Cela fait un an que je suis arrivée ici de nuit sous la pluie battante, dans une maison sans électricité, sans chauffage, sans eau et sans meubles. J'ai laissé beaucoup de plumes dans l'aventure, et perdu mon petit chien. Je me demande encore si sa mort n'est pas due aux circonstances: j'avais changé de pays, j'avais des préoccupations et des soucis, j'ai sans douté été moins attentive, et lors des premiers signaux inquiétants, j'ai remis la visite au vétérinaire à mon voyage en France. Il me manque toujours, ses photos sont pour moi un crève-coeur.
Mis à part le petit chien, je commence néanmoins à ne plus douter du bien-fondé de mon départ. J'aimais Cavillargues et le monastère de Solan, mais je menais une vie de vieille, je me sentais expulsée de la société, déjà sur la rampe de lancement pour l'au-delà. Ici, je retrouve une existence active, et une utilité sociale. Je suis au coeur de ce qui m'intéresse, la sainte Russie et ses différentes expressions. Ma vision des choses est irritante pour une partie des Russes, mais encourageante et précieuse pour les autres, je dirais ceux qui sont les plus russes des Russes...
On m'a envoyé une vidéo qui prétendait que les Russes étaient le peuple le plus ancien de la terre, et je ne me risquerais pas à reprendre cette thèse, mais je pense que c'est un des peuples d'Europe le plus proche de notre origine commune, raison pour laquelle quelque chose de très profond, de très essentiel vibre au fond de moi au spectacle de son architecture ancienne, de ses vêtements, objets et meubles traditionnels, à l'écoute de ses chants envoûtants, de sa musique, de sa langue. Quelque chose dont j'avais passionnément besoin depuis mon enfance, quelque chose qui me manquait, une dimension féerique, épique, tragique, mystique...
Malgré les ravages de la modernité, je sens que tout cela n'est pas loin, que tout cela survit, et se manifeste à travers une résistance anarchique et la plupart du temps inconsciente, passive, mais puissante.
Ce que je ne sens pas et n'ai jamais senti en France, malheureusement.
Le concert des joueurs de gousli est remis à mon retour de France, c'est-à-dire fin novembre. Pour avoir le temps de tout préparer, de faire de la publicité, de coller partout des affiches.
La vieille tsigane Rosa me demande ce matin: "Il ne se repose jamais, le pâtissier? Il travaille tout le temps, il ne prend jamais de jour de repos!
- Souvent, en France, les gens comme lui travaillent énormément. Ils n'ont pas le choix, s'ils veulent survivre, et ils aiment leur métier..."
Rosa me regarde avec perplexité: "Oui mais ici, c'est la Russie!"
Sa copine Natacha m'a demandé de remercier Didier pour des viennoiseries périmées qu'il lui a permis de prendre: "Dis lui: que Dieu le garde..."
Je traduis à Didier. "Réponds-lui que Dieu et moi, on n'est pas copains.
- Natacha, c'est un mécréant, il n'est pas copain avec Dieu.
- Ce n'est pas bien! Il est comme mon père, on ne sait pas pourquoi, il ne voulait pas en entendre parler! Comment vivre sans Dieu, moi j'ai toutes mes icônes, et je les astique pour la Pâques!
- Beaucoup de Français sont mécréants!"
Elle secoue la tête en riant: "Ce n'est pas bien!"
Les deux tsiganes sont très spontanées, certainement rusées, mais chaleureuses et un peu sauvages, au sens de pas domestiquées, ce qui n'est pas pour me déplaire, et je pense souvent à mon beau-père paysan, qui pour cette raison, aimait bien leurs semblables.
Didier s'est lancé dans la fabrication de chocolats. Le chocolat au beurre salé est une merveille invraisemblable. Le chocolat au Cointreau, celui à la pâte d'amande maison, une tuerie!!! Je déguste les créations, recueille les déchets délicieux qui échouent sur le marbre. Je ne prends vraiment pas le chemin d'une vieillesse ascétique...
Nous glissons dans la mauvaise saison, trop de pluie à mon goût, une pluie froide qui transperce. Et parfois, le miracle d'un rayon de soleil qui fait flamber les feuillages, les coupoles, les fenêtres et lustre les façades de vieil or. La lune apparaît ronde et blanche dans le ciel mauve du matin, parmi de grands nuages brisés, puis tout se bouche à nouveau, une grisaille pesante qui fait attendre la neige.
Mis à part le petit chien, je commence néanmoins à ne plus douter du bien-fondé de mon départ. J'aimais Cavillargues et le monastère de Solan, mais je menais une vie de vieille, je me sentais expulsée de la société, déjà sur la rampe de lancement pour l'au-delà. Ici, je retrouve une existence active, et une utilité sociale. Je suis au coeur de ce qui m'intéresse, la sainte Russie et ses différentes expressions. Ma vision des choses est irritante pour une partie des Russes, mais encourageante et précieuse pour les autres, je dirais ceux qui sont les plus russes des Russes...
On m'a envoyé une vidéo qui prétendait que les Russes étaient le peuple le plus ancien de la terre, et je ne me risquerais pas à reprendre cette thèse, mais je pense que c'est un des peuples d'Europe le plus proche de notre origine commune, raison pour laquelle quelque chose de très profond, de très essentiel vibre au fond de moi au spectacle de son architecture ancienne, de ses vêtements, objets et meubles traditionnels, à l'écoute de ses chants envoûtants, de sa musique, de sa langue. Quelque chose dont j'avais passionnément besoin depuis mon enfance, quelque chose qui me manquait, une dimension féerique, épique, tragique, mystique...
Malgré les ravages de la modernité, je sens que tout cela n'est pas loin, que tout cela survit, et se manifeste à travers une résistance anarchique et la plupart du temps inconsciente, passive, mais puissante.
Ce que je ne sens pas et n'ai jamais senti en France, malheureusement.
Le concert des joueurs de gousli est remis à mon retour de France, c'est-à-dire fin novembre. Pour avoir le temps de tout préparer, de faire de la publicité, de coller partout des affiches.
La vieille tsigane Rosa me demande ce matin: "Il ne se repose jamais, le pâtissier? Il travaille tout le temps, il ne prend jamais de jour de repos!
- Souvent, en France, les gens comme lui travaillent énormément. Ils n'ont pas le choix, s'ils veulent survivre, et ils aiment leur métier..."
Rosa me regarde avec perplexité: "Oui mais ici, c'est la Russie!"
Sa copine Natacha m'a demandé de remercier Didier pour des viennoiseries périmées qu'il lui a permis de prendre: "Dis lui: que Dieu le garde..."
Je traduis à Didier. "Réponds-lui que Dieu et moi, on n'est pas copains.
- Natacha, c'est un mécréant, il n'est pas copain avec Dieu.
- Ce n'est pas bien! Il est comme mon père, on ne sait pas pourquoi, il ne voulait pas en entendre parler! Comment vivre sans Dieu, moi j'ai toutes mes icônes, et je les astique pour la Pâques!
- Beaucoup de Français sont mécréants!"
Elle secoue la tête en riant: "Ce n'est pas bien!"
Les deux tsiganes sont très spontanées, certainement rusées, mais chaleureuses et un peu sauvages, au sens de pas domestiquées, ce qui n'est pas pour me déplaire, et je pense souvent à mon beau-père paysan, qui pour cette raison, aimait bien leurs semblables.
Didier s'est lancé dans la fabrication de chocolats. Le chocolat au beurre salé est une merveille invraisemblable. Le chocolat au Cointreau, celui à la pâte d'amande maison, une tuerie!!! Je déguste les créations, recueille les déchets délicieux qui échouent sur le marbre. Je ne prends vraiment pas le chemin d'une vieillesse ascétique...
Nous glissons dans la mauvaise saison, trop de pluie à mon goût, une pluie froide qui transperce. Et parfois, le miracle d'un rayon de soleil qui fait flamber les feuillages, les coupoles, les fenêtres et lustre les façades de vieil or. La lune apparaît ronde et blanche dans le ciel mauve du matin, parmi de grands nuages brisés, puis tout se bouche à nouveau, une grisaille pesante qui fait attendre la neige.