Le lac avant la pluie |
Je devais aller ce soir à un festival, à Rostov,
mais la sœur de l’électricien, Olga, qui devait y aller aussi et m’emmener en
voiture, a déclaré forfait : sa mère est malade, elle ne peut pas lui
laisser sa gosse, qui va s’ennuyer au concert. Or, sachant qu’Olga nous
emmènerait en voiture, et que je rentrerais le soir, j’avais accepté d’aller
demain chez l’historien Nazarov, près de Moscou, visite que j’avais déjà remise
une fois. Aller en bus à Rostov, puis prendre le bus ou le train le lendemain
pour rejoindre Moscou, sachant que Nazarov lui-même habite hors de Moscou et
que je foncerai du bus dans le métro, cela me coupe bras et jambes. Même sans
aller à Rostov, d’ailleurs… je n’ai trouvé de place que dans le bus de 8h, et
je déteste me presser le matin. Ce sera l’expédition, et je me rends compte que
j’ai de plus en plus de mal… Liéna a beaucoup insisté, je ne savais comment
m’en sortir. Mais c’est vraiment au dessus de mes forces, car j’aurais dû tout
laisser tomber, faire mon sac à toute vitesse, courir essayer d’avoir de la
place dans un bus pour Rostov, changer mon billet de demain pour un autre…
Nazarov est un homme remarquable, j’ai envie de le
rencontrer, je pense qu’il ne prendrait pas bien que je lui fisse encore
faux-bond. Son livre sur l’histoire contemporaine de la Russie est éclairant
aussi sur l’histoire du monde en général, et de la civilisation infernale qu’a
engendrée l’occident détaché de l’Eglise originelle et de sa vocation avant
tout spirituelle. Le catholicisme a dérivé, puis provoqué la réaction
protestante qui, par sa proximité avec le judaïsme et sa rencontre avec la
franc-maçonnerie, a accentué la glissade progressiste, matérialiste,
technologique capitaliste, provoqué les
révolutions qui nous ont livrés sans défense à de gros usuriers sans principes, et l’élimination de la paysannerie, dont les Anglais furent les pionniers. Je ressens
depuis longtemps la Renaissance et ce qui a suivi comme un ensemble de
symptômes morbides, ce qui ne remet pas
en cause à titre personnel les génies qui se sont succédés dans le domaine des arts et de la littérature
européenne, mais cette concentration même du talent sur des personnalités d’exception, souvent malheureuses et incomprises ou excessivement adulées, alors que l’ensemble
des peuples était lentement privé de son génie collectif et de son expression
traditionnelle ancestrale, combattus et accablés de mépris par les autorités
bourgeoises, que notre vie quotidienne devenait de plus en plus hideuse, vulgaire,
indigne, dégradante et infernale, me paraît le signe qu’à un certain moment,
nous avons déraillé: alors que jusqu’en 17, la Russie, contrainte de suivre
plus ou moins le mouvement ou de disparaître, a essayé de sauver sa
paysannerie, qui était sa chair et son âme, et l’essentiel de ses traditions,
même si sa noblesse et son intelligentsia
étaient coupées de leurs sources.
J’ai compris que l’été était fini. Cette année, il
a duré environ un mois, le printemps trois semaines, et nous aurons un automne de 5 mois, à moins
que la neige ne tombe dès novembre. Mon amie Dany se cramponne toujours à l’idée
de l’été indien, mais même si nous avons quelques beaux jours d’automne, nous n’aurons
pas juillet-août en septembre-octobre, ça, ce n’est pas possible. Au moindre
rayon de soleil, je me précipite sur le perron, sur le banc que j’ai acheté au
printemps, et je regarde les fleurs, les nuages, les étourneaux qui se
rassemblent, comme à Pierrelatte au mois d’août, mais moins nombreux. Le
peuplier d’en face vibre de leurs conversations pour moi incompréhensibles, et
voilà qu’avec un bruit ronflant d’ailes froissées, une nuée d’oiseaux se
soulève et se déplace dans le vent, vers un autre lieu à hanter de sa
frémissante multitude.
Mon petit pommier, et le poirier devant la maison, que je n’avais jamais vu porter de
fruits depuis que je suis ici, en sont
couverts, cette année, mais faute de chaleur et de soleil, ils ne mûrissent
pas.
...
Les Français de ma connaissance ricanent devant les
vidéos ou les photos des « répressions policières » à Moscou :
des gamins impudents et narquois qu’embarquent sans grande brutalité des
policiers calmes. Je poste sur les fils de commentaires des divers sites russes
des photos de tous les gilets jaunes éborgnés, mutilés, défigurés, sans dents,
sans mains, sans visage… Je me souviens de cet homme de cinquante ans
sauvagement matraqué devant sa fille de vingt ans qui hurlait. Où sont-elles,
les violences policières ? Du côté de la dictature mondialiste des
banques, des dingues richissimes et sataniques qui veulent complètement
détruire nos peuples, leur mémoire, leur histoire, leur foi, leurs traditions,
leur culture, pour nous faire plonger dans une société de science-fiction
cauchemardesque dont ils seront la caste toute puissante et qui n’aura pas d’issue.
Ceux qui gênent la caste sont sauvagement réprimés. Ceux qui la servent sont
emmenés avec toutes sortes de précautions, et se pavanent. Comment différencier
un gilet jaune français d’un libéral russe ? Le second a ses deux yeux,
ses deux mains, marche sur ses deux jambes, et garde un sourire que n’a pas
déparé un projectile en pleine gueule.
Ceux qui gênent la caste sont emprisonnés, conspués, vilipendés, ruinés.
Ceux qui la servent peuvent casser, violer
et massacrer tranquilles, on leur trouvera toujours des excuses, puisqu'ils sont là pour éliminer et terroriser les autres...
Ce qui me chagrine au plus haut point, c’est que j’ai
des amis russes libéraux, par ailleurs fort sympathiques, et même intelligents,
et que tout cela ne leur effleure absolument pas la cervelle. Quand je vois Navalny,
qui d’ailleurs n’emballe qu’une petite frange de neuneus citadins, je retrouve
la même foncière félonie qui me frappe chez Macron, Trudeau, Tsipras ou Guaido :
des types à qui je ne confierais ni mon chien, ni mon porte-monnaie, ni ma petite
sœur. Les satrapes de la mafia, fabriqués dans le même chaudron. De ce
côté-là, je trouve que vivre en province n’est pas mal, les gens ne se laissent
pas embarquer de la même manière par de pareils escrocs. Ils sont parfois
nostalgiques du communisme, mais cela m’est plus compréhensible, et puis c’est
moins dangereux. Parce qu’il suffit parfois d’une meute d’excités largement
financés et soutenus par l’étranger et les banques supranationales pour faire basculer
un pays et le transformer en trou noir. C’est ce qui s’est passé dans la Russie
de 17, et c’est ce qui s’est passé dans l’Ukraine de 2014…
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