Me voici à Zadonsk, au delà du Don, que j'ai vu et franchi pour la première fois de ma vie et qui est, à cet endroit, encore une petite rivière. Je suis à 400 km au sud de Moscou, et le paysage a changé, on ne voit plus de sapins, mais des pins, des chênes, moins de bouleaux, et ils sont différents. Des espaces vallonnés, de vastes champs de tchernoziom qui est plus violet que noir. J'ai l'impression parfois de voir la Beauce en plus grandiose, en plus décoiffé, en plus naturel. Beaucoup de ciel, de très beaux nuages aux vapeurs tour à tour brillantes et sombres qui, à l'approche de Zadonsk, nous ont déployé un arc-en-ciel pour nous souhaiter la bienvenue. La ville garde sa structure d'antan, sur une colline, au dessus du Don, et la lumière jouait sur l'immense tapis de verdures diverses qui la portent, comme si on nous l'avait présentée sur une nappe précieuse, avec son monastère bleu en plein centre.
De près, le monastère où vécut saint Tikhon de Zadonsk offre pas mal de faute de goûts, mais l'ensemble est pimpant, et les jeux des nuages avec les coupoles me fascinaient complètement. Il date du XVIII°siècle, avec le côté pâtisserie et antiquailleries de l'époque. Après la révolution, il a servi d'usine et d'entrepôt.
J'ai été accueillie, avec Ekaterina Igorevna, par le père Gabriel, qui m'a mise à l'hôtel d'en face, à cause de Rita. Je ne pouvais laisser Rita à personne et c'était la condition sine qua non de ma venue aux conférences, mais je me demande comment cela va se passer, car si elle reste dans la chambre d'hôtel, elle va pousser des cris déchirants qui vont ameuter l'établissement, et il fait déjà trop chaud pour prendre le risque de la laisser dans la voiture... Je crois que par faveur spéciale, on m'accueillera partout avec ma chienne dans son sac... Enfin partout sauf à l'église et même au monastère.
Ekaterina Igorevna a voulu m'emmener dans l'église, après le repas au réfectoire, et m'a proposé de m'incliner sur les reliques de saint Tikhon, mais un type a sifflé comme un serpent dont on écrase la queue: "Qu'est-ce que vous faites du côté des hommes?" Autrefois, les églises étaient divisées en deux parties, d'un côté les hommes, de l'autre les femmes. Le père Valentin a viré un gardien qui s'obstinait à nous diviser de cette manière, ce qui le mettait en fureur. Mais à saint Tikhon, cela semble l'usage, ou bien c'est le type qui attendait l'occasion de réprimander quelqu'un, mais pas de chance, la châsse du saint se trouvant pour nous, humbles femelles, du mauvais côté, j'ai renoncé à aller la vénérer, après le dimanche des Femmes Myrrophores, ça fait un peu désordre, mais bon...
Ce n'est pas de chance, car en entrant dans cette église rococo, j'avais été saisie par la pénombre, l'odeur d'encens, l'éclairage parcimonieux des cierges, et la voix fervente du moine qui lisait avec douceur et lenteur, bien que l'office fût terminé, peut-être pratiquent-ils la lecture continue des psaumes.
Dommage que l'on ne profite pas des ravages opérés par le régime soviétique pour réparer les meringues avec sobriété, sans en rajouter dans le marbre et la dorure, peut-être même que leurs stucs y gagneraient en noblesse. Dans le réfectoire, on a associé les fioritures du XVIII° à des icônes de style traditionnel. C'est un peu surprenant. On dirait un téléscopage d'époques, au moment de la fin, tout se superpose, se mélange, et à cela s'ajoutent les découvertes archéologiques des derniers siècles, cette espèce de récapitulation ultime... Même le monastère de Solan, en construisant sa merveilleuse église de pierre, a fait une récapitulation des styles romans du coin, alors même qu'on s'attaque pour de bon à notre patrimoine. Il y a quelque chose là dedans de mystérieux qui se ressent particulièrement en Russie, peut-être aussi parce que les Russes sont beaucoup plus sensibles aux mystères et aux signes que les Français. J'en discutais justement hier avec le père Valentin, à propos de la soeur Marie-Rose et de mon "monde merveilleux" que je ne voulais pas quitter. Je ne voulais pas le quitter, parce qu'il est naturel à l'homme. L'homme a vécu dans un monde merveilleux, terrible, mais merveilleux, jusqu'à ce que des intellectuels sinistres viennent rétrécir notre réalité en proclamant seuls valables ses pitoyables restes mutilés et en se vantant d'avoir "éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront jamais plus". Les Russes et moi avons des étoiles inextinguibles.
Saint Tikhon de Zadonsk est un grand saint russe, très vénéré, dont voici une courte biographie:
http://religion-orthodoxe.eu/2017/07/saint-tikhon-de-zadonsk.html
Demain, nous partons tous en bus pour Lipetsk à l'aube. Avec Rita dans son sac, espérons qu'elle va se conduire de façon irréprochable, car nous allons avoir une rude journée et un concert cosaque. Ma conférence a lieu après demain matin, sur le thème de l'incendie de Notre Dame, réflexions sur la France et la Russie. C'est la première fois de ma vie que je donne une conférence. Heureusement, elle dure un quart d'heure, c'est minuté. Elle s'adresse à la jeunesse locale, et cela me rappelle l'épisode dans un livre de P.G Woodehouse, où le pauvre Gussie Fink Nottle, spécialiste des tritons, contraint de faire une conférence devant les gosses de l'école du coin, arrive bourré et se couvre de honte.
De près, le monastère où vécut saint Tikhon de Zadonsk offre pas mal de faute de goûts, mais l'ensemble est pimpant, et les jeux des nuages avec les coupoles me fascinaient complètement. Il date du XVIII°siècle, avec le côté pâtisserie et antiquailleries de l'époque. Après la révolution, il a servi d'usine et d'entrepôt.
J'ai été accueillie, avec Ekaterina Igorevna, par le père Gabriel, qui m'a mise à l'hôtel d'en face, à cause de Rita. Je ne pouvais laisser Rita à personne et c'était la condition sine qua non de ma venue aux conférences, mais je me demande comment cela va se passer, car si elle reste dans la chambre d'hôtel, elle va pousser des cris déchirants qui vont ameuter l'établissement, et il fait déjà trop chaud pour prendre le risque de la laisser dans la voiture... Je crois que par faveur spéciale, on m'accueillera partout avec ma chienne dans son sac... Enfin partout sauf à l'église et même au monastère.
Ekaterina Igorevna a voulu m'emmener dans l'église, après le repas au réfectoire, et m'a proposé de m'incliner sur les reliques de saint Tikhon, mais un type a sifflé comme un serpent dont on écrase la queue: "Qu'est-ce que vous faites du côté des hommes?" Autrefois, les églises étaient divisées en deux parties, d'un côté les hommes, de l'autre les femmes. Le père Valentin a viré un gardien qui s'obstinait à nous diviser de cette manière, ce qui le mettait en fureur. Mais à saint Tikhon, cela semble l'usage, ou bien c'est le type qui attendait l'occasion de réprimander quelqu'un, mais pas de chance, la châsse du saint se trouvant pour nous, humbles femelles, du mauvais côté, j'ai renoncé à aller la vénérer, après le dimanche des Femmes Myrrophores, ça fait un peu désordre, mais bon...
Ce n'est pas de chance, car en entrant dans cette église rococo, j'avais été saisie par la pénombre, l'odeur d'encens, l'éclairage parcimonieux des cierges, et la voix fervente du moine qui lisait avec douceur et lenteur, bien que l'office fût terminé, peut-être pratiquent-ils la lecture continue des psaumes.
Dommage que l'on ne profite pas des ravages opérés par le régime soviétique pour réparer les meringues avec sobriété, sans en rajouter dans le marbre et la dorure, peut-être même que leurs stucs y gagneraient en noblesse. Dans le réfectoire, on a associé les fioritures du XVIII° à des icônes de style traditionnel. C'est un peu surprenant. On dirait un téléscopage d'époques, au moment de la fin, tout se superpose, se mélange, et à cela s'ajoutent les découvertes archéologiques des derniers siècles, cette espèce de récapitulation ultime... Même le monastère de Solan, en construisant sa merveilleuse église de pierre, a fait une récapitulation des styles romans du coin, alors même qu'on s'attaque pour de bon à notre patrimoine. Il y a quelque chose là dedans de mystérieux qui se ressent particulièrement en Russie, peut-être aussi parce que les Russes sont beaucoup plus sensibles aux mystères et aux signes que les Français. J'en discutais justement hier avec le père Valentin, à propos de la soeur Marie-Rose et de mon "monde merveilleux" que je ne voulais pas quitter. Je ne voulais pas le quitter, parce qu'il est naturel à l'homme. L'homme a vécu dans un monde merveilleux, terrible, mais merveilleux, jusqu'à ce que des intellectuels sinistres viennent rétrécir notre réalité en proclamant seuls valables ses pitoyables restes mutilés et en se vantant d'avoir "éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront jamais plus". Les Russes et moi avons des étoiles inextinguibles.
Saint Tikhon de Zadonsk est un grand saint russe, très vénéré, dont voici une courte biographie:
http://religion-orthodoxe.eu/2017/07/saint-tikhon-de-zadonsk.html
Demain, nous partons tous en bus pour Lipetsk à l'aube. Avec Rita dans son sac, espérons qu'elle va se conduire de façon irréprochable, car nous allons avoir une rude journée et un concert cosaque. Ma conférence a lieu après demain matin, sur le thème de l'incendie de Notre Dame, réflexions sur la France et la Russie. C'est la première fois de ma vie que je donne une conférence. Heureusement, elle dure un quart d'heure, c'est minuté. Elle s'adresse à la jeunesse locale, et cela me rappelle l'épisode dans un livre de P.G Woodehouse, où le pauvre Gussie Fink Nottle, spécialiste des tritons, contraint de faire une conférence devant les gosses de l'école du coin, arrive bourré et se couvre de honte.
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