2 et 3 juillet 2025
Le père Nikita, dont j'avais autrefois traduit l'interview: Mettez la musique plus fort, que l'on n'entende pas qu'on nous tue, m'invitait depuis longtemps à venir le voir à Dokoutchaievsk. Et Katia méditait, elle, d'aller rejoindre son Fédia à Lougansk. Son amie et professeur Elena Vladimirovna voulait, quant à elle, retrouver là bas la tombe d'une amie chère qui n'a plus de famille. L'idée nous est venue d'unir nos efforts et de partir ensemble. Nous devions le faire en même temps que les parents de Fédia. Mais ceux-ci ont dû y renoncer, et nous ont laissé le soin de convoyer l'aide humanitaire qu'ils projetaient de remettre au régiment de leur fils. Nous sommes
parties, non sans une grande appréhension de ma part, et à la suite d'une nuit sans sommeil, par une pluie diluvienne et glaciale qui a duré sans interruption de
Pereslavl à Voronej. Comme Katia nous avait demandé de prendre le minimum
d’affaires, la voiture étant chargée d’aide humanitaire, je me gelais tellement
en robe d’été que dans la première station d’essence, j’ai acheté le seul
plaid disponible, un grand truc en polaire rouge estampillé « Spartak de
Moscou ».
Après une
nuit dans un petit hôtel à Kamensk Chartinski, nous avons repris la route à
travers la steppe, couverte de fleurs violettes qui semblent des pieds
d’alouettes, de bouillon blanc aux rondes corolles jaunes. On ne voit plus ni
sapins ni bouleaux, mais des accacias, c’est-à-dire des robiniers, comme dans
le midi, et des arbrisseaux rabougris. Je suis émue de rencontrer des plantes qui me rappellent la France, des bignones, des yuccas, des abricotiers. Le paysage est beaucoup plus joli que je
ne le pensais, il y a de temps en temps des terrils, et des villages, qui
restent authentiques, modestes, avec de charmants jardins, tout est paisible,
il y a seulement beaucoup de camions militaires. Je n’ai parlé à presque
personne de ce voyage, pour ne pas effrayer les gens. Le père Valentin m’avait donné sa bénédiction chaleureuse. Le père Nikita m’avait préparé un programme très
chargé de concerts et de rencontres, dans sa juridiction de Dokoutchaievsk, et à
Donetsk. Il pense que c’est très important pour les
gens d’ici de voir des personnes comme moi venir à leur rencontre pour leur
apporter leur soutien et leur témoignage. Je pouvais donc difficilement me dérober, bien que je
fusse terrifiée par les difficultés du voyage, et du reste, je dors très mal et
je suis plus ou moins malade, épuisée dès le départ.
Curieusement,
voilà que sur la route, j’ai un appel intitulé Mano, c’est ma cousine Claire
qui a réussi à mettre sa mère sur Whattsapp et essaie de me joindre, pour que
nous pussions désormais nous appeler. A cause des drones, internet est brouillé
à mort, mais l’appel est quand même passé, voici la famille qui fait irruption
dans mon expédition, d'une manière qui me paraît assez surréaliste : « Je suis en voyage avec des copines ! »
dis-je, rassurante et faux-cul.
En chemin,
nous tombons sur d’énormes éoliennes, qui gâchent, comme partout, le paysage
que nous traversons. « Ce sont vraiment des objets aussi laids qu’inquiétants,
observe Katia.
- Oui,
encore des machins démoniaques, une arnaque absolue. »
Après les éolilennes,
premier contrôle, un simple contrôle de police. Le jeune flic prend les papiers
de Katia, et lui déclare : «Ah... Ekaterina Gourkina. Eh bien vous venez d’où,
comme ça, Ekaternia Vladimirovna ? De Moscou ? Et vous allez où ?
Et pourquoi faire ? »
Il jette un
coup d’oeil dans la voiture : « Aide humanitaire ?
- Oui. Nous
portons ça à Lougansk...
- Passez. »
Ensuite,
nous arrivons au point de contrôle frontalier, vérification des passeports, du
chargement, et on continue le voyage. Juste après, en grosses lettres
tricolores, nous voyons affiché : « Merci la Russie ! »
Tous les arrêts de bus sont peints en tricolore, tous les monuments de la
seconde guerre mondiale couverts de fleurs et de drapeaux. Des drapeaux russes,
des drapeaux rouges, des drapeaux chrétiens, cosaques, la sainte Face sur fond écarlate,
tout ce qu’on veut.
A l’hôtel,
nous sommes prises en charge par deux jeunes gens du « Front populaire »
qui se proposent de nous faire la visite guidée, sur recommandation d’un
journaliste que connaît Katia. Arrive son Fédia, avec un très jeune commandant,
une camionnette et son chauffeur, Génia, qui, après avoir chargé l'aide humanitaire, nous regarde avec une tendresse
nostlagique : « C’est tellement bien que vous soyiez venues, pour
lui: c’est son anniversaire! Et même pour nous... C’est celui de ma femme, demain,
à Voronej, j’aurais tellement voulu y être ! »
Nous étions aux yeux de Génia trois hirondelles venues des régions paisibles... Là où sont les mères, les soeurs, les amies, les fiancées, les épouses.
Nos deux guides du Narodni Front sont très mobilisés, très convaincus, la parole brève, le regard sévère. Ils nous emmènent voir un lieu appelé : « les plaies inguérissables du Donbass », en nous expliquant que sans les Russes, ils ne savent pas ce qu’ils seraient devenus. Nous arrivons à un cimetière en rase campagne, avec un très beau monument aux morts, et des tombes alignées, qui se prolonge par un cimetière sauvage, celui où l’on avait enterré comme on avait pu les victimes du premier bombardement de Lougansk, d’après le guide Marina, totalement inattendu, un mois jour pour jour après l’affreuse histoire de la maison des syndicats à Odessa, où des partisans du maïdan avaient brûlé vifs et massacrés des opposants au régime réfugiés dans la Maison des Syndicats. Kiev avait attaqué l’administration de Lougansk, créant de nombreuses victimes civiles : « Nous avons basculé du jour au lendemain dans une guerre absurde, incompréhensible. J’avais dit à mon mari : « ils ne vont quand même pas nous bombarder ? » - « Mais non, idiote, nous sommes au XXI°siècle ! » Le lendemain, ça commençait à tomber. Et plus d’eau, plus d’éléctricité, plus de gaz ! Les Ukrainiens, aujourd’hui, poussent les hauts cris quand cela leur arrive, et on les comprend, on ne souhaite pas cela à son pire ennemi. Mais eux, alors, ils applaudissaient. Les Russes ne bombardent pas systématiquement les civils en les privant de tout. Les Ukrs, si. »
Nos deux
guides en ont gros sur le coeur. Ils disent « les Ukrops, les Toupets, les
Ukrainiens ». Mais aussi : « les Russes », ou « ceux
de la Grande Terre ». Et répètent : « Les Russes nous ont tout
reconstruit, si nous sommes encore là, c’est grâce aux Russes ».
Je dis à la
sévère Maria : « Je ne pensais pas voir un si beau pays, je pensais
que c’était très industriel, mais ces industries coexistent avec un beau
paysage naturel encore assez intact, et de jolis villages modestes.
- C’est
vrai, me répond-elle, fière et ravie. Et même quand on était bombardé, sans eau, ni gaz,
ni électricité, on essayait de tout entretenir. Les gens arrosaient même les
plates-bandes publiques, je ne sais même pas d’où ils sortaient l’eau » !
Le mémorial récupère peu à peu les corps enterrés dans la hâte, et les ajoute aux rangées de tombes, avec une plaque, lorsqu’ils sont identifiés, ce qui n’est pas toujours possible.
Nos patriotes
nous ont ensuite emmenés voir le monument « le tombeau escarpé », sur
une éminence. Un bel endroit, avec de grands arbres et des statues de style
soviétique inspirées qui rendent hommage aux héros des quatre guerres de
Lougansk, la guerre civile, la guerre patriotique, la guerre du Donbass et l’Opération
Spéciale... Nous sommes escortés par de gros nuages sombres qui jettent sur
nous une pluie intermittente et de brusques lueurs. Katia et Fédia sont
cramponnés l’un à l’autre : l’aide humanitaire apportée par nos soins vaut à ce dernier une perm de cinq jours.
Lougansk est
une ville agréable, très aérée, avec beaucoup d’espaces verts, elle conserve
une certaine cohérence. Elle doonne l'impression, en dehors du folklore soviétique, d'être une sorte de capsule temporelle, rien de gigantesque, rien de tape-à-l'oeil, pas de publicités aguichantes. On voit des ruines de place en place, et comme il y en a plein à
Pereslavl qui ne sont pas dûes à la guerre, mais à l’incurie, je ne réagis pas
tout de suite, d’autant plus que tout est très calme. Mais ce sont bien les
bombardements qui ont causé ces dégâts. Près de l’Administration,
un monument aux correspondants de guerre abattus par l’ennemi, et un autre
dédié aux victimes de la première attaque contre la ville. Ce dernier montre à la fois des étoiles
soviétiques et une croix orthodoxe. "Les Russes reconstruisent tout, nous dit Maria.
- Vous viviez plus mal, sous l'Ukraine, avant tout cela? demande Katia.
- Nous ne vivions pas mal. Mais avec les Russes, c'est mieux."
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