Expédition au monastère Anastassov, près de l’ancienne petite ville d’Odoiev,
dans la région de Toula. Je devais laisser ma voiture au garage près de Moscou,
pour une remise en forme, puis dans la foulée, partir avec Oleg le journaliste, pour aller
rejoindre l’higoumène de ce monastère, le père Parthène, qui m’avait invitée.
Le paysage
de la région de Toula me rappelait vaguement la France, par la douceur de ses
collines, et ses essences d’arbres moins sévères et moins nordiques. Le
monastère apparaît à flanc de coteau, sans horribles constructions tout autour.
C’est la Russie éternelle, comme on l’imagine, d’autant plus que les bâtiments
sont dans le style du XVI° siècle, bien que récents, pour la plupart, le monastère
ayant été presque complètement détruit, mais l’higoumène Parthène était
architecte, et il a bien travaillé, sans incohérences ni fautes de goût.
Je me suis
retrouvée dans cet endroit absolument silencieux, sans aucun moustique, devant
un paysage intact, avec des arbres magnifiques, des ormes, des pins, et le cri
des martinets dans l’air du soir. Au dessus de la petite rivière, des collines,
des brumes qui les recouvraient partiellement se levait une énorme lune dorée. Je
ne sais pas pourquoi, la lune me paraît
toujours beaucoup plus grosse en Russie qu’en France. « On dirait un
tableau de Vroubel ou un dessin de Bilibine », dis-je à l’higoumène.
Le père Parthène
nous a reçus à dîner, il voulait absolument me gaver de sucreries, qui me sont
défendues. « Cela fait dix ans que j’ai du diabète, je mange sucré quand
même, et je suis bien vivant ! » Il a ensuite joué de l’accordéon, et
il en a prêté un à Oleg, sur lequel était écrit « Ukraine ». « C’est
un trophée de guerre, nous dit-il. J’ai reçu il y a quelques temps des Wagner
qui l’avaient récupéré au front, et me l’ont donné ».
Le père Parthène
est chaleureux, intelligent, plein d’humour et très malin. « Vous êtes un
petit rusé, père, observai-je, en riant.
- C’est pour
cela que je suis higoumène ! Vous connaissez l’anecdote ? Deux
higoumènes échangent des nouvelles de leurs monastères respectifs. « Ca
va, toi ?
- Oh nous
avons eu cete année trois grands malheurs : la mort d’une vache, l’incendie
d’un bâtiment, et la visite de l’évêque ! »
L’higoumène
Parthène était si content de ma visite qu’il m’a fait cadeau d’une magnifique
petite icône sculptée ancienne de saint Nil le Stylite, à ne pas confondre avec
saint Nil de la Sora. Il m’a dit que son film sur moi était meilleur que celui
de Victor le Blogueur, car j’y étais beaucoup mieux filmée, par les soins d’Oleg,
ce qui n’est pas faux. Il me passait au téléphone des gens qui l’appelaient
pour m’exprimer leur enthousiasme à l’issue de cette émission.
Le
lendemain, je suis allée aux matines, dans l’église principale, dont l’intérieur
est digne de l’extérieur, simple et beau. Du haut de la galerie extérieure, je
contemplais une brumeuse gloire matinale traversée par les hirondelles et les
martinets, pareils à de petits anges lestes et affairés. Après les matines, ne
voyant pas arriver la liturgie, mais l’heure du départ prévu pour le festival
du jouet de Filimonovo, je regagnai ma chambre et appelai Gleb. On m’attendait
pour le petit-déjeûner « français », qui n’avait rien de français,
concombres, tomates du jardin, fromage blanc et lait du monastère. Outre la
visite du festival et des musées du jouet en terre et de la broderie, nous
devions écouter le concert des « Petites alouettes d’Odoiev », un
ensemble folklorique de fillettes, patronné par notre higoumène Parthène.
Il faisait
dans le centre-ville une chaleur terrible, et il y régnait une ambiance de
kermesse, avec le vacarme correspondant. Le père Parthène voulait tout me
montrer, me présenter tout le monde et m’offrir tout ce qui me tombait sous les
yeux. Gleb n’arrêtait pas de parler, et il avait ses idées, lui aussi. Je
cherchais une amie, Lisa, qui collectionne les jouets en terre depuis son
enfance. Les stands étaient loin de proposer tous des jouets authentiques, il y
avait malheureusement pléthore de kitscheries dégoûtantes, mais je suis tombée
sur deux vieux, le frère et la soeur, qui avaient poursuivi sans pouvoir la
transmettre la tradition familiale, et j’ai acheté un magnifique « arbre
de vie » très poétique et très symbolique qui me rappelait mon « vers
spirituel » préféré :
Au milieu du
paradis
L’arbre
croit et resplendit.
Les feuilles
en sont de satin
Les pommes
de l’or le plus fin
Et les
oiseaux séraphins
Chantent pour
les chérubins.
Le programme
musical continuait à nous bétonner les oreilles d’un boum-boum constant avec
des variations pseudo-folkloriques à la surface, ou du sirop patriotoïde. J’attendais
les « petites alouettes » avec impatience pour quitter cet endroit
surchauffé, et j’ai pu constater qu’elles étaient largement les meilleures. Habillées
de costumes simples et authentiques, et non déguisées en poupées russes et en
matriochkas, elles chantaient et dansaient du vrai folklore avec un naturel
délicieux et si rafraichissant, sur le fond de toutes ces grimaces et de tout
ce toc ! Je les ai chaleureusement félicitées, et elles étaient ravies,
car elles avaient vu l’émission du père Parthène, l’une d’elles m’a quand même
demandé si j’étais une Française réelle.
De retour au
monastère, déjeuner, et puis le père Parthène voulait à nouveau me filmer et m’interroger,
notemment sur « Parthène le Fou », dont le titre l’avait frappé,
forcément, et dont je venais de lui offrir un exemplaire. J’étais absolument
épuisée par mon périple et la chaleur, et me suis aperçue que ce n'était pas seulement le pseudonyme que partageait l'higoumène avec Ivan le Terrible, mais l'art russe d'amener les gens à faire ce qu'ils n'avaient pas du tout l'intention de faire au départ!
Enfin Lisa
est passée me prendre, avec trois copines, dont l’une avait exigé un détour de
cent kiomètres pour aller à Toula dans un magasin qui, seul en Russie sans
doute, vendait un alcool particulier. Sur le chemin du retour, elle me
racontait sa vie dans la région de Tver, où elle s’est installée avec son
compagnon, et sa chienne des Pyrénées. C’est une femme d’une rare énergie, rien
ne lui fait peur, elle a toutes sortes d’activités de couture et de modelage, plus
l’élevage des poules, mais depuis qu’elle est en ménage, elle ne travaille plus
pour gagner sa croûte. « La voilà, la vraie libération de la femme !
m’exclamai-je.
- Le
travail, me répond-elle, c’est l’horreur. »
Elle m’a laissée chez Macha, la fille de mon père spirituel, à Peredelkino, après plus de
trois heures de voiture. Il me restait à récupérer ma Logan le lendemain et à
rentrer chez moi. Son fils Marc, qui a onze ans, lui a déclaré pendant qu’elle
me montrait ma chambre : «J’espère que dans son blog, elle écrira que je
suis le meilleur ! »
De retour à Pereslavl, j'ai trouvé presque autant de vacarme et d'agitation que dans la rue principale d'Odoïev. Le bricoleur sciait, les jeunes débiles pétaradaient, le café français était pris d'assaut, et Lika n'avait pas pensé à amener Rita!