Translate

dimanche 28 août 2022

Maison bleue

  Dernières baignades, avant le refroidissement  annoncé. j'aurais aimé une transition douce, mais ce n'est pas le style du pays! Le lac se perdait dans une brume bleuâtre d'où se dégageaient à peine la rive de Veskovo et son église, pareille à une apparition, matérialisation allusive de la ville invisible de Kitej. Je nageais dans l'eau douce et un peu froide, dans ce bleu infini qui souffle au ciel de blanches bouffées, et songeait que d'ici quinze jours j'allais peut-etre rallumer le chauffage et ressortir vestes chaudes et chaussures. Le soir, je suis allée au bar du café, où il y avait un concert de jazz, surtout pour passer un moment sur la terrasse en contrebas, dans la douceur des derniers soirs d'été, dont tout le pays profite intensément car on sent que la fête est terminée, que la boutique enchantée va fermer, et les dorures qui apparaissent dans les feuillages indiquent les fastes liturgiques de la cérémonie finale qui nous laissera dans les ténèbres de novembre attendre les premiers flocons.


Ma chère voisine Ania m'a amené une équipe d'artisans compétents, sous la direction du patriarche Nourali, un ouzbek qui ressemble à Gengis Khan, et qui a une espèce de dignité antique malicieuse. Ils sont en train de préparer la maison pour la repeindre, car elle a été mal barbouillée, tout s'écaille. Nourali est patriote de la Russie, et il travaille honnêtement. Mes autres bonshommes ont disparu de la circulation, ils ont mieux à faire, pensant que j'attendrai patiemment qu'ils se décident à revenir. La maison vire au bleu, cela fait mieux ressortir les plantes. Je le trouve un peu vif, et je n'aurais pas disposé les losanges comme cela, je les aurais espacés, mais à moins de le faire moi-même... Pour la couleur, il n'est pas toujours facile d'évaluer ce que cela donnera une fois posé.

Ania voulait aller au musée de Pereslavl, aujourd'hui, et avec la chaleur, je n'en avais guère envie, mais comme elle est adorable, je l'ai emmenée. Les icônes sont à nouveau exposées, et elles sont de toute beauté. Elles viennent toutes de Pereslavl et des villages alentour, c'est dire la profusion d'icônes splendides qu'il devait y avoir à l'époque dans toute la Russie. Le contraste est brutal avec les icônes du XVII° siècle, déjà abâtardies par l'influence occidentale qui ne représente vraiment pas un progrès, ni sur le plan spirituel, ni sur le plan esthétique. Ce monde des icônes anciennes russes reflète un pays original et isolé qui avait développé une forme particulière de spiritualité et d'expression artistique, absolument méconnu de ses élites post pétroviennes jusqu'à nos jours inclus. 

Transfiguration


Il y aussi de très beaux bois sculptés, peu iconographiques, mais d'une puissante et expressive fraîcheur. L'origine de tous ces chefsd'oeuvre indique des églises disparues qui ont dû être détruites.



Le Christ de gauche me fait penser au prêtre ukrainien de notre cathédrale, le père Vassili

J'ai rencontré au bar deux jeunes femmes russes complètement francophones. L'une revient s'installer définitivement dans son pays, l'autre ne peut plus quitter la France, où elle a un mari et toute sa vie, les deux m'ont évoqué un climat délétère et étouffant, un "Paris, ville lumière" plongé dans une obscurité propice aux malandrins. Cela ne m'étonne pas vraiment, j'ai vu dès les années 70 l'émergence de ce nouveau type anthropologique qu'on appelait alors le gauchiste, et qui est devenu le bobo, mais le connard de droite existe aussi, bloqué dans un antisoviétisme ignare surgelé depuis des décennies, ou dans la détestation myope de l'islam, cause de tous nos problèmes. Je mettrai tout cela sous le vocable rhinocéros, le rhinocéros de Ionesco, un rhinocéros idéologique à la peau dure beaucoup plus borné et beaucoup plus brutal que son homonyme zoologique. Pas facile de vivre avec les rhinocéros quand on n'en est pas un.

Je vois bien sûr arriver sur mes fils de commentaires toutes sortes de trolls racontant absolument n'importe quoi sur les Douguine, sur la Russie, sur Poutine, c'est du niveau des frères Dalton de Lucky Luke: bête et méchant, et je ne sais même pas d'ailleurs d'où ils sortent, ils ne sont pas sur ma liste d'amis. Très bêtes, et très méchants, et contrairement aux Dalton, pas franchement rigolos. Cela me rappelle les horribles commentaires ukronazis sur les doryphores grillés, quand s'était produit cet holocauste de russophones dans la maison des syndicats d'Odessa, ou la chronique nécrologique du cafard bolchevique dont j'ai déjà parlé, à propos de la mort du poète Essénine. J'ai eu ma soeur au téléphone, elle me manque, et je me fais du souci pour tous ceux que j'aime et que j'ai laissés là bas, dans ce chaudron de sorcières qui se met à bouillir, touillé par des créatures des ténèbres en costar-brushing. Les gens normaux qui n'émigrent pas me disent qu'ils se sont mis à l'écart, dans leur petit village ou leur petite maison, et essaient d'oublier ce qui se passe autour d'eux. Oui, en effet, que faire d'autre?

J'ai été très touchée par la dernière vidéo de Slobodan, son briefing pour l'Antipresse. Il connaissait personnellement Daria Douguine et exprime le désarroi touchant d'un homme cultivé, fin et normal devant le déchaînement de calomnies, de plaisanteries ignobles, de poisseuses réjouissances de tricoteuses qui ont accueilli en occident ce vil assassinat. Il est toujours difficile et déroutant de voir ses semblables devenir pareils à ces insectes que dévorent de l'intérieur des parasites: un sac de peau grouillant de démons au point de ne plus avoir figure humaine, mais ces mufles grotesques et atroces qu'on voit aux personnages prêts à crucifier le Christ, sur les tableaux de la Renaissance. Je regarde le coeur serré le visage en plastique de celle qui a tué Daria Douguine. Nul doute qu'elle aurait pourtant moins manqué à l'humanité que cette jeune intellectuelle idéaliste et brillante. 

 


  

2 commentaires:

  1. Rien à ajouter à ce beau texte, sinon qu'il faudra peut-être se résoudre à rouvrir la chasse au "rhinocéros", tant le pachyderme pullule et saccage la nature.
    Oui, Slobodan, une valeur humaine précieuse...

    RépondreSupprimer