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mercredi 9 juillet 2025

DON CAMILLO ET LES GILETS ROUGES

 


Jeudi 4 juillet 2025

Le père Nikita est venu me chercher pour m’emmener à Dokoutchaievsk, en passant par Donetsk. De Lougansk à Donetsk, le paysage est moins joli que de Kamensk à Lougantsk, plus défiguré par l’industrie, et par la guerre. Je vois beaucoup d’arbres morts ou malades.

J’étais attendue à la maison des travailleurs de la culture, à Donetsk, où j’ai été présentée à la directrice, Maïa Borissovna, qui est très âgée, et m’a passée au crible de ses questions. J’étais si fatiguée que j’avais peur de m’évanouir. J’avais encore mal dormi, et fait trois heures de voirure en plus. Mais non, cela s’est bien passé. Le père Nikita m’a fait une interview publique, il a lu des passages de Yarilo, les réflexions de mon héros anglais sur la Russie du XVI° siècle. J’ai parlé de mon amour de la Russie, de ma conversion à l’orthodoxie, chanté des chants russes et français et mes propres chansons. Le public réagissait chaleureusement. Maïa Borissovna m’a serrée dans ses bras : « Vous venez de si loin, et vous m’êtes si proche, vous rendez-vous compte que Dieu vous a comblée de ses dons ? Comment vivez-vous cela ?


- Pas toujours très bien, et je ne suis pas à la hauteur ! Je suis à présent très entourée, mais je suis quand même seule...

- Vous êtes avec Dieu, qui vous a donné tout cela, et veille sur vous comme sur une petite flamme. »

Elle m’a décorée d’une cocarde aux couleurs de la Russie.

Le père Nikita est très aimé, c’est le prêtre qui supervise toutes les autres paroisses de sa région, et tout le monde le connaît, les gens arrêtent sa voiture pour lui dire quelque chose au passage. Il ne partage pas l’enthousiasme communiste de Narodni Front. « Ils me font bien rigoler, ces communistes qui sont tous propriétaires ! Et quand aux staliniens, je leur dis : « Si tu vivais du temps de ton idole, il y a longtemps que tu serais fusillé ! » Il n’y a chez eux aucun ascétisme idéologique, mais beaucoup d’orgueil, et souvent d’envie et de méchanceté. Et souvent aussi la nostalgie d’un temps paisible où les gens vivaient normalement. Le Donbass était très privilégié par le régime communiste, c’était l’aristocratie du prolétariat, et cela d’autant plus que si l’on a mis le Donbass dans la composition de l’Ukraine, c’était justement pour diluer la paysannerie dans la classe ouvrière. Maintenant, croire au retour du communisme, c’est de l’illusion totale, cela ne reviendra jamais ! »



Il pense comme moi que la nostalgie communiste a été artificiellement causée par la nostalgie fasciste de ceux d’en face, entretenue pour créer un climat de guerre civile qui avait disparu depuis longtemps. « Les gens regrettent une vie simple et paisible où l’on peut gagner honnêtement sa vie, avec des sentiments sains et normaux ». D’après ce que me dit le père Nikita et mon impression personnelle, les gens du Donbass, ce sont des gilets rouges. Leur communisme est un populisme analogue à celui des gilets jaunes français et de l’électorat vilipendé de la mère le Pen, qui a d’ailleurs trahi tout le monde. L’essence du bolchevisme, le pur et dur d’avant sa russification, qui s’entend si bien avec le nazisme, s’est déplacé en occident et à Kiev qui en est l’abcès de fixation purulent. C’est là qu’on persécute l’Eglise, comme dans les années vingt et trente, avec une brutalité et une vilenie typiques, et aussi les petites gens, méprisées et traitées comme de la chair à canon, de la chair à organes et à bordels, des sous-hommes, avec l’aide de néonazis au front bas, utilisés par un capitalisme mondialiste mafieux et des sionistes suprémacistes et haineux.

Le père Nikita est consterné par le sort du métropolite Onuphre, privé de sa nationalité par un ukase de Zelenski. Il a pour lui, à juste titre, beaucoup d’amour. « Mais que va-t-il advenir de lui ? demandai-je.

- Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il est entre les mains de Dieu et de sa très sainte Mère. Voyez-vous, il ne faut pas négocier avec le diable, il ne faut pas se compromettre avec lui, cela ne mène à rien. Zelenski, c’est le diable, le Malin. Il n’a aucune parole, aucun principe, aucune pitié. C’est le diable, et ceux qui le servent sont des bêtes d’autant plus féroces qu’elles ont le cerveau lavé par l’idéologie. Les tentatives pour apaiser cette bande n’ont pas empêché l’Eglise de se retrouver dans sa situation actuelle. »

Il pense que le communisme a fait beaucoup de mal à la mentalité et à la culture russes et il est fier de construire des églises là où se dressaient des statues de Lénine. «Voyez, ici, j’ai fait cela avec tact. Vous savez pourquoi Lénine et Kroupskaïa n’ont jamais eu d’enfants ? Ils étaient syphilitiques l’un et l’autre, et le monument qui se dressait là, comme au dernier stade de cette affection, avait perdu le nez et une oreille. J’ai dit aux communistes du coin de récupérer avec les honneurs ce grand malade... »

Le père Nikita habite, près de l’église qu’il a construite, le jardin d’enfants local qui lui a été transmis, faute de gosses en quantité suffisante pour justifier son entretien par la municipalité. Il y organise une école du dimanche, avec catéchisme et toutes sortes d’activités. C’est un lieu très vaste, il y abrite deux ou trois réfugiés, et des chats, dont deux rescapés du front donnés par des soldats. Le soir venu, nous nous sommes assis dans la douce fraîcheur du jardin, avec la vielle et les gousli, qu’il voulait remettre en forme, un ami à lui est venu nous rejoindre. L’air était doux, sec, pas de moustiques, une soirée d’été méridionale, simple et paisible, les chats, la matouchka qui arrose les fleurs... Percevant un grondement sourd, j’observe : «On dirait qu’il va y avoir de l’orage... »

Fin sourire du père Nikita et de son ami : « Non, non, ce n’est pas cela...Mais ne vous faites pas de souci, désormais, ce sont les nôtres qui tirent sur les autres, cela ne vient plus dans notre direction. »

Ils m’expliquent qu’ils vivent avec ce fond sonore depuis dix ans. Dokoutchaievsk était cerné par l’armée ukrainienne, et ils ne savaient jamais où ni quand cela allait tomber. Ca tombait, les murs tremblaient, ils vérifiaient si la maison était encore debout, si tout le monde était encore entier, et ils continuaient à mener leur existence ordinaire.








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