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samedi 6 août 2022

Toska

 


Un correspondant russe a fait des réflexions sur la notion de "toska", tristesse, tristesse russe, qui tient de la nostalgie, d'une espèce de soif de l'absolu, de l'impossible, une notion complémentaire de celle de "l'âme russe" dont les jeunes gens libéraux contestent l'existence, parce que leur âme, ils l'ont perdue ou que leurs parents ne l'ont pas cultivée, alors elle a dépéri. 

J'ai pensé qu'en fait, c'était cette tristesse particulière qui m'avait rapprochée de ce pays, qui m'avait fait le reconnaître et l'aimer, car je suis née avec, et elle m'a toujours poursuivie, bien qu'à l'instar des Russes, j'ai toujours apprécié la gaité et le rire, mais cette nostalgie, c'est le fond de ma nature. Enfant, j'aimais les chants tristes, les paysages mélancoliques, j'y trouvais une douceur qui s'étalait comme la mer, pour rejoindre les nuages, une sorte d'état contemplatif ému qui attendait de la vie plus qu'elle ne pouvait apparemment donner, et dont se contentaient les autres: Sibélius! C'est pourquoi le père Valentin prétend qu'en dépit de mon origine méridionale, j'ai l'âme boréale.

Le folkloriste Alexandre Joukovski considère que la meilleure illustration de ce sentiment est la chanson qu'interprètent Skountsev et son ensemble dans cette vidéo, et ceci alors que le contenu n'est pas particulièrement triste:



De mon côté, je la trouve également en concentré dans cette chanson magnifiquement interprétée par Alexandre Matochkine, grand spécialiste de la chose:



Un autre correspondant sur VK, l'écrivain Serge Rivron, décrit assez exactement l'état d'esprit qui a contribué à me faire partir:

Il m'est pénible de constater jour après jour depuis une vingtaine d'années au moins, que je fais partie du camp géopolitique des agresseurs et du camp idéologique des dingues.
Il m'est encore plus pénible de constater que de le reconnaître me met face à un vertige d'impuissance absolue.
Comment arrêter l'énorme machine de guerre dont la plupart de mes concitoyens sont dupes et dont ils seront, et moi avec, très prochainement victimes ?
Que faire quand on fait partie du camp de ceux que toute l'histoire condamne, a toujours condamnés et condamnera une fois encore - si les dingues du camp auquel j'appartiens malgré moi, la laissent advenir ?
Que faire pour se mettre en travers de la folie des hommes ? Le peut-on ?
Juste se contenter d'avertir, essayer d'éclairer le chemin avec sa toute petite lumière, pour quelques-uns et de la tenir éclairée aussi pour soi, le plus longtemps possible.
(merci à Antipresse de me sentir chaque dimanche quelques instants moins seul. Le n° 348 est à lire toutes affaires cessantes)
J'ai rencontré au café une dame française et son mari russe, soit Frédérique et Ioura, de passage à Pereslavl. Ils habitent dans la région ouest de Moscou, l'endroit le plus chic et le plus cher, mais ils ont acheté il y a des années quand c'était très abordable. Elle a travaillé à l'ambassade, avant mon arrivée au lycée, et elle n'est pas repartie. Elle partage ma vue des choses, et celle de Serge Rivron. Je conseille d'ailleurs autant que lui la lecture de ce numéro de l'Antipresse et de tous les autres.
Ghislain et Olga sont arrivés à Pereslavl, et voulaient me présenter un couple d'amis russes, Vladimir et Svetlana. Vladimir avait vu ue émission sur moi, je ne sais plus laquelle, et son enthousiasme pour la France est tel qu'il ne comprend pas comment j'ai pu échanger ce paradis contre la Russie. Leur voyage date de trois ans, il s'en est passé des choses, en trois ans, mais déjà il y a trois ans, on pouvait dire que le paradis était déjà la proie de toutes sortes de vers infernaux. Autrement, oui, la France est un pays magnifique, avec des paysages infiniment variés, de si jolis villages, un art de vivre. Il m'a longuement parlé de Napoléon, pour qui il a une admiration totale, que puis-je dire, quand je suis moi-même fascinée par Ivan le Terrible, moi c'est Ivan le Terrible, lui, c'est Napoléon. Napoléon avait certes une forte personnalité, et il a eu le mérite de mettre un terme à la Terreur, et de rétablir l'ordre en France, c'est ce que certains Russes disent de Staline, d'ailleurs. D'après Jacques Bainville, s'il s'est lancé dans toutes ces conquêtes fatales, c'est qu'il était l'otage de la révolution et de son idéologie internationaliste, il fallait imposer la liberté, l'égalité et la fraternité à la terre entière, et deux cents ans plus tard, on continue, dans le même esprit, à emmerder toute la planète. C'est pourquoi j'ai horreur des idéologies, et que Napoléon n'est pas trop ma tasse de thé, mais les Russes l'adorent.
A un moment, je lui ai dit que si les Russes arrêtaient de massacrer leur patrimoine, peut-être qu'ils auraient un pays aussi pittoresque que le nôtre, et il a répondu qu'il fallait déjà avoir un certain âge pour apprécier les choses anciennes, mais moi, j'allais avec maman visiter châteaux et églises, vieux villages et boutiques d'antiquaires, je suis tombée dans la marmite quand j'étais petite et que les contemporains de Vladimir, joyeux pionniers et komsomols, s'extasiaient sur le béton et applaudissaient aux destructions des vestiges bourgeois ténébreux de l'époque prérévolutionnaire. Néanmoins, quand je suis venue travailler à Moscou, puis quand je suis revenue m'installer à Pereslavl, ce n'était en effet pas pour la beauté des sites, si souvent saccagés par des fonctionnaires barbares: au delà des idéologies respectives, le communisme, le capitalisme, et aujourd'hui, le cocopitalisme, c'est la modernité qui produit de la laideur en barres, c'est la domestication et le dressage auquel on soumet depuis cent ou deux cents ans des populations qui ne savent plus où elles en sont, s'abêtissent et s'enlaidissent, tout en étant persuadées d'être bien plus évoluées que leurs ancêtres. Malheureusement, si la France a été mieux préservée que la Russie, c'est en train de changer; et de façon faux-cul et sournoise: ainsi de mauvais esprits font remarquer qu'à l'endroit précis où des milliers d'hectares brûlent en Gironde, on projetait justement une "ferme" solaire qui exigeait l'abattage d'une énorme surface de forêt, on peut dire que le hasard fait bien les choses, pour le salut de notre écologie, dont tous ces gens de la caste ont évidemment le souci sincère. Et de l'écologie, et de notre bien.
Vladimir discerne tout cela, et au niveau mondial, et observe le remplacement de population en Europe, qu'il trouve incontestable, mais il pense qu'il se produit la même chose en Russie. J'ai l'impression que c'est ici moins organisé, les Russes ont avec les populations d'Asie centrale et du Caucase une longue histoire commune, faite d'invasions mutuelles, d'échanges, je dirais plutôt que se constitue ou se reconstitue un ensemble eurasien.
D'après lui et sa femme, le vaccin spoutnik V a eu les mêmes effets secondaires qu'en occident, et Olga pense que si son mari Oleg est mort subitement, c'est à la suite de son injection. Dany a entendu dire à la télé russe que la dernière vague de covid, celle dont nous avons souffert l'une et l'autre, était un cadeau des USA. Nous y avions pensé. Et Slobodan aussi.
Il a fait une journée torride, 33 degrés; j'ai perdu l'habitude de la chaleur, et vers le soir, j'ai vu dans le ciel ce nuage, pareil à un chat couché. Il a même devant lui une petite balle qui le nargue. 

Mon jardin a soif, ce qui lui arrive rarement, mais je n'ai pas d'installation d'arrosage.
Nounours vient bouffer, se faire caresser, mais je n'arrive toujours pas à le coincer. Cette fois, il a réussi à passer sous la planche que nous avons fixée au portail, avec la voisine Olga. 

2 commentaires:

  1. Oui nous sommes dingues, nous sommes les forces du mal. Mais nous le sommes depuis très longtemps. Civilisation hallucinatoire (Guénon) et galaxie Gutenberg post puis antichrétienne au service comme à Rome de la Bête mondialiste.

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    1. Oui, Nicolas, mais enfin cela s'est brutalement accentué, dans mon enfance, il y avait encore des gens normaux, mais j'avais déjà l'impression que c'étaient les derniers. Vous avez raison de comparer notre civilisation à Rome, mon père spirituel voit dans le début de différence entre christianisme oriental et christianisme occidental celle qui existait entre les Grecs et les Romains de l'époque païenne. La "Renaissance" a été surtout un retour au paganisme romain, un paganisme dévitalisé, assorti d'un oubli du message évangélique au profit de celui de l'ancien Testament, sous l'influence des protestants.

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