Voici le paysage que j'ai découvert ce matin. De la neige, de superbes nuages, une lumière magique.
Ce matin, je suis allée à l'hôpital faire contrôler les choses. Depuis hier soir, j'ai mal, je n'avais pas eu mal après l'opération, mais maintenant, si. "C'est normal, me dit l'infirmière qui me refait les pansements, vous aurez peut-être même un peu d'oedème, mais c'est comme ça." Le docteur Simakov me dit la même chose et me donne rendez-vous dans dix jours. Donc, comme on dit ici: "Supporte, cosaque!"
C'est embêtant, mais pas intolérable.
Je suis allée donner des chocolats et des livres, les miens, à mes compagnes de chambrée. On s'ennuie tellement à l'hôpital, et ce que je peux dire avec assurance, c'est que mes livres ne sont pas emmerdants. Valentina de Serguiev Possad était toute souriante: finalement, le docteur ne va pas la réopérer. Gloire à Dieu! Je souffrais pour elle.
A ma sortie de l'hosto, avant hier, j'ai eu la visite de Kecha que je connais depuis 1990, il avait alors treize ans, un petit surdoué. J'étais devenue amie avec sa mère, Olia, peintre graveur. Il est venu avec sa femme et son petit garçon Kostia, tout aussi surdoué que lui-même. Puis le soir, j'ai été invitée par des Suisses qui viennent pour la deuxième fois ici. Je les avais rencontrés l'année dernière, ils m'avaient dit qu'ils songeaient à émigrer mais voyageaient à droite et à gauche pour choisir le pays. Ils ont des amis russes, et ils viennent d'ouvrir un compte. Les employés de la banque n'en croient pas leurs yeux, car ils ne sont pas les seuls: des Suisses qui viennent mettre leur argent ici et projettent de venir s'installer!
Ils m'ont dit que la Suisse suivait la même pente fatale que le reste de l'Europe. Et que c'était peut-être même pire, parce que les habitants se surveillaient scrupuleusement les uns les autres, collaborant avec zèle à l'asservissement de tous. Sauf dans les zones rurales. Là, ils ont assisté à une manifestation de plusieurs milliers de personnes qui défilaient avec un joug sur les épaules, en faisant sonner en rythme les grosses cloches qui pendaient de chaque côté, et que c'était très impressionnant, mais personne n'en a parlé dans les médias, bien évidemment.
Je lis avec un immense intérêt les Mémoires d'Outre-tombe, quel style, quelle puissance d'évocation! Et je tombe sur ce passage impressionnant:
"Douce, patriarcale, innocente, honorable amitié de famille, votre siècle est passé! On ne tient plus au sol par une multitude de fleurs, de rejetons et de racines; on naît et l'on meurt maintenant un à un. Les vivants sont pressés de jeter le défunt à l'Eternité et de se débarrasser de son cadavre. Entre les amis, les uns vont attendre le cercueil à l'église en grommelant d'être désheurés et dérangés, de leurs habitudes; les autres poussent le dévouement jusqu'à suivre le convoi au cimetière; la fosse comblée, leur souvenir est effacé. Vous ne reviendrez plus, jours de religion et de tendresse, où le fils mourait dans la même maison, dans le même fauteuil, près du même foyer où étaient morts son père et son aïeul, entouré comme ils l'avaient été, d'enfants et de petits-enfants en pleurs, sur qui descendait la dernière bénédiction paternelle!"
Une amie me disait au téléphone hier: "Je suis terrienne, mais les paysans ne sont plus des paysans, ce sont des agriculteurs. Je connaissais dans mon enfance un vieux paysan qui refusait d'utiliser les trayeuses électriques, jouait avec ses vaches, et m'avait dit avec des larmes: "Tu vois, j'ai lutté dans la résistance pour voir mes petits-enfants mettre leurs animaux en camp de concentration."
L'aggravation de mes problèmes de genou m'ont conduite à consulter un chirurgien traumatologue recommandé par la rumeur publique à la polyclinique locale où, après le Covid, je pensais ne pas remettre les pieds. Il m'a dit qu'il fallait changer le ménisque, qu'il en avait pour une demie heure et moi pour "deux trois jours". Je me suis donc décidée à subir l'intervention, dans son service flambant neuf. Gratis!
On me l'a pratiquée sous péridurale, l'assistant me récitait des vers de Lermontov sur la bataille de Borodino, pour me détendre. Je lui ai dit que j'étais désolée des libertés que Napoléon avait pris avec la Russie... Le chirurgien chantonnait en s'activant, comme s'il changeait une pièce sur une vieille voiture. J'expérimentais toute l'impuissance d'un paraplégique. Cela fait une drôle d'impression de ne plus pouvoir bouger les jambes.
Ensuite, on m'a ramenée sur mon lit, avec défense de bouger et de m'asseoir. Manger de la soupe dans ces conditions, ce n'est pas top. Et en plus, le matelas était si atroce que je sentais tout le metal des lattes. Le soir, on m'a permis de me tourner sur le côté, et j'ai fait ça toute la nuit, sur ma grille, j'allais me transformer en fakir. Je souffrais plus de mes courbatures que de ma jambe. Au matin, on m'a invitée à me lever et à aller aux toilettes, mais je n'arrivais pas à me déplier. En fait, ces matelas font partie de lits neufs très chers, que le fabriquant n'a pas craint d'assortir de ces grabats, 5cm de mauvaise mousse en plusieurs morceaux qui se dissocient et qu'on a remplacé par de vieux matelas décents, au fur et à mesure des plaintes des patients.
Le jour même, j'étais sur pied, je marchais sur deux jambes stables, c'était magique. On m'a mis une perf de produit qui supprime l'enflure et on m'a dit de marcher pour tout mettre en place. Mais ce matin, alors que je pensais sortir, c'était encore un peu enflé, et j'ai eu droit à une autre perf, je craignais d'être coincée jusqu'à demain. Je suis allée voir le chirurgien qui a décidé de me renvoyer chez moi avec pour instruction de revenir samedi matin lui montrer tout ça. Il m'a dit qu'il ne m'avait rien changé du tout, qu'il avait juste nettoyé et remis en place, et que j'aurais de toute façon des petites douleurs parce que j'avais de l'arthrose, mais le ménisque a repris sa place. D'un autre côté, j'apprécie sa prudence: j'avais dans ma chambre une femme énergique et marrante à qui on avait changé les articulations à Moscou, et d'après elle, on l'avait traitée avec condescendance et négligence. Maintenant, elle a des problèmes, et après l'avoir observée une journée, notre chirurgien a décidé de la réopérer, parce que quelque chose ne va pas là dedans. Il y avait aussi une jeune femme qui après une fracture de la jambe réparée avec des broches par quelqu'un d'autre, est tombée sur le genou et maintenant, c'est la catastrophe, il va devoir aussi l'opérer. J'avais une grande compassion pour mes compagnes de chambre, à qui j'ai promis de rendre visite samedi, je leur apporterai des chocolats. Notre chirurgien a une telle réputation qu'une femme est venue le voir depuis Magadan. Il a fui l'ambiance mercantile de Moscou, et l'hyper spécialisation importée, comme d'habitude "d'occident", c'est-à-dire d'Amérique. On voit tout de suite qu'il est humain, intelligent et compétent, et tout son service l'adore.
Au moment de partir, on m'a dit d'aller récupérer mes vêtements au vestiaire, j'ai quitté en chemise de nuit et en chaussons le splendide étage du docteur Simakov et je suis descendue par un escalier dérobé dans un labyrinthe souterrain sinistre où s'activaient des bonshommes. Je vois un écriteau "vestiaire" qui me désigne le fond d'un corridor de plus en plus sombre. Là, une infirmière de rencontre me dit que j'ai dépassé les vestiaires. Je retourne en arrière et distingue un guichet, sur la vitre duquel était effectivement écrit "vestaire", mais comme elle était ouverte, je n'avais rien vu.
J'ai dû m'habiller comme je pouvais dans le tunnel qui m'évoquait ceux du deep state américain, en espérant qu'aucun bonhomme ne passe par là. Il paraît que l'on refait tout l'hôpital, qui a trouvé des sponsors. Les choses changent à Pereslavl...
Demain à l’aube
arrive Valérie. Je ne suis pas très bien, j’ai mal partout. Je crois
que j’ai de l’arthrose de tous les côtés. J’avais mal à la tête, et je suppose
que c’est de l’arthrose cervicale aggravée par les stations devant l’ordinateur.
Du coup, j’essaie de m’en détacher, mais en ce moment, j’écris, et puis je lis
le livre de Larissa.
Je m’efforce
de dessiner, car il fait à nouveau très beau, et même doux, les étés indiens n'ar^rêtent pas de se succéder. Le voisinage m’empêchant
d’en profiter, je m’en vais. Je suis allée dessiner l’église du village de
Gorodichtché, perchée sur sa colline, près du lac, et aujourd’hui, je suis
allée sur le « val » dessiner une vue des églises du centre, c’est un
des seuls coins pittoresques qu’il nous reste. Il faisait beau, et il n’y
avait pas de bruit, quelle bénédiction.... Dessiner est très gratifiant, très apaisant, mais je ne
sais pas ce que deviendront tous ces pastels que je fais. Je les fais quand
même. Comme les livres qu’on n’arrive plus à vendre. Comme les poèmes que plus
personne ne lit. Parce que je suis équipée pour créer, alors je crée.
Au retour,
pour éviter l’ordinateur, j’ai fait le ménage, ce qui n’était pas du luxe, j’ai
nettoyé ce qu’il me sera difficile de faire quand il commencera à geler. Et
puis, j’ai travaillé dans le jardin. Moralement, cela me fait toujours grand
bien. J’ai déplacé un buisson d’hortensias, et quelques autres choses. C’était
calme. Mais ensuite, à nouveau des camions et des engins, je me demande
vraiment ce qu’on va nous construire comme monstre. Cela fait trois ans que ce
type nous emmerde avec ses innombrables camions de terre : il nous fait
une ziggurat, une pyramide d’Egypte ? Dommage que je n'arrive pas à déménager... C'est qu'ici, bien sûr, j’ai des liens avec mes arbres, mes fleurs,
mes oiseaux, et j’ai enterré mes deux pauvres petites chattes sur le
territoire, l’une au pied d’un thuya et l’autre au pied d’un lilas. Je leur
parle quand je jardine. Où êtes-vous, mes pauvres petites mères, ma belle
Chocha, mon gentil Georginet ? Est-ce que mon ange gardien a emporté votre
petit esprit près de maman, pour m’attendre là où il n’y a plus ni douleur, ni
tristesse ni gémissements ? J’aime la vie, mais je sens les effets de la
décrépitude, et puis, je deviens de plus en plus sensible et tant de choses me blessent
contre lesquelles je ne peux rien...
Hier, je
suis allée à l’église du père Ioann, heureusement, il y avait peu de monde,
mais la confession a duré quand même près d’une heure. Le choeur chante
étonnemment bien pour une petite paroisse qui fait ce qu’elle peut, et il règne
là bas une grande ferveur. Je me demande si je pourrais acheter, dans le
cimetière attenant, une concession pour ma dernière demeure. Certes, il y a la
route qui passe, mais je ne l’entendrai plus, et au moins, je serai près d’une
église.
Je lis pour
Renée, et ceux qui me sont les plus proches par la même occasion, l’acathiste
pour les défunts, je veux le faire jusqu’au quarantième jour après son décès.
Au début, je la sentais près de moi, et même cramponnée à moi, je sentais sa
présence inquiète, c’était étrange et bouleversant. Et puis elle s’est apaisée
ou éloignée, je ne la sens plus. Elle a commencé à partir, et mes prières l’accompagnent.
Je suis profondément reliée à mes morts, je suis quasiment la seule à prier
pour eux.
Le livre de
Lara Zaïets est très bien, très bien écrit et original. Il paraît que c’est moi
qui lui ai donné l’impulsion pour l’écrire, et d’ailleurs, j’y figure. Une
petite grand-mère française qui vit à Pereslavl dans une isba, joue des gousli
et de la vielle à roue. C’est étrange de se voir décrite dans le livre de
quelqu’un d’autre. La part de fiction du personnage, c’est ses yeux bruns, et
puis, elle prépare aux héros des sirniki, comme une vraie babouchka russe. Or si
j’invite les gens à dîner, je leur prépare quelque chose, mais s’ils arrivent à
l’improviste, j’ai rarement le réflexe de me mettre aux fourneaux, plutôt celui
de commander une pizza. C’est que je ne suis pas du tout une grand-mère. Je n’ai
pas eu d’enfants, ni bien sûr de petits enfants, je suis une solitaire, et je
ne suis pas aussi prolixe que mon équivalent, sauf quand je réponds à des
questions. La vieille Française du livre s’appelle Marie Sayard. Ca fait
français, y pas à dire...
"Je pouvais seulement prier, pour que les secours arrivent vite": un guerrier serbe a passé sept jours sans nourriture, sans eau, avec une jambe arrachée, on le croyait mort.
Beaucoup suivaient le destin de ce volontaire serbe dans l'armée russe, sous le nom de guerre de "Brzi", il s'appelle Dario Ristitch, originaire de la République Serbe.
C'est le commandant qui a signalé sa mort, Brzi avait sauté sous ses yeux sur une mine antipersonnel, et ensuite, des drones l'avaient achevé, dans une telle situation, un combattant n'a pratiquement aucune chance de survivre. On n'avait pas pu récupérer le corps tout de suite.
Mais plus tard, ce sont des combattants du détachement voisin qui ont trouvé Dario vivant.
Ensuite, vient le récit du premier intéressé:
"Quand j'ai reçu cette blessure à la jambe, ce n'est personne d'autre que Dieu qui m'a jeté dans cette mine où je me suis caché. J'entendais des explosions, l'ennemi essayait de me trouver. Dans le noir absolu, je parvins à me faire une injection d'analgésique, à enlever mon gilet pare-balles et à bander la jambe, je respirais même le plus doucement possible, pour que l'ennemi ne m'entendît pas, je serrai seulement dans ma main ma broianitsa (bracelet de prière serbe). Je perdais probablement conscience de temps à autre, tout à coup, je vois de la lumière autour de moi, et Dieu qui me tend la main, et me regarde dans les yeux, nous nous trouvons dans cette lumière, seulement Lui et moi.
Quand je revins à moi, les secours n'étaient toujours pas là, je pouvais seulement prier, pour qu'ils viennent vite, je devais survivre, car on m'attendait à la maison. J'avais perdu la notion du temps, je ne savais pas depuis combien de temps je me trouvais dans cette mine, sans secours médical, sans nourriture et sans eau. Je dus moi-même trancher des muscles qui pendaient et me gênaient pour désinfecter la blessure. Je voyais défiler devant mes yeux des tableaux de ma vie, les visages des gens qui m'étaient chers. Mon Dieu, combien de plans j'avais pour cette vie, que de choses je voulais encore faire! Mais même dans cette situation sans issue, je n'avais pas de rancoeur, je demandais seulement à Dieu de protéger les miens. Je sombrais encore et encore dans l'inconscience, et revenais à moi en pensant: "Je suis encore vivant!" Mais la douleur devenait de plus en plus forte, et je m'affaiblissais, tout ce qu'il me restait, c'était serrer ma broïanitsa et prier.
Je revins à moi, parce que quelqu'un me touchait, et de l'eau coulait sur mon visage, mais je ne savais pas si c'était les nôtres ou l'ennemi. Mais grâce à Dieu, c'était les nôtres, ils me dirent quelque chose, mais je ne les entendis pas, tellement j'étais content de les voir. Et là je compris que c'était la voie que je devais prendre, que m'avaient été données les épreuves qu'il me fallait supporter.
J'avais passé sept jours, la jambe arrachée, sans eau ni nourriture. Le trajet jusqu'à l'hôpital en prit encore dix.
Et je suis très reconnaissant à tous ceux qui se faisaient du souci pour moi et m'envoyaient des messages de soutien. Merci aussi à ceux qui se réjouissaient de ma mort et que je dois décevoir: Brzi est vivant!
Chers frères et soeurs, que le Seigneur vous garde, nous nous verrons bientôt!"
«Я мог только молиться, чтобы скорее пришла помощь»: без еды, воды, с оторванной ногой сербский доброволец провел семь дней, его считали погибшим
Многие следили за судьбой сербского добровольца в рядах русской армии с позывным «Брзи», его имя – Дарио Ристич, уроженец Республики Сербской.
О его гибели сообщил командир, на его глазах Брзи подорвался на противопехотной мине, а потом отработали дроны, в такой ситуации у бойца практически нет шансов выжить. Тело сразу забрать не смогли…
Но позже Дарио живым случайно обнаружили бойцы соседнего подразделения.
Далее его рассказ от первого лица:
«Когда я получил ранение ноги, не иначе Бог толкнул меня в ту шахту, где я и прятался. Я слышал взрывы, противник пытался меня достать. В абсолютной темноте я смог сделать себе укол обезболивающего, снять броник и перетянуть ногу, я даже дышал как можно тише, чтобы враг меня не обнаружил, только сжимал в руке брояницу. Наверное, я периодически терял сознание, вдруг я увидел свет вокруг себя, и Бог протягивает мне руку и смотрит мне в глаза, мы находимся в этом свете, только я и Он.
Когда я опять пришел в себя, помощи по-прежнему не было, я мог только молиться, чтобы скорее пришла помощь, я должен выжить, ведь меня ждут дома. Я потерял счет времени, не знал, сколько я нахожусь в этой шахте без медицинской помощи, еды и воды. Мне самому пришлось отрезать мышцы, которые висели и мешали обработать рану. Перед моими глазами мелькали картины из моей жизни, лица дорогих мне людей. Боже, как много у меня планов на жизнь, сколько всего я еще хочу сделать! Но даже в такой безвыходной ситуации я не злился, я только просил Бога беречь моих близких. Я опять и опять проваливался в забытье и приходил в себя с мыслью «Я все еще жив!». Но боль становилась все сильнее, а я слабел, все, что мне оставалось, это сжимать брояницу и молиться.
Опять пришел в себя от того, что кто-то трогает меня, а на лицо льется вода, но я не знал, свои меня нашли или враг… Но слава Богу это оказались наши, они мне что-то говорили, но я их не слышал, настолько я был счастлив их видеть. И тогда я понял, что это тот путь, по которому я должен был пройти, что мне были даны те испытания, которые я должен был вынести.
Без еды, воды, с оторванной ногой я провел семь дней. Еще десять занял путь в госпиталь.
И я очень благодарен всем тем, кто переживал за меня, кто писал слова поддержки. Спасибо и тем, кто радовался моей смерти, но вынужден вас разочаровать – Брзи жив!
Дорогие братья и сестры, пусть вас хранит Господь и скоро увидимся».
Dimanche, j'ai vu mes amis Volodia et Mariana, les journalistes de Dobrilovo. Mariana a beaucoup aimé Yarilo et Parthène, qu'elle a lus d'un seul trait, mais s'étonne de mon engouement pour le tsar, qu'elle ne partage pas du tout, même tel qu'il apparaît dans mes romans. Je lui ai répondu que je ne me l'expliquais pas non plus, que tout s'était passé pour moi au niveau du subconscient, ou peut-être de l'âme collective, et il en est bien ainsi. Leur village est très beau, mais je crains qu'il ne le reste pas. J'ai fait un dessin, avant d'arriver chez eux.
Mon amie moniale, qui est très malade, m’a fait ses adieux chez elle. Quand j’ai
appris qu’elle en était à ce point-là, cela m’a plutôt déprimée, et angoissée. En
plus, nous nous entendions bien, et je la perds sans avoir eu le temps de
développer des relations plus suivies avec elle. Mais elle finit sa vie de telle
façon, que je le ressens comme quelque chose de providentiel, comme si
Dieu lui donnait l’occasion de me conforter avant de s’en aller. D’ailleurs, à
ce propos, un moine de la Laure lui a apporté un bouquet de roses blanches. «Elles
ne dureront pas jusqu’à mes funérailles, a-t-elle observé.
- Mère, je vous
les ai apportées pour vous féliciter de partir de cette manière magnifique ».
Elle m’a dit :
« Nous n’avons pas eu le temps de nous voir beaucoup, et pourtant nous sommes
vite devenues très proches...
- Oui, mère, prie
pour moi quand tu seras là bas, j’en ai bien besoin.
- Je suis très
heureuse de mourir comme cela, lucide, et de mourir en Russie. J’ai tout
préparé, ma tombe, mon cercueil, mon habit, l’office funèbre à la Laure. Je
profite de mes derniers moments avec mes enfants, tout se passe dans le calme,
et j’en remercie Dieu ».
Je lui ai
expliqué que ma tante venait de mourir dans une grande solitude. « Qu’en
sais-tu ? M’a-t-elle répondu. Elle est morte avec le Christ. Quand quelqu'un meurt seul, c'est le Christ qui vient l'accompagner.
- Elle n’allait
plus à l’église depuis des lustres...
- Et alors ?
Tu crois que le Christ coche des cases chaque fois que nous y mettons les pieds ?
Il est important pour toi de savoir que nous ne mourons pas seuls, nous mourons
avec Lui, cramponne-toi au Christ, ne le lâche pas. Il est avec moi, à chaque moment, et j’attends de me jeter, comme le
fils prodigue,dans les bras de mon Père du Ciel. »
Ensuite, elle m’a
envoyée à la cuisine, avec ses enfants. Et j’ai discuté avec eux, de leur mère. Je leur ai confié que j’étais loin de son accomplissement, et
que, malade moi-même, ou confrontée à la maladie et à la mort de mes proches, j’avais
l’impression d’être fourrée de force dans un sac sans issue. Et que le
témoignage de leur mère m’apportait une immense consolation et me soulevait au
dessus de ce genre de pensées. «Il ne faut pas perdre de vue, m’a dit son fils, moine à la Laure, que nous ne sommes pas tous pareils, et que nous ne sommes pas tous
appelés à réaliser les mêmes choses, qu’il y a de nobles récipients, et d’autres
plus utilitaires, mais que tous ont leur fonction. Il ne faut pas regarder la
croix des autres, mais porter la sienne, et si elle est moins lourde, c’est que
nous n’avons pas les forces pour faire mieux. Faisons ce que nous avons à faire
et ce que nous pouvons faire, nous en faisons peut-être plus que nous ne le
pensons.
- Oui, bien sûr,
mais il y a des paliers difficiles à franchir !
- Nous en sommes
tous là. »
Je me suis alors
rendu compte que Dieu lui-même avait soufflé à mon amie de me
contacter, pour me faire connaître cette pieuse et délicieuse femme et ses
enfants, pour notre bien à tous, pour notre réconfort. Un réconfort dont je fais profiter aussi les autres, à notre époque qu'elle a qualifié de "catastrophique". Cette entrevue intense et belle m'a beaucoup aidée, elle m'a soulevée un instant de la terre, à laquelle je reste cramponnée.
Ma tante Renée est morte. Il ne reste plus qu'une seule fille Pleynet encore en vie, ma tante Mano qui doit en être très affectée...
Je vois en pensée ce cimetière
d’Annonay , la tombe de Papi qui va avaler, parmi les gens que j’ai connus
autrefois, une personne de plus. Pourtant, je me souviens bien du moment où, avec maman et ma cousine Anne, nous avions pris un fou-rire quand Papi, ayant voulu nous exhiber fièrement le caveau en construction, s'était, devant notre air morne, exclamé avec inquiétude: "Mais comment? Il ne vous plaît pas?" Qu'il nous plaise ou ne nous plaise pas, il s'est déjà rempli de nos êtres les plus chers. J’ai beaucoup de mal à écrire mes souvenirs d’enfance, car revivre tout
cela me déchire, et je me rends compte que mon écriture en prend une certaine
distance, elle reste dans le factuel ou encore l’humour. Quand Mano ne sera
plus, je ne sais avec qui je parlerai encore de tout ce passé. Il faudra le refermer avec mon livre et le ranger dans la mémoire
éternelle...
J’ai commencé à soigner
Blackos, qui souffre depuis des temps d’une colique chronique, mais soigner ce
chat n’est pas une mince affaire. Il se débat terriblement, et il est malin, il
a très bien compris pourquoi la voisine venait, hier soir nous n’avons jamais
pu l’attraper, je ne l’ai coincé que ce matin, et il faudrait recommencer ce
soir. Cependant, je ne voudrais pas me reprocher de n’avoir pas pris de
mesures, et puis j’en ai assez de ramasser ses cliches. J’en ai encore pour la
semaine à me battre contre Blackos. Ce crétin me regarde avec des yeux de
merlan mort d’amour, mais il est prêt à me bouffer quand il s’agit de lui faire
une injection. Quand je pense que la première ordonnance qu’on m’a faite
recommandait trois fois par jour de lui donner à boire du smecta une
demie-heure avant le repas, et encore un médicament pendant le repas, et aussi après... certains vétérinaires n’ont pas le sens des réalités...
Hier, la lumière est revenue
et une certaine douceur dans le vent frais qui me rappelait l’hiver en France.
Je suis allée au restaurant familial de Boris Akimov. Là où il vit, c’est
encore très joli, d’abord la nature, les bouleaux dorés qui frémissent et
miroitent, et puis les maisons paysannes intactes, celle où il reçoit, dans
le style vieille datcha, avec une belle atmosphère. J’étais invitée pour animer
la soirée, et c’était chaleureux et intéressant, les gens étaient bienveillants
et curieux, et ce qui est le principal, contents ! Je songeais que
j’habiterais bien dans ce village, mais il est devenu très cher. Pourtant,
quelle merveille que ce silence et cette beauté, cet espace non encore pollué
par la vision de quelque palais arménien ou de quelque isba plastifiée, défigurée
par une tumeur extravagante !
Quelqu’un m’a proposé, pour
une famille orthodoxe, la superbe maison d’un prêtre, dans un village de la
région d’Ivanovo, pour 4000 euros... Il faudrait des gens capables de respecter
le style de cette demeure et d’y conserver un esprit de paix et de piété. Pour
moi, l’entreprise serait trop lourde. Village de Pitsovo, quatre églises, un monastère fermé. Equipé du gaz naturel et d'après ce qu'on m'a dit, facilement accessible.
Un monsieur a mis en musique
mon poème « l’embarcadère » et m’a envoyé le résultat, la partition,
et un enregistrement au piano. Je ne lis pas les notes, mais j’essaierai de l’apprendre
à l’oreille, j’en suis extrêmement touchée.
J’ai vu dernièrement une « déclaration »
d’un indien hopis aux slaves, sur la caractère sacré de la Terre-mère et la
nécessité de mettre fin à la guerre, pour éviter la destruction de la vie sur
la planète. J’ai beaucoup d’admiration et de sympahie pour les indiens, mais
pourquoi s’adresser aux slaves qui, en fait, sont l’objet de la même
diabolisation qu’eux-mêmes, par les mêmes visages pâles à la langue fourchue,
et dans l’optique d’un même génocide? Pour ce qui est de la Terre-mère, oui,
bien sûr. Une Russe écrit qu’il n’y a pas de Terre-mère, mais la Création de
Dieu, or, je le confesse, je combine très bien les deux notions. D’ailleurs,
les slaves avaient, du temps qu’ils étaient paysans et non employés sous
perfusion électronique, parqués dans des trucs en béton, la même conception
de la Terre-mère sacrée, ce qui ne les empêchait pas d’être chrétiens
orthodoxes, on peut appeler cela le christianisme cosmique du moyen-âge. Dans
cette émission sur les vieux-croyants lipovanes qui m’avait ramenée au XIV°
siècle russe, j’avais entendu un vieux déclarer : « Nous avons trois
mères, la Mère de Dieu au ciel, la mère qui nous a donné le jour et la
terre-mère qui nous nourrit et nous recueille quand nous mourons. » Je me
sens très proche de cela. La Terre m’apparaît comme un organisme sacré dont
nous sommes censés être le cerveau et l’âme, le problème est que nous devenons
complètement fous et complètement idiots, et qu’il y a eu visiblement un bug dans le programme. A quel
moment le bug ? Sans doute est-ce cela, la chute. En tous cas, je ne peux
pas me représenter Dieu assis dans son bureau et concoctant sa Création, en
restant d’elle complètement abstrait. Pour moi, tout est lié, tout est sacré,
tout est irrigué du même Souffle créateur, du même Esprit. Les indiens appelent
cela le grand Esprit. Et nous le Saint-Esprit.
Je communique cette vidéo très intéressante d'Erwan Castel. qui analyse bien les manipulations de l'opinion à laquelle se livre l'OTAN depuis des lustres, et établit un parallèle entre les provocations en Ukraine contre la Russie, et les provocations d'Israël contre l'Iran, ayant amené l'un et l'autre pays à réagir malgré lui. Et c'est bien le cas. Même si techniquement la Russie gagne définitvement la guerre, elle ne voulait pas la faire, on l'a acculée à y entrer, tout en poussant des cris hypocrites, et on a provoqué à nouveau un massacre de slaves par des slaves, au moyen de toutes sortes de manoeuvres perfides. Plus ou moins comme au moment de la révolution... En revanche, comme il a raison de le faire remarquer, l'affaire du Donbass provoque un réveil de la conscience russe et lui fait comprendre que ses rêves occidentaux sont une pure et dangereuse illusion. C'est d'ailleurs ce qui me donne l'espoir et la foi en une victoire dont nous dépendons tous. Erwan Castel cite Karine Bechet Golovko: "Ce n'est pas la Russie qui récupère le Donbass, c'est le Donbass qui avale la Russie." Ce qui répond à ma propre intuition que la Russie est un énorme Donbass potentiel, à l'exception des grandes villes , avec leurs maires globalistes.
Slobodan Despot assimile la notion d'occident à celle de modernité, et partant de là, l'occident est partout où se trouve un fonctionnaire en costume-cravate, ce qui n'est pas faux. Les Russes, pendant toute la période soviétique, ne rejetaient pas l'occident, ils se donnaient pour but de le surpasser, c'était la Russie "arriérée" qu'ils rejetaient ou qu'on leur a fait rejeter, en martyrisant, ou ridiculisant, les éléments résistants, Beaucoup de hauts fonctionnaires russes, nés dans le sérail des apparatchiks, restent sur cette lancée. Or ce qu'on appelle l'occident, ou la modernité, nous mène inévitablement tous à notre perte, c'est plus qu'évident à tout esprit affranchi des faux-semblants.
Elle est en quelque sorte un peu complémentaire de celle d'Erwan Castel qui évoque "l'empire russe" comme un ensemble de peuples différents ethniquement, culturellement et spirituellement, mais unis par une communauté de destin historique, et aussi par un certain type de valeurs. Mais cette réalité russe est difficilement transposable en France. Reste qu'il est des immigrés qui nous aiment tels que nous sommes et n'ont pas envie de nous voir disparaître, il y en a. Et c'est bien qu'ils s'expriment, car nous n'en avons pas le droit.
J’avais
encore mal à la tête ce matin, mais le pire, c’est qu’il y a trois jours, mon
genou s’est brusquement détérioré, et je ne pouvais pratiquement plus marcher.
Cela s’est un peu amélioré, et j’ai eu la chance d’avoir un rendez-vous avec
mon docteur Ivanova. Pour le genou, elle pense que c’est le ménisque et les
ligaments ou les tendons, enfin bref, d’après elle, il faudra sûrement opérer,
et d’ici là faire une échographie, un scanner et voir un rhumatologue.
J’ai pris ce matin l’anti inflammatoire du
docteur Ivanova, par dessus l’oméprazol et l’antibiotique, et cela m’a
tellement cassée que j’ai cru m’évanouir. Je ne sais pas d’où viennent les maux
de tête persistants, mais la patte folle en plus, je suis malade des médicaments qu’on
m’administre et j’ai l’impression que je n’en sortirai jamais. Toutes ces
saloperies me coupent l’appétit, je mincis certes à vue d’oeil, mais je suis
complètement affaiblie.
Hier, j’ai vu arriver
l’équipe du musée Ivan le Terrible d’Alexandrov, venue prendre livraison du
portrait du tsar que j’avais encadré pour lui en faire cadeau. Les deux dames
étaient ravies, enchantées, elles ont pris des photos et m’ont offert le « thé
du Tsar », c’est-à-dire de l’épilobe, Ivan-tchaï en russe, ça tombe bien,
je n’en avais plus; et puis une grande serviette de bain à l’effigie du tsar,
ornée de lettres slavonnes, car, puisque j’étais amoureuse de ce personnage,
elles avaient décidé qu’il devait toujours être avec moi ! Cela m’a fait
beaucoup rire. Et puis d’ailleurs, à part celui de maman que j’avais emporté
avec moi, je n’avais pas de drap de bain de cette taille confortable !
Elles ont beaucoup aimé Yarilo
et Parthène, du coup, à titre publicitaire, je leur ai offert Epitaphe. Elles ont aussi beaucoup aimé ma maison: "On se croirait en France! Il y a encore beaucoup de Français qui vont venir nous faire la France à Pereslavl?"
Puis je
me suis rendue à la réunion de Katia et de sa copine aromatopathe. Il n’y avait
pas beaucoup de monde, au fil du temps, une petite dizaine de femmes.
L’aromatopathie, j’ai trouvé cela intéressant, ces essences sentent bon, il est
possible qu’elles agissent. Katia présentait son travail de « coach
orthodoxe ». Les petites dames présentes étaient très gentilles. Mais le plus
important pour moi, c’est qu’on m’a signalé la présence à Pereslavl d’un
excellent chirurgien rhumatologue, il exerce à Serguiev Possad mais vient
donner des consultations ici. L'horizon s'éclaircit...