Le concombre masqué devient plus fréquent à Pereslavl. La télé doit faire son oeuvre. Et puis il y a dû avoir des consignes, car la jeune femme qui vend de la charcuterie en face du café français avait mis le sien, qu'elle déteste, sous le nez. Je ne sais pas comment les gens font pour croire que ce machin les protège de quoi que ce soit. Il empêche les chirurgiens de baver dans les plaies ouvertes et les dentistes de recevoir des giclées de sang en pleine action, mais les virus, eux, passent à l'aise, en revanche, l'air pur pas tellement. J'étouffe au bout de cinq minutes, quand j'ai ce pattacul sur la figure. Mais plus on verra de malheureux frileusement masqués, plus s'ancrera dans la conscience générale que nous sommes tous en danger, que l'autre est un danger.
Je supporte très mal le traitement de mon urologue. Un des médicaments agit sur la tension, et la fait baisser. J'avais toutes sortes de phénomènes circulatoires désagréables, et j'étais au bord de l'évanouissement. Je ne le prends plus. Aujourd'hui, je me sens normale, j'ai pu aller à pied au café sans redouter de m'écrouler. Et je suis même allée hier, avec Katia, dans un centre touristique situé en pleine campagne, où l'on peut s'offrir hammam, sauna, piscine et jaccuzi à volonté pour 1000 roubles la séance. L'endroit est joli, design, du bois et de grandes verrières, mais ni le sauna ni le hammam ni la piscine n'ont les températures requises pour produire un véritable effet thérapeutique. Enfin c'est quand même bien agréable de pouvoir nager, et pour ce qui est du reste, c'est toujours ça, c'est toujours aussi efficace qu'un bain chaud dans une baignoire. Quand je parle d'effet thérapeutique, c'est dans mon cas, cette impression d'être complètement rénovée, récurée, apaisée que j'avais après le bain de vapeur à Moscou, où la vapeur était brûlante et la piscine glaciale, et où l'on se frottait et se lavait des pieds à la tête pendant des heures en s'aspergeant avec des baquets d'eau. Cependant, comme je suis affaiblie, peut-être vaut-il mieux que les procédures soient plus calmes...
Il commence à neiger, mais c'est mou, humide et ça fond. Nous attendons tous la neige, qui assainit et éclaire. Marcher par un temps pareil n'est pas des plus exaltants. Il y a de la boue, des flaques, un ciel gris... J'avais fait une ballade avec Nil, il y a deux jours, il faisait plus froid, nous avions suivi la rivière jusqu’à l’embouchure, l’endroit où je me baigne l’été. L’eau était en train de geler, elle était grise et verdâtre sous un ciel de plomb. Pas encore de blancheur pour napper toutes les disgrâces de ces berges saccagées. Il faut à Pereslavl la neige ou la verdure pour retrouver un peu de son charme passé...
Ce soir, j'ai emmené Nil au monastère saint Daniel, car il souhaitait se confesser, et l'higoumène Pantaleimon parle anglais. Du coup, avisant un petit moine rondouillard qui attendait près d'un lutrin, j'ai fait la même chose. Ce moine m'a fait l'effet d'un océan de bonté, et je ne me suis même pas rendu compte qu'il me confessait, alors qu'au fil de l'entretien, il me tirait tous les démons du nez. Il m'a dit qu'il s'appelait le père Guérassim. "Saint Guérassim avait un lion, mais moi, comme je suis un petit moine, je n'ai qu'un chat." Il m'a demandé combien j'avais de chats, et il était ravi d'apprendre que j'en avais six. "Je nourris les oiseaux, me dit-il
- Moi aussi.
- Vous savez comme on peut manquer de foi, un jour je n'avais plus rien à leur donner à manger, et voilà que Dieu m'a envoyé un bonhomme avec un sac de graines, eh bien vos chats, Dieu en prendra soin.
- Oui, lui dis-je alors, je manque terriblement de foi.
Il m'a raconté l'histoire d'Adam et Eve: "Pour comprendre ce qui se passe dans notre âme, et quels sont nos péchés, il faut retourner en arrière, vers la source de tout le reste. Il était une fois, dans un jardin, des arbres et des animaux immortels, et puis Dieu a fait Adam, et il lui a donné Eve, mais elle est allée écouter le serpent, elle voulait la connaissance, censée faire de nous des dieux, et vous voyez ce qu'elle fait de nous, la connaissance? On ne pense qu'à cette connaissance, pousser les enfants vers les études et les diplômes, au lieu de les élever en Dieu".
Je lui ai dit que j'aimais beaucoup la vie, que je n'en étais pas détachée du tout. "Mais qu'est-ce que c'est la vie?
- Ce qui est beau et bon, la création de Dieu...
- La vie, c'est ce qui se passe en Christ dans votre tête et dans votre coeur, quand ils sont purs."
Nil était très content de son entretien avec le père Pantaleimon, et nous irons demain à la liturgie au même endroit.
Magnifique texte chère Laurence. Ici aussi l'Obscur s'étend.
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