J'ai proclamé que pendant le carême, j'essaierais de ne publier ou de ne commenter sur Facebook que des nouvelles ou articles ayant trait à l'orthodoxie, à la culture, et même aux chats et aux chiens (mais pas à la maltraitance animale), en fuyant les polémiques sur des sujets sociétaux ou politiques. Mon oncle Henri a déclaré que c'était là un serment d'ivrogne. Mais je ne me suis pas risquée à un serment, tout juste à de bonnes résolutions...
Aussitôt après, sur la page d'une douce artiste peintre à thème religieux, je me suis prise de bec avec une créature qui me traitait de raciste, parce que je voyais dans le fait de faire jouer l'incarnation de la jeune fille russe qu'était, pour Tolstoï, son personnage de Natacha Rostova par une noire. Il est raciste pour cette intellectuelle russe pleine de titres universitaires, trop intelligente pour lire vraiment ce que les gens écrivent ou ce qu'ils disent, et pressée de leur coller une étiquette infamante, de considérer qu'une Natacha noire est un non-sens et même un sacrilège, comme une Jeanne d'Arc, un Achille, un Lancelot ou une Marguerite d'Anjou, ainsi qu'on l'a fait ensuite en Europe. Tant que cela se passait aux USA, je pensais que c'était dû à la connerie et à l'inculture des Américains, mais non, c'est une politique délibérée, l'intellectuelle de broussaille ne voit pas où ça mène, elle est trop intelligente pour cela et m'accuse de me croire supérieure à ses semblables, eh bien peut-être pas supérieure, mais plus lucide et plus honnête, certainement.
Devant sa mauvaise foi péremptoire et agressive, ses arguments spécieux, j'ai ressenti soudain une rage noire: c'est là l'équivalent russe de l'intellectuel français haïssable, tous ces médiocres pompeux et diplômés qui selon le mot de Céline "branlent l'accessoire pour mieux négliger l'essentiel." A l'intérieur de ce qu'on appelle l'intelligentsia, ici ou chez nous, on trouve majoritairement ce genre d'individus et fort peu de créateurs profonds et honnêtes qui ne se laissent pas embarquer par les idées toutes faites, l'air du temps, le snobisme, le convenu politiquement correct, et témoignent de ce qu'ils voient et entendent.
Je lui ai dit que je n'avais pas à me justifier devant elle de ses étiquettes idiotes et pour finir je l'ai envoyée se faire pendre.
La douce artiste peintre a tout supprimé!
Une des objections que j'ai vu passer, c'étaient les adaptations japonaises de Dostoïevski ou Shakespeare par Kurosawa, que des gens si intelligents et si diplômés et si contents d'eux ne fassent pas la différence me laisse profondément perplexe. Car je ne serais pas choquée que des Africains transposent quelque chose de la culture occidentale dans leur contexte, alors que je le suis par une falsification de la culture occidentale opérée par des gens qui ne sont pas africains ni afro-américains du tout.
Je n'ai pas envie de voir Kay et Gerda, de la Reine des Neiges, noirs comme des pruneaux, ils sont couleur de neige, de glace et de ciel bleu, couleur de leur pays. Je n'ai pas envie de voir le blond Achille joué par un noir alors qu'il n'y avait pas le moindre noir en Grèce à l'époque, ou un Alexandre Nevski noir. Et je ne pense pas qu'un Nelson Mandela ou un Martin Luther King ou un Jimmy Hendrix joués par des Suédois emporteraient l'adhésion de ces mêmes tortilleurs de cervelle qui me traitent de raciste pour le seul crime de tenir à nos peuples d'Europe, à leurs traditions, à leur culture, à leur aspect physique, à leur mentalité et à leur foi.
En fait, ce qui a enragé la dame, c'est que j'ai dit de l'opinion d'une autre diplômée apparemment intouchable que c'était un tissu de sophismes tordus destinés à nous faire accepter notre propre disparition. Il y a des gens que, lorsqu'on est un simple mortel, on n'a pas le droit de critiquer, on n'a pas le droit de s'écrier sur leur passage que le roi est nu, cela ne se fait pas. Mais au risque de paraître immodeste, oui, je les trouve quelque peu crétines, les dames en question, crétines mais astucieuses, retorses, fausses ce qui est la marque du diable qui occupe leur esprit. Tellement fausses, comme me le disait une amie, qu'elles ne savent même plus qu'elles le sont et ne savent pas non plus ce qui est vrai. A quoi leur sert leur "intelligence" homologuée, si elles sont d'abord incapables d'écouter et de percevoir ce qu'on exprime sans l'interpréter à travers le filtre de leurs préjugés, et sans stigmatiser aussitôt le contradicteur, et d'autre part d'avoir une vue d'ensemble de ce qui se passe dans le monde et nous mène à notre perte?
Néanmoins, cette altercation m'a tourné les sangs, comme on dit, et ramenée à mes bonnes résolutions du carême: ne pas se laisser entraîner dans des polémiques inutiles et déstabilisantes.
Ce matin, en disant mes prières, je me rendais compte du bien que cela me faisait, et pourtant, il m'est toujours difficile de m'y mettre, pourquoi diable, si j'ose dire?
Toutes les prières ne me font pas un bien équivalent, d'ailleurs, il en est de plus inspirées que d'autres, les meilleures étant à mes yeux les psaumes, et la prière de Jésus. Je priais dans ma cuisine, là où j'ai accroché l'icône donnée par mon amie Olga, une icône naïve ancienne de Sibérie, où la mère de Dieu protège deux moines, peut-être les commanditaires, car ils n'ont ni auréoles ni inscriptions, comme on en ont les saints, d'ordinaire. Cette icône n'est pas canonique, mais elle me semble, malgré ses maladresses, d'une composition équilibrée, avec des lignes fermes, et quelque chose de vibrant, ces anges qu'on devine dans la grisaille, quelque chose de fervent, et de bénéfique qui se dévoilait à mes yeux avec évidence. Au dessus d'elle, j'ai un Christ dans le même style, acheté autrefois à Pereslavl, pas très canonique non plus, et le regardant, je voyais sa ressemblance avec un prêtre russe de village, plein de bonté et de simplicité. Lequel prêtre russe, s'il était saint, pouvait devenir "pareil au Christ" selon la formule consacrée, avec sa bonté, sa simplicité, et sa tête de Russe. Peut-être le peintre naïf a-t-il donné au Christ les traits de ce qu'il connaissait dans le genre, dans sa paroisse ou au monastère voisin. Parfois, ces séances de prière, pas assez régulières ni assez prolongées, me mettent les larmes aux yeux, elles sont traversées de visages connus de moi, et souvent disparus, de présences qui intercèdent ou au contraire, attendent mon humble intercession de pauvre chrétienne ordinaire, flemmarde et encombrée de toutes sortes de petites passions. Je vois tout à coup, intérieurement, mon père Placide, et j'ai la certitude que m'ayant envoyée ici, il reste attentif à mon sort. Je vois maman qui continue à me manquer, et tous ceux que j'ai aimés dans ma vie et qui sont déjà partis. Je vois des gens pas toujours très proches et qui sont dans la détresse. C'est, j'en suis sûre, tout ce monde invisible qui m'empêche de paniquer là où je devrais logiquement le faire, seule ici, ne sachant pas où et comment je serai soignée quand la vieillesse me causera trop d'ennuis.
A côté de ces deux icônes, j'ai des icônes en métal de vieux-croyants, qui m'ont été offerte, et mon désir le plus cher serait la réunion de l'Eglise nikonienne et des vieux-croyants, du moins ceux qui ne sont pas partis dans d'étranges dérives par trop sectaires, car les vieux-croyants ont gardé un héritage que les nikoniens ont renié et qu'il me paraît fort nécessaire de retrouver, qu'ils ont récupéré en partie, d'ailleurs, ces derniers temps.
J'ai aussi deux petits objets, une couronne de tissu et un cœur en pâte à sel qui me viennent d'Anne Frinking, et me rappellent mes orthodoxes de Solan, et tout en haut, une croix de bois achetée au monastère saint Martin de Cantauques, quand j'y suis allée avec Henri.
Quand j'étais à Cavillargues, je priais presque toujours dans la nature en promenant Doggie, et sa splendeur m'apparaissait plus vive. Mais ici, les intempéries me ramènent au coin des icônes, à leur veilleuse et aux deux cierges allumés.
Il est tombé beaucoup de neige, peut-être soixante centimètres. Il fait beau, la lumière est radieuse, la neige scintille, mais entre le froid et mon genou douloureux, j'ai du mal à sortir, à aller tituber dans les congères ou sur la glace...
Rosie le fait volontiers, et curieusement, j'observe chez elle une activité nocturne, comme chez les animaux sauvages.
J'ai publié un extrait de mon livre, celui qui a été édité aux éditions Rod, parce que je suis la seule à pouvoir m'occuper de sa promotion, et le genre de choses que j'écris trouvera difficilement écho dans les cénacles médiatiques et culturels occupés par des individus du genre des intellectuelles dont j'ai parlé plus haut..
Comme disait ma tante, si tu ne souffles pas dans ton trombone personne ne le fera à ta place. Je ne cherche pas la gloire, et je n'aime pas faire ma propre réclame, mais je n'écris pas pour mon tiroir, j'écris pour témoigner. La gloire est premièrement "le linceul éclatant du bonheur" et deuxièmement, quelque chose qu'on doit en vieillissant considérer avec un certain détachement! De toute façon, j'ai toujours eu conscience que si j'avais quelque talent, je n'y étais vraiment pour rien. En revanche, il me revient d'écrire, ce que j'ai trop peu fait, et de publier. J'ai vu dernièrement une série de photos sur une vieille dame qui se donnait pour but de "témoigner de la beauté", avec son exquise maison, son ravissant jardin, et ses dessins, eh bien oui, je me sens la vocation de témoigner de la beauté, de la noblesse, de la tradition, du sacré, dans un monde qui en est de plus en plus dépourvu. C'est le seul sens que je vois à mon existence absurde et solitaire.