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jeudi 30 novembre 2017

En quête et enquête

Avant-hier, expédition à Yaroslavl. Nous sommes partis à 11 h. Arrivés à l’ouverture du bureau qui nous attendait, nous avons stagné une heure et demie dans le couloir, devant la porte des toilettes, pour une raison mystérieuse, une famille d’Asie centrale est passée avant, et cela a pris tout ce temps. Ilya pense que c’est voulu, pour décourager les gens. C’est vrai que c’est décourageant, sans son aide, je n’y arriverais pas.
Ensuite, dans le bureau, cela a encore pris au moins une demi-heure, examen minutieux de toutes les pièces. Enfin, nous sommes ressortis avec l’attestation de remise du dossier, le permis de séjour sera en principe délivré en mai. Mais en attendant, il me faudra quand même aller en France en février.
Après cela, Ilya et sa mère ayant des choses à faire, je me suis fait déposer dans le centre commercial Aurora, car ma fatigue, mon genou et la tempête de neige ne me poussaient pas à la visite du Kremlin. Jolies boutiques, mais je suis fauchée. Jolies boutiques, quand même. On peut s’équiper entièrement à cet endroit, c’est bon à savoir. Après les avoir passées en revue en traînant la patte, j’ai échoué dans un café, où j’ai commandé un sandwich et un dessert, je n’avais rien bouffé depuis le matin. Commence une longue attente. Je passe en revue Facebook et mes mails sur le téléphone, j’écris un passage que je veux intégrer dans mon livre. Une musique idiote me bat dans les oreilles. Comment les gens font-ils pour écouter cela à longueur de temps sans devenir dingues et pourquoi méprisent-ils leur propre musique pour se livrer à cette merde monotone et obsédante qui détruit les nerfs et probablement les structures des cellules ? Mystères du conditionnement...

J’ai attendu là quatre heures. Ilya et sa mère, à cause de la tempête de neige, avaient été coincés dans des embouteillages. Retour à dix heures du soir.
J’ai regardé hier tout ce que j’ai pu trouver de représentations d’Ivan le Terrible. Le portrait le plus fidèle est semble-t-il la reconstitution de Guerassimov. Il était grand et athlétique, très fort, très entraîné, c'est-à-dire qu'à l'époque, un homme de l'aristocratie maniait des armes, portait casque et cote de mailles, montait à cheval, chassait et se battait, ce n'était pas un produit en costar conçu entre un ordinateur et une imprimante de bureau... Il te balançait une gifle, tu restais collé sur le mur d'en face, c'est ce que je décris, tout va bien. Mais en vieillissant, il était devenu gros et pourri d’arthrite, trop de bouffe et trop d’alcool. Il ressemblait énormément à son aïeule Sophie Paléologue, il avait une tête de Grec, en fait. Et pourtant, il se méfiait des Grecs, qu'il soupçonnait toujours d'uniatisme, je pense qu'il n'aurait pas apprécié le partiarche Nikon, responsable du schisme des vieux-croyants, ce schisme n'eût pas eu lieu avec Ivan le Terrible. Quelqu’un le décrit comme laid, il avait un grand nez aquilin ou même carrément crochu, mais il aurait fallu le voir jeune, et vivant, pour se rendre compte, un Anglais lui décrit des « traits harmonieux » à 27 ou 28 ans. Guerassimov lui donne une expression terrible  et hagarde, mais l’avait-il vraiment, je veux dire en permanence ? Il donne une expression débile à la reconstruction de son fils Féodor, or je suis convaincue qu’il ne l’était pas, et j’écoute une conférence qui le démontre : il était orienté vers la prière et serait devenu moine s’il avait occupé une autre position, il était doux mais pouvait être ferme. Pour un savant soviétique, ou pour un émissaire anglais, la version de la débilité était crédible, bien sûr, mais pas pour un chrétien orthodoxe… Donc il y a une part d’interprétation personnelle dans la façon dont ces personnages sont représentés. Reste que le tsar avait la figure d’un être passionné, sensuel et prédateur, et on a du mal à y associer la foi brûlante qui était en même temps la sienne, son sens artistique, qui lui faisait composer de la musique, apprécier l’iconographie, son talent littéraire et sa culture. Tout cela devait apparaître dans son comportement, que nous ne voyons pas, ses expressions, son regard, et les peintres du XIX° ou Guerassimov lui-même en font toujours un personnage sombre et méprisant au masque grimaçant. Des étrangers témoignent de son charme, du timbre agréable et de la persuasion de sa voix. Ne pouvait-il pas se montrer drôle, charmeur ou même touchant ? Ne pouvait-il pas embobiner les gens, les séduire ? J’ai pris ce parti dans mon roman, en pensant souvent à celui d’Eisenstein, dont je crois qu’il est finalement le plus ressemblant, et pareil pour Fédia Basmanov, qui devait être plus proche de celui d’Eisenstein que de celui que j’ai vu dans ce film idiot avec Igor Talkov…
De sorte qu’avec ce visage aux traits si marqués, il pouvait avoir une sorte de beauté royale et impressionnante. Il avait de grands yeux, certainement très captivants, enfoncés dans les orbites, son regard devait correspondre à ce que je décris : magnétique, hypnotique, sarcastique… que ce regard pût devenir glaçant et son visage effrayant, je n’en doute pas, évidemment, et j'en parle!
A propos du tsarévitch Ivan, le conférencier dit que le crâne est en trop mauvais état pour pouvoir affirmer avec certitude que son père ne l’ai pas tué et réciproquement. Le crâne était en petit morceaux quand on a ouvert le sarcophage. Et que la présence de substances toxiques ne signifie rien, car on utilisait des médicaments qui en contenaient. Je me sens plus sûre de moi, vis-à-vis de ma thèse qui n’est pas infirmée. Un mercenaire français a beaucoup plus tard rapporté le bruit qu’il avait vraiment frappé son fils mais qu’il serait mort des suites d’un pèlerinage, cependant ce n’est pas vérifiable. Je pense qu’il l’a tué, involontairement, mais il l’a tué. C’est pourquoi il a quitté la Sloboda à pied en déclarant que l’endroit était maudit. Sinon, pourquoi l'aurait-il fait?


Cette illustration me paraît assez convaincante. 
Bon, il n'a pas l'air franchement rigolo, mais dans ses
moments pas rigolos, je lui verrais bien cet air-là. Et
les traits du visage correspondent.


Etonnant et inconnu de moi jusqu'alors,
possible portrait du tsar sur un canon livonien....



dimanche 26 novembre 2017

Une lueur dans la grisaille

Les caisses de la gare routière étaient toutes fermées, aujourd'hui, un écriteau nous priait d'acheter nos billets dans le bus. Celui-ci arrivé, nous avons attendu des heures dehors, en plein vent glacial: il fallait vérifier les passeports de chaque voyageur et leur rédiger un billet en bonne et due forme. Excédée et malade, je vais dans un deuxième bus arrivé entre temps, mais cela n'est pas plus rapide, et une fois installée, je me gèle encore une demie heure avant que le truc ne démarre et que le chauffage ne fonctionne.
C'était un vrai tortillard, s'il y avait eu des pâquerettes, le chauffeur n'aurait eu qu'à se baisser pour les cueillir au passage. Et près de Moscou, un bouchon, pas trop épouvantable, et à sa faveur, j'ai vu,  cerné par les barres de béton et les garages, zones et centres commerciaux divers, au milieu d'un cimetière tout gris, l'éclat rouge d'une veilleuse solitaire que quelqu'un avait déposé sur une tombe.Il faisait presque nuit, avec ces lueurs malsaines que jettent sur les disgrâces des banlieues les phares des voitures et les lampadaires le long des routes, et cette toute petite lumière rouge, dans un chaos d'arbres sombres et nus et de croix métalliques, veillait je ne sais quel défunt.
Ensuite, je me suis précipitée, en métro, à travers tout Moscou, pour rejoindre la famille Skountsev à l'église saint Dmitri Donskoï. C'était le "bal cosaque", c'est-à-dire qu'en plus d'apprendre à chanter leur folklore aux paroissiens, ils leur apprennent à danser. Au début, il n'y avait pas trop de monde,et ce n'était pas trop chaud, mais ensuite l'ambiance s'est installée. Tout cela se pratique avec les gosses qui grandissent là dedans, trésor pour eux inestimable: cela les rendra plus intelligents que n'importe quel ordinateur, plus sûrs d'eux et plus humains. Je regardais ces gens danser, de tous âges, et je les voyais tous reliés les uns aux autres: ces danses sont faites pour réunir et pour communiquer, quelque chose s'installe entre tous les participants, un courant circule, et tous avaient l'air heureux. La musique elle-même fait du bien à l'âme, au corps, aux nerfs. Les gens qui suivent les cours régulièrement se sont complètement réappropriés leur tradition perdue et s'y sentent tout à fait à l'aise. Elle cimente le groupe, les participants chantent ensemble, échangent des recettes ou des enregistrements, cousent des costumes.
A la fin de tout cela, les membres du cours, leurs enfants et la famille Skountsev ont enregistré une vidéo destinée à protester contre le projet de fermer le Centre National de Folklore. Ils ont exprimé leur vœu que cela n'arrive pas et chanté en choeur.
Je n'ai pas une haute idée des fonctionnaires russes, non plus que de n'importe quel pays, et je crois qu'ils sont à la fois coupés de leur sol et de leur peuple et vendus aux plus offrants. Pourquoi faut-il fermer ce centre, alors que si les gens revenaient à leur culture originelle et originale, ils y puiseraient une grande force morale, une fierté, un bonheur qui ne coûte pas cher, un développement harmonieux, une cohésion nationale, une grâce qui les tiendraient éloignés de la drogue, peut-être même de l'alcool, de la débauche triste et de la vulgarité, bref de tout ce qui mine les sociétés contemporaines? Poser la question, c'est déjà y répondre. C'est sans doute pourquoi l'Eglise semble commencer, au contraire, à favoriser la transmission du folklore.
J'ai reçu d'une amie russe un article qui établit le tableau clinique de la société russe gangrenée par le capitalisme occidental qui cherche à tout pervertir, et je sens le communisme sous-jacent: il manque à la Russie un "ciment idéologique" et une main ferme, bonjour Staline. Sur la description clinique, je suis d'accord, sur le capitalisme occidental également, et tous les pourrisseurs doivent trouver ce qu'il faut de complices chez les fonctionnaires vendus ou les libéraux. Mais la solution serait le retour à une situation précédente qui a largement contribué à l'installation de la situation actuelle? Qui a commencé à détruire toutes les valeurs russes, la foi russe, les traditions et la culture russe, qui a persécuté tous les plus grands génies du début du XX° siècle, détruit le patrimoine, méprisé la culture populaire qui n'était plus représentée que par des formations "folkloriques" très éloignée de l'esprit de la tradition, avec des danseurs et chanteurs dressés au sourire mécanique? Qui a détruit la paysannerie, les cosaques? Persécuté l'Eglise? Décrété qu'avant 17, le peuple était un misérable obscur titubant dans les ténèbres?
Evidemment, quand on considère que les valeurs russes sont les valeurs soviétiques, parce qu'on n'en a pas reçu d'autres et que l'on ne peut pas comparer, ou qu'on voit son histoire à travers les lunettes de l'idéologie inculquée, on reste dans la fausse opposition de Charybde et Scylla.
Ce qui peut sauver la Russie, c'est la foi et les valeurs russes, c'est le retour à sa propre culture, et c'est d'ailleurs valable pour n'importe quel pays, mais il survit ici quelque chose qui s'est perdu ailleurs.
Comme je l'avais déjà dit dans une autre chronique, j'avais appris de l'ethnographe Starostine que les bolcheviques avaient convoqué tous les vielleux de Russie à un "congrès" soi-disant pour étudier leur art. C'étaient généralement des aveugles et des infirmes qui chantaient des "poèmes spirituels" en s'accompagnant à la vielle. Tous ceux qui ont répondu à l'invitation ont été arrêtés et fusillés, c'est pourquoi cette forme d'art populaire avait presque complètement disparu.
Merci bien.
A la fin du concert d'hier soir, on a chanté la célèbre chanson cosaque Любо, братцы любо qui se termine par l'évocation de Trotski et de Sverdlov qui ont "crucifié notre Mère la Russie".
Et c'est bien ce qu'ils ont fait.

il ya cent ans....



samedi 25 novembre 2017

L'archange Michel

Fleurs de givre
Visite du médecin, je me sentais mal, avec des symptômes bizarres, et cela m'arrivait quand je travaillais à Moscou, mais comme je ne rajeunis pas, j'ai appelé Ilya qui m'a envoyé son père! Il s'appelle Vladimir Vladimirovitch comme Poutine, et m'a dit que j'avais la tension dans les chaussettes, que cela était fréquent chez les gens climato dépendants et qu'il fallait boire du thé noir sucré...
Le matin, j'avais fait une grande balade avec Rosie, le long de la berge escarpée que défigurent de plus en plus de nouvelles maisons. Il faisait dans les moins dix, une neige omniprésente sous un ciel gris sombre. Ce paysage monochrome revêt une sorte de terrible beauté figée, pareille au cadavre d'une mariée sous un voile de deuil.
Tout le long du chemin, et aussi plus loin, derrière les "baraques" abandonnées, des gens laissent des ordures qui forment des décharges sauvages. spectacle aussi affligeant que celui des maisons moches qui colonisent les parages du monastère saint Nicétas et la berge où seule une minuscule chapelle rappelle le monastère qui s'y dressait, avec le cimetière attenant. Les ancêtres antérieurs à l'année 17 n'ont pas eu droit au respect exigé maintenant pour ceux qui du passé faisaient table rase...
Mais dans les temps qui viennent, il faut apprendre à avoir la vision sélective et trouver la beauté là où elle subsiste. Je me suis enfoncée dans le bois, vers le lac, sous les arches des arbres. Puis, au retour, dans ce paysage désert et à moitié profané, j'ai chanté le dernier poème spirituel que j'ai appris: "Viennent les derniers temps, se dessècheront les sources des fleuves, s'assombriront le soleil et la lune, tomberont sur la terre les claires étoiles et surgira sur la montagne escarpée l'archange Michel..."
Chanter dehors n'a pas du tout le même effet que de chanter dans sa maison. La voix s'envole, même lorsqu'on ne chante pas fort. Chose étrange, dans ce paysage de cristal immobile, le vent s'est tout à coup mis à souffler doucement sa basse discrète au travers des herbes sèches et givrées. Cela m'a rappelé un cas semblable, quand je chantais les psaumes sur les chemins méridionaux et lumineux de Cavillargues, avec mon petit chien: le vent avait poussé à ma rencontre une sorte d'immense soupir.
"Il jouera de sa trompette d'or, ah levez-vous, les vivants et les morts..."
Je voyais soudain le paysage avec d'autres yeux: réuni, une immense symphonie de lignes, de taches complémentaires. Il se déployait comme une sévère étoffe brodée par des mains célestes et je le contemplais.
C'est que la nature écoute les chants qui s'élèvent, il y en a désormais si peu... Elle reconnaît la voix humaine priante, le son pur des chants d'autrefois qui naissaient en elle et par elle, elle reconnaît la présence de l'homme qui la sanctifie en s'unissant à travers elle à son Créateur.



Hier, j'ai regardé un film sur Ivan le Redoutable basé sur divers écrits de son temps, dont les siens. Et qui je vois soudain? Oh, Kolia Sakharov, de l'ensemble Kazatchi Kroug... et Nikiforitch! Et qui incarne le prince Kourbski? Micha, dont le physique médiéval le met dans tous les castings d'époque!
Ces écrits étaient très intéressants, bien que soigneusement sélectionnés pour faire d'Ivan une sorte d'ascète. Le texte d'un Anglais parlait de sa prestance, de ses traits harmonieux et de sa voix impérieuse. On citait le discours qu'il fit à ses sujets au moment de son couronnement, mettant en cause les exactions de la noblesse envers le petit peuple et concluant: "Je serai votre juge, et votre défenseur". Il est évident qu'il prenait sa fonction très au sérieux, et s'exprimait avec beaucoup de noblesse, c'était un orateur et un écrivain. Il affirme se sentir responsable devant Dieu de chacun de ses sujets, cela sonne parfaitement sincère, d'une gravité médiévale impressionnante. Il est évident qu'il était profondément croyant et l'on se demande comment ce que d'autres textes évoquent qui n'étaient pas mentionnés ici, et sont probablement en partie calomnieux, a pu être possible. Le tsar idéal a dérapé, si l'on s'en réfère à l'Opritchnina et à tout ce qui a conduit le métropolite Philippe a lui refuser sa bénédiction au prix de sa vie. 
On récitait son canon à l'archange saint Michel "chef des armées redoutable" (l'épithète est la même pour l'archange que pour le tsar, ce qui prouve qu'elle n'était, à l'époque, absolument pas péjorative). Il est magnifique, ce canon, j'en avais déjà entendu parler depuis longtemps, j'ai même donné comme titre à mon deuxième livre le pseudonyme que le tsar avait pris pour l'écrire: Parthène le Fou. Et cherchant les paroles écrites du canon, je suis tombée sur un article passionnant sur les raisons de ce pseudonyme: Parthène (de parthenos, "vierge") le Fou (de юродивый fou-en-Christ). Aucun fou-en-Christ n'écrivant jamais rien par définition, la preuve était faite que le tsar était bien l'auteur du canon, et comme je l'avais déjà senti il y a trente ans, la fascination de celui-ci pour les fous-en-Christ n'est sûrement pas étrangère à l'affaire. Certains pensaient que le tsar avait choisi ce nom par dérision, "vierge" pour lui qui se vantait, selon certains, d'avoir défloré mille vierges, justement, mais en réalité, il s'agit au contraire d'une profonde humiliation de lui-même, car il fait probablement allusion aux vierges folles de l'Evangile qui, ayant oublié leur huile et s'étant endormies à la porte de l'Epoux ne peuvent pénétrer dans sa chambre nuptiale... Cette version est naturellement beaucoup plus convaincante, d'après le contenu du canon qui ne donne pas du tout l'impression d'une plaisanterie, et beaucoup plus fascinante.
J'ai trouvé ce canon, ici, en russe, incomplet:

Piotr Mamonov le récite dans le film de Lounguine "le tsar", cet extrait m'a permis de me rendre compte que ce n'était pas en vain que je n'arrivais pas à regarder cette oeuvre, en dépit de mon admiration pour cet acteur et pour le film "l'île".
J'ai regardé, ou plutôt survolé car ce n'est pas regardable, un autre film complètement caricatural sur le tsar et Fédia Basmanov où figure le chanteur patriote assassiné IgorTalkov.
Je me rendais compte combien tout cela était à côté de la plaque, en dépit du fait que je ne crois pas que le tsar ait été un saint et que la fumée qui l'entoure n'ai pas de feu originel. Mais je suis de plus en plus persuadée que sa personnalité était beaucoup plus complexe et intéressante que ce que l'on montre d'ordinaire.

Voici un magnifique acathiste à l'archange Michel, pour lequel le tsar avait tant de vénération: 


Dans la tourmente qui vient, ma fin de vie rejoint le tsar qui en avait marqué le début, je m'en approche, je le cherche, et peut-être qu'il me cherche aussi.




vendredi 24 novembre 2017

Tohu-bohu


Ilya Glazounov: la Russie éternelle


Je suis effrayée par la confusion, le délire qui ressort de ce que je lis dans Facebook de tous côtés, la radicalisation des positions, il va devenir très difficile de garder sa raison et son humanité. Alors que les idéologies qui nous ont déchirés et qui sont issues toutes deux par réaction, d’une conception progressiste, technique, matérialiste et mercantile du monde, tombaient en désuétude, les oligarques mondialistes les ressortent du placard. A force de mensonges, d’hypocrisie, de propagande hystérique, ils réussissent le prodige de leur rendre une partie de leur virulence, l'une justifiant l'autre, l'une radicalisant l'autre. Et tout cela est attisé par le mensonge permanent, le double langage, l'hyprocrisie et la propagande, avec tous leurs effets pervers. Les vieux fachos et antifachos bloqués dans leurs rancoeurs qui trouvent encore et toujours du grain à moudre.
Je tombe, sur les fils de commentaires des prêtres ou patriotes russes divers, sur des contradicteurs aux propos effrayants. L’un dit que les traîtres fussent-ils des millions, Staline avait bien fait de les exterminer. L’autre déclare que l’URSS, qui a à son palmarès l’emprisonnement, l’exil ou l’élimination physique de la plupart des génies russes contemporains de la révolution et des décades suivantes, la destruction d’innombrables œuvres du patrimoine civil et religieux, était « l’apothéose de l’histoire russe ». Un troisième nie les exécutions sommaires et massives du polygone de Boutovo (on le comprend, ça la fout mal)... Un quatrième nie que les files d’attente devant les magasins aient existé sous Brejnev, et traite celui qui les évoquait d’ennemi du peuple. Bref, le paradis communiste qui n’est jamais advenu a trouvé son accomplissement dans les souvenirs transfigurés d’une partie de la population russe.Pour certains, la Russie commence en 17, et pour moi, c’est là qu’elle finit, pratiquement, même si elle se survit mieux que ne se survit la France après 200 ans de république. Dénoncer les crimes communistes, c’est insulter leurs ancêtres, ils se soucient peu de leurs ancêtres précédents, les « paysans obscurs » massacrés en masse par la bande d'idéologues qui a jeté une moitié du pays sur l’autre, éveillant les pires instincts et suscitant les cruautés les plus abjectes. Le slogan irréfutable, c’est que critiquer le communisme conduit à la russophobie, je crois au contraire que la russophobie naît de l’amalgame opéré entre russe et communiste, un amalgame que j'ai essayé patiemment de désamorcer chez les occidentaux, et que ce genre d'opinion justifie, faisant le jeu de ceux qui ont intérêt à ressusciter ces confrontations d'un autre âge. C'est sur cet amalgame que repose la propagande ukrainienne, c'est grâce à cet amalgame qu'on peut mentir sur le massacre des populations civiles du Donbass ou faire de Poutine tour à tour la réincarnation de Staline ou d'Hitler, ce qu'il n'a jamais été. Cet amalgame est exactement ce qu'il faut aux ennemis libéraux de la Russie pour tenter d'en faire un épouvantail international.
D'autres m’ont reproché de « ne pas aimer la Russie contemporaine ». Non, en effet, je ne l’aime pas, qu'a-t-elle de si séduisant? J'aime la Russie éternelle, j’aime la Russie, pas ses cicatrices ni ses disgrâces soviétiques, post-soviétiques ou néolibérales, et si j’aime parfois quelque chose de soviétique, c’est une survivance russe qui a perduré envers et contre tout. Je n’aime pas les affreux meubles polis qui ont remplacé l’art nouveau ou l'art paysan fantastique et coloré. Je n'aime pas les "cottages" Disneyland de très mauvais goût ni les centres commerciaux qu'on laisse construire dans des sites merveilleux. Je n’aime ni les barrières en béton, les effrayants clapiers des années 70, ni leurs successeurs de luxe, les fourmillières pour riches de la Roubliovskoïe Chossé. Je n’aimais pas l’hôtel Rossia qui violait le vieux quartier de la Varvarka, ses palais et ses églises féériques. Je n’aime pas l’avenue Kalinine devenue le « nouvel Arbat », qui écrase si affreusement l’ancien de ses gigantesques radiateurs en béton, copie sinistre de bâtiments américains, ni la version plus high tech de « Moskva-City ». Certes, j’en ai pris l’habitude, j’ai aimé Moscou, même avec ses monstres, j’ai fait avec. Un regard poétique est capable de tout transfigurer... Mais ce qui me plaît en Russie est antérieur à « l’apothéose » ou lui a survécu de façon clandestine pour resurgir à la faveur du dernier dégel: un petit troupeau, sans doute, mais reconnaissable, accroché, fervent, à ses icônes, à ses bannières, à son histoire et à ses traditions.
Je n’aime d’ailleurs pas davantage, à Paris, la tour Maine-Montparnasse ni Beaubourg, ni la snobinarde Pyramide du Louvre que les architectes du Louvre eux-mêmes n’avaient pas prévue et qui tranche toutes les façades d’époque… Ce n'est pas la France à mes yeux. La France, c'est tout, sauf ce que la République en a fait.
Je n’aime pas la modernité, elle est laide, la laideur et la contrefaçon sont les signatures infaillibles du diable. Elle est laide, et ne nous laisse plus aucune consolation, notre seul refuge est dans l’abrutissement, sous toutes les formes à notre disposition, des médias à la drogue en passant par la débauche, nos civilisations progressistes et consuméristes ressemblent à de gros crétins enrichis par des moyens répréhensibles qui retombent peu à peu dans une débine pire que l’honnête pauvreté précédente, et s’enivrent comme des porcs pour ne pas voir ce qui les attend à l’issue de tout cela.
Pour la même raison, je ne suis pas davantage pro-libérale que pro-communiste, je suis juste prorusse et aussi profrançaise. Même si actuellement, à choisir entre les deux, je préfèrerais le communisme, ou ce qui en tiendrait lieu, car ce qui se prépare à l'ouest sera plus ravageur physiquement, moralement et  spirituellement que tout ce que nous avons connu auparavant. Je préfère m’allier aux communistes qu’aux néo-trotskistes oligarchiques occidentaux, mais il m’est impossible d’oublier les victimes des répressions, les martyrs de l’Eglise, ni les ravages culturels, pardonner oui, oublier non, calomnier encore moins.
Certains, justement, accusent ceux qui ne veulent pas oublier de ne pas vouloir pardonner, et citent à ce propos impudemment l'Evangile pour lequel ils n'ont aucune considération. D'autres encore veulent recruter le Christ dans la révolution, car il stigmatisait les riches. Le Christ apportait un message spirituel, son Royaume n'est pas de ce monde, et ne s'impose pas par la force. Ceux qui le suivent sont miséricordieux et connaissent la valeur du partage. Les marchands russes chrétiens faisaient bon usage de leur argent à l'inverse des oligarques internationaux sans foi ni loi. Or c'est à ces derniers qu'appartient maintenant le monde, à l'issue de tout ce que nous avons tous traversé comme horreurs, sous diverses bannières illusoires, et nous ne savons pas comment nous en débarrasser. L'hydre a pris de la force dans notre sang, elle entretient la confusion, la calomnie et les faux-semblants qui perpétuent les dissensions et les massacres, et je vois avec effroi qu'aucune voix juste ne pourra bientôt plus se faire entendre. Le moment est sans doute venu du retrait et de la prière, dans l'attente des derniers temps.

Ilya Glazounov: le mystère du XX° siècle

mercredi 22 novembre 2017

C'est parti pour cinq mois


C'est l'hiver, c'est l'hiver pour longtemps. Tempête de neige qui tient, avec des paillettes scintillantes. Je n'ai pas eu le courage d'aller travailler, tant le voyage et toutes ses péripéties m'ont fatiguée. J'ai décidé d'aller promener Rosie: que ce paysage est donc boréal, à la fois triste et exaltant: grand, sombre, avec du blanc et différents tons de gris, du bleu au violet, traversé de reflets jaunâtres. Comme nous ne sommes pas si loin que ça du cercle polaire, la nuit tombe à quatre heures, et à huit heures du matin, elle est encore là...
Il faut bien que j'accorde un peu de temps à cette fichue Rosie, qui m'a empêchée de dormir, cette nuit, car si elle est dedans, elle rôde et s'agite, et si je la mets dehors, dans l'entrée de la maison, elle pleure et elle gratte à la porte... Mon lit grouille de chats, avec Blackos qui cherche à me fourrer son museau sous le nez et pour ce faire, me file des coups de patte griffue.
La dresseuse Olga me conseille de mettre Rosie dans sa cage quand je m'en vais, mais je soupçonne que cela ne va pas se passer avec moi comme avec elle. Elle allait volontiers dans cette cage, la considérant comme sa maison... De l'aveu d'Olga, c'est une véritable emmerdeuse, elle pense que cela se calmera dans six mois.
J'ai pris ce soir la direction du café français. J'ai été accueillie à bras ouverts, très joyeusement et très chaleureusement. Maxime se débat avec les services d'immigration de Moscou, ce qui est bien pire qu'à Yaroslavl, pour avoir un permis de séjour, la Sibérie ou le Khamtchatka sont sûrement des endroits très rapides.
Il m'a parlé du marché de Noël de l'Institut Français de Moscou: les délicieuses pâtisseries et confiseries de Didier y figureront en bonne place, pour ceux qui auraient envie d'y goûter!:
Les 24,25 et 26 novembre de 13 h à 20 h 
rue Vorontsovo polie 16, bat. 1 métro Kourskaïa ou Tchalovskaïa
Мы ждем вас 24, 25, 26 ноября
с 13:00 до 20:00 во Французском Институте 
Выставочный зал, 1 этаж
Адрес: ул. Воронцово поле, 16, стр.1 (м. Курская, Чкаловская)'est 


Un chasseur français pourrait la prendre pour un loup!



mardi 21 novembre 2017

Permis de séjour

Donc, aujourd'hui, je suis allée porter mon dossier au service d'immigration à Yaroslavl. L'employée qui nous a reçus, Ilya et moi, semblait prête à mordre. Il est vrai, nous l'avons appris plus tard en le voyant revenir, que le "client" précédent était parti en emportant son dossier administratif complet sous le bras:"C'était sur la table, dit-il, j'ai pensé que c'était pour moi.
- Sur la table, il y a aussi une imprimante, un ordinateur et un téléphone, vous allez les prendre aussi?"
La dame s'étant radoucie, nous a expliqué qu'il manquait, comme on pouvait s'y attendre, des pièces au dossier. Malgré son premier abord, elle s'est montrée extrêmement gentille. Je n'avais pas l'enregistrement de mon visa, mais je n'avais pas eu non plus le temps matériel de le faire avant l'entrevue. Je n'avais pas les photocopies du nouveau visa et du tampon de la douane. Il fallait remplir autrement le formulaire, certaines mentions n'y figuraient pas. Bref on nous a rendu notre copie, mais en s'efforçant de nous donner un rendez-vous rapide, et si j'ai bien compris, une fois mon dossier constitué, je ne serais pas obligée de repartir encore une fois, ou bien je n'aurais plus besoin d'une invitation, je ne suis pas très sûre, Ilya non plus.
Nous avons vu plusieurs photos de moi passer sur l'ordinateur. Ilya m'a dit ensuite: "A mon avis, ils savent tout de vous, et pourraient même vous apprendre des choses sur votre père..."
Au retour, il m'a parlé de son grand-père qui faisait à cheval et au sabre la chasse aux banderistes dans les forêts ukrainiennes après la guerre, un cosaque. Les forêts étaient saupoudrées de neige, parfois couvertes de givre, sous un ciel bas. La température tourne autour de zéro. Le soir tombe à quatre heures, à cinq heures il fait nuit noire.
J'ai noté cette fois que tout en restant jolie, Yaroslavl aussi a son content de cicatrices et de destructions regrettables. Pourvu que le processus s'arrête...

lundi 20 novembre 2017

Ces quelques cartes postales

Ce matin, à Pereslavl. Heureusement, la maison se réchauffe....



Souvenirs de mon automne d'or du midi, qui cette année n'était pas pluvieux, hélas pour les paysans et les jardiniers, mais tant mieux pour moi, que la sécheresse et le mistral guérissent de tous les miasmes. Voyez, c'est ici que j'ai grandi.


Le mûrier

La Garde Adhémar

Le petit chien de ma soeur sous un grand chêne

Un plan d'eau

Hé les Russes, faut vous aimer, quand même, pour échanger ça contre la caillance et les cottages Disneyland, les barrières de béton et le mépris du patrimoine, il faut l'aimer, la Russie, ce qu'il en reste et ses enfants, tous ceux qui m’accueillent à bras ouverts, se mettent en quatre pour moi, il faut l'aimer ce pays féerique vitriolé qui a gardé son âme, alors que nous perdons la nôtre, dans notre paradis que nous ne savons plus chérir ni défendre... Russes, aimez-vous donc vous-mêmes, autant que je vous aime, tous les Russes de tous les siècles qui montent en procession vers moi, comme sur un tableau de Glazounov, derrière les icônes et les bannières, à la rencontre des derniers temps... Il faut tenir jusque là, dans votre nef trouée. Nous n'en avons pas d'autre, ni vous, ni moi. Aimez les souvenirs dont on a tenté de vous priver: c'est là notre source vive, notre racine irriguée. La vôtre, mais aussi, plus profondément, la nôtre, et c'est peut-être essentiellement cela qui m'a amenée ici.