Russes, je compte sur « avos », « on verra bien », ou plus chrétiennement, la providence divine.
Au dessus, une grande croix de bois rappelait les martyrs des îles Solovki, ceux de la période communiste, du S.L.O.N., ancêtre du Goulag. Je me suis inclinée devant, en pensant au père Pavel Florenski, cet esprit encyclopédique brillant, qui envoyait d'ici des lettres déchirantes à sa famille…
J’ai vu ensuite que les baraques disséminées aux abords du monastère de façon hétéroclite étaient bien des baraques. Une plaque le rappelle : affectées maintenant à d’autres fonctions , ces baraques étaient occupées par les prisonniers du SLON…
Nous avons pris pour revenir à la côte et à ma voiture le petit bateau monastique qui fait la liaison, bourré de pèlerins. Il s’appelle le saint Nicolas, et il est surmonté d’une icône de son protecteur céleste et du drapeau russe. J’y ai rencontré une Française de Strasbourg, Josiane, qui voyageait avec une jeune étudiante  russe, Lisa. Elles m’ont dit avoir fait aux Solovki des rencontres extraodinaires. Josiane trouve les Russes extrêmement chaleureux et secourables. Ils ont gardé des qualités d’autrefois, simplicité, solidarité, patriotisme, ils lui paraissent plus vrais et plus profonds que les Français d’aujourd’hui qui veulent toujours paraître, bien qu’elle connaisse des coins de la haute Marne dans lesquels des qualités de ce genre se conservent.










les baraquements







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