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dimanche 30 octobre 2022

L'hiver moins le quart

 


Je me suis poussée à aller à l’église, à l’issue d’une semaine où je n’ai pas beaucoup prié, mais beaucoup dessiné, pour m’abstraire de l’ambiance générale, m’arracher à internet. Je me suis souvenu de la merveilleuse vidéo sur le pianiste prêtre Jean-Claude Pennetier, qui m’a fait penser à un monsieur de Sainte-Colombe affable et radieux. Lorsqu’il interprète une pièce de musique, il a l’impression de faire une espèce de plongée sous-marine, de s’enfoncer en lui-même, et c’est mon cas, parfois avec la musique, parfois avec le dessin. J’ai brusquement compris que c’était là notre façon de prier, au père pianiste et à moi. Et que donc, cette semaine, j’ai prié, mais autrement.

Chaque fois que je vais à l’église, c’est le même combat, et quand j’en ai parlé au père Valentin, il m’a

 J'ai si envie d'aller à l'église... Mais le jardin... le ménage... 
les oies... les poules...

dit que pour lui c’était pareil. Sophie ne comprend pas cela. Elle me dit que nous devrions y courir joyeux, et moi aussi, je me le disais, mais en fait non. Je crois que Sophie ne comprend pas l’effort, comme beaucoup de contemporains, et ne croit pas au diable. Elle pense que si nous nous forçons à aller nous emmerder deux heures à l’église, c’est que nous nous y croyons obligés alors que Dieu est dans la joie, le plaisir et l’exultation. D’autres prétendent qu’il ne se trouve que dans la souffrance, ce que je ne crois pas non plus. Toujours est-il que je ne regrette jamais d’avoir fait cet effort. Car j’en retire souvent de la joie, de la bienveillance, un attendrissement du coeur, et parfois même des révélations plus ou moins importantes. Ainsi de la confirmation du sentiment que m’a inspiré la vidéo du prêtre pianiste. Et puis d’autres choses. Par exemple, en ce qui concerne les arbres, le tilleul assassiné par l’imbécile de derrière. Je suis persuadée que ce tilleul aura sa place dans la Jérusalem céleste, toutes ces créatures dont nous méprisons la subtile existence, les messages imperceptibles auxquels nos aïeux étaient sensibles, eux qui plantaient pour des années aux endroits judicieux, comme l’oncle Kolia son bouleau. Pourquoi la nature nous fait-elle tant de bien, quand nous n’y allons pas pour tourner en rond sur une moto bruyante qui pue, tirer sur tout ce qui bouge, écouter la radio en laissant derrière soi les immondices imputrescibles de notre pique-nique ? Pas seulement par la vertu de l’air pur, du soleil et de l’exercice, mais parce que nous entrons en résonnance avec l’Etre et ses créatures, que c’est là notre destin réel, celui que manquent la plupart des contemporains élevés hors sol dans la haine, l'indifférence ou l’incompréhension de tout ce qui est vrai, beau et vivant. Je prie en dessinnant, ou en faisant de la musique, et je prie aussi dans la nature, les trois sont liés pour moi, mais plus j’entre en résonnance avec elle, et plus je souffre de la façon dont on la traite, évidemment.

C’est alors que dans l’église, où je déplorais mon manque de maturité spirituelle et de toutes les qualités qui vont avec, j’ai ressenti une pensée qui était presque une voix intérieure : « Laisse un peu tomber. Ne souffre pas tant, laisse cela à Dieu, car c’est Sa volonté. C’est Sa création, et Il a Son plan pour elle, il est peut-être venu le temps où tout doit périr, et oui, ils détruiront tout, et tu verras tout cela avec horreur, apprends  dans ce chaos, à faire confiance, et souviens-toi de cette citation que tu as lue il n’y pas si longtemps : on ne peut pas sauver le monde à soi tout seul, mais on peut créer les conditions du salut de soi-même et de ceux qui nous entourent, sauver ce qu’on peut du désastre, chaque personne sauvée est une victoire du Tout.

J’avais envie de pleurer car il est très dur de voir profaner tout ce que l’on a de plus cher et de plus sacré, mais je me sentais soutenue, et j’ai commencé à recommander à Dieu tous les miens. C’est alors que me sont revenus des passages de mon livre, Parthène, que l’on me traduit, et qu’une poignante compassion m’a envahie pour le tsar Ivan, en même temps que le remords de continuer à fantasmer sur ces âmes au lieu de les laisser en paix, mais en même temps, j’ai su que je les avais prises sur moi, que ces tentations faisaient partie du lot, que de telles âmes étaient lourdes à traîner, mais que c’était ainsi, que c’était peut-être pour cela que j’étais restée seule, que j’avais cela à faire, et que c’était partiellement fait. Je pensais aux préoccupations eschatologiques du tsar Ivan, et au destin de la Russie, à sa chute, depuis son moyen âge tout récent. Nous en étions sortis, ou déchus, depuis deux cents ans, quand le tsar Pierre a poussé la Russie dans la modernité. Au temps de Pouchkine, le schisme des vieux croyants n’était pas si vieux, il n’était pas plus éloigné de lui que je ne le suis de Flaubert ou Dostoievski, c’est pourquoi dans les romans de ce dernier, je retrouve quelque chose de si vitalement archaïque et sacré, complètement absent de notre littérature de la même époque. Et tout cela à la veille de la révolution, quand cette efflorescence de la Russie a été si affreusement gelée, piétinée, mais elle ne s’est pas rendue sans combattre, et aujourd’hui, elle combat encore. Peut-être pour la dernière fois.

Je me suis ensuite entretenue avec une personne chère d'une autre personen chère qui a perdu son fils. Elle est très courageuse, me dit mon interlocutrice, et après une période mystique un peu malsaine, elle affronte la réalité, et se prépare à participer à de la psychologie de groupe pour parents endeuillés. Ah oui, c’est sûrement plus efficace que de faire une retraite au monastère de Solan, comme je le lui avais conseillé. Et j’ai senti toute la profondeur du fossé qui me séparait de ma génération et de l’occident actuel. Là dessus, la chère âme  embraye sur les déclarations du Tchétchène Kadyrov, qu’est-ce que c’est que ce dingue, qu’est-ce que c’est que ces discours sur l’occident sataniste ? Là, le fossé est devenu le gouffre de Padirac. Bon, les Tchétchènes sont les Tchétchènes, les musulmans sont les musulmans, mais s’il y a une chose sur laquelle les Tchétchènes, les musulmans, les Russes orthodoxes et moi-même sommes bien d‘accord, c’est sur le satanisme de l’occident, et en ce qui me concerne, ça fait longtemps. Mais même les plus gentils et les plus calmes de mes proches ont tous la cervelle plus ou moins infestées de ce qui prend maintenant des expressions extrêmes abominables et infâmes, qui d'ailleurs les choquent, mais s'ils ne remettent pas profondément en question, comment puis-je en discuter avec eux ? Avec les libérés sexuels nostalgiques des années 70 et de leurs minijupes, avec les hédonistes des piscines méridionales, avec les bonnes copines aux avortements répétés, avec les concombres masqués fervents? J'espère, me dit-elle, qu’on ne fait pas chez toi la chasse aux homosexuels. « Pas du tout, on interdit juste la propagande LGBT auprès des enfants. » Ouf... tout va bien, on est bien d'accord que mêler les gosses à cela, ce n'est pas très justifiable.

Elle redoute que l’Iran ne lâche une bombe atomique sur Israël, parce que les Iraniens sont des fanatiques, j’en suis restée sans voix. C’est l’Iran qui fout la merde au moyen orient ? Quelle que soit l’opinion qu’on ait de la société iranienne, elle impose son mode de vie à l’extérieur ? Elle fomente des troubles dans différents pays du monde ? Cela fait déjà un moment que j’ai compris cela, les dictatures qu’on désigne à la vindicte publique ne sont vraiment pas celles dont il faut avoir le plus peur. Mais la propagande, ça marche, surtout quand elle s’exerce depuis des décennies de façon très sournoise. Une amie qui a vécu au Donbass, reçu des bombes sur la tête, vu tout ce qu’il s’y passait, est tenue pour une mythomane par son propre fils, élevé au lait toxique des facs gauchistes et prêt à croire les journalistes plutôt que sa propre mère. J’ai toujours cru mes parents plutôt que le monde entier, et justement mes parents, tantes et oncles ne pensaient pas comme tout le monde. C’était même leur marque de fabrique, bien qu’ils eussent commis certaines erreurs d’appréciation. Mais certains membres de cette famille réfractaire se sont quand même laissé laver irrémédiablement la cervelle... Nous avons tous nos rhinocéros.

Et puis après, bien sûr, cela glisse au complotisme, dont je me rends coupable, attribuer aux gouvernements occidentaux de si noirs desseins, c’est du roman d’espionnage. Pourquoi feraient-ils du mal à leurs propres concitoyens ? Je ne vois vraiment pas comment répondre à cela ex abrupto en dix minutes ou même une demi heure, alors que ma conviction repose sur des années de lectures, d’observations et de comparaisons, et comme je ne suis pas politologue je n'ai pas pris de notes. Mais coup de bol, je suis tombée sur une vidéo de Valérie Bugaut qui explique tout cela très bien. Voilà pour toi, ma chère cousine, (et pour tous les autres). Le pourquoi du comment de mes positions.



L’hiver est brusquement arrivé, je l’ai rencontré à la porte de l’église, venteux, glacial, nous avons eu une vraie tornade de neige, et vers le soir, parmi les débris des nuages, j’ai vu le croissant, comme toujours dans le ciel russe, très important, très présent, très brillant.





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