Seraphima Blonskaïa Vigiles des Rameaux |
Aujourd’hui, dimanche des
Rameaux, hier, samedi de la résurrection de Lazare, la semaine sainte est à l’horizon.
Comme d’habitude, j’ai tendance à penser : que cette coupe passe loin de
mes lèvres. Mais j’y entre, mon bouquet de rameaux à la main, rameaux de saule
où les chatons sont à peine ouverts, cette année. Et puis le saule de mon
jardin n’est pas de l’espèce qui fait de jolis rameaux rouges.
Je suis retournée à
saint Théodore, car j’avais un cadeau de Solan pour les sœurs, un cadeau très
lourd d’ailleurs, des bocaux d’olives et des pâtes de fruits. Joie des sœurs de
saint Théodore. Je ne rencontre plus que sourires ravis, et je n’entends que
des remerciements, ce qui va sans doute se traduire par un autre échange de
cadeaux. Et une carte qu’il me revient de traduire.
La sœur Larissa m’a
appris que notre fête à toutes deux (la sainte Larissa) tombait le jour de
Pâques, ce qui était lourd de sens. Elle m’a proposé de me prendre rendez-vous
avec l’évêque Théodore qui, malgré son air ascétique, est un grand amateur des
pâtisseries du café la Forêt, et ce qui moi, m’intéresse particulièrement, un
soutien convaincu de la renaissance du folklore.
Pour finir cette pieuse
matinée, après le repas au réfectoire, j’ai ramené chez lui le servant d’autel.
Puis, moins pieusement, j’ai fait un saut au café français, où j’ai eu une
longue discussion avec le fromager Alexandre. Il s’est lancé, à la retraite,
dans la fabrication de fromages « français » et y arrive très bien,
au feeling, sans avoir fait d’apprentissage sur place, ni invité de fromagers
français. Et c’est même rentable. « J’ai une mauvaise santé, m’a-t-il dit,
mais si je ne sais combien de temps il me reste à vivre, je veux vivre
pleinement. »
Oui, c’est aussi ma
philosophie actuelle. Cela fait même quinze ans que je vis ainsi, dans un
présent plein de passé dont je me refuse à trop prévoir le lendemain.
Alexandre, comme moi,
déteste Pierre le Grand, il le trouve profondément antirusse. Ivan le Terrible
lui semble beaucoup plus soucieux du bien-être populaire, même si, à un certain
moment, il a pété les plombs, et il n’a jamais combattu sa propre civilisation,
au contraire, il l’a défendue. Sa violence s’est éxercée surtout à l’égard des
boyards, même s’il y eut des «dégâts collatéraux ». Néanmoins, on se
scandalise si on élève des monuments à Ivan, et ceux de Pierre paraissent
normaux.
Alexandre accuse même
Pierre d’avoir brûlé la fameuse bibliothèque d’Ivan le Terrible, qui est aux
Russes ce qu’est pour les Français le trésor des Templiers.
Pour ce qui est de la
Russie actuelle, il me dit que l’argent de l’état a été presque entièrement
confisqué, au temps d’Eltsine, par les oligarques qui l’ont placé à l’étranger,
raison pour laquelle Poutine marche sur des œufs et ne peut pas se permettre d’être
plus offensif dans la récupération de l’indépendance du pays. Mais il croit que
le peuple russe a une grande capacité de résistance et ne se laissera pas faire
sans se défendre. Il me dit que l’avenir du pays se jouera dans les deux ans
qui viennent.
« Nous sommes la
dernière génération, m’a-t-il dit, à avoir connu un monde à peu près normal et
une certaine tradition. »
Cependant, il croit que les Russes ont la mémoire génétique de ce qu'ils ont été, et de leur passé paysan. Qui plus est, il pense que les divers peuples de Russie ont acquis cette mémoire, comme les Russes ont acquis la leur, et que leurs liens réciproques sont profonds.