Jeudi, j’ai manqué la fête du métropolite Pierre de Moscou, qui avait lieu dans l’église en voie de restauration, parce que l’office était à sept heures du matin, et je ne me suis pas revéillée à temps, ce qui est très rare. Hier soir, le père Alexeï me demande qui a fait l’icône de ce saint, qu’il avait bénie à cette occasion ? Je lui ai répondu, morte de honte et complètement désolée d’avoir raté cet évènement, que c’était moi. En fait, je pensais que l’icône n’avait pas plu à notre évêque et qu’il l’avait remisée dans un coin.
Cela m’a
vraiment affectée mais il ne m’en faut pas beaucoup, en ce moment. Ce matin,
j’ai parlé de tout cela au jeune prêtre qui confessait, je lui ai dit aussi que
je maudissais régulièrement ceux qui nous avaient préparé la situation où nous
sommes, que je ne pouvais pas les aimer ou prier pour eux. « Pourtant, c’est
ce que le Christ nous demande.. » Oui, en effet, mais ce n’est pas facile.
Je dis à Dieu : « Pour ceux-ci, c’est Toi qui vois, moi, je ne peux
pas... »
Ma Georgette
mange toujours très peu, elle dort tout le temps et maigrit, et j’essaie de ne
pas me laisser aller au chagrin qui me submerge. J’espère que la communion
de ce matin m’aidera. Je pense à la façon dont elle est apparue brusquement dans ma datcha, où j’étais venue passer le
week-end, en 2009, par une pluie d'automne glaciale. C’était presque un chaton. Elle s’était installée sur le poêle, loin
de mes autres animaux. Et pendant la nuit, elle était venue occuper la place qu’elle
a prise par la suite pour le reste de sa vie, contre mon épaule, la patte posée sur moi. Avant de l’adopter,
j’avais essayé pendant trois semaines de la caser sur Moscou, et j’avais
laissé pour elle des croquettes aux ouvriers qui refaisaient le toit. Puis un
ami avait proposé de la prendre. J’avais donc apporté un panier à chat, et elle
avait protesté quand je l’y avais enfermée, mais aussitôt que la voiture avait
démarré, elle avait cessé de miauler, elle comprenait que je l’emmenais.
Chez mon ami
Sérioja, elle avait été si mal aimable qu’il n’avait pas voulu d’elle, soutenant
qu’elle m’avait choisie. Je l’avais portée chez le vétérinaire, elle avait
beaucoup de gale des oreilles, mais elle supportait les soins sans griffer ni
mordre, elle grognait seulement, elle s’est toujours montrée, comme moi,
râleuse, mais bonne pâte, elle aime qu’on lui fiche la paix et ne va pas au
conflit, elle attend juste son moment. Après, dans l’appartement, elle était
complètement euphorique, Georgette déteste le froid, c’est une petite chatte
très domestique, et elle m’a toujours suivie comme mon ombre. En cela, elle
était en compétition avec Chocha, elles ne pouvaient d’ailleurs pas se voir.
Au
printemps, quand j’étais retournée à la datcha, elle était terrifiée de se
retrouver dans ce lieu qui lui avait laissé de si mauvais souvenirs, elle me
suivait pas à pas en grognant, puis, voyant que je restais sur place avec elle,
elle s’était calmée. Une vieille qui passait ses vacances au village me dit qu’elle
l’avait vue arriver un matin et nourrie tout l’été, mais qu’en repartant pour
Moscou, elle ne l’avait pas prise. Et elle l’appelait : «Maroussia, Maroussia... »
Georgette faisait comme si elle ne la connaissait pas. Mais je suis sûre qu’elle
s’en souvenait autant que de sa misère automnale, au sein de laquelle j’étais
venue avec ma ménagerie chauffer le poêle et distribuer les croquettes...
Georgette m’a
suivie en France, puis elle est revenue avec moi en Russie. Dans le taxi qui
nous amenait à Pereslavl, après le difficile voyage en avion, elle avait passé
sa petite patte à travers la grille de son panier et l'avait posée sur moi, pour
se rassurer : j’étais bien là, avec elle.
Elle aura
passé toute sa vie avec moi, elle n’aura plus connu l’abandon, la peur, la
faim, et je suis beaucoup plus angoissée qu’elle par la situation, de cela, je
devrais rendre grâce, mais j’ai quand même un chagrin terrible.
A moins que
finalement, elle ne se remette... mais je n’ai pas l’impression. Elle ne lutte
pas...
Puis, dans la rue, j'ai rencontré un monsieur avec un spitz, une femelle, de l'âge de Rita, elles ont copiné volontiers. J'ai croisé des jeunes gens qui faisaient les fous, et me voyant sourire, ils m'ont fait de grands gestes dansants: "Passez une bonne journée"!.
En fin d'après-midi, pour me changer les idées, je suis partie au lac, parce qu'il faisait très beau, et même étonnemment chaud, j'avais envie de me baigner. J'ai essayé de dessiner, mais j'étais au bord de l'insolation, et mes deux interlocutrices du matin avaient eu la même idée que moi, et elles m'ont trouvée sur la rive. Pour fuir le soleil un peu trop brutal, je suis allée m'installer à l'ombre, et là, je suis tombée sur le monsieur du matin, avec son spitz. C'est un homme charmant, intelligent, plein d'humour, nous avons longuement parlé des dégâts opérés sur la ville de Pereslavl, devenue méconnaissable et, je le crains, irrécupérable. Il m'a dit qu'avant la révolution, elle comptait dix monastères et trente-sept églises, il reste cinq monastères et peut-être une petite dizaines de paroisses. Mais le pire est que l'environnement de ces églises est complètement saccagé par des constructions anarchiques et disgracieuses. Ce monsieur est historien et ingénieur en mécanique. Il m'a complimentée sur mes dessins et les a pris en photo. C'est le Moyen-âge qui l'intéresse, Ivan le Terrible, pour lui, c'est trop récent!
Tout ça pour dire que circuler incognito à Pereslavl devient compliqué.