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samedi 22 janvier 2022

Les rives du Styx

 J'ai fait l'effort d'aller à l'église pour la fête du saint métropolite Philippe de Moscou, avec lequel j'ai développé des liens spirituels en écrivant mon roman. Il y a fort longtemps, j'avais rêvé de lui. Il me disait: "Comment peux-tu croire, après m'avoir rencontré dans ton livre, que nous ne nous retrouverons pas un jour?" Une gardienne compréhensive m'avait permis, en 90, de m'incliner sur ses reliques, à la cathédrale de la Dormition du Kremlin de Moscou, ce qui serait impossible aujourd'hui, sa châsse n'étant pas accessible au public. J'ai aussi fait le voyage aux Solovki, dont il était l'higoumène, et ressenti la grâce de sa présence, à l'endroit où il se retirait de temps à autre. Et je le prie toujours de m'introduire au paradis en contrebande, comme il le fait de mon double Fédia, en le cachant sous sa mante.

Mais comme je suis nulle, je n'ai pas fait celui de me préparer à la communion. 

En sortant, je suis passée au café. J'y ai retrouvé une jeune moscovite esseulée, qui semble bien malheureuse de l'être, et je la comprends tout à fait. Nous avons discuté du phénomène, dont ma génération était déjà victime. En réalité, il faudrait à cette jeune femme penser à autre chose et mener sa vie comme si de rien n'était mais c'est extraordinairement difficile quand on est jeune et qu'on voit fondre son capital d'années. La solitude obscurcit tout.

 Puis j'ai vu un couple qui s'occupe d'éducation expérimentale, à l'encontre de ce qui se passe dans toutes les écoles, où, selon les dires d'une directrice de maternelle que j'ai connue à mes débuts, on assassine plein de Mozart... Ils sont tous les deux très beaux, un couple de cinéma.

Enfin, au moment où j'allais partir, Gilles est entré, et je me suis attardée devant un café. Nous avons appris  par un coup de fil de Maxime que la visite médicale tous les trois mois ne concernait pas ceux qui avaient un permis de séjour permanent, mais ceux qui étaient en Russie de façon provisoire. Je suis soulagée mais je souhaite bien du plaisir à ceux qui devront se soumettre à cela. Je pense que la mesure sera sûrement aménagée, car cela suscitera beaucoup de mécontentement chez les investisseurs.

Au retour, j'ai dû à nouveau déneiger. Mais j'aime bien être dehors, avec ce ciel gris, plein de subtils reflets bleus et roses. Je songeais que j'avais tant de bonheur à vivre, et pourtant, je sens que je vieillis, que j'ai des ratés dans la cervelle. C'est naturellement parce que j'ai été malade, mais les dégâts ont plus de chances d'être irréversibles, avec l'âge. Il me faut exister avec intensité, mais ne pas perdre de vue les rivages du Styx, et me préparer à embarquer, tout en rendant grâce pour ce sursis. Je crois fort possible que les oligarques, auxquels je ne peux donner les noms encore trop nobles de seigneurs ou de princes, nous préparent des attaques virales à répétition, et ils nous le "prédisent", d'ailleurs. Mais cela me conduit à me confier à Dieu comme à l'unique recours. Il saura me faire mourir au moment opportun et de la meilleure façon possible, dans la perspective de mon salut.

Je pensais à cette histoire de l'ADN, programmé pour appréhender le surnaturel et le sacré. Ma perception de la vie ne s'arrête pas à mes premiers moments conscients, car le passé fait partie de moi comme si je l'avais vécu, or si l'on y pense, il en est bien ainsi. Nous héritons avec l'existence de tout ce qui nous a précédé, et nous avons la possibilité de déboucher de façon vivante et réelle sur ce qui fut, et parfois sur ce qui sera. Et il m'apparaissait tout à coup impossible que ce qui a été ne soit plus, et cela quelle que soit la forme de vie, consciente ou non, chaque atome me constituant ayant été imprégné de ce que je fus et connu, et mis par moi en relation avec toutes les facettes de l'être. Et c'est dans cette direction que je voudrais élargir ma conscience, pendant mes dernières années sur cette terre que j'aime tant, que j'aime peut-être trop, malgré tout ce que l'homme peut y introduire de monstrueux, malgré même la cruauté et la tragédie de la loi naturelle, pour son exultation, et pour son devenir, pour sa Source, et ses Prolongements, pour le Souffle qui la traverse et l'anime, et nous porte tous. Mais est-ce que vraiment, je l'aime trop? Je n'ai jamais été attirée par les gens qui se tournaient vers Dieu parce qu'ils n'avaient pas su aimer la vie. J'ai cherché en Dieu l'absolu de cette vie que j'ai aimée passionnément sans doute depuis mon berceau, en tous cas, du plus loin que je me souvienne, je l'ai aimée, avec ferveur, en toutes ses adorables manifestations. N'est-ce pas un péché que de cracher sur les dons que nous a faits le Créateur? Je lui rends grâce pour chacun des reflets de sa beauté qu'il m'a été donné de contempler, et je le prie de m'y intégrer, dans sa splendide totalité, pour les siècles des siècles. 




11 commentaires:

  1. Très beau texte Laurence. C'est très dur d'être jeune, seul et différent.

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  2. Chère Laurence,
    ce texte est le premier que je lis aujourd'hui, qui me pousse à vous écrire pour vous en remercier et par la même occasion vous présenter mes voeux les plus chaleureux bien que tardifs... En effet, cette ambiance de fin des temps me terrasse parfois et je ne parvenais pas à vous écrire ces quelques lignes tant la noirceur m'envahissait ces derniers jours... Merci donc pour ce vent frais qui me rappelle que le vrai monde nous attend, qu'il faut s'y préparer au mieux et se réjouir de chaque belle et bonne chose que Dieu nous donne à voir ou à vivre... Je me permet de vous embrasser même virtuellement, et vous souhaite une belle et sainte année !Françoise.

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    1. Chère Françoise, je n'ai pas perdu a journée si mon texte vous a fait cet effet-là. Nous partageons tous en ce moment les mêmes moments d'angoisse. Je vous souhaite aussi une très bonne année. Qu'elle nous apporte la libération et la défaite des démons qui s'acharnent sur nous.

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  3. Saint philaret (Drozdov) sur l'humilité faussement comprise.



    "Toute obéissance et soumission aux autorités qui ne gouvernent pas selon Dieu est la préparation de notre âme à l'arrivée de l'Antéchrist. C'est une obéissance fausse et non désirable qui mène à la perdition."(Saint Philaret De Moscou).

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  4. Merci Laurence...Quelle joie de pouvoir se vérifier par toi....Aime t on trop la vie ?Jésus aussi devait l aimer lui le co - Créateur de la merveille de l' univers..Je régale de lire tes lignesBises !

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  5. Придет время, ты уйдешь от всех, и тебя все оставят. Друзья позабудут. Богатство тебе не понадобится. Красота увянет, не станет силы, высохнет тело, и душа погрузится во мрак. Кто протянет тебе руку в этой тьме и одиночестве?
    Только Христос Человеколюбец, если ты в жизни своей Его возлюбил. Он выведет тебя из тьмы к свету, из одиночества на Небесный Собор. Думай об этом день и ночь и стремись к этому. И да поможет тебе Христос, Царь любви!..

    Святитель Николай Сербский

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  6. Merci pour vos chroniques, Laurence.
    J'ai connu la solitude aussi et la connaît toujours. La situation ambiante m'aura appris à mieux supporter ma condition de célibataire et vivre au mieux ma retraite qui vient tout juste de commencer. Je n'en reviens pas d'être si vieux au-dehors et pourtant si jeune en-dedans, je dois encore être un vieil ado qui n'en finit pas de grandir...
    William

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