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jeudi 27 décembre 2018

Termites municipales....

Pierrelatte au XIX° siècle, avant les divers saccages

Je n’arrive plus à jouer de la vielle, parce que je dois me battre avec pendant des heures pour arriver à retrouver un son correct. Avant, même sans l’aide de Micha, à Moscou, j’arrivais quand même à la faire fonctionner. Mais là, c’est vraiment décourageant. Quand j’aurai reçu mon déménagement, avec celle de Vassia Yekhimov, j’irai retrouver celui-ci en Carélie et passer quelques jours dans son village touristique pris par les glaces, air pur et tranquillité assurée. Vassia Yekhimov est un type très doué et très marrant. Je ferai un petit stage avec lui. Il est important pour moi de me remettre au chant, car c’est un témoignage que je peux apporter. Celui d’une Française qui a appris à jouer de la vielle et à chanter des vers spirituels avec des folkloristes russes. Il faut une nuit de train pour aller là bas, la gare est perdue au fond de la taïga, des taxis emmènent les visiteurs dans le village touristique, au bord de la Svir.
Je parle toujours des destructions à Pereslavl, des ravages opérés par Sobianine à Moscou, mais voici que ma sœur , au téléphone, m’explique qu’à Pierrelatte, après avoir emmerdé les administrés avec deux ans de travaux pour refaire un centre déjà  tout à fait correct, ce qui a dû coûter un os, la municipalité a décidé de couper les micocouliers de la place de la Poste, enfin adultes, qui donnaient de l’ombre et dissimulaient les disgrâces d’une architecture des années 60 ou 70 pas vraiment sensationnelle. Pour replanter quoi qui mettra 30 ans à pousser, au bout desquels on coupera à nouveau ? Et pourquoi faire, pour faire travailler les pépiniéristes ? Autrefois, on plantait pour 500 ans, pour la vie d’un arbre, et on remplaçait au fur et à mesure, mais le consumérisme frappe même les végétaux. Je me souviens de toutes ces affreuses constructions, quand les arbres n’étaient encore que des poteaux avec une touffe de feuilles au bout, il y a 40 ou 50 ans, leur taille actuelle est la seule chose qui rend tout cela supportable. Mais la municipalité ne va pas s’arrêter là : elle va couper tous les platanes centenaires de l’avenue de la gare. Pour planter des pins parasols que l’on coupera dès que les racines soulèveront le bitume ? Des lauriers roses qui sont trop nombreux, trop bigarrés et ne donnent pas d’ombre ? Comme beaucoup de villes et villages, Pierrelatte a commencé à être saccagé au XIX° siècle. Son centre était occupé par une énorme moraine très spectaculaire, coiffée des ruines d’un château : le fameux Rocher, dont il ne reste qu’un chicot, après qu’un imbécile local en ait fait une carrière, le fric, pour le bourgeois, c’est sacré.  Le marché couvert médiéval a survécu jusque dans les années 60 où, dans la foulée des HLM en béton façon petit Mahattan, on l’a détruit pour construire un parking où on ne peut pratiquement pas se garer. Des destructions, reconstructions, aménagements, j’en ai vu passer je ne sais combien. Le centre est complètement désertifié : écrasé de taxes et persécutés par l’administration, soumis à la concurrence déloyale des grandes surfaces et des centres commerciaux que les différentes municipalités favorisaient fébrilement, les commerçants ferment tous boutique et l’on voit ce qui me frappait en Union Soviétique : des photos de marchandises dans des vitrines vides « pour faire plus gai ».
Dans les années 70, j’avais visité, avec un jeune Américain, le village de Lavaudieu, près de Brioude, en Auvergne. J’en garde un souvenir émerveillé. La cordialité et l’authenticité des paysans qui, dans l’unique bistrot, où le café au lait était servi dans des bols, nous avaient accueillis à bras ouverts... Ils étaient fiers de nous montrer leur village. Ils avaient envoyé cherché l’institutrice à la retraite qui avait les clés du musée d’art populaire local, et du cloître roman. Elle nous avait montré toutes les merveilles de la vie d’autrefois, alors d’ailleurs pas si lointaine, avec beaucoup d’amour, elle connaissait sans doute personnellement les auteurs des dentelles, des objets quotidiens, et ceux qui avaient porté ces robes, ces châles et ces blouses. Ensuite, nous avions vu le ravissant petit cloître, et l'église qui avait subi des déprédations de la part d’un ancien maire. «Mais pourquoi donc a-t-il fait cela, m’étais-je écriée, seul un imbécile peut faire un saccage pareil ! » La vieille institutrice m’avait regardée avec une sorte de calme curiosité, un peu réprobatrice, comme un petit élève qui aurait sorti une incongruité, une lapalissade : «Mais ma pauvre, c’est bien parce que c’était un imbécile qu’il était maire… Les gens intelligents ont autre chose à faire de leur vie. »
Et c’est la somme de tous ces imbéciles qui détruit la France, celle de l’institutrice, du cloître, de Lavaudieu, qui détruit maintenant le monde entier, sa flore, sa faune, toutes ses merveilles, et nos âmes par-dessus le marché.


Lavaudieu

4 commentaires:

  1. LA 5G Laurence ,C'est partout qu ils preparent son arrivee et coupent les arbres..MONSTRUEUX...

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  2. Oh je n'avais pas pensé aux arbres!!! Les cochons!!!

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  3. L'Auvergne que tu décris-là, je l'ai connu enfant lorsque j'y passais mes vacances avec les vaches, les poules et les tas de fumier. Mes cousins nous servaient des casse-croutes délicieux avec le même café que celui de Lavaudieu et une grande tante à moi avait abattu un lapin devant moi le plus naturellement du monde pour le cuisiner pour nous. J'avais sept ans et il est possible que cette scène m'a sauvé de l'écologie bobo. J'ai visité Lavaudieu en 2014, c'est un joli endroit mais semble-t-il pris en otage par des gens recherchant plus la rentabilité que le partage d'un patrimoine dont ils seraient fiers, en tout cas, je n'ai pas visité le cloître car le tarif était fort cher... N'empêche que tout ce vernis boboïde qui s'est emparé de l'Auvergne semble facile à craquer à la première occasion, les quelques amis que j'ai revu à Noël ont gardé beaucoup de bon sens sur le sujet des GJ comme d'autres.

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