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samedi 17 août 2019

Maman!


L'accordéon du Vietnam
J’avais projeté d’aller à Vologda , à un festival de folklore, depuis longtemps, avec Katia, mais j’ai eu une semaine épuisante, des gens sans arrêt, deux interviews , je suis sollicitée de tous les côtés, pour traduire ci, pour rédiger ça,  pour donner mon avis, et tous sont très gentils, toutes les causes sont bonnes, mais je n’y arrive plus, car j’ai aussi une traduction qui n’en finit pas, mon livre, apprendre les chants de Liéna, jouer de la vielle pour restaurer un peu mon niveau, peindre une icône pour le médecin syrien qui m’avait soignée gratis, faire face aux tonnes de poires que produisent mes deux arbres cette année,  ce qui implique de les ramasser, peler, couper, cuisiner, sous forme de confitures et autres, et nettoyer derrière la cuisine dévastée, et du reste toute la maison, je n’y arrive plus, je suis à bout de nerfs, aller à Vologda, coucher à l’hôtel, rester debout des heures à tourner autour des groupes et des étals de production artisanale, visiter des églises, je ne m’en sens pas la force, mais il est difficile de se défiler au dernier moment… Je n’avais pas prévu les poires.
Hier, nous sommes allées chanter chez Liéna. Katia, en chemin, me demande si elle peut lire l’acathiste à la Mère de Dieu, et ensuite, elle étudie ses chansons, elle n’a pas eu le temps de le faire ? Moi non plus, mais je suis au volant, je fais le chauffeur, personnellement, je prie dans ma chambre, jamais devant les autres, sauf à l’église et avant les repas. Quand je suis avec les autres, je suis avec les autres. Cela me déconcerte, chez elle, alors que par ailleurs, elle me plaît beaucoup et je me sens proche d’elle.
Il se peut aussi que je ne supporte plus rien, auquel cas je ne sais ce que va donner l’expédition à Vologda.
J’ai donné des poires à ma voisine Anna. Son fils Aliocha est un très gentil petit garçon, c’est un vrai petit homme, courageux, digne, viril. Il va s’entraîner chez les cosaques, il fait la danse du sabre etc. Elle me demande de l’emmener avec nous quand nous allons chanter, et je comptais le faire, mais il va se retrouver dans un ensemble de bonnes femmes qui chantent des chansons de femmes, en général. Pour bien faire, il me faudrait arriver à organiser des stages avec Skounstev ou autres, parce que les cosaques locaux, sur le plan musical, font ce qu’ils peuvent, mais ils auraient besoin d’être aidés, dans leur recherche de la tradition perdue… Il y en a qui ricanent devant la présence de cosaques ici, ou traditionnellement ils n’étaient pas, mais nous sommes dans les derniers temps où l’on ne garde plus tant les frontières que les arches où subsiste quelque chose de l’esprit russe.  Et Aliocha mérite d’être soutenu. J’ai dit à Anna : « Si ça l’intéresse, j’ai un petit accordéon diatonique que je pourrais lui offrir, car je suis trop vieille pour m’y mettre, je n’arrive pas déjà à jouer de la vielle, c’est un accordéon que le grand-père de ma sœur a gagné dans une loterie au Vietnam dans les années 50… En dépit de son âge, il a un bon son.»
J’apprends que le père d’Aliocha jouait de l’accordéon, mais le sien a été rongé par l’humidité dans un coin d’une isba à la campagne, et la famille n’a pas les moyens d’en acheter un autre.
Il faut que je présente Aliocha à Skountsev et qu’il apprenne à se servir de l’accordéon du Vietnam.
Dernièrement le cousin de ma sœur, Pierre, m’a envoyé une vidéo : un film de la fin des années 50, où apparaît ma jeune maman, dans les gorges de l’Ardèche, avec la famille de son second futur mari, et puis on voit la Surelle, la ferme de mon beau-père Pedro, son troisième mari, Pedro lui-même, son beau-frère Pierre, sa sœur Marthoune, et tout à coup, je réalisais que je n’avais pas gardé le souvenir net de leur jeunesse, qu’ils restaient, dans mon idée, figés  à la cinquantaine. Maman était si jeune et jolie, et si élégante dans ses vêtements simples et de bon goût, qu'elle confectionnait souvent elle-même ! A la vieille que je suis, elle apparaît comme une gamine, alors que pour l’enfant que j’étais, c’était la source inépuisable d’amour, de dévouement, de consolation et de sécurité qui ne me faisait jamais défaut, quelqu'un dans le genre de la Fée Bleue. Et puis me voilà sur l'écran, une petite fille vive, qui grimpe sur une table, joue avec le chiot récemment offert par mon futur beau-père, le gentil boxer Jicky, je lui avais donné le nom du parfum de maman, cela ne lui allait pas vraiment, il avait de terribles flatulences et une haleine de chien, mais nous nous entendions très bien, il dormait sur mon lit, et il m'avait même bouffé tous mes doudous, à mon grand désespoir, mais il avait pris leur place, c'est la vie.... Enfin je revoyais l’hôtel de ma mère, et je me rappelais son vœu maintes fois répété, pendant sa maladie finale : rentrer chez elle. Chez elle, c’était dans l’appartement de la rue de la République à Annonay, où mes grands-parents vivaient avant la guerre. Et bien moi aussi, j’avais soudain envie de rentrer chez moi, de retrouver ces lieux qui n’existent plus sous la forme qu’ils avaient alors, dans un pays qui était encore lui-même, où étaient vivants et souriants ceux que j’aimais. Mais la France se meurt, ils sont couchés au cimetière, ceux qui m’étaient si chers et si familiers, quand je n’imaginais pas la vie sans eux. La nuit suivante, j’ai rêvé que j’appelais d’une voix énorme, à pleins poumons : « Maman ! » dans le vide; et cela m'a même réveillée. Je ne peux m’empêcher de regarder ce genre de choses, qui remontent du fond du passé, et qui me bouleversent profondément. Ma tante Jackie s’y refusait, elle ne le supportait pas. Je me répétais, la soirée suivante : « Pourquoi voudrais-tu redevenir une enfant ? Tu aurais encore tout à faire et à subir, il est vrai qu’à l’époque, tu voyais la vie comme une merveilleuse aurore débouchant sur un jour radieux, et ce n’a pas du tout été le cas, mais cela aurait pu être pire, et sur certains plans, tu as quand même rempli ton contrat, tu as quand même réalisé ton rêve d’aller en Russie, tu as écrit ton livre, et s’il t'a manqué des choses profondément essentielles, tu n’as jamais connu d’atrocités, et tu pourrais t’écrier comme Flaubert, dans sa solitude créative : « au moins, personne ne m’emmerde ! » Cependant, ainsi que le chantait Jacques Brel,

De tous les souvenirs,
Ceux de l’enfance sont les pires,
Ceux de l’enfance nous déchirent…

Il en est ainsi de tous ceux qui, il le chantait également, sont devenus "vieux sans être adultes". Et pourtant, j’ai atteint une espèce de maturité, je le sais bien, dans mon éternelle enfance désormais tellement orpheline.
Enfin, ce qui m’apparaissait de façon poignante, à travers ce petit film de mauvaise qualité, c’était la tranquillité, la gaieté de ces gens qui avaient bien leurs problèmes, mais leur monde était stable, heureux, tout le monde y trouvait plus ou moins une digne place,  et l’on pouvait se promener, discuter, plaisanter, le progrès, auquel tour le monde croyait beaucoup trop naïvement, n’avait encore apporté que des avantages, qui n’avaient pas éliminé complètement ceux de la tradition, ni révélé leurs épouvantables revers. Ce moment, qui semblait à tous éternel, a duré vraiment deux décennies, car dès les années 70, la structure traditionnelle de la société française commençait a être attaquée par les banques prédatrices, les idéologies de gauche, la mise en place du piège mortel de l’Europe unie et de son programme à long terme qui échappait complètement aux gens..
Curieusement, cette vidéo m'est parvenue le lendemain de l'anniversaire de maman.












3 commentaires:

  1. Mais!... vous n'avez pas changé!!! Un peu de look et de coiffure mais sinon votre visage est celui de la petite fille : D

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    1. En effet, je reste reconnaissable! Et intérieurement, je n'ai pas changé beaucoup non plus!

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