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lundi 15 janvier 2024

Tradition

 


A trois heures et demie, tout à coup, il fait encore plein jour. C’est la première fois que je réalise vraiment que le processus s’est inversé, que la lumière revient. Quel bonheur.

Invitée par l’institut Philarète, j’ai fait un saut à Moscou. On m’a offert le taxi dans les deux sens et en plus j’ai vendu des livres. Je ne peux pas dire que j’ai tellement bien joué ni chanté, je me suis plantée quelques fois, et pour ce qui est de parler, j’ai parfois bien du mal à transmettre mes idées, j’ai l’élocution embarrassée, je cherche mes mots, je les cherche même en français. Mais les gens sont contents, ils en redemandent, ils me payent le taxi pour venir leur parler et leur chanter quelque chose. Ils m’ont reçue très gentiment, et j’ai vu Quentin le Belge, son ami Ivan, qui est un rapatrié russe récent, et n’a pas du tout une tête de Belge, il est vraiment russe à jouer dans une adaptation d’un roman de Dostoievski. Et puis Alexandre et Anna Messerer, les peintres. J’ai rencontré une dame charmante qui parlait très bien français. J’ai fait des mondanités.

On m’a demandé de raconter comment j’avais découvert la Russie, l’orthodoxie, pourquoi j’avais aimé l’une et l’autre, enfin en somme, de raconter ma vie. Et puis, quels sont les traits de la Russie éternelle qui subsistent de nos jours, et comment régénerer la Russie, retrouver ses sources, quelle projection dans l’avenir, etc... J’ai répondu comme j’ai pu, n’étant pas politologue, c’est-à-dire que j’ai résumé ce que je dis dans mon blog depuis sept ans. Je m’inscris dans un programme de témoignages d’étrangers venus vivre ici, tout cela est filmé et archivé.

L’institut Philarète a été fondé par le père Gueorgui Kotchetkov qui cherche à promouvoir l’usage du russe, à la place du slavon d’église, pour les liturgies. Cela n’est pas  très bien perçu, à commencer par mon père Valentin. J’en ai parlé avec mon amie Liouba, car à priori, je ne suis pas contre l’usage du russe, en tous cas, je suis pour que ce soit permis, or c’est ce qu’a fait le patriarche. On peut célébrer en russe, on peut aussi célébrer avec tous les usages des vieux-croyants, le spectre est large. Liouba préfère le slavon, qu’elle trouve plus noble et plus subtil, mais me dit-elle : « Au début de ma vie spirituelle, j’allais chez le père Gueorgui, parce que je comprenais tout. Et comme je ne savais rien, j’avais besoin de comprendre.

- Beaucoup de Russes, et aussi le vieux-croyant Skountsev, me disent que l’on ne comprend pas seulement par les mots, et puis qu’on peut faire l’effort d’apprendre un minimum de slavon. Quand je suis devenue moi-même orthodoxe, je ne comprenais pas grand chose, et effectivement, l’essentiel m’a été accessible au delà des mots, ce fut le cas de bien des Français convertis par le père Barsanuphe qui, eux, ne comprenaient absolument rien, et lisaient tout en traduction. Dans mon cas, j’ai été sensible aux icônes en premier lieu, les icônes sont, dit-on, de la théologie silencieuse, de la théologie en image. Et puis à la cohérence des rites, de la musique et de l’iconographie. Mais quand j’ai commencé à aller à Solan, j’ai vraiment apprécié de tout comprendre. Le père Barsanuphe se cramponnait au slavon, et dans son monastère auvergnat, ses quatre moniales célébraient en slavon, on se serait demandé pour qui, si n’étaient montés de Clermont-Ferrand des Serbes et quelques Géorgiens. Il me disait que les traductions étaient mauvaises. Le slavon et le russe sont naturellement moins éloignés, c’est un peu comme si nous célébrions en vieux français. Mais quand même, à Solan, je m’étais rendu compte que les offices étaient extrêmement pédagogiques, la dimension mystérieuse, c’est justement le rite et les icônes, mais les paroles ont leur importance, puisque le chant byzantin doit porter le texte avant tout.

- Tu comprends, en effet, les gens peuvent apprendre le slavon, mais ils ne le font pas forcément, et parfois, ils essaient mais n’y arrivent pas. Il ne faut pas leur compliquer trop les choses. Je trouve bien qu’on nous laisse le choix. »

Le père Valentin lui-même n’est pas d’ailleurs fondamentalement contre l’usage du russe, mais contre toutes les innovations qui accompagnent possiblement son adoption, et c’est aussi mon avis. A Solan, tout est en français, mais tout est canonique, c’est le mont Athos en français. Le slavon relie la Russie actuelle et la Russie ancienne, et c’est aussi une langue commune à tous les slaves orthodoxes. C’est un élément qui complique la question. On n'a pas envie de briser ce lien liturgique avec le passé et avec des peuples frères.

La communauté que j’ai vue a une chapelle dans son institut, tout est fait avec beaucoup de simplicité et de goût, mais l’iconostase est symbolique, une structure en métal, sans icônes, il n’y a que très peu d’icônes, d’ailleurs. Or l’iconostase sépare mais elle relie, aussi, que deviennent la Déisis, les icônes des douze Fêtes? Et puis, il y a des moments où Dieu s’efface de notre vie et des moments où Il se révèle, le fait de fermer ou d'ouvrir les portes, de laisser voir ou de cacher le sanctuaire selon les moments de l'office me paraît avoir tout son sens. Paraît-il que les premiers chrétiens n’avaient pas d’iconostase, mais je me méfie des usages perdus que l’on récupère, nous ne savons pas vraiment comment tout cela se pratiquait à l’époque, nous avons un tout organique qui s’appelle l’Eglise, avec sa Tradition, c’est une construction millénaire qui a sa cohérence. Les premiers chrétiens, jusqu’à l’apparition du Suaire, représentaient aussi le Christ comme un éphèbe grec imberbe... Bernard Frinking avait découvert que les Evangiles étaient chantés et que les gens les savaient par coeur, et je suis persuadée qu’il avait raison, les gens apprenaient tout par coeur à l’époque, et ils chantaient pratiquement tout, l’Evangile d’autant plus. Cependant, je n’ai jamais été très convaincue par la reconstitution qu’il faisait de tout cela. Justement parce que c’était une reconstitution. Ce qui est transmis est parfois modifié mais vivant, ce qui est reconstitué pas forcément. 

J'ai entendu parler d'un film, que je n'ai pas encore vu, mais j'ai compris qu'il était dans le genre progressiste et critique, cela s'appelle "les passions selon Matthieu", et si j'ai bien compris, c'est l'histoire d'un séminariste que son entourage pousse à se marier pour pouvoir être ordonné prêtre, et ensuite il rencontre une jeune femme qui est à l'opposé de tout ce qu'il est et croit, mais il en tombe amoureux. Un jeune séminariste, au visage particulièrement sympathique et lumineux, commentait ce film en disant qu'il n'avait pas aimé la façon caricaturale dont on représentait les prêtres, et ensuite, j'ai vu un débat entre un prêtre, sa femme, et le metteur en scène, qui se disait orthodoxe, mais affirmait qu'il fallait sortir l'Eglise de sa bulle, lui reprochant d'être hors du monde et loin des besoins de la jeunesse, car enfin, la plupart des gens qui se marient de nos jours savent qu'en cas de mésentente, ils pourront toujours divorcer, et les prêtres ne le peuvent pas, ne peuvent pas se remarier. Et puis il fallait dissocier l'Eglise de tout le fatras russe, y laisser entrer le jazz etc... Je l'écoutais et voyais une magnifique taupe forer ses tunnels dans le sol de l'orthodoxie pour y répandre absolument n'importe quoi. Déjà, depuis la mienne, de jeunesse, je me méfie de ceux qui la flattent et veulent tout lui faciliter, c'est comme cela qu'on a élevé chez nous tant de moules et de nouilles. Si un prêtre se marie avec l'idée qu'il peut éventuellement refaire sa vie, il n'y a plus d'engagement ni d'exemple donné aux fidèles. Bien que naturellement, je compatisse beaucoup aux difficultés des gens mal mariés, ou des prêtres que leur femme laisse tomber, et cela arrive malheureusement. Mais glisser dans la conscience des gens que tout cela est bien trop difficile, et que l'Eglise pourrait leur faciliter la vie, et puis leur permettre aussi de rendre tout cela plus jazzy, tout en égratignant au passage la culture russe qui n'a vraiment pas besoin de cela, j'ai trouvé cela un peu too much... J'ai exprimé mon avis dans les commentaires, j'ai dit que j'étais Française, que j'avais choisi l'orthodoxie justement parce qu'elle était hors du monde, de ce monde, et que je n'avais nulle envie de voir arriver dans l'Eglise toute la vulgarité et la bêtise que je ne savais plus où fuir. J'ai ajouté que j'avais vu le résultat de la permissivité que l'on prônait là, où cela nous avait conduits. Pour l'instant, je n'ai eu aucune réponse de personne!

 Un ami perplexe m'envoie des messages d'un Français de la haute qui sont à la fois stupides et dingues, à un point terrifiant. C’est le genre de choses que je lisais chez les Ukrainiens au moment du Maïdan. On a l’impression d’avoir affaire à des fous, des possédés, qui délirent de haine dans une fantasmagorie qui les dévore, comme les damnés les flammes de l’enfer. Ceux-là sont vraiment prêts à griller des enfants à la broche, pourvu qu’ils soient des « barbares » ! Et eux, aveugles volontaires, déchaînés et bornés, on les caractérise comment ? Ils ne voient rien et n’entendent rien, derrière la tonitruante sarabande de leurs démons, et j’imagine que cela puisse se poursuivre dans l’au delà, que dans les siècles des siècles, ils continueront à éructer sur les Russes, alors qu’ils ont si bien su perdre leur pays tout seul et l’ont déjà livré à des invasions dont il ne se remettra jamais. Que pensent-ils que Poutine ferait de la France? Gérer un pays comme la Russie est déjà bien assez compliqué, mais des hallucinés, envahis par toute l'Afrique, contrôlés par l'Amérique, son UE et son état profond, et contents de l'être, se préoccupent d'une fantasmatique conquête russe... Cela me fait penser à certaines féministes, horrifiées par l'idée du viol quand il est commis par un blanc, mais tout-à-fait disposées à l'excuser dès lors qu'il est infligé par un ou même plusieurs agresseurs exotiques.

Pour remettre les pendules à l'heure: https://www.youtube.com/live/R4HRWQPV6BU?si=fFjttrqsDixrp0FM



 

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