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dimanche 23 octobre 2022

Aéronef

 


Génia Kolesov a réussi à organiser la venue de Skountsev et de son équipe au bar du café la Forêt. Grand événement! Programme de chansons patriotiques cosaques traditionnelles, car c'est la veille de la fête de l'unité russe, qui commémore la libération de l'occupation polonaise au XVII° siècle.
Hier, j'ai déjeuné au restaurant de Boris Akimov; avec Katia, au village miraculeusement préservé de Kniajevo. Il sert des produits naturels de sa ferme cuisinés dans un poële russe. En attendant de déjeuner, nous avons fait un tour par la rue principale, et rencontré l'ânesse Doussia et deux petits taureaux, et tout ce monde s'est mis à nous suivre en cherchant des caresses... 


On me rapporte le téléphone ce soir. En attendant, je suis un peu coupée du monde. Je me suis attelée à la lecture de « la Pesanteur et la Grâce », que je voulais lire depuis longtemps, et je l’avais dans ma bibliothèque, ce que j’avais complètement oublié, j’avais dû l’acheter en France avant mon départ. Je n’accroche absolument pas. Et pourtant, j’aime beaucoup Gustave Thibon, qui aimait beaucoup Simone Weil. Je m’étonne qu’un de mes amis  se trouve tant de parenté avec un univers intérieur que je trouve sinistre, désincarné et totalement dénué de poésie, extrêmement intellectuel, et me passant de ce fait, d’ailleurs, loin au dessus du bonnet. Je ne suis pas du tout aussi cultivée  ni aussi intelligente que Simone Weil et honnêtement, il m’arrive de ne simplement pas comprendre ce qu’elle exprime. Je me demande avec angoisse si ce qu’elle expose là est la condition sine qua non de la vie spirituelle, et à quoi ressemble le paradis auquel on accède de cette manière. Pourtant, j’ai lu des textes spirituels, dans ma vie, qui ne me faisaient pas cet effet-là.  Je devrais les relire.

La grâce n’arrive que lorsque on a tout détruit en soi, qu’on est au fin fond du désespoir et que l’on est détaché de tout. Curieusement, j’ai eu des états de grâce, moi qui ne suis détachée de rien et qui aime la vie, à des moments parfois difficiles, mais en des moments non moins difficiles, je ne les ai pas eus : quand je m’occupais de maman, ou quand j’étais à l’hôpital. A l’hôpital, pourtant, je me sentais vraiment en enfer, prier m'a probablement gardée de péter les plombs, mais ne m'apportait pas de grâce dans ma déprime. Cette question m’a poursuivie toute ma vie. Je lui consacre deux chapitres dans Yarilo, où Fédia pose mes propres questions au moine Gérasime puis au métropolite Philippe, ce sont des questions d’être créatif et extatique, qui vit dans la dimension poétique et a une appréhension sensible et sensuelle du monde. A savoir que si Dieu nous a équipés pour ressentir les choses de cette manière, j’ai du mal à comprendre pourquoi il nous demande d’y renoncer, ce qui est extrêmement difficile à qui n’est pas de naissance un être frigide sur tous les plans. Je pense que lorsqu’un curé, au catéchisme, m’avait violemment traitée de païenne, j’avais dû plus ou moins lui parler de cela et je n’ai toujours pas résolu ces contradictions. Cela dit, je respecte les tourments mystico-philosphiques de Simone Weil et son engagement absolu, mais son expérience religieuse m’est assez étrangère.

Au fond, je ne suis pas du tout aussi absolue qu’on pouvait le penser dans ma famille. Je dirais même que l’absolu me fait froid dans le dos. C’est embêtant, je pourrais passer à côté de la porte, mais la porte vers quoi ?  Certains textes ascétiques me donnent l’impression de manquer d’air. Les vies édifiantes aussi, bien souvent, d’ailleurs.

Evidemment, je me reproche de ne pas prier assez assidument, mais qu’est-ce que prier ? Si c’est lire des prières, les réciter, du matin au soir, je ne le fais pas, parce que j’ai vite un espèce d’overdose de bondieuserie. Je le fais, mais pas du matin au soir, et je ne cherche pas la souffrance et l’autoanénatissement. J’écris, je témoigne, je fais de la musique, je contemple, je dessine... Je disais à mon père Valentin : « Après mes souvenirs d’enfance, je n’écrirai plus rien que des vers, écrire et promouvoir des livres me prend trop la tête, et je ne m’occupe pas de prier et contempler...

- Si vous avez un livre qui vous vient en tête, vous serez bien obligée de l’écrire... » m’a-t-il répondu.

Voilà....

Entre parenthèses, ce que je fais avec mon blog et mes livres, c’est un vrai travail, littéraire et même technique, le nombre de fois où je dois traduire, et puis aussi le temps et les crises de nerfs que réclament la publication des photos et vidéos qui ne passent pas, on ne sait pas pourquoi... Il y a des moments où je me demande pourquoi je le fais, certainement pas pour l’argent, cela me coûte considérablement plus que cela ne me rapporte ! Peut-être que l’essentiel est justement de faire ce qu’on doit et peut faire d’une façon assidue et désinteressée ? De poser sa petite pierre dans la grande cathédrale, sans saloper le boulot des autres ? De donner son petit coup de triangle dans la grande symphonie sans y créer de facheux couacs?

J'ai vu sur Facebook des cartes postales des illuminations de Moscou pour le couronnement de Nicolas II. Et des photos d'un quartier tel qu'il était autrefois. Ce n'est pas si vieux, et pourtant, ces images arrivent comme des fantômes d'un monde fabuleusement beau dans le chaos tonitruant qu'est devenu le nôtre... Il y aurait beaucoup à penser et à dire. Cette église qui plane comme une vision sur ces maisons de bois, avec ses coupoles renflées, un aéronef pour les âmes. Je pense qu'elle a été détruite et si elle ne l'a pas été, on l'a probablement enfermée entre des monstres de béton qui s'occupent d'empêcher à jamais l'espèce humaine de planer, ou qui, s'ils n'y parviennent pas tout à fait, s'efforcent inlassablement de le faire. C'est la civilisation carcérale planétaire dont a accouché le siècle des "Lumières"....













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