Présentation du film, photo Vadim |
Retour de Moscou à travers une
tempête de neige fondue. Cela ne tient pas trop, mais tout ce qui n’est pas
neigeux est boueux. Les oiseaux m’ont accueillie par de joyeux appels :
ils avaient faim. J’ai éprouvé un serrement de cœur à me retrouver dans ma maison
déserte, souillée par les pattes de chats, et empreinte d’une odeur de fauve
caractéristique.
J’ai retrouvé mon
coiffeur Albert, je n’en pouvais plus de lutter le matin avec ma trop longue et
trop lourde tignasse, et je suis allée lui confier ma tête. Je ne l’avais pas
vu depuis huit ans. Le jeune homme excentrique et gracile, qui aurait pu passer
pour un homosexuel, est devenu un homme fait, qui m’a parlé de la datcha et de
l’appartement qu’il a réussi à s’acheter, comme quoi on peut encore gagner sa vie
en Russie sans être oligarque. Il a deux enfants, l’aînée s’appelle Amélia en
l’honneur d’Amélie Poulain…
En revanche, je ne suis
pas enthousiasmée par la coupe qu’il m’a faite, je trouve qu’en effet, ça me
banalise, et pourtant, Albert est un excellent coiffeur. Je pense que je laisserai
repousser mais pas au point où j’en étais arrivée, Sissi impératrice
avec beaucoup d’heures de vol en plus.
J’étais venue pour
assister à la présentation, à la maison des écrivains, du film sur Sacha Viguilianskaïa « Le visible
invisible » qui retrace la quête de ses ancêtres, déjà décrite dans ses
articles et dans un livre du même nom. Le film est très bien, très émouvant, il
faut dire que Sacha elle-même est très émouvante, très belle, avec quelque
chose de féérique, un véritable charisme. Nous avons travaillé deux ans ensemble au lycée français, où
elle travaille encore, et pendant ses vacances, mène sa quête, son enquête, écrit articles
et livres. Elle avait trouvé comme antidote à la déprime qui la guettait, outre
la pratique religieuse et le soutien spirituel du métropolite Zinovi, qu’elle
aime et connaît depuis son enfance, de faire des voyages à travers la Russie,
et de cette manière, dans la région de Vladimir, elle est tombée sur la tombe
d’un diacre, fusillé au cours des répressions de 1937, qui portait le même nom
de famille qu’elle. Et de fil en aiguille, elle a reconstitué toute l’histoire
de ses ancêtres, pratiquement depuis le XVIII° siècle et saint Alexis de
Bortousrmani, qui lui est apparentée,
comme elle l’a découvert, puis elle a trouvé de la façon la plus simple du
monde, dans une bibliothèque provinciale, le journal de saint Alexis, qui est
évidemment un précieux document spirituel, dont on avait perdu la trace. Elle
expliquait tout au long du film à quel point, en tout ce périple, elle s’était
sentie guidée, les liens qu’elle se découvrait avec des inconnus qui lui
étaient également apparentés, et cette mystérieuse toile mystique spatio-temporelle
qui finissait par tisser les fils de son destin actuel avec ceux de toute la
Russie pré et post révolutionnaire. « La mort n’existe pas, et le passé
vit toujours » dit-elle. En effet, j’ai par d’autres canaux réalisé
moi-même que la coupure complète entre le passé et le présent était une idée
absolument moderne, qui aplatissait nos vies et les coupait de tout en les
projetant dans un futur illusoire, au
nom duquel, en détruisant le passé, nous annihilons le présent et le vidons de tout sens et de toute substance.
Sacha parlait, au cours du film, de son
expérience, avec tant de sensibilité, de poésie, qu’on la suivait
sans difficultés dans son périple et que d’ailleurs, toutes les portes
s’ouvraient devant elles, dans ses recherches, et ses tentatives pour restaurer
l’église de son arrière-arrière-grand-père, qui avait été transformée en
discothèque et qu’on a rendue au culte.
Le mari de Sacha a dit
quelque chose d’intéressant sur la Russie, dans le film, mais je n’ai pas tout
compris. Il dit, ce que j’ai pensé aussi moi-même, que c’est un océan ignoré, un océan
scythe, et qu’elle génère une forme particulière de patriotisme, car il s’y passe
des choses qui n’arrivent nulle part ailleurs et que seuls ses habitants
comprennent vraiment. Sacha a parlé, après le film, de l'abandon des campagnes, des destructions qu’elle
a constatées au cours de ses voyages, la ville de Kourmych, par exemple,
troisième ville la plus ancienne du gouvernement de Nijni-Novgorod, et qui
était prospère, avant la révolution : il y avait des marchands, des
marchés, des cosaques, deux monastères, toute une vie locale, et aujourd’hui,
des deux monastères, il ne reste même pas les fondations, les isbas
disparaissent les unes après les autres, la ville fond à vue d’œil. Elle a
évoqué l’importance pour la Russie de retrouver sa mémoire, sentiment que j’ai rencontré chez beaucoup de Russes, d’ailleurs. Sa démarche de récupération du passé
russe à travers celui de ses ancêtres pour régénérer un présent sinistré est
symptomatique d’une partie de la population, d’un renouveau peut-être limité
mais profond, et dont je vois l'expression dans divers phénomènes, la résistance des croyants ukrainiens du métropolite Onuphre, l'intérêt renaissant pour le folklore.
Puis, au cours des mondanités qui ont suivi la séance, j’ai revu un vieux copain, Vadim, qui vit maintenant en Crimée. Nous formions avec Sérioja et Micha un ensemble folklorique farfelu qui n'a pas vécu longtemps mais nous a laissé de bons souvenirs. Quand je vois la neige tomber encore dans la grisaille, je regrette parfois de ne pas avoir choisi la Crimée. Mais il me dit qu'au point de vue folklore, là bas, il n'y a rien: juste les chansons soviétiques d'après-guerre.
Pour mémoire, l'article de Sacha que j'avais publié sur son expérience: https://chroniquesdepereslavl.blogspot.com/2018/02/je-nai-rien-cherche-cest-moi-quon.html#comment-form
Image du film, Sacha dans l'église de son ancêtre. |
Avec Vadim |
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