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mardi 1 novembre 2022

Un jeu

 


J'ai goûté les matriochkas du pâtissier Godfroi, il ne les fait que le dimanche. Ce sont des "religieuses" arrangées à la russe. C'est très joli et très bon. J'aime beaucoup aussi ses flans au chocolat, et il fait d'excellentes viennoiseries de son invention, de la pâte à croissant caramélisée fourrée de diverse manière, gelée de framboises, lait concentré caramélisé ou gelée d'oranges. J'aime le gâteau la Forêt, le tiramisu, la fleur d'or, le succès. La tarte au citron est trop moderne pour moi. Les éclairs à première vue me semblent également trop modernes,bien que je ne les ai pas essayés. Une jeune femme russe en a pris un et m'a dit que cela ne ressemblait pas aux éclairs dont elle avait l'habitude, les éclairs russes n'ayant pas grand chose à voir avec les éclairs français, d'ailleurs. Mais ceux-ci non plus car pour moi, l'éclair français, c'est de la crème pâtissière au café, à la vanille ou au chocolat dans un truc en pâte à choux avec un glaçage au sucre. J'ai du mal à faire le goûteur de gâteaux consciencieux, car leur nombre s'accroit et le nombre de mes kilos risque de faire pareil. 

Bonne nouvelle, nous aurons bientôt un cuisinier et un restau français au même endroit. C'est un copain de Godfroi, très catholique. Le gars vient de la côte d'Azur, il va avoir un choc! Ce matin tout était blanc. Cela ne tient pas trop, c'est limite, moulligasse. Finie les fleurs, la verdure et même la dorure. Une mésange est venue frapper du bec à ma fenêtre, pourtant la mangeoire est pleine. Les mésanges me connaissent, elles savent même dans quelle pièce de la maison je me trouve, mais la saloperie de Moustachon m'en a tué une, ce connard glouton et obèse. 

Une jeune amie russe très profonde, Anna, m'écrit:

Hier et aujourd'hui, pas d'éléctricité; cela fait plus d'une journée. Tout le monde est parti, et je suis restée seule. Il n'y a pas de lumière, tout est sombre alentour, la chaleur vient seulement du poêle, je sais que le téléphone faiblit, je dois le mettre à recharger, mais je ne peux m'arracher au "Nom de la Rose" d'Umberto Eco, que je dévore dessus, oubliant que ce n'est pas un livre papier. Ca y est, le téléphone est mort, maintenant, il n'y a plus de lumière, plus d'Internet, plus d'eau non plus, on ne peut pas seulement se faire une tasse de thé, juste l'obscurité, le silence, le poêle et moi. Je n'ai pas sommeil, j'essaie de m'endormir avec les difficultés de l'alphabet grec, puis je vais dîner aux chandelles. J'entre sale dans un lit très propre, on a commencé à chauffer ce matin le bain de vapeur, mais on n'en a pas eu le temps, pas de lumière, pas d'eau du puits. 

Ce matin, je décide de chauffer le bain coûte que coûte: j'ai pris de l'eau dans le baril d'eau de pluie, je la chauffe au gaz, je chauffe le bain. Et tout autour, c'est un délice indescriptible, une immersion complète dans le moyen âge, le silence, le vide, un paysage de Brueghel, transparent, en demie teinte, une merveilleuse solitude, l'arôme du poêle, le Nom de la Rose dans la tête.

Il n'y a pas d'électricité. C'est intéressant: en Russie toute la jeunesse de mon époque et aussi d'avant se passionnait pour le moyen âge, je veux dire précisément le moyen âge d'europe occidentale. Tout commençait pas les romans historiques, puis les romans de cour médiévaux, les épopées, la musique, les ménéstrels, le gothique, les chevaliers... Personne n'était "dingue" du Moyen Age russe. En général, ce concept n'est pas utilisé dans l'histoire de la Russie. L'ancienne Russie. Notre voie vers le christianisme, pas seulement le christianisme, l'orthodoxie! J'ai commencé par les Fioretti de saint François d'Assise. C'est arrivé comme ça. De ma part, ce n'était pas délibéré. Aujourd'hui, à la lecture du Nom de la Rose, je suis saisie d'un étrange sentiment lorsqu'on oppose un ordre à un autre, les abbayes et les évêques et les prêtres des villes, les ordres et le pape, le pape et l'empereur, les ordres s'allient à l'empereur contre le pape, plus des myriades d'hérétiques de diverses obédiences, dans lesquelles s'impliquent des simplets que les dirigeants utilisent contre le pape, puis ils les remettent à l'Inquisition pour les faire brûler. Et voilà qu'apparaît l'impression qu'il s'agit d'un autre christianisme ou même d'un jeu du christianisme. Très sérieux, requérant toutes les forces de l'âme, et sanglant. Et la scolastique, en tant que tentative pour marier la foi et la raison. Je comprends que ce livre a un auteur, il ne s'agit pas de l'histoire de l''Eglise et du postmodernisme dans leur ensemble. Il est surprenant que le personnage principal, très rationnel, comme Sherlock Holmes, rejette le mysticisme, mais le roman est incroyablement mystique. Pendant que vous laissez votre regard courir sur les lignes, vous pensez que "ceci n'est pas le christianisme", mais en levant les yeux, vous comprenez que vous avez été captivé par la métaphysique non mystique du roman et plongé dans le charme d'une sorte d'absurde christianisme de l'Europe occidentale médiévale. Une bibliothèque et un scriptorium valent quelque chose. J'ai besoin de lire plus avant. Par conséquent hier, en l'absence d'électricité et de téléphone, j'ai songé à l'addiction mortelle à Internet!

Anna est une des personnes les plus intéressantes que je connaisse ici, et cette lettre m'a captivée. Plus que le Nom de la Rose lui-même, d'ailleurs, mais je l'ai lu il y a très longtemps, et elle m'a donné envie de le relire. A l'époque, j'avais pensé que "ce n'était pas ça le christianisme", et aussi que l'auteur, très érudit, n'était certainement pas croyant, mais c'était sans doute aussi parce que, étant complètement passée à côté du christianisme occidental, et m'étant intéressée dès mon adolescence au christianisme oriental, j'ai été spirituellement formée par ce dernier, et j'ai ressenti l'univers du Nom de la Rose comme quelque chose qui m'était profondement étranger. 

Dans mon enfance, ma jeunesse, bien que très sensible à nos églises, villages et châteaux du Moyen Age, je n'en ai pas été "dingue", parce que j'ai été passionnée par l'antiquité grecque païenne, et j'ai débouché sur Constantinople et la Russie, c'est-à-dire l'orthodoxie. L'ancienne Russie me semblait un condensé de christianisme orthodoxe et d'univers païen nordique vaguement scandinave, avec une sorte de simplicité barbare et d'enthousiasme enfantin qui m'étaient proches.

Il me semble souvent que les gens du Moyen Age chez nous n'étaient pas si éloignés de leurs contemporains de l'ancienne Russie. Mais en fait, en lisant la lettre d'Anna, je me rends compte que si, quand même. D'ailleurs les visées conquérantes des chevaliers teutons, les  tentatives de conversion opérées par la papauté auprès d'Alexandre Nevski, le sac de Constantinople par les croisés, tout cela, c'est le XII° siècle...

On croit souvent de part et d'autre qu'il n'y a pas de grande différence entre les branches catholique romaine et byzantine du christianisme depuis le schisme, mais cette lettre d'Anna me confirme dans l'idée que si. Au moment de ma conversion, quand j'étais étudiante, j'allais beaucoup au cinéma, et je me souviens avoir vu à peu près au même moment Andreï Roubliov de Tarkovski et le Septième Sceau de Bergman. Il me semble que si l'on compare ces deux films, qui se passent plus ou moins à la même époque, ces différences deviennent très sensibles. Bien entendu, Umberto Eco, Bergman et Tarkovski sont tous des gens du XX° siècle qui parlent du Moyen Age et peuvent projeter sur lui le reflet de notre présent. Mais ils en sont tous les trois les héritiers par leur culture. Et c'est dans le film de Tarkovski que je me suis reconnue, c'est en lui que j'ai trouvé une nourriture spirituelle. C'est certainement des trois celui qui a d'ailleurs le moins de distance par rapport à l'époque concernée.

Que les Russes aient une fascination pour le Moyen Age européen, on peut le comprendre, dans la mesure où on leur répétait sans arrêt que leur pays ne valait rien avant 1917, comme on répète d'ailleurs aux Français qu'avant 1789 c'était les ténèbres. Et puis notre Moyen Age est tout à fait féerique et attirant, il a engendré toute une littérature, il était certainement d'ailleurs plus facile à vivre que celui des Russes, avec des moeurs plus douces, plus raffinées, des relations entre hommes et femmes plus équilibrées. Pourtant, ce que décrivent Bergman ou Umberto Eco me parait en fin de compte beaucoup plus sombre que ce que montre Tarkovski. C'est le reflet aussi, sans doute, de ce que pensent les contemporains occidentaux du Moyen Age. En particulier, la manipulation des simplets par les grands de ce monde, la plupart des Français sont persuadés que les foules abruties du Moyen Age étaient endoctrinées par des gens qui ne croyaient pas à ces fadaises mais usaient de l'opium du peuple pour arriver à leurs fins. Ce qui est en réalité ce qui se passe aujourd'hui avec les idéologies à la mode, la presse qui les diffuse et les oligarques qui tirent les ficelles. Au Moyen Age, je ne dis pas que l'on ne manipulait pas et qu'on ne commettait pas de crimes politiques, mais je suis personnellement persuadée que tout le monde croyait aux "fadaises", l'empereur, le pape, les ordres, et le simplet, ou au moins se prenait au jeu, ce jeu "sérieux, requérant toutes les forces de l'âme, et sanglant." 


Un




dimanche 30 octobre 2022

L'hiver moins le quart

 


Je me suis poussée à aller à l’église, à l’issue d’une semaine où je n’ai pas beaucoup prié, mais beaucoup dessiné, pour m’abstraire de l’ambiance générale, m’arracher à internet. Je me suis souvenu de la merveilleuse vidéo sur le pianiste prêtre Jean-Claude Pennetier, qui m’a fait penser à un monsieur de Sainte-Colombe affable et radieux. Lorsqu’il interprète une pièce de musique, il a l’impression de faire une espèce de plongée sous-marine, de s’enfoncer en lui-même, et c’est mon cas, parfois avec la musique, parfois avec le dessin. J’ai brusquement compris que c’était là notre façon de prier, au père pianiste et à moi. Et que donc, cette semaine, j’ai prié, mais autrement.

Chaque fois que je vais à l’église, c’est le même combat, et quand j’en ai parlé au père Valentin, il m’a

 J'ai si envie d'aller à l'église... Mais le jardin... le ménage... 
les oies... les poules...

dit que pour lui c’était pareil. Sophie ne comprend pas cela. Elle me dit que nous devrions y courir joyeux, et moi aussi, je me le disais, mais en fait non. Je crois que Sophie ne comprend pas l’effort, comme beaucoup de contemporains, et ne croit pas au diable. Elle pense que si nous nous forçons à aller nous emmerder deux heures à l’église, c’est que nous nous y croyons obligés alors que Dieu est dans la joie, le plaisir et l’exultation. D’autres prétendent qu’il ne se trouve que dans la souffrance, ce que je ne crois pas non plus. Toujours est-il que je ne regrette jamais d’avoir fait cet effort. Car j’en retire souvent de la joie, de la bienveillance, un attendrissement du coeur, et parfois même des révélations plus ou moins importantes. Ainsi de la confirmation du sentiment que m’a inspiré la vidéo du prêtre pianiste. Et puis d’autres choses. Par exemple, en ce qui concerne les arbres, le tilleul assassiné par l’imbécile de derrière. Je suis persuadée que ce tilleul aura sa place dans la Jérusalem céleste, toutes ces créatures dont nous méprisons la subtile existence, les messages imperceptibles auxquels nos aïeux étaient sensibles, eux qui plantaient pour des années aux endroits judicieux, comme l’oncle Kolia son bouleau. Pourquoi la nature nous fait-elle tant de bien, quand nous n’y allons pas pour tourner en rond sur une moto bruyante qui pue, tirer sur tout ce qui bouge, écouter la radio en laissant derrière soi les immondices imputrescibles de notre pique-nique ? Pas seulement par la vertu de l’air pur, du soleil et de l’exercice, mais parce que nous entrons en résonnance avec l’Etre et ses créatures, que c’est là notre destin réel, celui que manquent la plupart des contemporains élevés hors sol dans la haine, l'indifférence ou l’incompréhension de tout ce qui est vrai, beau et vivant. Je prie en dessinnant, ou en faisant de la musique, et je prie aussi dans la nature, les trois sont liés pour moi, mais plus j’entre en résonnance avec elle, et plus je souffre de la façon dont on la traite, évidemment.

C’est alors que dans l’église, où je déplorais mon manque de maturité spirituelle et de toutes les qualités qui vont avec, j’ai ressenti une pensée qui était presque une voix intérieure : « Laisse un peu tomber. Ne souffre pas tant, laisse cela à Dieu, car c’est Sa volonté. C’est Sa création, et Il a Son plan pour elle, il est peut-être venu le temps où tout doit périr, et oui, ils détruiront tout, et tu verras tout cela avec horreur, apprends  dans ce chaos, à faire confiance, et souviens-toi de cette citation que tu as lue il n’y pas si longtemps : on ne peut pas sauver le monde à soi tout seul, mais on peut créer les conditions du salut de soi-même et de ceux qui nous entourent, sauver ce qu’on peut du désastre, chaque personne sauvée est une victoire du Tout.

J’avais envie de pleurer car il est très dur de voir profaner tout ce que l’on a de plus cher et de plus sacré, mais je me sentais soutenue, et j’ai commencé à recommander à Dieu tous les miens. C’est alors que me sont revenus des passages de mon livre, Parthène, que l’on me traduit, et qu’une poignante compassion m’a envahie pour le tsar Ivan, en même temps que le remords de continuer à fantasmer sur ces âmes au lieu de les laisser en paix, mais en même temps, j’ai su que je les avais prises sur moi, que ces tentations faisaient partie du lot, que de telles âmes étaient lourdes à traîner, mais que c’était ainsi, que c’était peut-être pour cela que j’étais restée seule, que j’avais cela à faire, et que c’était partiellement fait. Je pensais aux préoccupations eschatologiques du tsar Ivan, et au destin de la Russie, à sa chute, depuis son moyen âge tout récent. Nous en étions sortis, ou déchus, depuis deux cents ans, quand le tsar Pierre a poussé la Russie dans la modernité. Au temps de Pouchkine, le schisme des vieux croyants n’était pas si vieux, il n’était pas plus éloigné de lui que je ne le suis de Flaubert ou Dostoievski, c’est pourquoi dans les romans de ce dernier, je retrouve quelque chose de si vitalement archaïque et sacré, complètement absent de notre littérature de la même époque. Et tout cela à la veille de la révolution, quand cette efflorescence de la Russie a été si affreusement gelée, piétinée, mais elle ne s’est pas rendue sans combattre, et aujourd’hui, elle combat encore. Peut-être pour la dernière fois.

Je me suis ensuite entretenue avec une personne chère d'une autre personen chère qui a perdu son fils. Elle est très courageuse, me dit mon interlocutrice, et après une période mystique un peu malsaine, elle affronte la réalité, et se prépare à participer à de la psychologie de groupe pour parents endeuillés. Ah oui, c’est sûrement plus efficace que de faire une retraite au monastère de Solan, comme je le lui avais conseillé. Et j’ai senti toute la profondeur du fossé qui me séparait de ma génération et de l’occident actuel. Là dessus, la chère âme  embraye sur les déclarations du Tchétchène Kadyrov, qu’est-ce que c’est que ce dingue, qu’est-ce que c’est que ces discours sur l’occident sataniste ? Là, le fossé est devenu le gouffre de Padirac. Bon, les Tchétchènes sont les Tchétchènes, les musulmans sont les musulmans, mais s’il y a une chose sur laquelle les Tchétchènes, les musulmans, les Russes orthodoxes et moi-même sommes bien d‘accord, c’est sur le satanisme de l’occident, et en ce qui me concerne, ça fait longtemps. Mais même les plus gentils et les plus calmes de mes proches ont tous la cervelle plus ou moins infestées de ce qui prend maintenant des expressions extrêmes abominables et infâmes, qui d'ailleurs les choquent, mais s'ils ne remettent pas profondément en question, comment puis-je en discuter avec eux ? Avec les libérés sexuels nostalgiques des années 70 et de leurs minijupes, avec les hédonistes des piscines méridionales, avec les bonnes copines aux avortements répétés, avec les concombres masqués fervents? J'espère, me dit-elle, qu’on ne fait pas chez toi la chasse aux homosexuels. « Pas du tout, on interdit juste la propagande LGBT auprès des enfants. » Ouf... tout va bien, on est bien d'accord que mêler les gosses à cela, ce n'est pas très justifiable.

Elle redoute que l’Iran ne lâche une bombe atomique sur Israël, parce que les Iraniens sont des fanatiques, j’en suis restée sans voix. C’est l’Iran qui fout la merde au moyen orient ? Quelle que soit l’opinion qu’on ait de la société iranienne, elle impose son mode de vie à l’extérieur ? Elle fomente des troubles dans différents pays du monde ? Cela fait déjà un moment que j’ai compris cela, les dictatures qu’on désigne à la vindicte publique ne sont vraiment pas celles dont il faut avoir le plus peur. Mais la propagande, ça marche, surtout quand elle s’exerce depuis des décennies de façon très sournoise. Une amie qui a vécu au Donbass, reçu des bombes sur la tête, vu tout ce qu’il s’y passait, est tenue pour une mythomane par son propre fils, élevé au lait toxique des facs gauchistes et prêt à croire les journalistes plutôt que sa propre mère. J’ai toujours cru mes parents plutôt que le monde entier, et justement mes parents, tantes et oncles ne pensaient pas comme tout le monde. C’était même leur marque de fabrique, bien qu’ils eussent commis certaines erreurs d’appréciation. Mais certains membres de cette famille réfractaire se sont quand même laissé laver irrémédiablement la cervelle... Nous avons tous nos rhinocéros.

Et puis après, bien sûr, cela glisse au complotisme, dont je me rends coupable, attribuer aux gouvernements occidentaux de si noirs desseins, c’est du roman d’espionnage. Pourquoi feraient-ils du mal à leurs propres concitoyens ? Je ne vois vraiment pas comment répondre à cela ex abrupto en dix minutes ou même une demi heure, alors que ma conviction repose sur des années de lectures, d’observations et de comparaisons, et comme je ne suis pas politologue je n'ai pas pris de notes. Mais coup de bol, je suis tombée sur une vidéo de Valérie Bugaut qui explique tout cela très bien. Voilà pour toi, ma chère cousine, (et pour tous les autres). Le pourquoi du comment de mes positions.



L’hiver est brusquement arrivé, je l’ai rencontré à la porte de l’église, venteux, glacial, nous avons eu une vraie tornade de neige, et vers le soir, parmi les débris des nuages, j’ai vu le croissant, comme toujours dans le ciel russe, très important, très présent, très brillant.





vendredi 28 octobre 2022

Archaïsme

 


Je dessine beaucoup, mais il faut préparer mon exposition, ce qui m’intéresse déjà moins et pourtant, il le faut. Mais j’ai besoin de cette mise en communion, avec quoi ? Avec la beauté qui disparaît, avec Dieu qui se retire. Le monde devient si horrible, Vodolazkine a raison de dire que le moyen âge était plus humain. J’aimerais arriver non pas à l’indifférence mais à la résignation, une résignation eschatologique.

Je suis fatiguée, trop d’activités, trop d’émotions, et les travaux, j’espère que ce seront les derniers. J’aime bien le jeune Tadjik qui les fait, il est beau, doux et honnête. Mais il a toujours besoin de quelque chose, évidemment. Et puis la maison est sens dessus dessous.

Il se passe des choses si hideuses, si viles, le mensonge, la trahison, la débauche triste et mécanique imposée à tous et d’abord aux enfants, saccagés par des gnomes. Depuis combien de générations les saccage-t-on en les privant de ce qui leur est nécessaire et en leur inculquant des poisons spirituels et intellectuels ? Déjà, quand j’étais jeune moi-même, et que tout le monde se vautrait dans l’optimisme idiot des années 60 et 70, je sentais que quelque chose n’allait pas, et je me disais que les générations suivantes seraient les premières à avoir des grands-parents stupides et éhontés qui ne pourraient rien transmettre, parce qu’ils n’auraient rien conservé.

J’ai les cheveux qui se dressent sur le crâne quand je vois une jeune fille témoigner qu’elle regrette d’avoir voulu « changer de sexe » en se bourrant d’hormones et en se coupant les seins, sous les encouragements des adultes. Des « médecins » faire des expériences sataniques sur des foetus avortés. Des créatures des ténèbres agresser des tableaux de Van Gogh ou de Monet. Harari, avec sa gueule d'insecte humanoïde nous annoncer son programme transhumaniste, où les gens comme lui décideront de notre vie, de notre mort, et nous priveront de notre âme, avec notre liberté et notre dignité.  

La voisine m’a dit qu’il vaudrait mieux leur laisser Nounours, et je pense qu’elle a raison, bien que ce chien me plaise énormément. Mais je ne m’en sors pas, je n’arrive pas à le garder ici, à établir un lien. Et s’il doit rester enfermé ou à la chaîne pour ne pas subir le sort de Rosie, quelle différence, chez eux ou chez moi ? Au moins, chez eux, il se sent chez lui, et il a sa mère à proximité. Je l’emmènerai promener, comme je le fais déjà. Je suis vieille pour un jeune chien.

Chaque fois que je passe devant l’affreuse maison dont le propriétaire a coupé le beau tilleul, j’imagine le désert intellectuel, spirituel et humain de ce type, et malheureusement, j’ai plus de compassion pour l’arbre que pour lui, alors que je devrais arriver à voir le Christ dans tous les imbéciles qui contribuent à nous faire un monde si laid. J’ai lu que les vieux arbres, ici, gardent la trace interne du traumatisme de la guerre de 40, c’est-à-dire qu’ils ont souffert avec les Russes, ils sont capables d’une mystérieuse empathie, absolument pas réciproque chez l’abruti universel contemporain. Mais je la sens de plus en plus, en ce qui me concerne. Je m’entretiens par le coeur avec tout ce qui vit, avec le coeur de tout ce qui vit, et comme je le fais depuis l’enfance, j’ai un grand entrainement.

Je suis allée chercher mes encadrements, j'aime bien le type qui les fait, il est très gentil, et il me fait toujours des prix et des cadeaux. Il me dit, et c'est un artiste peintre, qu'il ne comprend pas mon engouement pour les vieilles maisons russes. C'est amusant, les communistes ont au fond souvent le même mépris pour la Russie ancestrale que les libéraux, ce qui me prouve une fois de plus que nous avons affaire aux plusieurs têtes d'un même serpent, et que rien ne sert de nous traiter mutuellement de bolchos ou de fachos, tout ça, c'est du pareil au même, c'est le culte de l'utilitaire, de la vanité tonitruante, je ne dirais même pas de la matière, car la matière est infiniment plus mystérieuse que ne l'ont cru tous les monstres progressistes dont ont accouché les diverses révolutions. Il me dit aussi que si les maisons de Pereslavl sont moches c'est que les gens sont pauvres, mais je ne crois vraiment pas que ce soit le problème, l'oncle Kolia, en face, ce n'était pas Rothschild, et il n'a jamais défiguré son isba. Il avait même planté le petit bouleau que son sinistre voisin a décapité. Au contraire, il y a vingt ans, les gens étaient bien plus pauvres que maintenant, et Pereslavl était très pittoresque. Curieusement, il en convient, mais regrette les monastères en ruines que l'Eglise a réparés. Les réparations ne sont pas toujours heureuses, ni les jardinets bien aménagés, mais je préfère des monastères vivants à des ruines poétiques, enfin, je ne suis pas communiste, ou pour faire court, je ne suis pas progressiste. Je suis archaïque. Une anarchiste archaïque, l'archaïsme est en soi anarchique de nos jours, puisqu'il relève de la vie, que son ordre est cosmique, divin, ce qui est incompatible avec l'odieuse tyrannie qui s'installe.

Je lis le blog de Panagiotis et mon coeur se serre de compassion pour les Grecs, dont on détruit la nation, que dis-je la nation ? On les fait disparaître, comme nous. Des gens qui vivaient dans une digne et heureuse pauvreté dont nous aurions dû nous inspirer au lieu de nous laisser asservir par les oiseaux de malheur de la caste bancaire.

Mais dans cette débâcle, je crée et j’aménage ma maison, je vais au restaurant avec Katia, ou voir Gilles au café. Je crée surtout, parce que j’ai peu de temps pour ça, et qu’au fond, c’était ma vocation, et je l’ai fuie sans pouvoir lui échapper, tout en me désespérant, lorsque le travail me laissait si peu de forces pour le faire. Maintenant, c’est la vieillesse le problème.

le petit dernier, déjà réservé.


Une émision qui est un vrai rayon de lumière dans les ténèbres:



mercredi 26 octobre 2022

Au jour le jour

 

bouleaux dans le marécage
Préparation fiévreuse de mon exposition avec Larissa Fikman, sur fond de travaux dans la maison et de pagaille fantastique. Je suis allée la retrouver chez une dame qui fait des encadrements, mais aussi imprime des cartes, affiches, dépliants et tout ce qu'on veut, très gentille, assez marrante. En chemin, j'ai vu avec horreur que le magnifique tilleul qui poussait derrière chez moi avait été coupé. Au printemps, il embaumait tout le quartier, c'était l'ornement de ce chemin qui est de plus en plus moche, avec son baraquement écroulé, ses tas d'ordures et ses constructions neuves sans proportions ni caractère. Un gnome a construit auprès de lui une maison affreuse, banale,  incongrue comme un pack de lait usagé dans un parterre de fleurs, avec un jardin sinistre, uniquement destiné à la culture des patates, et ce bel arbre vivant était sans doute une insulte à la laideur de cet édifice et de l'âme racornie de son propriétaire. C'est significatif, le massacre de la nature environnante est le premier souci des bâtisseurs de cubes. Ils ne peuvent pas la voir: tout ce qui est beau, souple, naturel et lumineux les fait entrer en convulsions. Et malheureusement, il y en a beaucoup, en Russie, comme partout. Dans le quartier, Ania, son mari et leur fils sont normaux, l'oncle Kolia, l'était, il emmenait Rosie à la pêche, il avait planté le joli bouleau que sa brute de voisin a saboté cet été. 
Le deuxième objet de leur exécration, ce sont les animaux qui ne sont pas enfermés, car tout ce qui existe doit être sous contrôle. Ainsi le bonasse Nounours a été l'objet de l'ire du facteur, parce que tout content de le voir, il prend amicalement sa main dans sa gueule. Il me le fait aussi, et si jamais il serre un peu trop fort, je lui dis sévèrement "doucement", et c'est terminé. Je n'imagine même pas comment on peut avoir peur d'une pâte comme Nounours. Rosie était plus inquiétante, et le facteur n'y trouvait rien à redire. Du coup, le problème devient aiguë. Les patrons de sa mère me disent qu'il faut le mettre à la chaîne, mais quand ils ont essayé, il a tout arraché. Ou alors il faut le tenir enfermé, mais il a creusé un tunnel sous mon portail. Le tenir bloqué dans la maison, ce sera l'enfer, et il ne veut absolument pas entrer. Bref, je n'arrive pas trop à m'en sortir avec Nounours, qui considère leur maison comme la sienne, et je pensais qu'eux aussi, mais non.
Aux dernières nouvelles, par l'effet de je ne sais quel mystère, le facteur s'est calmé quand la voisine lui a déclaré que le chien était à moi... Elle pense que j'ai la cote avec lui, et pas elle.
 Au delà de ces problèmes de cohabitation avec les produits de la modernité, que seul un isolement farouche dans un village abandonné peut désormais nous éviter, le bruit court avec insistance d'un false flag nucléaire bien affreux qui se prépare en Ukraine. Avec la complicité de toute notre classe politique et de toute notre presse, évidemment. Certains s'étonnent du calme des foules au bord de l'abîme. Les foules sont calmes, parce qu'elles font en partie l'autruche, et ceux qui y voient clair et ne sont pas en majorité, ont un tel sentiment d'impuissance qu'ils vivent au jour le jour.

Les libéraux que je connais se carapatent en Géorgie. L'artiste-peintre qui, arrivée à Rostov sur le Don, clamait "gloire à l'Ukraine, gloire aux héros", ne s'est pas rendue à Kiev, mais à Tbilissi. C'est plus calme.

C'est fou ce que cette expo me demande de concentration et de travail, et comme tout est chez moi bouleversé, c'est encore pluys difficile... Il me faut photographier, encadrer, répertorier, trouver des titres, donner des prix, imprimer ceci ou cela. Je fais faire des cartes postales pour les vendre au café, et je vais essayer de fourguer des livres, maintenant, toutes les manifestations auxquelles je participe en deviennent le prétexte.

saules d'automne

astilbes

sapins


J'ai vu une émission très intéressante sur les fols-en-Christ, avec Evguéni Vodolazkine, l'auteur des "Quatre vies d'Arseni", livre que j'ai dévoré malgré les difficultés que j'ai désormais à lire, et qui a été pour moi une révélation littéraire et spirituelle, et deux autres intellectuels. En dépit de la lèpre galopante de la connerie et de la laideur, je puise ici un grand réconfort dans l'existence de gens comme ces trois interlocuteurs qui s'intéressent encore à l'essentiel, au vital, au sacré, et dans le fait même que le livre de Vodolazkine ait pu être écrit de nos jours, et qu'il ait bénéficié d'un grand succès. L'auteur ne m'a pas déçue. Il pense que le rationnalisme rétrécit la réalité, et c'est ce que suggère son roman qui nous rend justement une réalité beaucoup plus vaste, celle du moyen âge, qu'il considère aussi comme une période plus humaine que la nôtre, ce dont je ne doute pas non plus. Pour ces trois hommes, la folie en Christ est une forme de sainteté emblématique de la Russie, bien que beaucoup de fous en Christ aient été étrangers. Les Russes, ont toujours été, et restent encore malgré tout, sensibles à l'irrationnel et au surnaturel, grâce, dit Vodolazkine, au "diapason irrationnel de l'orthodoxie" . L'un d'eux racontait qu'un moine orthodoxe français qui s'était mis dans l'idée de venir vénérer une icône miraculeuse de la Mère de Dieu, avait passé la frontière sans visa, parce que les douaniers, de façon inattendue et bien qu'ils ne fussent pas particulièrement croyants, avaient réagi comme Ivan le Terrible devant saint Basile le Bienheureux ou saint Nicolas de Pskov. Ils ont tous trois souligné que dans la ville européenne idéale de Saint-Pétersbourg, le personnage le plus emblématique était la folle-en-Christ Xénia, de même que dans la capitale communiste qu'était devenue Moscou, c'était sainte Matrona qui continuait à déplacer d'énormes foules de pèlerins. 

Ce côté irrationnel de la Russie est ce qui la sauve encore. "Un moyen âge déboussolé" disait un de mes amis, et mon père Valentin m'a toujours parlé de sa patrie comme d'un "pays fantasmagorique". J'étais particulièrement intéressée, parce que la suite de Yarilo parle beaucoup de ce thème, Ivan le Terrible était fasciné par les fols-en-Christ, je pense d'ailleurs que son fils Fiodor en était un. 

La réalité est un concept variable, notre réalité n'est pas celle de nos ancêtres, ni la réalité des Russes, celle des occidentaux. Quand j'étais enfant et adolescente, on me reprochait de ne pas admettre la réalité, mais ce qu'on appelait la réalité n'était justement pas réel, pour moi. Quand je suis venue en Russie, même au temps de l'Union Soviétique qui faisait tout pour la rétrécir, j'ai senti que la réalité était ici différente de la nôtre, qu'il s'y passait des choses qui chez nous ne peuvent presque plus se produire, de brusques jaillissements de grâce et de lumière, ou au contraire, des brèches ouvertes sur les ténèbres, sur les arrières plans et sur les profondeurs des apparences et les illusions du temps, son élasticité, sa relativité, ses prolongements éternels.


La folie russe. Pour les russophones.


dimanche 23 octobre 2022

Aéronef

 


Génia Kolesov a réussi à organiser la venue de Skountsev et de son équipe au bar du café la Forêt. Grand événement! Programme de chansons patriotiques cosaques traditionnelles, car c'est la veille de la fête de l'unité russe, qui commémore la libération de l'occupation polonaise au XVII° siècle.
Hier, j'ai déjeuné au restaurant de Boris Akimov; avec Katia, au village miraculeusement préservé de Kniajevo. Il sert des produits naturels de sa ferme cuisinés dans un poële russe. En attendant de déjeuner, nous avons fait un tour par la rue principale, et rencontré l'ânesse Doussia et deux petits taureaux, et tout ce monde s'est mis à nous suivre en cherchant des caresses... 


On me rapporte le téléphone ce soir. En attendant, je suis un peu coupée du monde. Je me suis attelée à la lecture de « la Pesanteur et la Grâce », que je voulais lire depuis longtemps, et je l’avais dans ma bibliothèque, ce que j’avais complètement oublié, j’avais dû l’acheter en France avant mon départ. Je n’accroche absolument pas. Et pourtant, j’aime beaucoup Gustave Thibon, qui aimait beaucoup Simone Weil. Je m’étonne qu’un de mes amis  se trouve tant de parenté avec un univers intérieur que je trouve sinistre, désincarné et totalement dénué de poésie, extrêmement intellectuel, et me passant de ce fait, d’ailleurs, loin au dessus du bonnet. Je ne suis pas du tout aussi cultivée  ni aussi intelligente que Simone Weil et honnêtement, il m’arrive de ne simplement pas comprendre ce qu’elle exprime. Je me demande avec angoisse si ce qu’elle expose là est la condition sine qua non de la vie spirituelle, et à quoi ressemble le paradis auquel on accède de cette manière. Pourtant, j’ai lu des textes spirituels, dans ma vie, qui ne me faisaient pas cet effet-là.  Je devrais les relire.

La grâce n’arrive que lorsque on a tout détruit en soi, qu’on est au fin fond du désespoir et que l’on est détaché de tout. Curieusement, j’ai eu des états de grâce, moi qui ne suis détachée de rien et qui aime la vie, à des moments parfois difficiles, mais en des moments non moins difficiles, je ne les ai pas eus : quand je m’occupais de maman, ou quand j’étais à l’hôpital. A l’hôpital, pourtant, je me sentais vraiment en enfer, prier m'a probablement gardée de péter les plombs, mais ne m'apportait pas de grâce dans ma déprime. Cette question m’a poursuivie toute ma vie. Je lui consacre deux chapitres dans Yarilo, où Fédia pose mes propres questions au moine Gérasime puis au métropolite Philippe, ce sont des questions d’être créatif et extatique, qui vit dans la dimension poétique et a une appréhension sensible et sensuelle du monde. A savoir que si Dieu nous a équipés pour ressentir les choses de cette manière, j’ai du mal à comprendre pourquoi il nous demande d’y renoncer, ce qui est extrêmement difficile à qui n’est pas de naissance un être frigide sur tous les plans. Je pense que lorsqu’un curé, au catéchisme, m’avait violemment traitée de païenne, j’avais dû plus ou moins lui parler de cela et je n’ai toujours pas résolu ces contradictions. Cela dit, je respecte les tourments mystico-philosphiques de Simone Weil et son engagement absolu, mais son expérience religieuse m’est assez étrangère.

Au fond, je ne suis pas du tout aussi absolue qu’on pouvait le penser dans ma famille. Je dirais même que l’absolu me fait froid dans le dos. C’est embêtant, je pourrais passer à côté de la porte, mais la porte vers quoi ?  Certains textes ascétiques me donnent l’impression de manquer d’air. Les vies édifiantes aussi, bien souvent, d’ailleurs.

Evidemment, je me reproche de ne pas prier assez assidument, mais qu’est-ce que prier ? Si c’est lire des prières, les réciter, du matin au soir, je ne le fais pas, parce que j’ai vite un espèce d’overdose de bondieuserie. Je le fais, mais pas du matin au soir, et je ne cherche pas la souffrance et l’autoanénatissement. J’écris, je témoigne, je fais de la musique, je contemple, je dessine... Je disais à mon père Valentin : « Après mes souvenirs d’enfance, je n’écrirai plus rien que des vers, écrire et promouvoir des livres me prend trop la tête, et je ne m’occupe pas de prier et contempler...

- Si vous avez un livre qui vous vient en tête, vous serez bien obligée de l’écrire... » m’a-t-il répondu.

Voilà....

Entre parenthèses, ce que je fais avec mon blog et mes livres, c’est un vrai travail, littéraire et même technique, le nombre de fois où je dois traduire, et puis aussi le temps et les crises de nerfs que réclament la publication des photos et vidéos qui ne passent pas, on ne sait pas pourquoi... Il y a des moments où je me demande pourquoi je le fais, certainement pas pour l’argent, cela me coûte considérablement plus que cela ne me rapporte ! Peut-être que l’essentiel est justement de faire ce qu’on doit et peut faire d’une façon assidue et désinteressée ? De poser sa petite pierre dans la grande cathédrale, sans saloper le boulot des autres ? De donner son petit coup de triangle dans la grande symphonie sans y créer de facheux couacs?

J'ai vu sur Facebook des cartes postales des illuminations de Moscou pour le couronnement de Nicolas II. Et des photos d'un quartier tel qu'il était autrefois. Ce n'est pas si vieux, et pourtant, ces images arrivent comme des fantômes d'un monde fabuleusement beau dans le chaos tonitruant qu'est devenu le nôtre... Il y aurait beaucoup à penser et à dire. Cette église qui plane comme une vision sur ces maisons de bois, avec ses coupoles renflées, un aéronef pour les âmes. Je pense qu'elle a été détruite et si elle ne l'a pas été, on l'a probablement enfermée entre des monstres de béton qui s'occupent d'empêcher à jamais l'espèce humaine de planer, ou qui, s'ils n'y parviennent pas tout à fait, s'efforcent inlassablement de le faire. C'est la civilisation carcérale planétaire dont a accouché le siècle des "Lumières"....













vendredi 21 octobre 2022

Pastels

 Il s'est mis à faire froid, disons que là, c'est l'hiver français. Pourtant, j'ai trouvé une framboise qui a réussi à mûrir. Les "octiabrines" commencent à fleurir, ce sont de grands asters mauves, nos dernières fleurs avant la neige. Je les regarde depuis ma fenêtre. 

Je continue les travaux, finalement, je refais un studio indépendant dans la pièce que j'ai abandonnée, côté voisin et sa terrasse. On ne sait jamais, je devrai peut-être louer. C'est un tadjik qui me fait tout ça, avec son gentil neveu. Il est efficace, clair, et demande un prix normal. Il ne cherche pas à me tirer le maximum pour me faire n'importe quoi, et ne laisse pas derrière lui de boulot à moitié fini. C'est ma voisine Ania qui me l'a recommandé. Mais c'est toujours pénible d'avoir ce chambardement chez soi, j'ai hâte que ce soit fini. D'autant plus que je vais avoir des visites, à partir de début novembre. 

Ania est ma lectrice numéro 1. Elle lit Yarilo à petites doses, à cause de son travail et de son ménage, et sous les plaisanteries de son mari, qui attend son tour. "Je ne m'intéressais pas à Ivan le Terrible, me dit-elle, je le trouvais trop terrible, mais dans votre livre, je l'aime et je le plains!" Elle m'a dit qu'elle viendrait au vernissage de mon exposition, pour se charger d'en vendre quelques exemplaires.

Je m'occuppe maintenant de la préparer, car elle a lieu au mois de Novembre. J'ai fait des pastels, je fais des esquisses en plein air, ou bien je m'appuie sur des photos que je prends, car rester assise en équilibre et me battre avec les éléments déchaînés n'est pas toujours facile. Dessiner me vide la tête, et j'en ai bien besoin. a cause de tout ce qui nous angoisse à juste raison, et à cause aussi de l'informatique et de l'électronique, car je constate que tout cela, destiné soi-disant à nous simplifier la vie, nous la complique de plus en plus. Comme tout le monde, j'ai été contrainte de passer à Windows 10, beaucoup plus difficile à gérer que le précédent, et qui oblige à ouvrir des dossiers en ligne, je tremble en voyant qu'on nous incite à passer à Windows 11, et me demande s'il est encore possible de revenir à la machine à écrire. Maintenant, c'est l'imprimante qui marche forcément en ligne. Et à chaque fois, il faut ouvrir des comptes, donner un mot de passe, et le mot de passe ne suffit plus, il faut un code, envoyé sur votre téléphone, et cela pour n'importe quoi. Bientôt il faudra un code pour vérifier le code.





  Un Russe m'a écrit que ces paysages n'étaient pas russes mais français, à cause de leurs couleurs. Mais ces couleurs, je les vois.

J'ai comme tout le monde été plongée dans un grand malaise par l'assassinat horrible de cette petite fille française, et cela m'a empêchée de dormir, car au delà de ce cas particulier, je sens planer toutes sortes d'affreux nazguls sur mon pays d'origine. Je pourrais m'écrier que l'immigration est criminogène etc... et dans une certaine mesure, je le pense, mais il me semble que les gens au pouvoir chez nous attirent toutes sortes de bandits et de sadiques, qu'ils ont une prédilection pour eux, et leur créent des conditions idéales d'existence et de réalisation de leur horrible nature, ce qui les fait accourir au galop. Car ici, nous n'avons pas les mêmes problèmes, pas à ce point-là, ni avec les musulmans d'Asie Centrale et du Caucase, ni avec les réfugiés ukrainiens, dont beaucoup se plaignent en Europe, pour leur arrogance et leur agressivité. Le gouvernement français n'accordait pas de visas aux chrétiens d'orient, il n'en donnait pas aux interprètes afghans de l'armée française, mais il adore les coupeurs de tête, les violeurs, les malandrins, les maffieux et les intrigants, il les choie, il les favorise, sans doute parce que, à la façon des bolcheviks, il les trouve "socialement proches", en un mot, qui se ressemble s'assemble. 

Sur facebook, j'ai vu une capture d'écran. Un Français écrivait en commentaire que les Ukrainiens bombardaient les civils au Donbass. Aussitôt, un autre Français lui répond: "Quoi? Les Ukrainiens bombardent les civils au Donbass? Donne-moi ton adresse, où tu habites? Tu as une femme et des enfants que je vienne avec des copains?"

Quelqu'un a dit que toute l'Europe était en train de devenir une gigantesque Ukraine stupide, corrompue, fourbe, impudente et violente. Et en effet, je sentais depuis longtemps que l'Ukraine était le laboratoire de ce qui nous attendait tous. Les Russes qui glapissent "contre la guerre" et se fichent éperdument de ce qu'on faisait de leurs compatriotes pendant huit ans et de ce qu'on comptait en faire dans l'avenir, sont devenus comme les Ukrainiens, des antirusses, qui détestent si fort leur pays qu'ils sont prêts à croire sur lui n'importe quelles horreurs, ils ont soif d'injures à son égard, ils trouvent dans sa détestation une sorte de prestige particulier. Et les Français, devenus si facilement des concombres masqués bleus et jaunes, sont exactement de la même espèce, c'est une peuplade universelle glaçante, des golems en plastique, comme la meurtrière de Daria Douguine et celle de la petite Lola. Leurs maîtres utilisent selon le contexte ici des néonazis au front bas, là des islamistes, ou encore des antifas. Ce ne sont jamais que des hommes de main, conscients ou non de leur rôle; des éxécuteurs des basses oeuvres.


Iouri Iourtchenko a sorti une vidéo où il interviewe un professeur de l'Université de Moscou qui décrit en long en large et en travers comment dans cette vénérable institution, on dresse de petits cons à devenir ce que sont devenus les Ukrainiens, ou pour ne pas injurier toute une population, les ukronazis. A la différence qu'on leur apprend a haïr leur pays au lieu de l'idôlatrer sous une forme complètement dénaturée. Ou chez nous les gauchistes. Quand j'étais en fac, dans les années 70, j'observais la même mentalité et la même technique: se gausser de toute notre culture, qualifier les sentiments humains de "sentimentalité petite bourgeoise", faire l'apologie de toutes les déviances, de toutes les profanations, de toutes les vulgarités, cracher sur les patriotes et généralement tout ce qui était français. Et aussi, sélectionner les gens d'après leur conformité à l'affreux modèle proposé. Persécuter les autres, pour les chasser des facs et autres écoles et domaines culturels, presse, édition. Offrir pour cela à l'étude des thèmes toujours politisés qui permettent d'identifier les réfractaires et les mal pensants. Tout cela se passait dans un contexte de paix, de sécurité et de prospérité, de sorte que personne n'y prêtait assez attention, tout le monde était occupé à faire la fête, on nous le proposait de tous les côtés. Le poisson pourrit par la tête...

 Ces gens glapissaient à tous les échos, jusqu'à l'hystérie; à les entendre, de Gaulle était un tyran, nous vivions en dictature, mais ce qui me paraissait totalitaire, c'était leur mentalité, leur tempérament, leur médiocrité ulcérée, leur rejet de tout ce qui ne s'intégrait pas dans leur secte. Ils se montaient tous le bourrichon entre eux et finissaient par vivre dans une sorte de délire, or c'est exactement ce que j'observe chez le libéral russe, pendant du bobo français. La grande différence, c'est que moins d'eau sale a coulé sous les ponts, et que nous avons maintenant une situation qui menace l'existence même de la Russie. En cela, peut-être lui sera-t-il donné d'interrompre l'affreux processus à temps. Je n'ose même pas penser à ce qu'il adviendra de nous tous si ce n'est pas le cas.

Pour finir, je citerai Alexandre Douguine, qu'on nous présente comme un facho nationaliste:

 Le concept de nation est capitaliste, occidental. Autrement, l'Eurasianisme fait appel aux différences culturelles et ethniques, et non à l'unification sur la base de l'individu, comme le présuppose le Nationalisme. Notre conception se distingue du Nationalisme parce que nous défendons un pluralisme des valeurs. Nous défendons des idées, pas notre communauté ; des idées, pas notre société. Nous défions la postmodernité, mais pas au nom de la seule nation Russe. La postmodernité est un abîme béant. La Russie n'est qu'une partie de cette lutte mondiale. C'est certainement une partie importante, mais pas le but ultime. Selon nous en Russie, nous ne pouvons pas l'atteindre sans sauver le monde en même temps. Et de même, nous ne pouvons pas sauver le monde sans sauver la Russie.

mardi 18 octobre 2022

Epée dans l'eau

 


Ma présentation à Moscou a eu lieu, mais c’est un coup d’épée dans l’eau. Même mes amis ne sont pas venus en masse, ca se bousculait moins que pour mes anniversaires. Volodia avait oublié, et il est venu avec beaucoup de retard, je n’ai pas vu les autres cosaques. Aucun représentant de la famille Asmus ni du clergé de Krasnoselskaïa, trop fatigué par les services dominicaux. A part un journaliste, tous ceux qui m'avaient interviewée, ou pour qui j'avais même un peu travaillé, ne se sont pas dérangés. L’éditeur Slava m’a dit qu’il fallait appeler les gens un par un, qu’ils étaient très difficiles à bouger. Il me propose de tout m’éditer et de traduire lui-même Epitaphe, mais je ne sais pas comment je pourrai financer... enfin je pourrais, mais il faudrait que ce fût un minimum rentable pour ne pas finir dans une cabane à déplacer des casseroles sous les fuites d'eau. Et faire la promotion me prend une énergie et un temps que je ne consacre pas à la création...

Liouba a fait tout un discours sur mon livre, sur le chemin spirituel de Fédia qui, déjà débauché, aspire à la pureté et à la beauté, et finit dans un épuisement lumineux, comme une espèce de jeune starets. Elle a parlé de mon amour pour le folklore et la culture russes ; de mes liens avec l’orthodoxie, le métropolite Philippe. De ma psychologie étonnante. Comment avais-je pu me mettre dans la peau de personnages aussi différents de moi ? J’ai répondu que je pensais ce que dit le tsarévitch Feodor à Fédia : que l'on sait tout de façon génétique, qu'à un certain niveau de l'âme, on entre en osmose avec toute l'humanité. D'ailleurs, pour ce qui est de Fédia, il m'est très proche, si j'avais eu son histoire, j'aurais peut-être réagi comme lui.

 Iouri a dit que j’avais en français une langue extraordinaire, et qu’il se demandait d’où ça pouvait me venir. « Comment ça ? me suis-je étonnée.

- Eh bien oui, une bonne femme, comme ça, qui vit dans sa maison avec des tas de chats, et on s’aperçoit qu’elle a un style incroyable... C'est inattendu. »

Je ne sais pas comment il faut vivre ou être quand on a un style incroyable ; visiblement, la mère Gallimard se posait aussi ce genre de questions. Je n’avais pas la gueule de l’emploi.

Je me suis sentie entourée d'une grande affection. On m'a dit que grâce à moi, beaucoup de Russes commençaient à s'intéresser à leur propre culture. Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est ma voisine Ania : «Votre livre est tellement plein d’amour, un amour qui laisse un goût de miel amer. Il faut avoir connu beaucoup d’amour pour l’avoir écrit, ou peut-être en avoir beaucoup manqué. Parfois, en le lisant, j’ai envie de pleurer. »

J’aurai du mal à faire la promotion de ces livres qui plaisent beaucoup à ceux qui les lisent, mais qui ne bénéficient d’aucune publicité.


Iouri lit un extrait




 Rita est de plus en plus tyrannique. Les mondanités l'énervent, et puis je suis occupée par des tas de gens et ne lui accorde pas assez d'attention. Elle grogne sur tout le monde, même ceux qu'elle aime bien. A la fin d'une chanson de Skountsev, elle s'est mise à hurler, juste sur les dernières notes, on aurait cru que nous avions répété.