Le jour de la riposte russe sur l'Ukraine, j'ai reçu comme réponse à mon annonce pour la présentation de mon livre, d'une dame que je connais la déclaration suivante: "Les nôtres bombardent Kiev, tout est fini, je ne ferai pas de commentaires". Suivait une vidéo, où un hiérarque ukrainien faisait un sermon apocalyptique sur la nécessité de se repentir d'urgence, de pardonner et autres conseils spirituels tout à fait valables, mais dont le caractère pressant et alarmiste indiquait que nous étions à la veille d'un Armaggedon retentissant, et j'ai failli m'épouvanter, mais j'ai quand même pour cela attendu la suite. Bon, pour l'instant, nous n'en sommes pas là. Attaque surprise sur les infrastructures, en riposte au sabotage de Nord Stream, à l'attentat du pont de Crimée. A chaque jour suffit sa peine.
J'en discutais aujourd'hui avec Lika au café, elle me disait qu'il y avait comme cela des gens qu'il fallait tenir à distance, car la propagande consiste à agir sur les émotions, et à semer la panique et le doute. Ceux qui marchent là dedans deviennent toxiques pour les autres.
Pénétrée de la vérité de cette assertion, j'essaie de ne pas céder à l'angoisse. L'avant-veille de la riposte, chose curieuse, j'ai reçu un coup de fil de cette femme francophone très orthodoxe que j'avais rencontrée au monastère saint Nicétas, et qui m'avait emprunté un livre du père Placide. Elle vit maintenant très retirée dans un village perdu, loin des réseaux sociaux, comme une ermite, et voulait me racheter ce livre, dans lequel elle trouve sa nourrriture spirituelle. "Comment allez-vous? me demande-t-elle.
- Pas mal, la situation m'angoisse un peu.
- Il ne faut pas, voyons! Tout va bien, tout se déroule selon le plan. Et le pays commence à se purifier, c'est très positif. Tout ira bien! Ne vous faites pas de souci. Moi, j'ai confiance."
Ma voisine Ania n'était pas au courant, je lui ai appris les événements. "Enfin"... a-t-elle soupiré. Nous avons parlé des Français endoctrinés et des Russes qui ne comprennent rien: "Ce sont des gens instruits, me dit-elle, à croire que leur cerveau ne leur sert à rien, et ils nous prennent pour du bétail".
Les Messerer sont passés me voir, ils se rendaient à Ferapontovo, où, disent-ils, l'enlaidissement général se manifeste aussi maintenant, et pourtant, c'est un endroit classé où il était théoriquement interdit de construire n'importe quoi. Sacha ajoute même que dans leur village, qui avait tant de charme, il n'y a plus rien à dessiner, que tout est défiguré, peinturluré, plastifié.
Avec Sacha Messerer, dans l'entrée refaitede ma maison |
A ce propos, Boris Akimov a interviewé un garçon qui a visité toute la Russie, en quête de ce qu'il y restait encore de poésie. Il faut aller toujours plus loin, et ce qu'il subsiste est de plus en plus délabré. Le jeune homme s'étonne comme moi qu'un peuple qui créait spontanément tant de beauté puisse à présent ne plus en avoir aucune idée, aucun besoin, aucun respect. Cela lui semble un symptôme très inquiétant, car si la beauté vient de Dieu, la laideur vient du diable, elle reflète le chaos et l'absence d'harmonie, une harmonie qui est inhérente au cosmos, et à laquelle l'homme était autrefois relié. Il explique que les lois de la beauté sont partout les mêmes, qu'on construise une isba ou le Parthénon, elles sont naturelles, elles sont organiques. La disparition de la beauté est le signe que l'humanité disparaît et que Dieu se retire du monde ou que nous l'en chassons. Restaurer l'harmonie est un acte thérapeutique de réconciliation avec Dieu, sa création et notre vocation humaine, ce qui répond à la fameuse phrase de Dostoievski citée à tort et à travers:"la beauté sauvera le monde". Et a contrario, la laideur est en train de le perdre. Boris Akimov se propose de participer à la restauration de la beauté partout où c'est possible, et de toutes les manières: rénovation de maisons, d'églises, renaissance du folklore, car c'est dans le lien à tout cela que notre être s'inscrit dans la mémoire universelle, et que notre âme trouve le terreau nécessaire à son épanouissement. J'étais heureuse de trouver dans ce documentaire deux êtres qui partageaient ma souffrance devant cette catastrophe de la disparition de la Russie. Car si la beauté s'en va, le génie russe aussi, le génie humain. Après la dékoulakisation, qui n'a pas eu lieu seulement en Russie, mais, de façon diverse, dans tout l'occident progressiste, matérialiste, dévoyé et avili, après l'assassinat de la civilisation paysanne, on procède à la déshumanisation, pour arriver, dans la cervelle malade de la caste dominante, au transhumanisme.
Le jeune homme de la vidéo dit que le besoin de beauté, et l'instinct créateur, se sont poursuivis jusqu'au milieu du XX° siècle et en effet, ils ont continué sur la lancée des générations nées dans l'ancienne Russie ou élevées par ceux qui en gardaient l'esprit. En ce sens, le communisme s'inscrivait bien dans cette mentalité moderne bassement utilitariste qui a fait de l'occident un asile de fous, modèle que les Russes actuels rejettent partiellement, sans toujours comprendre que ce sont les deux faces d'une même médaille. Douguine le comprend, et certains l'accusent de vouloir retourner à l'époque des "paysans en lapti", paysans qui avaient finalement assez de temps et d'énergie vitale pour produire constememnt de la beauté autour d'eux, alors que leurs descendants qui les méprisent, sont soumis dès les bancs de l'école à un conditionnement qui ne laisse aucune place à l'épanouissement personnel ni à aucune espèce de créativité, de vie intérieure, de transcendance. Abrutis par la télé, la musique au rabais, grandis dans le béton et le mauvais goût, ils expriment dans ce qu'ils édifient autour d'eux toutes les disgrâces de leurs âmes contrefaites et sous alimentées. Il faut déployer de grandes forces pour surmonter tout cela et sortir de ce système, et plus encore pour trouver une forme de spiritualité. De ce cercle infernal; nous sommes tous prisonniers, et nous arrivons au fond de ce maleström, qu'on nous présentait comme ascensionnel et qui ressemble de plus en plus à une descente dans les cercles de l'enfer. La question que je me pose, c'est la Russie aura-t-elle encore assez de sève pour reverdir?
Aujourd'hui, j'ai fait un tour le long de la rivière Troubej, où l'on construit tellement d'horreurs, mais où deux ou trois maisons vont à contre-courant du disparate et du mal fichu.
maison en cours de réfection, avec son propriétaire |
C'est avec un grand plaisir que j ai découvert votre blog. A travers vos chroniques je m evade du quotidien devenu tellement angoissant. Vous dites très joliment tout ce que je ressens du fin fond de ma campagne. Hélas à travers vos écrits je constate qu une partie de la Russie s est laissé séduire par les sirènes occidentales. Ne pas perdre la Foi se ressourcer grâce à la Nature et aux Animaux. Caresses à vos protégés.
RépondreSupprimerBien cordialement
Bien sûr,et la Russie a été l'objet d'une véritable rééducation. Il reste quand même beaucoup de Russes qui sont russes. J'observe que nous en arrivons tous aux mêmes recours, la contemplation, la foi, le retrait du monde...
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