Génia Kolesov a réussi à organiser la venue de Skountsev et de son équipe au bar du café la Forêt. Grand événement! Programme de chansons patriotiques cosaques traditionnelles, car c'est la veille de la fête de l'unité russe, qui commémore la libération de l'occupation polonaise au XVII° siècle.
On me rapporte le
téléphone ce soir. En attendant, je suis un peu coupée du monde. Je me suis
attelée à la lecture de « la Pesanteur et la Grâce », que je voulais
lire depuis longtemps, et je l’avais dans ma
bibliothèque, ce que j’avais complètement oublié, j’avais dû l’acheter en
France avant mon départ. Je n’accroche absolument pas. Et pourtant, j’aime
beaucoup Gustave Thibon, qui aimait beaucoup Simone Weil. Je m’étonne qu’un de mes amis se trouve tant de
parenté avec un univers intérieur que je trouve sinistre, désincarné et
totalement dénué de poésie, extrêmement intellectuel, et me passant de ce fait,
d’ailleurs, loin au dessus du bonnet. Je ne suis pas du tout aussi cultivée ni aussi intelligente que Simone Weil et
honnêtement, il m’arrive de ne simplement pas comprendre ce qu’elle exprime. Je
me demande avec angoisse si ce qu’elle expose là est la condition sine qua non
de la vie spirituelle, et à quoi ressemble le paradis auquel on accède de cette
manière. Pourtant, j’ai lu des textes spirituels, dans ma vie, qui ne me
faisaient pas cet effet-là. Je devrais
les relire.
La grâce n’arrive
que lorsque on a tout détruit en soi, qu’on est au fin fond du désespoir et que
l’on est détaché de tout. Curieusement, j’ai eu des états de grâce, moi qui ne
suis détachée de rien et qui aime la vie, à des moments parfois difficiles,
mais en des moments non moins difficiles, je ne les ai pas eus : quand je
m’occupais de maman, ou quand j’étais à l’hôpital. A l’hôpital, pourtant, je me
sentais vraiment en enfer, prier m'a probablement gardée de péter les plombs, mais ne m'apportait pas de grâce dans ma déprime. Cette question m’a poursuivie toute ma vie. Je lui
consacre deux chapitres dans Yarilo, où Fédia pose mes propres questions au
moine Gérasime puis au métropolite Philippe, ce sont des questions d’être
créatif et extatique, qui vit dans la dimension poétique et a une appréhension
sensible et sensuelle du monde. A savoir que si Dieu nous a équipés pour
ressentir les choses de cette manière, j’ai du mal à comprendre pourquoi il
nous demande d’y renoncer, ce qui est extrêmement difficile à qui n’est pas de
naissance un être frigide sur tous les plans. Je pense que lorsqu’un curé, au
catéchisme, m’avait violemment traitée de païenne, j’avais dû plus ou moins lui
parler de cela et je n’ai toujours pas résolu ces contradictions. Cela dit, je
respecte les tourments mystico-philosphiques de Simone Weil et son engagement
absolu, mais son expérience religieuse m’est assez étrangère.
Au fond, je ne
suis pas du tout aussi absolue qu’on pouvait le penser dans ma famille. Je
dirais même que l’absolu me fait froid dans le dos. C’est embêtant, je pourrais
passer à côté de la porte, mais la porte vers quoi ? Certains textes ascétiques me donnent l’impression
de manquer d’air. Les vies édifiantes aussi, bien souvent, d’ailleurs.
Evidemment, je me
reproche de ne pas prier assez assidument, mais qu’est-ce que prier ? Si c’est
lire des prières, les réciter, du matin au soir, je ne le fais pas, parce que j’ai
vite un espèce d’overdose de bondieuserie. Je le fais, mais pas du matin au
soir, et je ne cherche pas la souffrance et l’autoanénatissement. J’écris, je
témoigne, je fais de la musique, je contemple, je dessine... Je disais à mon
père Valentin : « Après mes souvenirs d’enfance, je n’écrirai plus
rien que des vers, écrire et promouvoir des livres me prend trop la tête, et je ne m’occupe pas de prier
et contempler...
- Si vous avez un
livre qui vous vient en tête, vous serez bien obligée de l’écrire... » m’a-t-il
répondu.
Voilà....
Entre parenthèses,
ce que je fais avec mon blog et mes livres, c’est un vrai travail, littéraire
et même technique, le nombre de fois où je dois traduire, et puis aussi le
temps et les crises de nerfs que réclament la publication des photos et vidéos
qui ne passent pas, on ne sait pas pourquoi... Il y a des moments où je me demande
pourquoi je le fais, certainement pas pour l’argent, cela me coûte
considérablement plus que cela ne me rapporte ! Peut-être que l’essentiel
est justement de faire ce qu’on doit et peut faire d’une façon assidue et
désinteressée ? De poser sa petite pierre dans la grande cathédrale, sans
saloper le boulot des autres ? De donner son petit coup de triangle dans
la grande symphonie sans y créer de facheux couacs?
J'ai vu sur Facebook des cartes postales des illuminations de Moscou pour le couronnement de Nicolas II. Et des photos d'un quartier tel qu'il était autrefois. Ce n'est pas si vieux, et pourtant, ces images arrivent comme des fantômes d'un monde fabuleusement beau dans le chaos tonitruant qu'est devenu le nôtre... Il y aurait beaucoup à penser et à dire. Cette église qui plane comme une vision sur ces maisons de bois, avec ses coupoles renflées, un aéronef pour les âmes. Je pense qu'elle a été détruite et si elle ne l'a pas été, on l'a probablement enfermée entre des monstres de béton qui s'occupent d'empêcher à jamais l'espèce humaine de planer, ou qui, s'ils n'y parviennent pas tout à fait, s'efforcent inlassablement de le faire. C'est la civilisation carcérale planétaire dont a accouché le siècle des "Lumières"....