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vendredi 26 janvier 2018

GIBDD

Je vais hier payer une taxe à la Sberbank pour l'immatriculation de ma voiture, et au moment d'arriver au guichet, mon téléphone se décharge, plus aucun renseignement disponible, il m'a fallu rentrer le recharger puis repartir à la banque.
Il faut dire que j'aurais dû, pour immatriculer la voiture, m'inscrire sur le site internet de la police mais ce site ne reconnaît pas les numéros de passeport étranger, or cela passe uniquement par internet. Tania a obtenu pour moi par téléphone (moi je n'arrivais pas à les joindre) un rendez-vous pour le vendredi soir, soit aujourd'hui.
Revenue à la banque, je paie et reçois la quittance. Puis je vais faire mes courses et voulant m'offrir une écharpe, je m'aperçois que je n'ai plus mon portefeuille, avec mes cartes. La vendeuse consternée prend une part active à mon problème. Je repars chercher dans ma voiture, autour, rien. Curieusement, je n'ai pas tellement paniqué. Il me devenait pourtant impossible d'acheter à manger pour les chats, ni de faire de l'essence, sans parler de tous les emmerdements potentiels. Ma première pensée a été que je n'avais perdu ni mon passeport, ni les papiers de la voiture. J'avais l'impression qu'il ne pouvait m'arriver une chose pareille, et que j'allais le retrouver.
Je suis retournée dans le centre commercial, dans la même boutique, pour savoir si quelqu'un n'avait pas trouvé le portefeuille et la vendeuse m'envoie à l'accueil du supermarché. De loin, je vois la fille de service et le gardien me regarder approcher avec un air plein de sous-entendus: ils avaient mon portefeuille, rapporté par des gamins. J'aurais bine voulu pouvoir les récompenser, j'ai fait une petite prière pour eux.
Puis je suis retournée dans la boutique des écharpes où la vendeuse s'est écriée que c'était un miracle, en se couvrant de signes de croix, en me serrant dans ses bras, et en me faisant un rabais sur l'écharpe. On aurait pu croire que c'était elle qui avait perdu son portefeuille... "Tout de même, me dit-elle, voilà des enfants vraiment bien, quelle honnêteté, comme ils sont bien, nos gamins de Pereslavl!"
Didier m'a déclaré ce matin que j'étais une vraie tête de linotte.
En fin d'après midi, je suis partie pour Petrovskoïé, bourgade sise sur la route de Yaroslavl, un peu avant Rostov. Comme je le prévoyais tout au long de quatre jours de beau temps bien froid, le ciel était couvert, la nuit tombait vite et la neige aussi. J'ai pris un autostoppeur pour me remonter le moral. Il allait à Ivanovskoïe, entre Pereslavl et Petrovskoïe. Question rituelle: "Mais qu'est-ce qui vous a amenée ici?" Les seize ans de lycée français à Moscou, le folklore, les cosaques... Ah alors, tout devient clair et mon bonhomme me parle de la bienveillance des Russes, de leur simplicité, des manoeuvres américaines. C'est un Ukrainien, depuis longtemps ici, sa mère est à Donetsk...
Quand j'arrive à Petrovskoïé, c'est déjà la nuit, une nuit neigeuse. Je prends à droite et m'enfonce dans un paysage sombre et confus, avec des lumières pâles et clairsemées, décomposées par les flocons. Je pense être sur la bonne route, mais quand même, je m'arrête pour demander confirmation dans un magasin. Enfin j'arrive au "GIBDD" et me gare là où cela semble autorisé, la porte d'entrée est de l'autre côté du bâtiment.
J'ai affaire à un inspecteur qui me regarde comme une chose extraordinaire, un peu absurde, un peu déplacée, et me signifie que d'abord, en rédigeant mon assurance, on s'est trompé d'une lettre en transcrivant mes prénoms et qu'il faudra y mettre bon ordre et d'autre part, tout ce parcours du combattant sera à renouveler à mon retour de France, avec mon nouveau visa et mon nouvel enregistrement, puis au moment où j'aurai mon permis de séjour, bref chaque fois que je changerai de statut juridique sur place, il me faudra à nouveau faire immatriculer la voiture, mais quand même, on ne changera pas les numéros. Simplement, je paierai à nouveau la taxe et ferai l'excursion à Petrovskoïé.
Malgré son air rogue, l'inspecteur me pose les plaques, c'est-à-dire qu'il les coince dans leur logement, mais il ne peut les visser, il m'aurait fallu venir avec ma trousse à outils. Il me dit: "Des écrous de six, quatre exemplaires, une clé de dix." Je m'efforce de noter: "Ecrous de quatre, pardon, de six... quatre exemplaires..."
L'inspecteur me tend quatre rondelles: "Les voilà, vos écrous de six, vous n'aurez plus qu'à mettre les vis, bonne chance, ouvrez votre vitre pour faire marche arrière, comme ça vous verrez mieux et vous entendrez le bruit..."
Et je repars dans la nuit noire et tourbillonnante où commencent à se former des congères. Je récupère la grande route, direction Moscou, en face des files de phares, et la neige, l'ombre grouille de flocons, il n'est pas toujours facile de voir où l'on se situe par rapport au bas côté et à la voie d'en face. J'ai une pensée émue pour ma mère, mon oncle Henry et ma tante Mano qui pensait que lorsqu'il y avait de la neige, on ne pouvait plus circuler... Des gens me doublent à grande vitesse en projetant derrière eux de longs rubans zigzagants. Et je circule, je circule, pas question de me mettre en rideau sur le bord de la route!

Sviridov: route d'hiver, extrait de "la tempête de neige"!

jeudi 25 janvier 2018

Ne pas confondre reliques chrétiennes et momies politiques

 Poutine a fait à Valaam des déclarations que, comme d’habitude, les gens interprètent à leur manière, selon qu’ils sont libéraux ou communistes, moi qui ne suis ni l’une ni l’autre, je ne les ressens pas ainsi, et j’ai écouté le passage incriminé, cité par une Russe qui est de mon avis : si le communisme peut être « semblable » au christianisme, et a essayé de se fabriquer des « icônes » et des « reliques », c’est parce qu’il en est la parodie, et la parodie du christianisme, c’est l’antéchrist. Le christianisme social et politique du prêtre ouvrier ou de la théologie de la révolution n’est qu’un épiphénomène de la religion de l’antéchrist qui se manifeste sous diférentes formes. https://www.egaliteetreconciliation.fr/Poutine-L-ideologie-communiste-est-semblable-au-christianisme-49437.html
Pour un chrétien, qui plus est orthodoxe, il n’y a pas trente six solutions : le diable est le singe de Dieu. Tout ce qui est ajouté aux définitions chrétiennes des Pères, que ce soit par un « Prophète » ou par un philosophe laïque, toute interprétation ou adaptation à une situation politique ou sociale données ne vient pas de Dieu, ce qui ne vient pas de Dieu appartient à l’antéchrist.
Le christianisme condamne le mauvais usage des richesses, la richesse n’est oncevable que dans le partage, raison pour laquelle le marchand chrétien russe (généralement vieux croyant) avait pour usage de construire églises,  orphelinats et hospices, seule justification de sa réussite financière aux yeux des chrétiens orthodoxes. De même, un paysan enrichi comme Poliachov faisait vivre toute sa région, organisait des fêtes pour tout le monde, prêtait sans intérêt :
Tandis que le monde médiéval aussi bien occidental que russe connaissait la communauté paysanne et la protection des corporations.
Mais il n’était pas question de spoliation autoritaire des gens, justifiée ou non. Ni de dresser les chrétiens les uns contre les autres au moyen d’une « lutte des classes » qui fut sanglante, atroce, car dans cette logique, dès qu’on a une paire de chaussures devant celui qui a perdu la sienne, on devient le riche de quelqu’un. Dès qu’on justifie la spoliation systématique, dès qu’on présente une classe sociale, une partie vivante de la société, comme l’ennemi à abattre sur le chemin du bonheur terrestre, on obtient les horreurs qu’a vécues la Russie.
C’est bien d’ailleurs à cette promesse du bonheur terrestre qu’on reconnaît immédiatement la fausse monnaie de l’idéologie, à ne pas confondre avec la religion qu’elle parodie et qu’elle exècre. L’idéologie s’est construite à mon avis davantage dans sa haine du christianisme, une haine véritablement satanique, que dans le souci du bonheur du peuple qui fut maltraité de la manière que l’on sait.
Car le diable se fout de notre bonheur, qu’il soit de ce monde ou de l’autre, il utilise ce qu’il trouve pour organiser notre avilissement et notre perdition. Maintenant que le communisme ne peut plus servir, il recourt à autre chose, et même aussi à des reconstructions artificielles, à tout ce qui peut semer la mort, la confusion, le désespoir, nous le voyons tous les jours, sous différents drapeaux qu'agitent les mêmes marionnettistes.
Que le sentiment religieux ait été détourné par les idéologues communistes est naturellement une évidence, substituant l’héroïsme à l’ascétisme, les portraits du réalisme socialiste aux icônes, la momie de Lénine aux reliques des saints incorrompus. En conclure que le communisme et le christianisme c’est la même chose est totalement abusif, et c’est une insulte aux innombrables martyrs de l’Eglise orthodoxe. Parallèlement, on observe parfois aujourd’hui, au sein de l’Eglise, des réflexes issus du communisme chez certains croyants qui confondent l’acquisition du Saint Esprit avec l’obtention de la carte du parti, l’ascétisme et l’héroïsme agressif, se rendant insupportables au chrétien normal et à l’agnostique sincère qui généralement, devant certains comportements, part en courant au lieu de pousser plus loin sa quête.
Qu’une réconciliation soit souhaitable, que beaucoup de communistes soient de braves gens, parfois orthodoxes ou sans hostilité envers l’othodoxie, ou prêts à reconnaître et déplorer les massacres, est un autre débat. Que devant le péril libéral, avatar à mes yeux du péril bolchevique, et plus particulièrement trotskiste, nous soyons amenés à nous unir et à trouver une organisation sociale et politique qui le désamorce est un fait que je ne réfute point. Mais il serait insupportable de sacrifier à cela une vérité qui fâche et recouvre des milliers de morts innocents, insupportable également de compromettre l’Orthodoxie dans l’affaire : les néomartyrs de Russie ont leurs icônes partout, et ces icônes nous regardent. Derrière ces néomartyrs reconnus, combien sont encore ignorés ? Et combien de simples paysans, de petites gens ? Non, trop facile…  Et surtout, dans notre temps de confusion absolue, une confusion spirituellement très néfaste et en correspondance avec les prédictions apocalyptiques, on ne peut laisser mélanger les torchons et les serviettes ni prendre les vessies pour des lanternes. Il faut rester ferme et clair.
Je ne pense pas que la complète main mise de l’Etat sur l’économie et la population d’un pays soit une bonne chose, on en a vu les effets pervers, on ne peut tout confier à des fonctionnaires qui ont généralement sous tous les cieux une sale mentalité et une connerie impitoyable. Le genre qui fait planter du maïs dans le grand nord ou détourner les fleuves au risque de catsatrophes écologiques majeures. Ou importer la berce du Caucase, une peste végétale dont on ne peut plus se débarrasser. Sans parler des aberrations et destructions culturelles.
Cependant, s’il faut choisir entre main mise de l’état et main mise de la mafia des lobbys transnationaux, au moyen de la corruption des fonctionnaires susmentionnés, qui s’entendent souvent très bien avec le grand capital, je pense que c’est l’état qui aura ma préférence, au moins son destin sera-t-il lié, en ce cas, à celui de ses administrés, comme c’était le cas sous la monarchie : plus de pays, plus d’état, plus de chef d’état. Alors qu’à présent, le « chef d’état » occidental n’est que le satrape amovible et déplaçable d’un gouvernement de l’ombre transnational, de puissances financières qui ont tous les pouvoirs et pas de pays, et qui considèrent les peuples comme des troupeaux de bovins à exploiter et à croiser selon leur bon plaisir. Il est certain que l’on supporterait beaucoup pour s’éviter cela. Le totalitarisme en germe nous fera peut-être en effet considérer bientôt Staline comme un gentil papa gâteau, tout est relatif. On peut envisager aujourd’hui de pardonner (sans oublier ni justifier) et de trouver une organisation sociale éventuellement communautaire, et non collectiviste, car il y a une différence entre le collectivisme du poisson de banc ou de la fourmilière et la communauté de personnes humaines. En ce sens, Soljénitsine, vilipendé par des tas de gens qui ne l’ont ni lu ni suivi, avait proposé quelque chose dans ce genre, inspiré par la communauté (mir) paysanne dans « comment reconstruire notre Russie ». La communauté agricole est aussi souvent incluse dans le projet agroécologique, seule issue à la catastrophe où nous précipite le capitalisme depuis deux ou trois siècles. Cependant, une organisation sociale n’est pas forcément le résultat d’une idéologie totalitaire.
Mais commencer à nier ou justifier les crimes, salir les martyrs, niveler les tombes, ça jamais. Confondre la religion du Christ et la parodie sanglante de l’antéchrist, même si elle a pu séduire de braves gens, non, pas possible.
Quand on a voulu installer la momie de Lénine dans son mausolée, une canalisation d’égoût s’est rompue, répandant sa puanteur, et le saint patriarche martyr Tikhon a déclaré à l’époque : « C’est l’onguent qui convient à de telles reliques ». Car ainsi qu’on le sait, les reliques des saints exhalent une odeur divine, une odeur de fleurs, une « odeur de sainteté »…
A ce propos, je voulais sous-titrer une émission très intéressante de la chaîne culturelle russe sur les reliques de saint Alexandre de la Svir, mais sans doute pour des raisons de droit d’auteur, je n’ai pas pu la basculer sur mon ordinateur pour la remettre sur youtube et procéder au sous-titrage. Cette histoire complète à merveille le discours du président et mes réflexions présentes. J’ai vu de mes propres yeux les reliques de saint Alexandre, elles sot impressionnantes. Ce saint très vénéré en Russie est resté incorrompu depuis le moyen âge. Il n’est même pas desséché, les tissus sont souples, ils ont juste foncé avec le temps.
Au moment de la révolution, les bolcheviques ont profané toutes les reliques de la religion détestée, reliques qui ont parfois, par la suite, comme celle de saint Séraphim de Sarov, connu une destinée rocambolesque avant d’être rendues à la vénération des fidèles. Trouvant saint Alexandre dans ce parfait état de conservation, les profanateurs de service ont déclaré au peuple scandalisé par leur action que le saint était en cire, mais l’ont emporté à Moscou pour l’examiner, en vue de la momification du corps de Lénine.
L’examen du corps a prouvé l’authenticité absolue des reliques, mais aucun secret qui pût être utilisé pour conférer artificiellement au cadavre du démoniaque Lénine le statut souhaité : car saint Alexandre était conservé par une sainteté qui manquait absolument à celui dont on voulait substituer le culte aux reliques véritables éprouvées par des siècles de piété populaire. Le corps de saint Alexandre est resté dans un tiroir de l’institut où il a été étudié jusqu’à la perestroïka et a été rendu à l’Eglise, à son monastère d’origine, où j’ai pu le voir.
Visiteur assidu de Valaam, haut lieu orthodoxe, Athos russe, Poutine ne peut ignorer ce genre de détails, mais les libéraux, les staliniens, les gens qui restent au niveau de la politique et veulent prendre leurs désirs pour des réalités et interpréter les choses dans leur sens l’ignorent, ils n’ont pas envie de le savoir. Les moines de Valaam ou de n’importe quel monastère ne peuvent pas dire que le christianisme et le communisme, c’est la même chose, parce que dans la plupart des monastères rendus au culte et réparés par l’Eglise, on vous racontera les mêmes trouvailles de squelettes empilés avec des traces de torture et de balles dans la nuque. On vous montrera généralement la même fosse commune surmontée d’une croix où ces restes sont ensevelis après l’office funèbre auquel ils n’avaient pas eu droit jusqu’alors.
Ce qu’on pourrait dire à la grande rigueur, c’est que le communisme est une hérésie. Une hérésie non spirituelle, antispirituelle, antichrétienne, issue de deux autres hérésies : la dérive du catholicisme romain qui a engendré l’hérésie protestante, laquelle a permis l’émergence du capitalisme, du progressisme, de l’humanisme, des « lumières », toutes choses nous ayant conduits à la veille de réaliser de nos propres mains les prédictions apocalyptiques tant nous nous sommes rendus odieux à la terre et à Celui qui l’a créée et dont la patience finira par trouver ses limites.
En l’état actuel des choses, en tant que chrétienne orthodoxe et personnification assumée de l’âme médiévale restée en moi puissante, je ne vois de salut que dans mon Eglise. C’est sur elle que je compte avant tout en ce monde, quels qu’en soient parfois les défauts humains, les membres peu reluisants, car nous ne demandons pas à tous les gens d’être des saints, comme les communistes leur imposaient d’être tous des héros à la ganache crispée : s’il est parmi nous des brebis galeuse, plus galeuses que d’autres ou mettons que nous, nous les prenons sur nous comme des croix, car dans notre monde chrétien médiéval, nous sommes tous responsables les uns des autres, tous liés, tous unis, c’est pourquoi les chrétiens revenus du goulag pardonnent, alors que les victimes des camps nazis ne pardonnent jamais. Certains n’ont pas la culture du pardon. La culture du pardon, c’est chrétien. Les autres ne connaissent que la vengeance. C’est encore une des grandes différences entre le communisme et le christianisme, d’ailleurs.
Viendrait-il à l’idée de quiconque de confondre le Christ avec les pharisiens ? Ils ont pourtant en commun les mêmes saintes Ecritures. Mais l’Un est le Christ, l’autre les pharisiens. Si le nom du Christ est martelé par des prédicateurs fous à des foules de zombies en transes, cela fait-il d’eux des chrétiens ? Non, nous sommes là dans une dérive antichristique, car Dieu se manifeste calmement,  dans le souffle de la brise, et non dans l’orage grondant. Si de petits gnomes haineux font miroiter aux foules des idéaux dévoyés de fraternité, de partage et d’égalité sélectifs, cela fait-il d’eux les disciples de Celui qui proclamait que son Royaume n’était pas de ce monde, que celui qui tirerait le glaive périrait par le glaive et qu’il fallait regarder la poutre dans son œil avent d’examiner celle du voisin ?

Tout cela le président Poutine, que je crois sincèrement chrétien, et qui a un père spirituel, ne l’ignore naturellement pas, ce qu’il voulait dire, c’est que dans le communisme se manifestait le désir de transcendance inscrit dans l’histoire des Russes et dans leur âme collective, sous une forme dévoyée, abusée par le recours à des leurres tels que les « reliques » de Lénine, dont le seul encens restera à jamais la puanteur de la canalisation rompue, tandis qu’Alexandre de la Svir, revenu dans son monastère y exsude à nouveau un myrrhon odorant. Encore faut-il, pour faire la différence, connaître le christianisme aussi bien que les idéologies politiques…


Pour les russophones, car malheureusement
je n'ai pu le sous-titrer...

Poutine, dans l'extrait que j'ai vu, rappelle l'histoire du monastère de Valaam, et remercie la Finlande de lui avoir épargné les persécutions religieuses et les destructions jusqu'à pratiquement la deuxième guerre mondiale. Il raconte qu'un officier soviétique a prévenu les moines pour leur laisser le temps de partir et d'emporter ce qu'ils avaient de plus saint. Il voit dans cette attitude la preuve qu'au delà des clivages de l'époque et de ceux d'aujourd'hui, il y a dans le peuple russe des semences d'unité profondes, ce qui me paraît vrai. Puis il évoque le communisme comme une "nouvelle religion" qui adopte les principes moraux généraux de la Bible et les dehors de la précédente, comme par exemple la momie de Lénine substituée aux reliques des saints orthodoxes: le pouvoir communiste utilise pour son idéologie les structures précédentes. Ce qui ne signifie en rien que le communisme et le christianisme soient interchangeables... Il parle ensuite de la renaissance du monastère.
https://www.vesti.ru/doc.html?id=2975733#/video/https%3A%2F%2Fplayer.vgtrk.com%2Fiframe%2Fvideo%2Fid%2F1750922%2Fstart_zoom%2Ftrue%2FshowZoomBtn%2Ffalse%2Fsid%2Fvesti%2FisPlay%2Ftrue%2F%3Facc_video_id%3D742255

mercredi 24 janvier 2018

Fédia et son royal protecteur ne hantent pas que moi

J’ai trouvé des dessins sur le tsar et Fédia qui semblent issus d’une bande dessinée ou sont peut-être le projet d’une bande dessinée.  J’aimerais assez la lire. Fédia apparaît comme un sale gosse et séduit le tsar par son humour cynique et son extraordinaire impudence. Le tsar n’en manque pas non plus, d’humour,  je suis d'ailleurs persuadée que c’était bien le cas. Fédia, n’ayant pas compris qu’il était devant le souverain, lui fait des tas de considérations insolentes, suggérant que le tsar, plutôt que de se remarier, s’intéresse à quelque chose de plus nouveau, puis demande : « Et comment t’appelles-tu, mon cher ?
- Ivan Vassiliévitch.
- Comme le tsar ?
- Comme le tsar, nous nous ressemblons de façon suspecte.
- J’espère que tu ne lui ressembles pas trop, on dit que c’est un vieux bigot.
- On le flatte… »
Ensuite, un dessin les représente ensemble. Fédia lui dit : « C’est quand même une honte, notre père le tsar, j’ai dansé habillé en femme comme une dévergondée maudite, tous ça c’est la faute de l’hydromel et du Romanée italien…
- Ne te mets pas martel en tête, Fédka, sobre ou non, je t’aurais pris de toute façon, si cela peut te tranquilliser… »

Mais comme dans mon livre, cet affreux garnement tient aux enfants qu’il a par la suite et se fait du souci pour eux, à l’idée des conséquences sur leur destin d’une éventuelle disgrâce suivie d’une éventuelle exécution…



J'ai trouvé que l'auteur est une femme qui fait des bandes dessinées, sous le pseudonyme de Phobs. Ses dessins sont très talentueux et vivants, et j’observe que tous les gens qui s’intéressent à cette histoire, sauf sous un aspect décadent tout à fait décalé par rapport à l'époque, en voient les protagonistes plus ou moins de la même manière, avec le même physique, avant d'avoir regardé la BD, je me figurais Vania Basmanov, le fils de Fédia, bouclé mais blond.  Comme s’ils s’imposaient à nous de là où ils sont. Ce qui m’intéresse, c’est que l’auteur des dessins a porté attention comme moi à la vie familiale de Fédia, au fait peu connu qu’il a été marié et qu’il a eu des enfants. Le mien est davantage une victime, mais il se peut que ce soit elle qui ait raison. Encore que non… Peut-être la vérité est-elle à mi chemin entre elle et moi. Mais que Fédia ait aimé ses enfants et que cela lui ait posé de gros problèmes, c’est très probable. Phobs semble aussi, comme moi, envisager dans un de ses dessins, une animosité entre Basmanov père et fils due à une raison inavouable, ce qui jette un autre éclairage sur le destin du garçon et son histoire avec le tsar, et en fait quand même une victime quel que fût son comportement ultérieur. Cette idée nous est venue à toutes les deux, sans que nous ayons jamais eu l'occasion d'en parler!
Je pense personnellement qu’il aimait le tsar, comme celui du film d’Eisenstein, qu’il l’aimait comme un chien de garde. Le mien est peut être plus médiéval, le genre de cynisme qu’il affiche dans la BD est au fond très moderne. Un jeune homme du XVI° siècle plaisanterait-il sur la fortune et le pouvoir du tsar ?
Dans un cas, celui-ci est séduit par l’insolence et la drôlerie cynique du morveux. Dans l’autre, par son adoration  pour sa personne, un mélange de sauvagerie, de dévouement enfantin et de vulnérabilité. Encore que le mien n'est pas dénué non plus d'insolence, en certaines occasions.

Le tsar détourna les yeux pour se donner le loisir de réfléchir à la situation. Il sentait que Basmanov guettait sa réaction, ce qui était bien naturel, pour un père désireux de caser son fils auprès du souverain, mais quelque chose l’alertait, ou l’intriguait, dans l’expression de son fidèle soudard : « Aliocha, lui dit-il, laisse-moi donc parler un peu seul avec le petit… »
Une lueur passa  dans les yeux de Basmanov, qui esquissa un sourire, s’inclina et sortit. Le tsar décrivit deux ou trois voltes autour du jeune homme immobile. Ce gosse avait fait la guerre, manié des armes, il avait le teint hâlé, un poignard à la ceinture, un sabre au côté, c’était un vrai garçon, avec de grosses bottes et de grandes mains; il ferait très bien derrière son trône, avec son uniforme blanc et sa hallebarde, il ne voyait à tout cela aucun problème et il ne comprenait pas son malaise : « Tu veux me servir, Féodor ?
- Oui, souverain.
- C’est ton père qui t’y pousse ?
- Il m’y pousse.
- Et cela te plairait ?
- Tu es mon tsar… »
Le garçon tomba à genoux : « Garde-moi avec toi, souverain, notre père…  Prends-moi chez toi !»
Ses yeux étaient pleins de supplication et de folle espérance. « Chez moi, Fédia ? » Le garçon baissa les yeux, lui saisit et baisa une main d’un geste impulsif. Le tsar plongea l’autre dans ses boucles soyeuses et emmêlées. Il lui inspirait une sorte de tendresse, et depuis la mort de sa femme, sa vie en était complètement dépourvue : « Basmanov te fait la vie dure…
- Oui, souverain.
- Qui aime bien châtie bien… »
Le garçon resserra la pression sur les doigts chargés de bagues qu’il tenait toujours. « Est-ce cela qu’on appelle aimer ? demanda-t-il d’une voix sourde.
- Serait-ce l’affection qui te manque, Fédia, répliqua le tsar avec une ironie amère, est-ce cela que tu viens chercher auprès de moi ?
- Et toi, souverain, n’en as-tu pas besoin toi-même ? »
Stupéfait par l’audace de cette répartie, le tsar resta sans voix, ce qui ne lui était pas habituel. Il tourna vers lui le beau visage penché et en remodela doucement les traits, d’un geste hésitant, fasciné, comme s’il avait douté de sa réalité. Le garçon, qui n’avait pas connu beaucoup de caresses dans sa vie, lui glissa de biais un regard à la fois attendri et farouche. Il défit sans mot dire son caftan et fit glisser sa chemise pour dégager une épaule et exhiber les cicatrices encore perceptibles qu’y avait laissées la cravache de Basmanov. Le tsar les effleura avec une grimace perplexe : « C’est Aliocha qui t’a fait ça ? Il n’y est pas allé de main morte…
- Garde-moi avec toi, souverain, souffla Fédia. Mon père me traite indignement. Il ne voit pas en moi un fils mais… un objet de désir. C’est de cela qu’il me punit. »
Le tsar se rejeta en arrière, et détournant la tête, se signa: « Aliochka… s’exclama-t-il sourdement. Сanaille intrigante et impure !
- Je deviens grand et fort, insista Fédia, j’ai peur d’en venir un jour à le tuer.
- Mon cher enfant, persifla le tsar, en fin de compte, serait-ce vraiment si grave ? »
L’adolescent éclata de rire, et le tsar l’imita. Ils échangèrent un regard complice. Le tsar resserra son étreinte sur ces droites et solides épaules de garçon, une étreinte virile et paternelle, irréprochable. « Alors, dis-moi un peu : ton sinistre père veut t’établir auprès de moi pour que tu le renseignes et pour que tu m’influences, n’est-ce pas ? » Fédia hocha la tête avec un sourire espiègle et des yeux de chat joueur : « Cela se pourrait souverain…
- Mon cher garçon… Je ne dirais pas que c’est Dieu qui t’envoie, car j’en doute un peu, mais je pense que nous serons bons amis. »
Il prit sa pelisse, sur le dossier de son fauteuil, et en enveloppa l’adolescent, qui se redressa fièrement, se drapant dans le magnifique vêtement chamarré et fourré, comme Joseph dans la robe multicolore que lui avait offerte Jacob et que ses frères lui enviaient.

Une amie m'a dit qu'entre eux, c'était une vraie rencontre, au sens où leurs caractères et leurs passés respectifs d'enfants martyrs, qui en avaient déjà beaucoup trop vu à un âge tendre, établissent entre eux de profondes correspondances, donnent à l'un un grand pouvoir sur l'autre, plus fort que celui de vie et de mort sur ses sujets, un terrible ascendant. Mais malgré tout, quelque chose échappe au tsar dans le jeune homme alors même que ce dernier a l'impression de ne pas pouvoir lui échapper. Et en effet, il ne le peut pas, mais il ne peut pas lui appartenir complètement non plus. Ils ne peuvent se sauver ensemble ni se sauver l'un l'autre. Ils sont l'un pour l'autre une sorte de drogue. Chacun d'eux conserve quelque chose de moins irrémédiablement perdu que les damnés de leur entourage, cela les unit, les réconforte, mais l'égrégore que constitue l'Opritchnina est trop implacable, c'est une entité ténébreuse plus puissante que chacun des personnages dont elle est issue. J'aimerais qu'on en vînt comme moi à les aimer et à les plaindre, Fédia étant au fond une hypothèse de moi-même, disons qu'entre eux et moi aussi, il s'est produit une vraie rencontre: celle de ces deux âmes perdues avec une intense petite adolescente de seize ans qu'elles n'ont plus jamais lâchée. Ils ne m'ont pas séduite à ce point par hasard... Pourquoi ai-je moi-même tant aimé le tsar, avec Fédia, à travers Fédia? Quelqu'un me reconnaissait dans les femmes de mon livre, mais non, les femmes de mon livre ressemblent plutôt à ma mère, il est vrai que ma mère était le modèle pour moi de la femme idéale auquel je rêvais de correspondre, mais la petite adolescente d'alors se retrouvait plutôt dans le jeune Fédia, compagnon de débauche et confident d'un impressionnant génie politique et mystique esseulé qui conciliait un idéalisme exigeant, une réelle conscience de sa responsabilité de souverain, un authentique besoin d'affection, de pureté et de bonté, avec une anxiété suspicieuse, des colères déchaînées et d'incontrôlables instincts de bête féroce. J'aurais connu cet homme de son vivant qu'il m'aurait filé une trouille bleue mais Fédia avait grandi avec la brutalité et le danger, il avait grandi un sabre à la main, c'est ce que j'essaie de montrer. Encore que le mien soit aussi terrifié que fasciné par son protecteur...Pourquoi les ai-je aimés? Peut-être parce qu'il fallait bien que quelqu'un le fît et allât au delà de la fascination passionnelle qu'ils éveillent et qui, je l'ai observé sur les pages du net, ne touche pas seulement ma personne. Jusqu'à leur trouver plus de réalité et de présence qu'à pas mal de contemporains en vie sur cette terre, jusqu'à prier pour eux, ou à leur place...
Au fond de tout cela, je sais aussi que Fédia est un Peter Pan sombre. Celui dont j'attendais enfant qu'il vînt me prendre par la main. Et qui reste tétanisé avec moi devant le capitaine Crochet...
Mais nous l'aimons, notre capitaine Crochet, il a de la gueule, il est si fascinant... Il est terriblement malheureux et seul. Il a besoin de nous. Nous nous sauverons ensemble, mon tsar, ton jeune serviteur, toi et moi...
Enfin je l'espère, enfin, si Dieu le veut...
Avant que les jeux soient faits, avant la fin des temps.


Est-ce qu'on décide du livre qu'on écrit ou est-ce lui qui décide de nous?

mardi 23 janvier 2018

Brume givrante


Il fait aujourd'hui assez froid, et la température dans ma maison laisse à désirer, or j'ai dépensé un paquet d'argent en plus pour soi-disant perfectionner le chauffage qui d'ailleurs marchait tout à fait correctement.
J'en ai profité pour aller me promener. Tout était monotone, du blanc et du brun, différents tons de bruns, aucun noir, et une sorte de lait nacré translucide, de lumière rose sous-jacente qui baignait toutes choses.
Je suis retournée à ce chemin de pêcheur qui passe à travers le marécage jusqu'au lac gelé. La dernière fois, j'étais avec petit Doggie et nous avions marché par l'église des quarante Martyrs et l'embouchure de la rivière jusqu'au café français...
Je ne me sentais pas de renouveler cet exploit, mais je n'avais pas trop mal à la jambe. Une brume givrante nappait de cristal brillant les roseaux et les saules. Les lointains disparaissaient dans une sorte de lumière sourde, où se devinait un peu d'azur, le disque du soleil.
J'aime le moment magique où les arbres s'effacent, où je ne suis plus accompagnée que par les roseaux, minces, ébouriffés, merveilleusement inégaux, tous à la fois semblables et différents, réunis, reliés à une harmonie générale.
Ils m'escortent puis s'écartent, et le lac apparaît, blanc, velouté, sans limites, il se perd dans les brumes. D'ici, on ne voit plus les disgrâces modernes, on ne voit plus qu'un grand lac russe drapé de brouillard dont émerge parfois la silhouette d'un pécheur.
Rosie était très contente, perpétuellement le nez dans la neige. Il y avait longtemps que nous ne nous étions pas baladées ensemble.






                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              

Un correspondant facebook m'a dit que Rosie vivait sa normale vie de chien, et les chiens, c'est son rayon. Rosie est heureuse et libre comme l'air, avec les risques que cela comporte.

samedi 20 janvier 2018

Folklore au café La Forêt

Makar, Ilya, Tikhon et Ivan
Le concert est passé, je devrais dire la soirée, car ce fut informel et détendu comme il sied à une manifestation liée au folklore. Une partie des musiciens n'est pas venue, cela arrive aussi assez souvent, plus ceux qui arrivent au dernier moment et ceux qu'on n'avait pas prévus.
J'ai écouté avec intérêt le cours de Dima Paramonov qui a précédé le concert. Des enthousiastes étaient venus de loin, mais il y en avait sur place, très heureux de l'aubaine. Dima a expliqué que dans le folklore tout était lié (comme à toutes les époques normales précédentes, c'est une innovation de la nôtre que cette séparation, cette atomisation, cet enfermement dans notre solitude au sein de la multitude qui ne permet aucun échange ni aucun enrichissement, ni aucune harmonie). Il a montré, par exemple, qu'il fallait quand on jouait diriger le geste de haut en bas, parce que la danse russe consistait à piétiner la terre, non à bondir dans les airs, comme dans d'autres traditions.
Des participants m'ont dit que le folklore renaissait partout, qu'il y avait un grand engouement. C'est sans doute pour cela qu'il fallait à certains fermer le Centre national du folklore russe...


Le cours
des petits enfants très absorbés.

Il a expliqué que pour apprendre le folklore, le mieux était de la faire en famille, pour que les enfants grandissent avec cela et en soient nourris et que la famille puisse le pratiquer à toute occasion. Du reste, outre la famille Leïkine, il y avait une famille nombreuse des environs de Pereslavl qui était là avec ses cinq enfants, lesquels participaient à la leçon avec un très grand sérieux.
Ma vielle m'a encore joué des tours. Je l’avais accordée le matin, tout allait bien, le trajet en voiture a suffi pour tout dérégler. Je me suis éloignée à l'étage en dessous pour la remettre en ordre, ce qui m'a pris un certain temps, de simplement passer par l'escalier froid l'avait déjà modifiée et elle continuait à se dérégler au cours des chansons, de sorte que je n'en ai chanté que deux, au lieu des trois prévues, et j'étais très gênée par le phénomène. Le public a été indulgent, Dima trouvait que c'était plus authentique! Mais j'ai hâte de récupérer la vielle de Vassia Ekhimovitch. Ma vielle avait autrefois des cordes de débroussailleuse et Skountsev les a changées pour des cordes de harpe, je me demande au fond, si elle n'était pas faite pour la débroussailleuse...
J'ai fait la connaissance d'une correspondante Facebook, collaboratrice du musée de Pereslavl, qui est venue m'apporter des fleurs et une invitation à une conférence sur la bibliothèque disparue d'Ivan le Terrible. La bibliothèque d'Ivan le Terrible c'est pour les Russes comme pour nous le trésor des templiers.
Le père des enfants Leïkine, qui se sont produits avec des petits copains et leur grâce habituelle, m'a offert un tableau de sa main.

le tableau de Mikhaïl Leïkine

Les gens étaient très contents, après la fin du concert, on continuait à jouer et chanter, et l'on ne partait pas. J"ai embarqué chez moi l'équipe de Dima, avec une forêt noire offerte par le café La Forêt, qui pense renouveler l'expérience!
Nous avons mangé le gâteau avec du thé et des chansons. Je n'ai pas eu le temps d'enclencher mon appareil quand Dima et les jeunes femmes se sont mis à chanter, et c'est dommage, car leurs visages reflétaient un tel bonheur et une telle pureté...
L'une d'elles, Galia, est restée dormir chez moi, tandis que les autres repartaient à Serguiev Posad. Galia m'a donné un cours de gousli, et j'ai compris dans quelle direction travailler. Elle peint des icônes, et nous en avons aussi beaucoup parlé.
A côté de cela, Gilles et Lika m'ont présenté un ami qui, apprenant que j'étais orthodoxe, s'est exclamé qu'il était athée et détestait l'Eglise orthodoxe. Il était francophone, francophile, avait eu une librairie française à Irkoutsk. Je lui ai dit que je n'étais moi-même pas du tout francophobe et ne reniais pas ma culture française mais j'ai la nette impression que nous n'aimons pas la même France. C'est-à-dire que moi j'aime la France, patrie charnelle, et lui la France des droits de l'homme...
A mon avis, il n'aime pas le folklore non plus.
C'est là que je me sens ici très à ma place. Car les gens comme lui ne sont pas la majorité, du moins à Pereslavl.

les enfants Leïkine

Dima et Galia chantent un chant de Noël

avec ma malheureuse vielle!

vendredi 19 janvier 2018

Théophanie

C'est la Théophanie. J'aurais dû aller à l'office hier soir, mais après la pâtisserie et les courses, je n'ai plus eu le courage. J'y suis allée ce matin, avec une bouteille à remplir d'eau bénite. Beaucoup de neige était tombée, et il faisait froid, pas ce qu'on appelle "les froids de la Théophanie" qui ont la réputation d'être les plus féroces, mais moins dix degrés avec un peu de vent. Peut-être que ce sont là les plus basses températures que nous aurons au cours de cet hiver tiédasse.
Au moins nous avons de la lumière, et même du soleil, j'ai vu ce matin une magnifique aurore. La neige blanche et poudreuse recouvre les disgrâces des rues et étincelle.
J'ai honte de ma flemme, de ma faiblesse. A Cavillargues, je ne manquais pas une liturgie ni surtout les vigiles des fêtes, surtout une fête comme la Théophanie, si pleine de sens, si belle, et c'est à la Théophanie que je suis devenue orthodoxe, il y a... 46 ans.
Après avoir tout fait pour cela, je me souviens que j'avais peur. Ma tante Renée, qui est aussi ma marraine, avait voulu venir, bien qu'elle ne comprît pas du tout ce que je faisais là. Et tout à coup, j'avais eu l'impression de me séparer de ma famille bien aimée, et aussi de mon pays. Je ne m'étais sentie allègrement orthodoxe qu'à la Pâque suivante.
Je m'étais convertie en même temps que ma meilleure amie Béatrix, devant le père Serge Chevitch qui, la première fois que je l'avais vu, m'avais fait l'effet d'un saint. J'avais annoncé à mes tantes et mes cousines: "J'ai vu un saint". Ce qui était sûrement le cas, mais cette déclaration n'a pas eu sur les miens grand effet, sinon d'accroître ma réputation d'originalité.
Trente ans plus tard, à Moscou, je suis allée à la Théophanie comme aujourd'hui sans entrain, avec lassitude, et je me tenais dans ma paroisse moscovite en me demandant quand tout cela allait finir, et quand je pourrais rentrer chez moi, et j'en avais éprouvé, comme aujourd'hui, tant de honte, que j'ai supplié Dieu de faire quelque chose pour moi, ou avec moi. J'avais alors connu un moment de grâce indescriptible et compris, en voyant mon père Valentin plonger sa croix dans la cuve d'eau, qu'il était réellement, quand il officiait, investi de l'Esprit Saint. J'avais alors réalisé que cela faisait exactement trente ans que j'avais franchi le pas et qu'une telle grâce était la confirmation divine que j'avais fait le bon choix.
La soeur Larissa a tenu une fois de plus à me garder à déjeuner, et je me suis retrouvée avec la dame qui dirige le choeur. Elle connaît Sacha Joukovski, folkloriste qui a fabriqué ma vielle et mes gousli, et m'a passé le bonjour de l'accordéoniste Boris, elle a l'intention de venir au concert demain. Elle s'occupe de l'ensemble folklorique local, mais de son aveu même, c'est de la "stylisation", ce qu'on appelait sous l'URSS "la culture de kolkhose" qu'on cherchait à substituer au folklore traditionnel authentique... Une culture de kolkhose qui a découragé bien des intellectuels de s'intéresser à leur propre tradition. Cette dame qui, à priori ne paraît pas spécialement marrante, chuchotait à table où nous étions censées écouter la lecture en silence et pouffait comme une gamine parce que son portable se mettait tout à coup à diffuser de la musique quand elle essayait de me montrer des vues de ses concerts.
Il y aura du monde à notre concert, en réalité nous commençons à craindre qu'il y en ait même trop.
L'autre jour, le taxi qui m'a emmenée chercher la voiture, et qui se signait devant chaque église devant laquelle il passait, m'a dit qu'il jouait enfant dans le monastère saint Théodore fermé par le pouvoir soviétique, et qu'il avait trouvé dans une cave, avec des copains, un sac contenant des chasubles liturgiques brodées, datant d'avant la révolution, mais qu'il ne se souvenait plus de ce qu'ils en avaient fait...
Les gens trouvent partout des vestiges, des objets, des monnaies, des icônes, des croix... Etre exilé dans l'espace est parfois difficile mais être exilé dans le temps est sans remède... Encore qu'ici, et c'est ce que j'apprécie, tous les temps se télescopent, une réalité russe se poursuit plus ou moins déformée, mais obstinée, irréductible, tandis que parallèlement, une réalité contemporaine coupée de ses sources saccage au hasard de son idéologie ou de sa cupidité, comme un camion dont le conducteur s'est bourré la gueule et va zigzagant, écrasant et défonçant tout ce qui se trouve sur son passage.


l'aurore
La veille du baptême d’Arthur, qui avait été fixé à la fête de la Théophanie, le tsar lui avait fait porter une longue tunique de lin blanc, qu’il avait prise avec lui. Arthur assista à la bénédiction des eaux. Un trou en forme de croix avait été ouvert dans la glace de la rivière Seraïa. Emmitouflé dans sa touloupe, coiffé d’une chapka, les mains au chaud dans des moufles fourrées, les pieds dans de douillettes bottes de feutre, Arthur regardait la cérémonie avec un intérêt révérencieux. « Dans ton baptême au Jourdain, ô Christ, s’est manifestée l’adoration de la Trinité. Car la voix du Père te rendait témoignage en t’appelant Fils bien aimé ; et l’Esprit, sous la forme d’une colombe confirmait cette parole inébranlable. Toi qui as paru, ô Christ notre Dieu, et illuminé le monde, gloire à toi ! » chantait le chœur. L’Anglais regardait le métropolite Philippe, venu pour l’occasion,  qui, dans ses brillants habits liturgiques, plongeait une croix d’or dans l’eau noire. Des diacres projetaient de grands arcs cristallins sur la foule aux vêtements bigarrés. Suspendues dans une brume neigeuse, les coupoles des églises de la Sloboda luisaient d’un éclat sourd. Alors Arthur vit une chose inconcevable : un certain nombre d’opritchniks, parmi lesquels Fédia, qui se déshabillaient et allaient se plonger dans le trou. Avec une terreur respectueuse, il les regardait sortir vivants de l’épreuve, et se sécher mutuellement dans de grands draps en riant, quand le père Arkadi lui fit signe d’approcher : « Nous allons procéder au baptême, Artour Robertovitch !
- Ici ?
- Eh bien oui : ici, nous ne manquons pas d’eau !
- Tu veux dire, père Arkadi, ici, dans ce trou ?
- Oui, oui ! approuva le père Arkadi, avec un sourire confiant. Ici même ! Monseigneur Philippe a manifesté le désir de te baptiser de sa main… »
Arthur croisa le regard du tsar, à la fois attendri et railleur. Le métropolite s’avança vers lui,  prononça les trois exorcismes, et, se tournant vers l’occident, Arthur renonça par trois fois à Satan, et récita le Credo en slavon, sans le filioque. Vint le moment où il dut se déshabiller, et posant ses pieds nus dans la neige, marcher jusqu’à la terrible croix noire et scintillante, enchâssée dans ses brèches de glace, et se laisser glisser dans ce froid liquide et consumant. Le prenant par les cheveux avec une douce autorité, le métropolite l’immergea par trois fois, en prononçant la formule rituelle : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit… » Et chaque fois, suffoqué, il entrevoyait, brouillés par le ruissellement de l’eau glaciale, la croix d’or brûlante, comme une grande étoile, le saint vieillard resplendissant,  dans l’étincelante armure de sa chasuble, le soleil voilé et miroitant dans les brumes fuligineuses, et pensait qu’il allait mourir ou que c’était même déjà fait. Mais il en ressortit vivant,  hoquetant et à moitié noyé, et se laissa envelopper, frotter et sécher par des mains compatissantes, qui lui passèrent la tunique blanche : « Accorde-moi la tunique de clarté, toi qui te drapes de lumière comme d’un manteau, trésor de tendresse, ô Christ notre Dieu. »
Fédia glissa un tapis sous ses pieds nus, et sur un signe du tsar, lui apporta la propre pelisse du souverain, dans laquelle il le drapa. Arthur s’inclina profondément, car c’était là un grand honneur. Il porta la main à ses mèches rousses et les sentit craquer comme du verre : ses cheveux étaient en train de geler. Le métropolite lui administra la chrismation, traçant avec de l’huile sainte une croix sur ses mains, ses pieds, sa bouche, ses narines et ses oreilles : « Sceau du don du saint Esprit ». Arthur se sentait bien, mort et ressuscité, la chaleur revenait doucement dans son corps paisible et régénéré. Tout prenait autour de lui un nouvel éclat : l’azur du ciel qui perçait à travers les mailles lâches et translucides des nuées défaites, les oiseaux planant, le tintement des encensoirs et leurs bouffées odorantes, la splendeur hiératique des vêtements sacerdotaux, les visages recueillis, les cierges, les lanternes, les icônes et les bannières, le lumineux métropolite, tout lui semblait saint et magnifique, miraculeusement réconcilié, les fidèles ordinaires, les boïars richement vêtus, les sombres gardes et leur tsar. Ils ne formaient plus qu’un seul corps, relié par des myriades d’invisibles nervures à un unique tronc cosmique, exubérant d’une joie calme et infiniment croissante à laquelle, lui, Arthur, se trouvait intégré désormais sous le nom d’Artiom, Arthème, qui venait de lui être donné.
« Vous tous qui avez été baptisé en Christ, vous avez revêtu le Christ, alléluia… »
C’était sans doute cela, revêtir le Christ. Revêtir un nouveau corps et une nouvelle âme qui se trouvaient tout à coup mystérieusement solidaires de toutes les autres, pris dans ce Souffle unique qui pénétrait toutes choses. C’était sans doute cela, la grâce, la descente du Saint Esprit, sous la forme d’une colombe…


mercredi 17 janvier 2018

Logan

Il m'a fallu aller chercher ma Logan toute affaire cessante. On m'a fait attendre trois jours de plus, mais quand c'est prêt, c'est prêt. J'aurais voulu remettre au lendemain, pour venir le matin et repartir de jour tranquillement, sans bouchons, mais non, le client n'est pas roi.
Arrivée là bas, j'ai attendu des heures que l'on mît en ordre toute la paperasserie, j'ai cru que je n'en sortirais jamais. Pour finir, la vendeur m'a déclaré qu'il y avait encore la "solennité finale". Ho? Et c'est quoi? La voiture m'attendait, drapée comme un monument à inaugurer, avec une affiche devant:

NOUS VOUS FELICITONS

Laurence, Marguerite, Madeleine Guillon,

Et en effet, le directeur m'a félicitée, puis SHAZAM! a tiré sur la bâche pour dévoiler l'engin, mais il n'y a pas eu de fanfare, ni de bouteille de champagne cassée sur le capot, je trouve que c'est dommage.
Je suis repartie de nuit, comme je le craignais, et j'ai eu des bouchons, mais pas trop. Il faut que je m'habitue, cette Logan a toutes sortes de gadgets que n'avait pas mon modèle précédent.
Mon plombier m'a dit qu'il m'avait fait une réclame énorme, pour le concert,et que beaucoup de gens allaient venir. J'ai en effet l'impression qu'il y aura du monde, et ce sera j'en suis sûre, très réussi du côté des petits Leïkine & Co et des virtuoses des gousli, mais moi, tout ira bien si la salope de vielle ne me trahit pas et ma mémoire non plus...