Translate

vendredi 2 août 2019

Trous noirs

Le lac avant la pluie

Je devais aller ce soir à un festival, à Rostov, mais la sœur de l’électricien, Olga, qui devait y aller aussi et m’emmener en voiture, a déclaré forfait : sa mère est malade, elle ne peut pas lui laisser sa gosse, qui va s’ennuyer au concert. Or, sachant qu’Olga nous emmènerait en voiture, et que je rentrerais le soir, j’avais accepté d’aller demain chez l’historien Nazarov, près de Moscou, visite que j’avais déjà remise une fois. Aller en bus à Rostov, puis prendre le bus ou le train le lendemain pour rejoindre Moscou, sachant que Nazarov lui-même habite hors de Moscou et que je foncerai du bus dans le métro, cela me coupe bras et jambes. Même sans aller à Rostov, d’ailleurs… je n’ai trouvé de place que dans le bus de 8h, et je déteste me presser le matin. Ce sera l’expédition, et je me rends compte que j’ai de plus en plus de mal… Liéna a beaucoup insisté, je ne savais comment m’en sortir. Mais c’est vraiment au dessus de mes forces, car j’aurais dû tout laisser tomber, faire mon sac à toute vitesse, courir essayer d’avoir de la place dans un bus pour Rostov, changer mon billet de demain pour un autre…
Nazarov est un homme remarquable, j’ai envie de le rencontrer, je pense qu’il ne prendrait pas bien que je lui fisse encore faux-bond. Son livre sur l’histoire contemporaine de la Russie est éclairant aussi sur l’histoire du monde en général, et de la civilisation infernale qu’a engendrée l’occident détaché de l’Eglise originelle et de sa vocation avant tout spirituelle. Le catholicisme a dérivé, puis provoqué la réaction protestante qui, par sa proximité avec le judaïsme et sa rencontre avec la franc-maçonnerie, a accentué la glissade progressiste, matérialiste, technologique capitaliste,  provoqué les révolutions qui nous ont livrés sans défense à de gros usuriers sans principes, et l’élimination de la paysannerie, dont les Anglais furent les pionniers. Je ressens depuis longtemps la Renaissance et ce qui a suivi comme un ensemble de symptômes morbides,  ce qui ne remet pas en cause à titre personnel les génies qui se sont succédés  dans le domaine des arts et de la littérature européenne, mais cette concentration même du talent sur des personnalités d’exception, souvent malheureuses et incomprises ou excessivement adulées, alors que l’ensemble des peuples était lentement privé de son génie collectif et de son expression traditionnelle ancestrale, combattus et accablés de mépris par les autorités bourgeoises, que notre vie quotidienne devenait de plus en plus hideuse, vulgaire, indigne, dégradante et infernale, me paraît le signe qu’à un certain moment, nous avons déraillé: alors que jusqu’en 17, la Russie, contrainte de suivre plus ou moins le mouvement ou de disparaître, a essayé de sauver sa paysannerie, qui était sa chair et son âme, et l’essentiel de ses traditions, même si  sa noblesse et son intelligentsia étaient  coupées de leurs sources.
J’ai compris que l’été était fini. Cette année, il a duré environ un mois, le printemps trois semaines,  et nous aurons un automne de 5 mois, à moins que la neige ne tombe dès novembre. Mon amie Dany se cramponne toujours à l’idée de l’été indien, mais même si nous avons quelques beaux jours d’automne, nous n’aurons pas juillet-août en septembre-octobre, ça, ce n’est pas possible. Au moindre rayon de soleil, je me précipite sur le perron, sur le banc que j’ai acheté au printemps, et je regarde les fleurs, les nuages, les étourneaux qui se rassemblent, comme à Pierrelatte au mois d’août, mais moins nombreux. Le peuplier d’en face vibre de leurs conversations pour moi incompréhensibles, et voilà qu’avec un bruit ronflant d’ailes froissées, une nuée d’oiseaux se soulève et se déplace dans le vent, vers un autre lieu à hanter de sa frémissante multitude.
Mon petit pommier, et le poirier devant  la maison, que je n’avais jamais vu porter de fruits  depuis que je suis ici, en sont couverts, cette année, mais faute de chaleur et de soleil, ils ne mûrissent pas.
...
Les Français de ma connaissance ricanent devant les vidéos ou les photos des « répressions policières » à Moscou : des gamins impudents et narquois qu’embarquent sans grande brutalité des policiers calmes. Je poste sur les fils de commentaires des divers sites russes des photos de tous les gilets jaunes éborgnés, mutilés, défigurés, sans dents, sans mains, sans visage… Je me souviens de cet homme de cinquante ans sauvagement matraqué devant sa fille de vingt ans qui hurlait. Où sont-elles, les violences policières ? Du côté de la dictature mondialiste des banques, des dingues richissimes et sataniques qui veulent complètement détruire nos peuples, leur mémoire, leur histoire, leur foi, leurs traditions, leur culture, pour nous faire plonger dans une société de science-fiction cauchemardesque dont ils seront la caste toute puissante et qui n’aura pas d’issue. Ceux qui gênent la caste sont sauvagement réprimés. Ceux qui la servent sont emmenés avec toutes sortes de précautions, et se pavanent. Comment différencier un gilet jaune français d’un libéral russe ? Le second a ses deux yeux, ses deux mains, marche sur ses deux jambes, et garde un sourire que n’a pas déparé un projectile en pleine gueule.  Ceux qui gênent la caste sont emprisonnés, conspués, vilipendés, ruinés. Ceux qui la servent peuvent  casser, violer et massacrer tranquilles, on leur trouvera toujours des excuses, puisqu'ils sont là pour éliminer et terroriser les autres...
Ce qui me chagrine au plus haut point, c’est que j’ai des amis russes libéraux, par ailleurs fort sympathiques, et même intelligents, et que tout cela ne leur effleure absolument pas la cervelle. Quand je vois Navalny, qui d’ailleurs n’emballe qu’une petite frange de neuneus citadins, je retrouve la même foncière félonie qui me frappe chez Macron, Trudeau, Tsipras ou Guaido : des types à qui je ne confierais ni mon chien, ni mon porte-monnaie, ni ma petite sœur. Les satrapes de la mafia, fabriqués dans le même chaudron.  De ce côté-là, je trouve que vivre en province n’est pas mal, les gens ne se laissent pas embarquer de la même manière par de pareils escrocs. Ils sont parfois nostalgiques du communisme, mais cela m’est plus compréhensible, et puis c’est moins dangereux. Parce qu’il suffit parfois d’une meute d’excités largement financés et soutenus par l’étranger et les banques supranationales pour faire basculer un pays et le transformer en trou noir. C’est ce qui s’est passé dans la Russie de 17, et c’est ce qui s’est passé dans l’Ukraine de 2014…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire