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samedi 7 octobre 2017

Anniversaire

Cela fait un an que je suis arrivée ici de nuit sous la pluie battante, dans une maison sans électricité, sans chauffage, sans eau et sans meubles. J'ai laissé beaucoup de plumes dans l'aventure, et perdu mon petit chien. Je me demande encore si sa mort n'est pas due aux circonstances: j'avais changé de pays, j'avais des préoccupations et des soucis, j'ai sans douté été moins attentive, et lors des premiers signaux inquiétants, j'ai remis la visite au vétérinaire à mon voyage en France. Il me manque toujours, ses photos sont pour moi un crève-coeur.
Mis à part le petit chien, je commence néanmoins à ne plus douter du bien-fondé de mon départ. J'aimais Cavillargues et le monastère de Solan, mais je menais une vie de vieille, je me sentais expulsée de la société, déjà sur la rampe de lancement pour l'au-delà. Ici, je retrouve une existence active, et une utilité sociale. Je suis au coeur de ce qui m'intéresse, la sainte Russie et ses différentes expressions. Ma vision des choses est irritante pour une partie des Russes, mais encourageante et précieuse pour les autres, je dirais ceux qui sont les plus russes des Russes...
On m'a envoyé une vidéo qui prétendait que les Russes étaient le peuple le plus ancien de la terre, et je ne me risquerais pas à reprendre cette thèse, mais je pense que c'est un des peuples d'Europe le plus proche de notre origine commune, raison pour laquelle quelque chose de très profond, de très essentiel vibre au fond de moi au spectacle de son architecture ancienne, de ses vêtements, objets et meubles traditionnels, à l'écoute de ses chants envoûtants, de sa musique, de sa langue. Quelque chose dont j'avais passionnément besoin depuis mon enfance, quelque chose qui me manquait, une dimension féerique, épique, tragique, mystique...
Malgré les ravages de la modernité, je sens que tout cela n'est pas loin, que tout cela survit, et se manifeste à travers une résistance anarchique et la plupart du temps inconsciente, passive, mais puissante.
Ce que je ne sens pas et n'ai jamais senti en France, malheureusement.
Le concert des joueurs de gousli est remis à mon retour de France, c'est-à-dire fin novembre. Pour avoir le temps de tout préparer, de faire de la publicité, de coller partout des affiches.
La vieille tsigane Rosa me demande ce matin: "Il ne se repose jamais, le pâtissier? Il travaille tout le temps, il ne prend jamais de jour de repos!
- Souvent, en France, les gens comme lui travaillent énormément. Ils n'ont pas le choix, s'ils veulent survivre, et ils aiment leur métier..."
Rosa me regarde avec perplexité: "Oui mais ici, c'est la Russie!"
Sa copine Natacha m'a demandé de remercier Didier pour des viennoiseries périmées qu'il lui a permis de prendre: "Dis lui: que Dieu le garde..."
Je traduis à Didier. "Réponds-lui que Dieu et moi, on n'est pas copains.
- Natacha, c'est un mécréant, il n'est pas copain avec Dieu.
- Ce n'est pas bien! Il est comme mon père, on ne sait pas pourquoi, il ne voulait pas en entendre parler! Comment vivre sans Dieu, moi j'ai toutes mes icônes, et je les astique pour la Pâques!
- Beaucoup de Français sont mécréants!"
Elle secoue la tête en riant: "Ce n'est pas bien!"
Les deux tsiganes sont très spontanées, certainement rusées, mais chaleureuses et un peu sauvages, au sens de pas domestiquées, ce qui n'est pas pour me déplaire, et je pense souvent à mon beau-père paysan, qui  pour cette raison, aimait bien leurs semblables.
Didier s'est lancé dans la fabrication de chocolats. Le chocolat au beurre salé est une merveille invraisemblable. Le chocolat au Cointreau, celui à la pâte d'amande maison, une tuerie!!! Je déguste les créations, recueille les déchets délicieux qui échouent sur le marbre. Je ne prends vraiment pas le chemin d'une vieillesse ascétique...
Nous glissons dans la mauvaise saison, trop de pluie à mon goût, une pluie froide qui transperce. Et parfois, le miracle d'un rayon de soleil qui fait flamber les feuillages, les coupoles, les fenêtres et lustre les façades de vieil or. La lune apparaît ronde et blanche dans le ciel mauve du matin, parmi de grands nuages brisés, puis tout se bouche à nouveau, une grisaille pesante qui fait attendre la neige.






jeudi 5 octobre 2017

Visite d'un lecteur

Après un échange de correspondance, j'ai reçu Nicolas, qui a l'intention de s'installer en Russie.
Sa visite à Pereslavl a été précédée d'une visite dans le Don, où il a rencontré un monsieur qui fabrique du fromage français et emploie des cas sociaux. Son exploitation est au milieu de la steppe. J'ai regardé sur Internet, le paysage est étonnant, plus proche de ce que nous connaissons en France, par certains côtés, avec des falaises calcaires et une végétation plus méridionale, des grandes dalles de pierre dévalant jusqu'au fleuve, comme sur les bords de l'Ardèche ou de la Cèze, mais le tout est beaucoup plus vaste, plus grandiose, et plus désert. Cette immensité vierge a quelque chose d'envoûtant, et je songeais aux siècles passés, aux cosaques qui la parcouraient, à ce monde incroyablement beau, coloré et poétique dont cette nature était le théâtre.
L'amateur de fromages francophile a aussitôt proposé à Nicolas de l'employer, ce qui est précieux, car cela signifie le pied à l'étrier, un visa de travail, un logement, un salaire. Néanmoins, divers signaux font un peu peur à Nicolas, l'impression d'être phagocyté, quasiment kidnappé, et cela m'a beaucoup amusée, car cela m'a rappelé certains parents d'élèves riches et fastueux, et surtout, ce qui arrive au héros anglais de mon livre, quand il fait fortuitement la connaissance du tsar Ivan qui se prend d'affection pour lui et le confisque purement et simplement.

Après quelques mois d’aller et retours à la Sloboda sous divers prétextes, Arthur fut convoqué par le tsar, et Fédia le conduisit dans son bureau, où le souverain le fit asseoir près de lui, et après l’avoir considéré avec des yeux pleins d’émotion, et lui avoir pris affectueusement le bras, lui déclara : « Mon cher Artour, j’aimerais beaucoup te garder auprès de nous. Tu pourrais nous rendre de très grands services. Que dirais-tu de quitter ton ambassade, où tu occupes une position subalterne, pour venir à la Sloboda ? Après tout, tu n’es ni marchand ni diplomate, tu es un oiseau libre…
- Souverain, je suis très honoré, je ne sais que dire… »
Il ne le savait pas, en effet. Quitter l’ambassade pour la Sloboda était un pas décisif et risqué, refuser l’offre du tsar pouvait être considéré comme une offense. « Nous pouvons te loger ici, poursuivait ce dernier, en lui caressant la main, pour plus de persuasion, mon cher petit Anglais, tu nous serviras d’interprète et d’interlocuteur…
- Souverain, sans doute conviendrait-il de demander à mon ambassadeur ce qu’il en pense…
- Cela peut se faire, Artour, pour la forme, mais peux-tu imaginer qu’il s’oppose à ma volonté ? »
Arthur jeta un coup d’œil à Fédia qui battit des cils en signe d’assentiment. Refuser était exclu. Arthur accepta, et déménagea le peu qu’il avait dans la maison de bois colorié qui lui fut octroyée au sein de la place forte de l’Opritchnina. Il se retrouva dans la situation de tout un chacun en cet endroit : entièrement dépendant du souverain, qui lui avait même fourni les vêtements russes qu’il enfila avec plaisir, car ils étaient beaux et pratiques et lui permettaient de ne pas se faire trop remarquer dans son nouvel environnement. Le voyant ainsi transformé, Fédia lui déclara qu’il avait déjà meilleure allure mais gardait quand même une tête d’Anglais. « Mais qu’est-ce qu’une tête d’Anglais, Fédia ? lui demanda Arthur.
- Ce n’est pas une tête de Russe, » énonça Fédia, comme une évidence.
Malgré sa tête d’Anglais, Arthur passait inaperçu tant qu’il n’ouvrait pas la bouche, mais l’Opritchnina comptait aussi des Allemands et des Livoniens. Il arpentait la place forte, évitant les  exécutions, dessinait et écrivait beaucoup, et il s’entraînait sur les gousli, tout en considérant qu’il fallait être russe pour s’en servir, lui-même ayant jusqu’alors joué du luth et en jouant encore. Il en fit une démonstration à Fédia qui s’y essaya avec intérêt et déclara qu’il allait montrer cela à oncle Micha.
Varia était pratiquement la seule femme russe, avec le personnel de Fédia, les deux servantes de sa maison, les paysannes sur les marchés, à laquelle Arthur eût accès. Le tsar s’en émouvait : «Est-il possible d’être encore célibataire à vingt-cinq ans, mon cher Artour ?
- C’est que je n’ai pas trouvé, souverain, de demoiselle qui me convint…
- Comment ça, Artour, mais ta famille ne pouvait pas s’en occuper ?
- Eh bien, souverain, je suis orphelin, et j’ai marié avantageusement ma sœur Rosamund, avec notre modeste héritage, mais je suis resté pratiquement sans fortune. Voici pourquoi je suis parti courir le monde…
- Et alors, qu’est-ce que tu fais, maintenant, tu couches avec tes servantes ?
- Non, souverain, non… Je ne couche avec personne… Enfin pour l’instant.
- Mais Artourotchka, cela n’est pas convenable et pas tenable… Tu vas sombrer dans l’adultère et la fornication. J’espère que Fédia ne te laisse pas seul avec sa femme…
- Souverain, je suis un homme d’honneur et jamais je ne me permettrais…
- On dit cela, mais le diable est habile… Selon l’apôtre, « il vaut mieux se marier que de brûler », mais peut-être ne brûles-tu pas, peut-être n’es-tu pas travaillé par ces sortes de choses ? »
Arthur secoua la tête en riant : « Souverain, je m’efforce d’oublier cela dans le travail !
- Quel contrôle de soi ont les Anglais… » déclara le tsar avec respect.
Arthur sentait qu’il rêvait de le marier, et, pour ce faire, de le convertir à l’Orthodoxie, de le lier à lui de toutes les manières. Il songeait à l’avertissement de Fédia : « Ne t’approche pas trop près ! » Et comprenait que le jour même où Fédia lui avait fait prendre pour la première fois le chemin de la Sloboda, son destin avait été scellé. 

J'ai néanmoins conseillé à Nicolas d'accepter son offre, l'expérience promettant d'être humainement très riche, et pouvant lui permettre de pénétrer immédiatement dans le coeur étrange de la Russie, avec la possibilité d'y faire son trou. Cet homme a sûrement des qualités, les Français qu'il a employés reviennent le voir, il semble généreux, mais c'est comme cela, les Russes vous adoptent, ils veulent votre bien, parfois plus que vous-mêmes ou d'une autre façon!
Nous avons visité un peu Pereslavl, remonté la rivière jusqu'à l'église des quarante martyrs de Sébaste et l'embouchure sur le lac. J'ai constaté que les abords avaient été terriblement abîmés. On a construit de grosses maisons hideuses, avec des façades en dalles de plastique imitant la pierre, comment est-il possible de permettre une chose pareille? En réalité, ce que je vois arriver, c'est qu'à part le lac, les églises, les monastères et les sites naturels, il n'y aura bientôt pratiquement plus rien de beau à Pereslavl, tout sera post-soviétisé façon Disneyland, façon nouveau riche ou qui voudrait bien l'être mais ne l'est pas. Tout ce qui avait le charme capricieux et plein de sens de la tradition est remplacé par la banalité prétentieuse. Les artistes-peintres fuient en masse à Romanov-Borisoglebsk, qui n'est pas défigurée, mais se délabre car les fonctionnaires ne voient pas l'utilité d'une restauration ou d'un entretien des vieux bâtiments, ils vont éventuellement s'extasier sur Prague, Paris ou Venise, mais leur propre patrimoine, ils le méprisent souverainement. 
Je suis obligée de choisir les points de vue pour faire des photos, car il y a toujours un monstre pour gâcher l'ensemble. Je me souviens des petites isbas, des palissades à claire-voie et des jardins fleuris au dessus desquels surgissaient des coupoles et des bulbes, maintenant, on ne les voit pratiquement plus, les maisons sont hautes et lourdingues, les palissades en tôle métallique opaques et disgracieuses, un vrai massacre.
Cependant, tout cela étant construit de bric et de broc, on peut garder l'espoir, si l'on conserve l'étincelle des savoir-faire artisanaux, de ressusciter un Pereslavl digne de son beau passé et des ses édifices religieux, l'Eglise étant avec les musées et les cercles ethnographiques le seul refuge de la beauté et de la mémoire.
J'ai été récemment attaquée par des Russes, sur Facebook, qui me reprochaient de ne pas aimer la Russie contemporaine. Mais que pourrais-je aimer, dans la Russie contemporaine? Les gigantesques monstres en béton moscovites qui ont ravagé une des plus belles villes du monde, méthodiquement détruites par ceux qui voulaient en faire, selon les slogans brejniéviens, "une vraie ville communiste", ou plus tard, par la cupidité de richards sans conscience, sans culture et sans goût? Les vêtements hideux dont nous affuble la modernité? Le silence des campagnes où plus personne ne chante? Ou bien le vacarme des radios et des engins à moteur? Les chefs d'oeuvre paysans à l'abandon? La sous-variété vulgaire qui nous casse les oreilles? L'imitation servile de ce que l'Occident a fait de pire?
J'aime la Russie, ce qu'il en reste, ce qu'il faut sauver, ce qu'il faut remettre entre les mains de Dieu, au jour du Jugement, son héritage doré, cette petite flamme poétique, pure et vivace que veillent ceux qui prient et ceux qui chantent, ceux qui perpétuent et conservent pieusement. Qu'elle allume de sa grâce le maximum de coeurs avant que tout ne s'effondre, et peut-être que la Russie accueillera debout le Second Avènement...


J'aime les hortensias russes, souples et gracieux, avec leurs têtes blanches et bouclées, j'en ai planté chez moi.

L'église des quarante martyrs

Sur le lac

Brusque apparition de bulbes dorés

Un point de vue sauvegardé


lundi 2 octobre 2017

De choses et d'autres

Macha m'a demandé de venir remplacer sa prof de français malade et m'implore de donner des cours dans son club. J'ai eu affaire à deux personnes qui me regardaient avec espoir: allais-je poursuivre? Je me sens un peu obligée de le faire, car j'ai compassion de ces amoureux de la France et du français, je vois que leurs cours sont terriblement théoriques, mais cela ne me rapporte pas grand chose et va me prendre du temps, et de la liberté...
De plus, le français, je l'emploie mais les règles de grammaire sont loin, elles me sont devenues consubstantielles, mais je ne les connais plus. Il faudra que je me procure une grammaire, une vraie, une ancienne, pas un machin néopédagogique à l'usage des rétrécis du bulbe contemporains...
Nous avons discuté du concert, qui va avoir lieu, Dima s'en occupe.
Ilya a vu le service d'immigration, on me recevra le 21 novembre, avec tous les documents requis, certificats médicaux, casier judiciaire, et ensuite, il me faudra attendre de quatre à six mois pour avoir le permis de séjour.
L'anniversaire de mon arrivée ici approche, cela fait presque un an que j'ai débarqué de nuit et sous la pluie, avec mon petit chien et mes chats, dans une maison sans chauffage, sans eau ni électricité. Maintenant, je suis au chaud, je me sens presque installée. Mais il faudra encore largement six mois pour avoir un statut de résident. A l'horizon encore plein de démarches et d'aller et venues. Mais bon, il y a de l'espoir.
Didier a reçu sa chambre de congélation, qui n'est pas celle qu'il avait demandée et qui ne produit pas un froid assez fort. Il s'est pris de bec avec l'installateur qui voulait à toutes forces mettre le moteur derrière la chambre, ce qui faisait perdre de la place dans la pièce. Ce matin, Didier me montre le bloc moteur avec un fin sourire: c'est là qu'on voit s'afficher la température et que se trouve l'interrupteur commandant le moteur: "Tu te souviens du cirque qu'ils m'ont fait pour que je les laisse placer le bloc derrière, entre la chambre et le mur?
- Oui...
- Alors explique-moi comment j'aurais eu accès à l'interrupteur? Et puis attends, tu vois là? Il a fait une soudure, il n'a pas protégé la paroi, regarde dans quelle état elle est... Et tu sais ce qu'il m'a répondu? "Du moment que ça marche..." Tu te rends compte?"
Un peu plus tard, une des employées sort du four les croque-monsieurs de notre déjeuner, et il lui enjoint de retourner la plaque avant de les ré enfourner, pour que la cuisson soit bien répartie. La fille tourne la plaque, puis elle la retourne, et enfourne. "Tu as vu? me demande Didier. Elle a tourné une fois et Dieu sait pourquoi, elle a recommencé, qu'est-il arrivé aux croque-monsieurs?
- Ils sont dans la même position qu'avant!
- Ouais, ouais, exact! Eh bien j'ai ça tout le temps!"
Il m'a fait goûter ses chocolats à la noix de coco, et son nouveau macaron au beurre salé. Pas dégueulasse.
Didier est très antireligieux. Comme pas mal de Français il parle "des religions" sans trop savoir de quoi il s'agit ni en quoi elles diffèrent les unes des autres. "Les religions" sont cause de tous les maux de la terre, y compris la guerre de Cent ans. Je préfère ne pas argumenter trop longtemps, ce qui est sans doute lâche, mais en ce moment, une immense lassitude s'empare de moi. Dire à quelqu'un ce qu'il n'est pas prêt à entendre revient à dépenser ses forces en pure perte, ce que le Christ appelait donner ses perles aux cochons. Les gens ont un certain nombre de clichés dans la tête, et si cela fait beaucoup de mal, il est très difficile d'effacer cette programmation. Que Dieu leur vienne en aide et me donne la force de supporter tout ce que j'entends comme bêtises et comme calomnies...

A l'intention de ma tante Mano, des photos de ma maison dans son état actuel...














vendredi 29 septembre 2017

Le fantôme d'Alexandrov

Après les serpents qui, d'après la vieille Rosa,  se répandent à travers la forêtle jour de l'Exaltation de la Sainte Croix, j'ai eu droit au fantôme d'Alexandrov. Une employée de la pâtisserie m'a dit avoir travaillé dans un restaurant à Alexandrov qui était rempli de poltergeists, on y entendait battre un coeur, des souffles qui passaient , des objets qui se déplaçaient, et elle m'a assurée avoir vu un type lumineux et blanc, habillé à la russe, comme avant la révolution. Comme Alexandrov était la résidence du tsar Ivan, j'ai essayé de savoir de quel siècle était la maison, si elle n'aurait pas possiblement appartenu à quelque joyeux opritchnik de sa suite, mais c'est peu vraisemblable, car elle est en bois, et il ne reste pratiquement pas de maisons de cette époque, elles étaient alors toutes dans le kremlin d'Alexandrov ou autour.
Le pâtissier écumait, aujourd'hui, commandes qui n'arrivent pas, apprentis qui prennent des initiatives malheureuses et n'en prennent pas de judicieuses, ne supportent pas d'être remis en place, argumentent et n'écoutent rien. Maxime, avec son gentil regard d'enfant, passait près de moi en me chuchotant: "Oh qu'il est énervé, qu'il est énervé", d'un air épouvanté, et il m'a avoué s'être attribué une bourde commise par les employés pour ne pas irriter davantage le chef à leur égard! En réalité, aller contre le bordel russe est une entreprise extrêmement difficile. Iouri le cosaque est scandalisé qu'on aille chipoter pour une absence, si elle est compensée un autre jour; pour lui comme pour la plupart des Russes, la santé et la famille avant tout, et on peut toujours s'arranger. Didier lui reproche de "materner" les employés qui doivent être responsables et sur lesquels on doit pouvoir compter. Moi, je serais plutôt comme Iouri le cosaque, raison pour laquelle ici, je suis quand même comme un poisson dans l'eau, et des arrangements, j'en ai eus, du temps du lycée français. Comme me disaient les employés russes: "Vous êtes des nôtres"!
En même temps, Didier n'est pas le mauvais cheval, il déteste l'injustice et reconnaît toujours les mérites. Parmi les employés, il y en a une qui cafte et l'autre qui joue au petit chef, cela l'agace considérablement.
Pour ceux qui se lanceraient dans sa mousse au chocolat, je précise qu'il fait fondre le chocolat dans la crème et que pour obtenir de la bonne crème fouettée, il faut la faire refroidir dans le "cul de poule" ou le saladier où l'on va la battre, avec le fouet qui servira à l'opération, mais il ne faut pas non plus la congeler. Si on ne refroidit pas la crème on obtient "de la merde"...
Il faisait un froid de canard, un vent aigre et 8 petits degrés, je suis entrée dans un magasin local où j'ai trouvé un manteau russe très chic, tout à fait mon style, 70% laine, simple et de bon goût. C'était pratiquement le seul.
Rosie se déplace sur ses pattes et elle a monté l'escalier toute seule.

les glaïeuls de la voisine Violetta et le petit cheval porte bonheur de
la fête folklorique

jeudi 28 septembre 2017

Visite au café


Procession à Romanov Borissoglebsk par Olga
Motovilova Komova
J'ai discuté du concert et de stages éventuels avec Macha, qui dirige le club, tout le monde est pour, en plus elle voit l'évêque dans une semaine. Elle me dit qu'il est très sévère, ce qui est possible, car il est jeune et ascétique, mais il semble très aimé, les soeurs du monastère l'ont en grande estime. Mon père Valentin me disait que les saints étaient difficiles à vivre, et quand j'ai traduit des passages de la vie de saint Luc de Crimée, j'ai vu que cet homme fervent et indomptable n'était pas toujours souple! Il considérait la chirurgie et la foi orthodoxe avec la même intransigeance que Didier l'art de la pâtisserie...
Macha, écoutant tout ce que je lui racontais sur le folklore, l'épanouissement personnel que sa pratique apporte et son caractère formateur pour les enfants, me proposait de l'enseigner dans son club. Mais je ne suis pas assez compétente, et ce serait tout de même un comble que le folklore russe fût enseigné par une Française! "Justement, me dit-elle, cela fera honte aux gens que ce soit une Française qui l'enseigne!"
Didier était sur place et aussi Maxime, l'associé de Gilles. Je me suis fait charrier sur ma gourmandise qu'ils encouragent largement.
J'ai rencontré en arrivant le peintre Ilya Komov et sa femme Olga Motovilova Komova. Ils venaient décrocher les tableaux de cette dernière à la galerie locale, pour aller les exposer beaucoup plus au nord, à Kostroma.
J'ai rencontré aussi le monsieur qui fait des fromages, Alexandre. Lui aussi a repéré les caves d'Ivan le Terrible, mais en attendant, il squatte celles d'un monastère. Nous avons bien discuté, car c'est également un slavophile. Il m'a expliqué que toutes les vieilles villes du coin étaient à plus ou moins soixante kilomètres de distance les unes des autres, car c'était la distance que parcourait un cheval dans la journée, et le cavalier faisait étape et changeait de monture. De Moscou à Serguiev Possad, de Serguiev Possad à Pereslavl, de Pereslavl à Rostov, de Rostov à Yaroslavl, plus ou moins soixante kilomètres. Et Alexandrov se trouvait à soixante kilomètres de Moscou, car ils ne prenaient pas le même chemin, donc un des problèmes que je me posais à ce sujet en écrivant mon roman est résolu: le trajet entre Moscou et Alexandrov se faisait en une journée.
J'éprouve une espèce de béatitude à me trouver dans ma maison tiède, le climat russe incite au cocooning, sans doute la raison pour laquelle le palais Romanov, à Moscou, semble si agréable à vivre, si chaleureux, petites pièces voûtées, tentures, tapis, étage de bois clair. Je suis régulièrement fleurie par ma voisine Violetta qui coupe peu à peu ses merveilleux glaïeuls.
Rosie marche un peu. Elle s'est encore échappée dans le jardin, mais elle se laisse mieux faire quand je la porte à l'intérieur. Je pense que cela va s'améliorer peu à peu.

Vue de Yaroslavl par Olga Motovilova Komova

mercredi 27 septembre 2017

La possibilité d'un concert

Rosie est sortie et se déplace sur le terrain, mais à présent, je n'arrive pas à la faire rentrer. Je ne suis pas sûre qu'elle marche vraiment. Et la soulever, il n'en est pas question, même avec une muselière, elle se débat avec trop de vigueur. Bref, je préférerais avoir affaire à un yorkshire...
J'ai donné aujourd'hui un cours de français, c'est-à-dire qu'une petite fille très motivée et très sérieuse est venue m'expliquer qu'elle ne comprenait rien aux cours de son professeur et qu'elle était pourtant la plus douée de la classe. J'ai observé que cette petite fille était très organisée dans son travail, ce que je n'ai jamais été, chapeau. Cela dit, elle avait une quantité énorme d'exercices à faire et absolument pas le niveau de compréhension pour s'en sortir. La prononciation zéro, beaucoup de pain sur la planche. Des tas de choses à revoir en amont et mon heure de cours n'a servi qu'à survoler.
Je suis allée au café français discuter de la possibilité d'un concert, Dima Paramonov, les "gousliari" Romane et Yegor Strelnikov, et puis moi-même avec ma vielle russe, des vers spirituels, des chants populaires russes et aussi français, en ce qui me concerne. Ce qui serait suivi éventuellement de stages d'apprentissage des gousli deux fois par an, au club qui s'est établi au dessus du café.
Personnellement, j'adore Dima Paramonov, sa façon de jouer et de chanter, très authentique, j'aime aussi énormément Romane, moins Yegor Strelnikov, qui pourtant plaira sans doute davantage, aux Russes comme aux Français, justement parce qu'il est beaucoup moins authentique et en rajoute des tonnes.
Quand à moi, je ferai ce que je pourrai en si brillante compagnie! Je suis heureuse de pouvoir participer à la promotion de la merveilleuse culture populaire russe méconnue des Russes eux-mêmes. C'est là la principale raison de ma présence ici. J'espère faire venir aussi Skountsev et tous ceux que je connais dans le genre.



Dmitri Paramonov

Romane


Yegor Strelnikov

mardi 26 septembre 2017

L'increvable Rosie

Pour les fans de Rosie, une bonne nouvelle. Après notre visite à la clinique vétérinaire qui nous a démontré qu'elle n'avait rien de grave, elle s'est levée, et elle est allée dans la cour, où elle se trouve en ce moment. Elle a délivré le colis qu'elle gardait depuis trois jours. De temps en temps elle couine, mais elle s'est redressée et déplacée.
Il me faudra lui prévoir une niche et une chaîne pour les moments où je serai absente et en attendant une clôture.
J'ai remis le chauffage, je suis fière d'y être arrivée toute seule. Il fait un temps frais avec de gros nuages et des rayons de soleil dans les feuillages d'automne, tout ce que j'aime. J'ai déplacé des fleurs et des buissons, mis en place le futur jardin au moins dans les grandes lignes. L'année prochaine, ce devrait être déjà une toute autre histoire. Mais j'aurais besoin d'aide, il y a des choses qui sont au dessus de mes forces.
La voisine a un jardin du genre bien entretenu où tout est compartimenté, le contraire de ce que je fais, car j'essaie de mélanger les fleurs de façon à ce qu'elles se mettent en valeur et que les floraisons se succèdent dans un ensemble naturel et capricieux. Cependant, moi qui n'aimais pas trop les glaïeuls, je louche sur les siens, que je vois, le soir illuminés par la lumière oblique. Ils ont un côté art nouveau, un rose émouvant, je pense qu'elle m'en donnera, mais au printemps, car c'est au printemps qu'on en installe les bulbes. Il manquera à mon bonheur des cosmos, qui poussent ici comme du chiendent.
 J'ai réparti des astilbes et des pivoines de façon à ce qu'elles ne soient plus alignées comme des chiffres dans un tableau excell, mais apparaissent en touffes, mélangées avec des phloxs et des lavataires, plus tard des roses trémières, quand j'en trouverai. J'ai planté aussi une haie de framboisiers entre la voisine et moi, avec une viorne obier et un "irga".

première sortie de Rosie



mon mélange. Au milieu, va pousser un seringat.

la touffe de glaïeuls de la voisine