Epître du Patriarche Tikhon au Soviet des Commissaires du Peuple 1918
Cette
prophétie du Sauveur nous vous l’adressons, à vous qui bouleversez les destins
de notre patrie, et vous dénommez commissaires « du peuple ». Cela
fait une année entière que vous détenez le pouvoir entre vos mains et vous vous
préparez déjà à fêter l’anniversaire de la révolution d’Octobre. Le sang de nos
frères, abattus sans pitié à votre appel et répandu à flots crie vers le Ciel et
nous oblige à vous proférer la parole amère de la vérité.
En
prenant le pouvoir et en appelant le peuple à vous faire confiance, quelles
sont les promesses que vous lui avez faites et comment les avez-vous
tenues ?
En
vérité, vous lui avez donné des pierres au lieu de pain et un serpent en place
de poisson (Mat.7,9). Au peuple exténué par une guerre sanglante, vous avez promis
de donner une paix « sans annexions ni contributions ».
Quelles conquêtes pouviez-vous refuser, vous qui aviez amené la
Russie à une paix honteuse, dont vous n’avez même pas pu vous décider
vous-mêmes à rendre publiques les conditions humiliantes? Au lieu d’annexions
et de contributions, notre grand pays est conquis, diminué, démembré, et en paiement
du tribut imposé vous exportez secrètement en Allemagne un or que vous n’avez
pas amassé vous-mêmes..
Vous avez dépouillé nos combattants de tout ce pourquoi ils s’étaient
auparavant brillamment battus. Vous leur avez appris, à eux qui étaient encore
récemment braves et invincibles, à déserter la défense de la Patrie, à fuir le
champ de bataille. Vous avez éteint dans les cœurs la conscience inspirante qu’ « il
n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »
(Jean 15, 13). Vous avez échangé la patrie contre une zone internationale sans
âme, bien que vous sachiez parfaitement vous-mêmes que lorsque l’affaire touche
à la défense de la patrie, les prolétaires de tous les pays s’en révèlent les
fils fidèles et non les traîtres.
Refusant de défendre la patrie contre les ennemis extérieurs, vous ne
cessez cependant de recruter des troupes.
Contre qui les conduisez-vous ?
Vous avez divisé tout le peuple en deux pays ennemis et l’avez
précipité dans une guerre fratricide à la cruauté sans précédent. Vous avez
ouvertement échangé l’amour pour le Christ contre la haine et au lieu de la
paix, vous attisez artificiellement la lutte des classes. Et l’on ne voit pas
de fin à la guerre que vous avez engendrée, car vous vous efforcez par les
mains des ouvriers et des paysans russes de faire triompher le fantôme de la
révolution mondiale.
Ce n’était pas à la Russie qu’était nécessaire le traité honteux
que vous avez conclu avec l’ennemi extérieur, mais à vous, qui aviez décidé de
détruire définitivement la paix interne. Personne ne se sent en sécurité ;
tous vivent dans la peur constante d’une perquisition, d’un pillage, d’une
déportation , d’une arrestation, d’une exécution. On se saisit de gens sans
défense par centaines, on les fait pourrir des mois en prison, on les punit de
mort souvent sans aucune enquête ni jugement, sans même un procès sommaire rendu
par vous. On exécute non seulement ceux qui se sont rendus coupables de quelque
chose devant vous mais aussi ceux qui ne sont notoirement coupables de rien,
mais ont été pris seulement en qualité « d’otages », on tue ces
malheureux en représailles de crimes commis par des gens dont non seulement ils
ne partagent pas les idées, mais qui sont bien souvent vos propres partisans ou ceux
qui vous sont proches par les convictions. On exécute des évêques, des prêtres,
des moines et des moniales, qui ne sont coupables de rien sur l'accusation indéterminée de quelque "contre-révolution" vague et indéfinie. L’exécution
inhumaine est aggravée pour les orthodoxes par la privation de leur unique
consolation avant de périr : le viatique des Saints Dons, et les corps des
victimes ne sont pas rendus à leurs proches pour des funérailles chrétiennes.
Tout cela n'est-il pas un summum de cruauté absurde de la part
de ceux qui se font passer pour des bienfaiteurs de l'humanité, se prétendant eux-mêmes
les victimes des autorités cruelles ?
Mais c’est peu pour vous d’avoir rougi les mains du peuple russe
du sang de leurs frères : sous l'alibi de dénominations diverses,
contributions, réquisitions et nationalisations, vous l’avez poussé au pillage
le plus évident et le plus éhonté. A votre
instigation, ont été pillées ou volées des terres, des résidences, des usines,
des fabriques, des maisons, du bétail, on vole de l’argent, des affaires, des
meubles, des vêtements. Au début, sous la dénomination de « bourgeois »,
on a volé les gens aisés, ensuite, sous celle de « koulaks », on s’est
mis à voler aussi les paysans qui s’en sortaient bien et qui travaillaient,
augmentant de la sorte le nombre des miséreux, bien que vous soyez obligés de
reconnaître qu’avec la ruine d’une grande multitude de citoyens particuliers, c’est
la richesse du peuple qui est détruite, et le pays lui-même qui est ruiné.
Séduisant le peuple obscur et ignorant avec la possibilité d’un
gain facile et impuni, vous avez troublé sa conscience, étouffé en lui la
conscience du péché ; mais quels que soient les noms dont vous avez pu
couvrir vos méfaits, le meurtre, la violence, le vol resteront toujours des
péchés et des crimes graves qui crient vers le Ciel.
Vous avez promis la liberté…
C’est un grand bien que la liberté, si on la comprend de manière
juste, comme l’affranchissement du mal, qui n’opprime pas les autres, sans se
transformer en arbitraire et en volonté personnelle sans frein. Mais cette
liberté, vous ne l’avez pas donnée : celle que vous avez donnée consiste
en une indulgence de tout acabit envers les plus bas instincts de la foule, l’impunité
du meurtre, les pillages. Toute manifestation de liberté véritablement citoyenne
comme supérieurement spirituelle est impitoyablement réprimée par vos soins.
Est-ce la liberté quand personne ne peut sans permission se procurer sa
subsistance, louer un appartement, quand des familles, et parfois tous les
habitants d’un immeuble sont exclus de chez eux, et leurs possessions jetées à
la rue, et quand les citoyens sont artificiellement divisés en catégories, dont
certaines sont livrées à la famine et au pillage ?
Est-ce la liberté, quand personne ne peut ouvertement exprimer son
opinion, sans craindre de tomber sous l’accusation de contre révolution ?
Où est la liberté de parole et de presse, ou est celle de prêcher à l’église ?
Beaucoup de prédicateurs audacieux l’ont payée du sang du martyr ; la voix
de la condamnation et de la dénonciation publique et gouvernementale est
étouffée ; la presse, à part celle des bolcheviques, n’a plus du tout la
parole.
La violation de la liberté dans les affaires de la foi est
particulièrement douloureuse et cruelle. Il ne se passe pas de jour sans que
dans les organes de votre presse ne se glissent les calomnies les plus
monstrueuses sur l’Eglise du Christ et ses serviteurs, des sacrilèges haineux,
des profanations. Vous couvrez de sarcasmes les servants d’autel, obligez des
évêques à creuser des tranchées (l’évêque de Tobolsk Hermogène) et envoyez les
prêtres faire de sales travaux. Vous avez mis la main sur l’héritage de l’Eglise,
assemblé par des générations de croyants et n’avez pas hésité à violer leurs
dernières volontés. Vous avez fermé toute une série de monastères et d’églises
domestiques, sans aucun prétexte ni cause à cela. Vous avez limité l’accès au
Kremlin de Moscou, c’est l’héritage sacré de tout le peuple croyant. Vous
violez la forme véritable de la communauté chrétienne, la paroisse, anéantissez
la fraternité et autres institutions ecclésiastiques de charité et d’éducation,
dispersez les réunions épiscopales, vous mêlez de la gestion intérieure de l’Eglise
Orthodoxe. Chassant des écoles les saintes images et défendant d’enseigner la
foi aux enfants, vous les privez de la nourriture spirituelle indispensable à l’éducation
orthodoxe.
«Et que dirai-je encore ? Je n’aurai pas le temps »
(Heb. 11,32) de représenter tous les malheurs qui ont atteint notre Patrie. Je
ne parlerai pas de l’effondrement de la Russie autrefois grande et puissante,
de la totale dégradation des voies de communication, de la destruction sans
précédent de la production, de la faim et du froid, qui nous menacent de mort
dans les villes, de l’absence de tout ce qui est nécessaire à l’économie des
villages. Tout cela est évident aux yeux de tous. Oui, nous traversons l’époque
affreuse de votre domination, et elle mettra longtemps à s’effacer de l’âme du
peuple, obscurcissant en elle l’image de Dieu et imprimant en elle celle de la
bête. Les paroles du prophète se réalisent : «Leurs jambes courent vers le
mal, et ils se hâtent de verser le sang innocent ; leurs pensées sont des
pensées impures ; la désolation et la chute viennent sur leurs traces »
(Isaïe 59,7). Nous savons que nos accusations n’éveilleront en vous que la
haine et la perplexité et que vous chercherez seulement un prétexte pour nous
accuser d’opposition au pouvoir mais plus haute sera la « colonne de votre
haine », mieux elle témoignera de la véracité de nos accusations.
Il n’est pas de notre ressort de juger le pouvoir terrestre,
tout pouvoir donné par Dieu s’attirerait notre bénédiction, s’il s’avérait
vraiment un « serviteur de Dieu » pour le bien de ses sujets et n’était
pas « terrible aux bonnes choses mais aux mauvaises » (Rom.13, 34). Maintenant,
vous, qui utilisez le pouvoir pour persécuter vos prochains, exterminer les
innocents nous vous adressons notre admonestation : fêtez l’anniversaire
de votre prise de pouvoir par la libération des détenus, l’arrêt des effusions
de sang, de la violence, de la ruine, de la persécution de la foi ;
tournez-vous non vers la destruction mais vers l’installation de l’ordre et de
la légalité, donnez au peuple le repos désiré qu’il mérite de cette lutte
fratricide : Autrement, il vous sera demandé compte de tout le sang juste que
vous avez versé (Luc 11,51) et vous périrez vous-même par le glaive que vous
avez tiré (Mat.26,52).
Tikhon, patriarche de Moscou et de toutes les Russie, le 13 (26)
octobre 1918
Tomskiye yeparkhial'nyye vedomosti.-1919. № 13-14; Vestnik
RSKHA- 1968. N 89-90
Traduction Laurence Guillon.
le saint patriarche Tikhon est un des nouveaux martyrs de l'Eglise Orthodoxe Russe. Comme beaucoup de prélats orthodoxes vénérables, comme saint Philippe, métropolite de Moscou, assassiné par Maliouta Skouratov, pour avoir refusé les crimes de l'Opritchnina, il a assumé sa mission jusqu'au bout avec courage, fermeté et foi. En traduisant cette admonestation à des gens pires que les opritchniks parce qu'antichrétiens et antirusses déclarés, je ne peux m'empêcher de voir les parentés avec ce qui s'est passé en France, cette division du peuple en deux qui dure jusqu'à présent et qu'on appelle démocratie, une division qui permet de régner à ce qui est devenu en deux cents ans de révolutions occidentales, russes ou tout ce qu'on voudra, de bains de sang et de désastres culturels et spirituels, une petite caste mafieuse mondialiste richissime absolument dépourvue de conscience qui nous détruit tous et de la même manière: en nous ôtant la mémoire, la conscience et en provoquant d'incessantes guerres intestines.