Aujourd’hui, j’ai senti que l’hiver se tournait vers le printemps, à la qualité de la lumière, à la couleur du ciel. Autrement, il fait toujours assez froid, mais juste ce qu’il faut pour avoir une belle neige propre et sèche et ne pas trop déraper. Katia a eu la même impression que moi. Elle est passée me voir avec sa mère. J’avais heureusement de quoi les nourrir, car j’avais assisté à l’office funèbre puis au repas de commémoration de la mère de notre vendeuse de cierges Natacha, que je trouve très chaleureuse et très marrante. La défunte, sur les photos, me paraissait avoir quatre-vingt-dix ans, mais non, elle en avait quatre-vingt-quatre, soit douze de plus que moi, eh oui. Elle était communiste, et d’après ce qu’on en disait, très autoritaire mais très bonne et elle s'est quand même confessée et a communié . Sa fille lui a dit, au moment où elle déclinait : « Mais tu voulais vivre jusqu’à cent ans..
- Eh bien je n’y suis pas arrivée... »
Je regardais cette frêle poupée dans le cercueil, on
sentait vraiment qu’il n’y avait plus personne dedans. Cela m’a tout à coup
rappelé les enveloppes de cigales que je trouvais autrefois, après leur mutation,
brunes et vides.
Le repas était très chaleureux, assez gai. Il y avait la
famille, quelques paroissiens, dont moi, le père Alexeï, notre recteur, le père
Andreï, et le père Alexeï qui vient d’être ordonné, un jeune homme. Le recteur
a beaucoup plus d’humour qu’il n’en donne l’impression au premier abord.
Je me faisais la réflexion que tout le monde semblait
prendre cette mort très calmement, on évoquait la vieille dame avec amour, on
racontait des anecdotes sur elle, parfois drôles. Chez les Asmus aussi, la mort
semble presque une formalité, alors que chez nous, dans notre famille, elle a
toujours été si tragique, si scandaleuse, nous étions tous si inconsolables,
moi la première, et pourtant, je suis croyante. Même la mort de Chocha, je ne l’ai
pas bien vécue.
Pourtant, je me souviens que pour la mort de ma tante Baby, qui fut atroce pour elle et pour les autres, j’avais filé chez le père Barsanuphe, mon père spirituel de l'époque. Il avait été si consolant, que j’étais rentrée apaisée et presque joyeuse, je marchais vers la gare en regardant les étoiles, et rien ne me semblait irrémédiable ni étanche, le cosmos était là, et Baby avait rejoint les nôtres dans quelque repli du temps que Dieu avait prévu à cet effet. Cela s’est produit il y a cinquante deux ans. Baby avait trente quatre ans, j’en avais presque vingt. Au même moment, ma cousine avait déclaré que Dieu n'existait pas, parce que si Baby avait été auprès de Lui, elle se serait débrouillée pour nous le faire savoir.
L'archimandrite Basile Pasquiet fête ses 30 ans de Russie. Je fêterai les miens à l'automne de cette année, avec un intermède de six ans en France, nous étions arrivés au même moment, à plusieurs mois de différence. J'ai fait un départ beaucoup moins sportif et radical que le père Basile, mais je pense aussi que Dieu m'appelait, c'est ce que nos expériences ont en commun, avec la date de notre arrivée, parce que pour le reste, je suis une petite joueuse.
C'est aujourd'hui le 30e anniversaire de mon arrivée en Russie. Dieu m'appelait dans ce grand pays qui m'était totalement inconnu et dont je ne connaissais pas la langue. Seule la foi m'a conduit dans cette grande aventure, cette nouvelle et incroyable odyssée. J'étais comme notre père Abraham qui a entendu la volonté de Dieu.
"L'Éternel dit à Abram : Quitte ton pays, ta génération et la maison de ton père, et va dans le pays que je te montrerai" (Genèse 12:1).Mon but était de devenir un fils de l'Église orthodoxe et d'entrer à l'école des grands moines de la Sainte Russie.
Dieu a décidé de m'envoyer en Russie à un moment critique pour elle. Rien ne m'effrayait, j'étais prêt à tout, la seule chose dont j'avais peur était de ne pas justifier l'appel divin.
Les épreuves étaient nombreuses et parfois difficiles à supporter, mais je sentais la présence du Seigneur et sa grâce. Sa main m'a soutenue et j'ai toujours gardé sur mes lèvres ces paroles de l'Écriture : "Le Christ est ma force, mon Dieu et mon Seigneur". Aujourd'hui, je le remercie pour tout ce qu'il m'a donné. Pour mes maîtres et mes pères, en particulier Monseigneur le Métropolite Barnabé, pour la famille spirituelle qui s'est formée autour de moi au cours de ces 30 années, et pour mes amis fidèles.
Tous ceux qui m'aident, me soutiennent, me supportent, me réconfortent et veillent sur ma santé, je les remercie chaleureusement et je prie pour chacun d'eux, afin que Dieu leur donne en retour sa grâce et sa miséricorde.
Je remercie Dieu pour tout, pour les peines et pour les joies.
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