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vendredi 19 janvier 2024

Bénédiction des eaux

 


Hier, veille de la Théophanie, fête pour moi très importante, je me suis laissée inviter à un repas entre copines, c'est-à-dire que moi, je n'étais vraiment copine avec personne, sauf Katia, ce sont toutes des jeunes femmes de Moscou récemment implantées ici. Du coup, j'ai loupé les vigiles. Il y avait une tempête de neige. J'ai dû aller au restau, à l'autre bout de la ville, en taxi. Cela se passait en face du musée, dont on voyait le portail sculpté du XVII¨siècle, blême dans la tourmente, avec une enseigne lumineuse nouvellement installée. Pour arriver au restaurant qui fait partie d'un hôtel, il fallait tituber dans les congères scintillantes, et la pénombre. La salle fait très repaire de moscovites, papier peint anglais à fleurs, lumières tamisées, et sans doute à cause du temps, nous étions les seules clientes. Et c'est cher. Je veux dire que je préfère aller dans des endroits plus modestes où l'on mange aussi bien, et la veille de la Théophanie, j'aurais même préféré rester chez moi. 

Le lendemain, j'ai dû déneiger avant de pouvoir reprendre la voiture, et je suis arrivée à la liturgie en retard, furieuse contre moi-même, mais je sentais malgré tout la douceur de la Théophanie, et je dois dire que souvent, il me tombe dessus à cette occasion, toutes sortes de tentations. C'est l'anniversaire de mon entrée dans l'orthodoxie. Cinquante-cinq ans.

Je suis arrivée à la confession, je raconte tout cela au père Andreï: "Oh mais n'en faites pas toute une histoire, cela nous arrive à tous, allez communier, bien sûr!"

En approchant du calice, je pensais au père Grégoire, au père Serge, au père Barsanuphe, à la mère Marcadé, à la jeune fille que j'étais alors, il y a cinquante-cinq ans. Je demandais l'intercession de ces pieuses et saintes personnes qui m'avaient mise sur la voie qui m'a menée ici aujourd'hui. Qui pouvait penser alors que je finirais en Russie?

Nous sommes tous passés ensuite à l'église voisine pour la bénédiction des eaux, par un temps clair, avec une belle neige propre, et les prêtres se faisaient, comme d'habitude, une joie de nous asperger. Mon âme baignait dans cette douceur, cette lumière, cette bienveillance.

Pour la première fois depuis des mois, j'ai entendu un oiseau chanter, ce matin, et le soleil a déjà un tout autre éclat, il chauffe un peu. Les oiseaux sont peu nombreux, j'ai peur que le gel n'en ait tué pas mal, malgré l'aide que je leur apporte. Je me suis rendu compte que les gens qui ont commencé à massacrer l'isba de l'oncle Kolia ont aussi achevé son magnifique bouleau, que le voisin avait déjà cassé en deux. A mon avis, ils doivent raffoler de la radio à tue-tête.

Quelque chose change, à Pereslavl. Le nouveau maire, appuyé par le gouverneur, a lancé un programme de rénovation de ce qui n'a pas encore été détruit, après avoir pris conseil des bénévoles du mouvement "Tom Sawyer Feast". J'ai moi-même reçu une série de questions à propos de la ville et de ce que j'en pensais. Je crois que cela va devenir plus pimpant et plus confortable, et, après la transformation de cette ville russe en favella de plastique avec châteaux américains et palais arméniens, on en fera      un lieu de villégiature moscovite chic et cher, avec des éléments pittoresques sauvegardés et peut-être un retour à une architecture plus couleur locale.

Le maire a créé une patinoire sur la place, devant la mairie. Il fait réparer certaines rues parmi les plus défoncées. En revanche, je redoute qu'on ne construise à tour de bras les bords du lac...

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