Anna Reviakina
03.12.2018, 07:15
Exclusif
traduction L. Guillon
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saint Vladimir de Dokoutchaïevsk |
Anna Reviakina, poétesse et publiciste, parle du
destin de l’orthodoxie dans les territoires dUkraine hors contrôle, de l’inventaire
des saints et de l’importance pour les orthodoxes de rester solidaires.
Le plus affreux qui
puisse arriver à l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne du Patriarcat de Moscou serait
de ne subsister que sur les territoires qui, depuis déjà quatre ans et demie,
ne sont plus l’Ukraine. Là est le paradoxe.
L’archiprêtre Nikita Panassiouk
Je suis liée au père Nikita par une vieille amitié et
par une petite ville à la frontière de la RP de Donetsk et de l’Ukraine. Le père Nikita Panassiouk est
le premier et le seul recteur de l’église Saint-Vladimir de Dokoutchaïevsk. Du
père Nikita émane une sorte de lumière absolue, il a un cœur énorme et des yeux
clairs, impossibles à cacher, même derrière des lunettes. Il est le dépositaire
et le participant de la légende du célèbre starets, le père Zossime.
Quand les arbres étaient encore grands et que
Dokoutchaïevsk vivait dans une complète tranquillité, on fit inopinément au père
Nikita la proposition de déménager en Russie, on lui promit une paroisse et une
confortable maison. Le père Nikita avait surmonté, avec beaucoup de difficultés, les premières années de son ministère à Dokoutchaïevsk , son troupeau était
petit, la ville de travailleurs ne se pressait pas trop de se tourner vers Dieu,
le passé soviétique se faisait sentir. Le père Nikita n’avait pas baissé les
bras, fait ce qu’il avait à faire dans la petite ville ukrainienne, mais il reçut
la proposition d’un ministère en Russie comme une voie que lui ouvrait le Seigneur.
Le starets de Donestk
Les relations du père
Zossime avec le père Nikita étaient paternelles. Le père Zossime avait ce genre de relations avec beaucoup de gens, chaleureuses, bonnes, il donnait de nombreux conseils, il bénissait beaucoup de monde. On venait voir le père Zossime
de tous les coins du pays et même des prêtres, et aussi quelques hommes
politiques qui se considéraient comme ses enfants spirituels. Il trouvait des
mots pour tous , des mots clairs, justes, il prévenait l’un (comme Ianoukovitch,
par exemple), il admonestait l’autre. Bien sûr, le père Nikita alla chercher la
bénédiction du père Zossime pour son départ en Russie, le recteur de l’église
de Saint-Vladimir ne pouvait pas faire un tel pas sans la bénédiction du
starets.
Zossime répondit alors
par un refus, il ne le bénit pas, il dit que son enfant spirituel aurait encore une occasion d’aller servir en
Russie. Le père Nikita en fut très désappointé, se rembrunit, ils s’assirent
pour prendre le thé ou déjeuner, la conversation était déjà partie sur autre
chose, il y avait alentour d’autres prêtres, d’autres questions. Le père Nikita
ne participait pas à la conversation, il pensait qu’il s’apprêtait à partir en
Russie servir, mais sans bénédiction, bien sûr, rien de bon ne pouvait sortir
de ce dessein. Et voilà que le père Zossime se retourne vers le père Nikita et
lui dit de ne pas augmenter mentalement son chagrin mais de continuer sa voie
sur place à Dokoutchaïevsk. Et à la fin, de nouveau la phrase : «Tu
auras encore l’occasion de servir en Russie ! »
Le père Zossime mourut
en 2002. En guise de viatique, le starets dit : « …avant de
partir pour la vie éternelle, je vous délivre mes dernières paroles, frères, sœurs,
et tous ceux qui prient dans notre monastère : accrochez-vous à l’Eglise
Orthodoxe Russe, en elle est le salut ».
Un pays protégé par Dieu
Les frontières de l’église
ne coïncident pas, et ne peuvent coïncider avec celles des états. Les états se
divisent tous de façon horizontale, or l'église, au contraire, parle de
division verticale. Les gens d’église pensent que leur patrie, c’est celle d’en
haut. Le rythme de la vie ecclésiale ne correspond pas à celui de la vie de l’état.
L’église est une structure plus puissante et plus ancienne que l’état, elle dispose d'une clairvoyance unique. Nous, les habitants d’un état séculier, ne
pouvons même pas imaginer ce qu’il y aura sur terre dans un demi siècle. Nous, chrétiens orthodoxes, pouvons exactement donner le jour où tombera la Pâque. Dans
cinquante ans, cent ans ou mille ans
« Autrefois, dans
la liturgie, nous lisions ainsi : « notre pays protégé par Dieu, ses
autorités et ses armées ». Depuis le début de la guerre, nous avons une bénédiction spéciale pour ne pas rappeler les autorités, car ce sont justement elles
qui l'ont déclenchée. Maintenant, nous lisons « notre pays
protégé par Dieu et son peuple orthodoxe ». Les lignes où nous prions pour
les prisonniers ont pris un sens particulier » raconte le père Nikita.
Aujourd’hui l’église
est une source de spéculations politiques. Chaque mot prononcé ici, sur le
territoire de la République Populaire de Donestk, est entendu là bas, de l’autre
côté. Nous pouvons porter, par certaines de nos déclarations, du tort à nos
frères sur le territoire ukrainien. C’est justement pour cela que le père
Nikita se tait plutôt que d’accepter de commenter quelque chose. C’est pour
cela que les frères de la laure de la Dormition de Potchaïev ont publiquement adjuré les gens de croire seulement en l’information qui paraît sur le
site officiel de la laure, de ne pas céder aux provocations des médias.
Aujourd’hui, ce qui se
produit à Kiev n’a pas de relations avec le meurtre de l’église, il est
impossible d’anéantir l’Eglise Orthodoxe Russe. S’il n’y a pas d’église où
prier, les gens le feront dans les appartements, les caves, n’importe où. Pour
l’essentiel, la coupole de l’église Orthodoxe Russe, c’est le ciel étoilé
lui-même, au dessus de la tête de ceux qui élèvent leur prière. Ce qui est terrible, c'est autre chose, c’est qu’on oblige les gens à suivre les schismatiques,
ils remplacent la vérité par leur propre demie-vérité à un seul éclairage, attentent cyniquement à la foi, déforment les faits,
interprètent le passé, essaient d'acculer le chrétien orthodoxe dans un coin, et l’homme
est faible, surtout l’homme contemporain qui est plus souvent conduit que
conducteur.
Dans le giron du Christ
En un certain sens,
les églises qui sont réparties sur le territoire de la RPD se trouvent en
sécurité. « Oui, nous avons des privilèges. Ce dont, bien sûr, nous sommes
redevables à nos dirigeants. Ce qui se passe là bas, sur l’autre territoire,
dans un sens cela ne nous concerne pas, cette coupe est passée loin de nous,
mais d’un autre côté, pouvons-nous ne pas penser à nos frères, aux difficultés
auxquelles ils se heurtent chaque jour ? La guerre, c’est notre douleur
commune, dit le père Nikita, les premières prières que nous adressons pendant
la liturgie c’est pour notre grand seigneur et père sa Sainteté le patriarche
de Moscou et de toutes les Russie Cyrille, notre seigneur et père sa béatitude
le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine, notre seigneur sa Sainteté le métropolite Hilarion. Prier pour le métropolite Onuphre est aujourd’hui
un honneur particulier, c’est justement lui, au moment présent, qui est le
soutien de l’Orthodoxie sur le territoire de l’Ukraine. C’est un véritable
héros, qui conserve l’unité, console les gens ».
Inventaire des saints
L’église de Dokoutchaïevsk porte le nom du métropolite
de Kiev Vladimir (Bogoïavlenski), qui fut glorifié par l’église Russe Orthodoxe
en 1992 comme prêtre martyr. Son jour de célébration est le 25 janvier. Il y a
cent ans, au concile Panukrainien, fut posée la question de l’autocéphalie de l’église
ukrainienne en Ukraine. Le métropolite Valdimir avait alors défendu l’unité de
l’église Russe. «A Kiev, c’étaient des temps particuliers, du reste, comme
maintenant, dit le père Nikita, une tentative d’ukrainisation, la situation de
la laure des Grottes de Kiev était conflictuelle, c’était lié au schisme, et à
la révolution. Je parle souvent à mes ouailles avec les paroles du père Zossime
et celles du prêtre martyr Vladimir, selon lesquelles il faut rester accroché à
l’église orthodoxe Russe ».
Le 25 janvier 1918, cinq soldats armés vinrent trouver
le métropolite Vladimir, l’emmenèrent hors de la Laure et le tuèrent
férocement, près du rempart de la forteresse de Staraïa Petcherskaïa, non loin
de la rue Nikolskaïa. « Les reliques du métropolite Vladimir se trouvent
dans les grottes Proches de la Laure des Grottes de Kiev. Aujourd’hui, se
déroule l’inventaire de la propriété. En quoi les gens qui le font sont-ils
mieux que les mécréants de l’époque soviétique ? demande le père Nikita et
il répond lui-même : en rien ! et ils prétendent lutter avec le passé
communiste ! Que font-ils, là-bas ? L’inventaire des saints !
les reliques des saints et des justes qui se trouvent à la laure, ce sont aussi
des propriétés ? Les gens deviennent fous, mais continuent à se prendre
pour des gens ! »
Nous nous tuerons nous-mêmes
Et pendant ce temps,
les problèmes humains qui ne concernent pas la guerre et autres folies ne
changent presque pas. « Les gens ne changent pas beaucoup, et ils créent
les mêmes problèmes, à eux-mêmes et aux autres. Seulement il y a quelque chose
qui s’aggrave, dit le père Nikita, et ça me fait mal d’en parler, mais les gens
continuent à forniquer et ne craignent pas de tuer leurs propres enfants. La
guerre, ce n’est pas seulement la mort par les obus qu’on nous lance dessus. C’est
aussi la dégradation morale, c’est la façon sans appel avec laquelle la femme
est prête à ne pas recevoir l’enfant que Dieu lui donne. Elle va le tuer. Le
nombre des avortements a augmenté. Les gens vont moins souvent se faire
arracher une dent que commettre un avortement. Les gens souffrent de perdre
leurs cheveux à cause du stress, mais que les enfants tombent de leur mère,
tout le monde s’en moque ».
L’Ukraine, en s’enfonçant
peu à peu dans l’obscurité de l’insuffisance économique, et maintenant, en
plus, dans l’état de guerre, perd la foi non seulement dans le pouvoir mais
dans la vie humaine, dans le droit même à cette vie. L’Ukraine occupe la
première place en Europe pour les interruptions de grossesse. Près de 20% des habitantes
de l’Ukraine par an refusent leurs enfants déjà conçus. En Europe occidentale,
cet indicatif est de 3-4 pour cent. En Europe de l’Est de près de 14%.
« On entend
souvent la comparaison : comment c’est là bas et comment c’est ici, dit le
père Nikita, et ce n’est pas comparer, qu’il faut, mais s’occuper de soi. Les
avortements, c’est un fléau à double tranchant ! Et si aujourd’hui on ne
nous bombarde pas, nous continuons à faire des avortements, nous tuons notre
futur. Nos ancêtres vivaient pendant la guerre bien plus mal que nous mais ils
faisaient des enfants. Dans le vrai froid et la vraie faim ».
Plus fort, la musique
Très bientôt ce sera
le 19 décembre, la Jour de la Saint Nicolas. Traditionnellement, nous aurons un
service ce jour-là dans l’église saint Vladimir de Dokoutchaïevsk, après le
service, sera ouvert un marché sur le territoire de l’église, les paroissiens
feront cuire des brioches, des pirojki, les cosaques installeront des samovars,
on servira le thé à tout le monde. Les moyens récoltés serviront à faire des
cadeaux aux enfants. «Fasse le Ciel que cette année, on ne nous bombarde pas. L’année
dernière, pour la saint Nicolas, nous étions allés féliciter les enfants de l’orphelinat
municipal, il y avait eu un bombardement très puissant, les obus tombaient dans
les rues de la ville. Mais nous marchions quand même, nous nous cachions
derrière les maisons, nos genoux tremblaient, nos jambes se dérobaient, tellement
nous avions peur. Arrivés à l’orphelinat, nous avions félicités les enfants,
distribué les cadeaux, le spectacle avait commencé, c’était terrible, certains
versaient des larmes, mais on n’a pas supprimé le spectacle. J’ai alors prié et
demandé : « Mettez la musique plus fort, que l’on n’entende pas qu’on
nous tue ».
« Père Nikita,
mais qu’est-ce qui va se passer par la suite ? demandai-je
-Je ne sais pas, répondit
le père, mais ce que je sais, c’est que Dieu est avec nous ».
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le père Nikita |