Sur la route de Moscou, j’ai pris en stop un moine
édenté et loqueteux avec un gros sac. Il rentrait dans son monastère, près de
Saint-Pétersbourg et de Valaam, et avait besoin d’être déposé gratis à
l’embranchement de la « bétonka » qui l’amènerait du côté de Tver,
sur la route ad hoc. Il semblait avoir beaucoup d’amour pour son higoumène.
Nous avons parlé de tout et de rien orthodoxes et entre autres, des églises en
urgent besoin de restauration, des gâteaux d’anniversaire inutiles bâtis on ne
sait pourquoi, et des restaurations malheureuses. « Pourquoi, lui dis-je,
s’il existe pour les restaurations une commission moscovite si pointilleuse,
a-t-on laissé édifier aux Solovki, dans l’église du XVI° siècle construite par
le métropolite Philippe, une iconostase hideuse, boursouflée et aveuglante
d’or, autour d’icônes moches et disparates ?
- Les iconostases de ce genre, c’est à cause des
bienfaiteurs…
- Ah, vous voulez dire les sponsors qui financent
et qui ont un goût épouvantable ?
- Ils tiennent à ce que cela fasse riche, comme
eux…
- Et la commission de Moscou, elle laisse
faire ?
- Eh bien, parce qu’ils sont riches, ils achètent qui
ils veulent… »
Il m'a appris que l'iconostase en céramique du monastère de Zadonsk avait été commandée en 1905 en France. Détruite puis restaurée par un mécène, qui en a restauré cinq en tout, en Russie, et a donné à ses enfants les noms des saints auxquels étaient consacrés les monastères ou les églises objets de ses largesses.
Le moine, en me quittant, m’a demandé mon nom pour
prier pour moi.
Je suis arrivée à Moscou et après une escale à « l’autocentre »
Renault de Mytichi, je suis allée aux vêpres de mon église de Krasnoselskaïa.
Outre qu’elleest restaurée avec goût, elle, elle a aussi un joli jardin
décoiffé qui évite les pièges du petit massif où les fleurs sont alignées comme
des chiffres sur un tableau Excel. Beaucoup de gens, même religieux, ne
supportent la nature que transformée et contrainte, comme d’ailleurs les
enfants qui doivent être obligatoirement bien peignés et assis sur les bancs d’une
école.
Je convoite depuis longtemps un rejet du
magnifique églantier blanc de ce jardin, et il en fait plein, mais je n’ai
jamais pu trouver la jardinière, et le père Valentin ne pense pas à s’en
occuper, j’ai essayé auprès du père Valéri, on verra bien…
Le père Valentin a évoqué à table avec fureur les
responsabilités russes dans le désastre du tomos ukrainien, nous avons maintes
fois offensé les Grecs, et voilà. C’est bien possible, mais les raisons les
plus importantes, outre la soif de vengeance et de gloriole du pape du Phanar,
c’est qu’il est entièrement sous la coupe américaine, ce que l’actualité
démontre sans équivoque, même quand on essaie de faire croire le contraire…
Il a dit aussi que l'affaire Ukrainienne était pour la patriarche Cyrille une tragédie personnelle, dont il souffrait profondément et sincèrement.
Il a dit aussi que l'affaire Ukrainienne était pour la patriarche Cyrille une tragédie personnelle, dont il souffrait profondément et sincèrement.
A la liturgie du matin, le père Théodore (que j’adore,
mais j’aime tous les prêtres de Krasnoselskaïa) m’a communiée sous le nom de
Lavrentia. Eh bien finalement, après y avoir renoncé, j’accepte ce nom, presque
un nom de moniale, et un bon compromis entre mon nom français et ma
russification partielle. Cela m’a même donné une grande joie.
J’ai pris avec moi au retour une artiste-peintre,
Ioulia, une amie de Yelena Andreïevna Afanassieva. Elle veut louer la moitié de
ma maison au mois de juillet, pour elle et sa mère, et ne savait plus à quel
saint se vouer, car elle a eu toutes sortes d’avanies avec ses logements de
vacances, je vais donc leur fournir celui de cette année. Elle a fait de nombreux dessins au crayon de
couleur des maisons détruites ou en perdition de Pereslavl, et voudrait les
exposer quelque part. Elle m’en amontré un, que j’ai trouvé très joli. Ce sera
pour moi aussi une possibilité de m’absenter un peu sans laisser les chats tout
seuls. J’ai commandé une cuisine. Mes
hôtes auront un appartement indépendant.
Ioulia m’a dit que ses considérations sur le
massacre des jolies maisons de Pereslavl lui avaient valu une grande hostilité,
même chez le personnel du musée local : « Vous vous êtes gobergés à
Moscou, alors laissez-nous en profiter à notre tour ! » Car
évidemment, bâtir une horreur pseudo occidentale ou recouvrir de plastique la
jolie maison de la grand-mère, c’est accéder à l’empyrée de la classe
supérieure.
Hier, l’Europe votait, et je me suis abstenue.
Depuis plusieurs mois, j’essayais de me convaincre d’aller m’inscrire sur les
listes de l’ambassade, mais autant j’avais tout fait pour voter aux
présidentielles, autant je manquais cette fois de conviction, cette conviction
qui m’aurait poussée à prendre rendez-vous dans le blockhaus haïssable de la
Yakimanka. D’abord, aucun des candidats ne m’inspire une grande confiance, et j’en
ai marre de faire barrage. Le seul pour qui j’aurais voté à la rigueur, c’est
Dupond-Aignant. Et puis à vrai dire, je pense que tout ceci est une gigantesque
arnaque et je n’ai pas envie de donner satisfaction à ceux qui font semblant de
nous consulter. Comme beaucoup de gens,
j’ignore les arcanes de la politique, et l’on s’emploie à me laisser dans cette
ignorance. Mon instinct m’avertit que telle ou telle personne, c’est l’enfer
incarné, mais celle pour qui je vais voter n’est-elle pas aussi un leurre ?
Enfin la notion même de parti me fait horreur, la démocratie me fait horreur,
la démocratie, c’est la guerre civile larvée ou déclarée, l’atomisation des
individus, et je suis pour la communauté monarchique médiévale, qui permet au
peuple de rester un tout organique et de
s’occuper de son âme, au lieu de perdre son temps et ses forces à entre-déchirer
pour le plus grand bien d’oligarques mafieux immondes qui sont l'aboutissement
obligatoire du principe démocratique et dont nous protégeaient nos rois et nos
tsars. La fin du monde est à nos portes, et comme dit le père Costa de
Beauregard, il s’agit de se concentrer sur l’essentiel.
L’idée démocratique est l’arme fatale contre les
défenses naturelles d’un peuple, contre son unité et son génie. Elle a causé
plus de morts et de massacres dans le monde entier que toutes les monarchies
réunies. Et elle est à l’origine de la perdition définitive de l’Europe, qui se
produit sous nos yeux.
Le dessin de Ioulia |