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mardi 12 décembre 2017

Les vessies et les lanternes


Il m'est tombé sous les yeux un article significatif, présenté comme suit: 
« A l’extérieur, une maison insignifiante, à l’intérieur, un palais royal ».
Or je vois personnellement à l’extérieur une isba traditionnelle charmante et joliment décorée, mais qui aurait besoin d’être rafraîchie, à l’intérieur un festival de mauvais goût boursouflé et prétentieux, et parmi les commentateurs, je suis la seule dans mon cas. Il ne fait pas s’étonner que le richard d’une de mes chroniques précédentes se soit indigné en recevant un cadeau simple et de bon goût, poétique et enfantin. 
Dans une isba de ce type, on s’attendrait à trouver, au vu du titre, des merveilles comme la célèbre « maison aux lions » : 




Ou bien encore dans le style de la maison du paysan enrichi Poliachov, évoqué dans une de mes chroniques (https://chroniquesdepereslavl.blogspot.ru/2016/11/un-paysan-obscur-et-miserable.html#comment-form)
Poliachov avait du goût, lui, évidemment, car il avait derrière lui toute une culture paysanne intacte, et cela le retenait de verser dans le débordement kitsch. Il n’avait pas du tout une mentalité de parvenu, bien qu’il fût, comme la plupart des riches Russes, fastueux et généreux.  Mais la paysannerie, à force d’être moquée et coupée de ses sources, en vient à se mépriser elle-même, et à rêver comme le papy de cette petite maison, d’un fatras clinquant qui représente à ses yeux « l’intérieur royal » revu et corrigé par les séries télévisées de seconde zone.
Savoir discerner le beau du laid, c’est comme savoir discerner le vrai du faux, et le bien du mal, c’est complètement interdépendant. Nos ancêtres suçaient ces aptitudes avec le lait de leur mère, ils étaient éduqués en ce sens par leur culture millénaire. Eradiquer cette culture en substituant systématiquement le toc, la contrefaçon à l’authentique, les vessies aux lanternes et le clinquant à l’or véritable est le souci constant du diable qui tient nos élites à la tête.
Dans cette perspective, la survie du folklore est vraiment une question de survie de l’âme même du peuple, au sens le plus spirituel du terme. Celui qui est éduqué dedans, ou qui en ressent l’appel et y revient, n’est plus dans le monde des vessies, il est dans celui des lanternes qui éclairent pour de bon, on ne la lui fait plus, il est relié. C’est pourquoi certains ecclésiastiques commencent à le considérer comme une thérapie. C’est une thérapie. C’est une cure de désintoxication. C’est une porte qui s’ouvre sur l’éternelle enfance du monde dont nous devrions être les participants éblouis.
Instinctivement du côté des ténèbres, qu’ils choisissent systématiquement, les fonctionnaires et les puissants d’aujourd’hui vont naturellement essayer de l’exclure de l’espace public, pour y substituer, comme à l’époque soviétique, des contrefaçons, avec beaucoup plus de mauvais goût, et consacrer l’argent public au financement de provocations d’avant-garde visant à pervertir et désespérer ceux qui les regardent et les écoutent. C’est-à-dire à infiltrer ici ce que l’Occident a de pire.
Soutenir le folklore là où il est encore vivant, c’est ma résistance.

Voici des enfants élevés dans le folklore :

 

A mon avis, ils auront moins de problèmes que les enfants rivés à leurs tablettes.

Elle avait épousé un ingénieur soviétique...


Au camp, les zeks lui avaient sculpté, avec un couteau de cuisine, sur les châlits un clavier de piano. Et la nuit, elle jouait de cet instrument muet Bach, Beethoven, Chopin. Les femmes du baraquement assurèrent plus tard qu’elles entendaient cette musique silencieuse, en suivant simplement les mouvements de ses doigts déformés par le travail d’abattage des arbres en forêt et de son visage.
Fille d’un Français et d’une Espagnole, professeur à l’université parisienne de la Sorbonne, Vera Lotard avait étudié à Paris chez Alfred Cortot, puis à l’académie de musique de Vienne. A 12 ans, elel avait fait ses débuts avec un orchestre sous la direction  du grand Arturo Toscanini.
Pianiste déjà connue, qui donnait des concerts en soliste dans de nombreux pays du monde, elle avait épousé l’ingénieur soviétique Vladimir Chevtchenko et arriva avec lui en URSS en 1938. Vladimir Chevtchenko ne tarda pas être arrêté. Vera se précipita au NKVD et commença à crier, mélangeant le russe et le français, que son mari était un homme remarquable et honnête, un patriote, et que si ils ne comprenaient pas cela, ils étaient des imbéciles, des idiots, des fascistes et si c’est comme ça, arrêtez-moi aussi…  Ce qu’ils ont fait. Et Vera Lotard-Chevtchenko allait défricher  la forêt pendant  treize ans au camp. Elle apprendra la mort de son mari au camp, et de leurs deux enfants au blocus de Léningrad.
Elle fut libérée à Nijni Taguil. Et tard le soir, courut directement depuis la gare, dans sa veste ouatinée du camp en lambeaux, à l’école de musique, frappa fébrilement à la porte, suppliant qu’on lui donnât « la permission d’aller au piano »… pour… pour « donner un concert »…
On le lui permit. Près de la porte fermée, sans oser entrer, les pédagogues sanglotaient.  On comprenait bien d’où elle était accourue, dans sa veste ouatinée déchirée. Elle joua presque toute la nuit. Et s’endormit derrière son instrument.  Par la suite, elle racontait, en riant : « Et je me suis réveillée déjà professeur dans cette école ». Vera Lotard Chevtchenko passa les seize dernières années de sa vie à Akademgorodok, près de Novossibirsk.
Elle ne se contenta pas de se reconstruire après le camp en tant que musicienne, mais elle commença à mener activement des tournées. Les billets du premier rang, à ses concerts, n’étaient pas à vendre. Ces places étaient réservées à ceux qui avaient partagé avec elles les terribles années des camps.  Si quelqu’un venait, c’est qu’il était en vie.
Les doigts de Vera Avgoustovna restèrent jusqu’à la fin de sa vie rouges, tordus, noueux, courbés, déformés par l’arthrite. Et encore repoussés de travers, après qu’au cours des interrogatoires,  les eut brisés (sans se presser, en savourant chaque coup de crosse de revolver) l’enquêteur en chef, le capitaine Altoukhov.
Vera Lotard-Chevtchenko est morte en 1982 à Akademgorodok près de Novossibirsk.

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=1570136426406362&set=a.758262770927069.1073741827.100002300590900&type=3

Témoignage trouvé sur mon fil de nouvelles de Facebook.



sous-titres anglais.

dimanche 10 décembre 2017

L'icône des Keleynikov

En 90, j'avais participé à une expédition en Russie "sur les traces de Radichtchev", et j'y avais fait la connaissance d'Olga et de son fils Kécha, qui avait alors 12 ou 13 ans. Au départ, je m'étais demandée pourquoi Olia emmenait avec elle son gamin pour un tel voyage, mais je m'étais rendu compte assez vite que c'était le style d'enfant à y prendre un vif intérêt.
J'ai eu par la suite une longue et étroite amitié avec toute la famille, puis pour des raisons que finalement je ne m'explique pas tellement et sans doute eux non plus, nous avons été en froid.
Puis nous avons repris contact, et grâce à une icône ancienne, une icône naïve que Kecha cherchait à caser sur facebook, et qu je lui ai proposé de prendre, j'ai décidé de consacrer une soirée à de dignes retrouvailles.
Elles ont été chaleureuses, joyeuses et comme d'habitude dans la famille Keleïnikov, nous avons très bien mangé.
Kecha enseigne à présent à l'institut polygraphique, il a une barbe rousse, une jolie jeune femme à lunettes, Liéna, et un adorable petit garçon, à la bouille très russe, Kostia. Kostia, comme son père, n'est pas un enfant turbulent, c'est un enfant qui observe et qui pense!
Il y avait aussi Iouri Nozdrine, un graveur génial, et nous avons regardé les créations des uns et des autres. Comme nous sommes chez des graphistes, le mot, la lettre et le livre ont dans cette compagnie une extrême importance. On fait ses propres livres, en utilisant, par exemple, pour la couverture, un reste du kimono japonais en satin que la grand-mère d'Olia portait avant la révolution de 17! (le grand-père d'Olia, officier cosaque d'une grande beauté et d'une grande force de caractère avait réussi, pendant toute la période la plus dangereuse de l'URSS, c'est-à-dire jusqu'à la mort de Staline, à échapper avec sa famille aux arrestations en déménageant systématiquement tous les trois mois).
Quelquefois ces livres sont à plusieurs exemplaires en tirage limité, d'autres sont uniques, car ils mélangent impression de gravures ou de monotypes, aquarelles, gouaches, encres...

Dans le sang brûle le feu du désir. Iouri Nozdrine
Olga Keleynikova la paresse

Iouri a une inventivité inépuisable et un monde intérieur étrange, surréaliste et grotesque, toutes sortes de petits monstres, de femmes tentatrices et de pauvres hommes emportés par leurs tentations avec un humour désabusé. Ses gravures grouillent de créatures bizarres et de textes calligraphiés, des aphorismes de son cru ou de divers auteurs. On peut les regarder pendant des heures, il y a toujours quelque chose à découvrir.
Pour ceux qui voudraient explorer cet univers foisonnant, voici son site:
A mon retour, j'ai accroché mon icône dans le coin de la cuisine destiné à cet usage. C'est ma deuxième icône de style naïf, celle qui m'a fait retrouver la famille Keleïnikov. 

C'est celle du dessous, la Mère de Dieu. Il paraît qu'elle vient de
Sibérie. Le Christ au dessus vient de Pereslavl. Les petits ornements
sont des cadeaux d'Anne Frinking, femme de l'iconographe Bernard
Frinking...


La poésie et la boursouflure

Retour à Moscou pour exécuter des démarches administratives, j'en profite pour aller voir l'exposition de figurines fabriquées par le peintre Alexandre Chevtchenko.
J'adore ce que fait Sacha Chevtchenko, longtemps Constantin Soutiaguine et lui peignaient systématiquement ensemble en plein air, et souvent exposaient ensemble, mais Sacha est allé s'installer dans une petite ville des environs de Moscou, Maloïaroslavets. Il a conservé à Moscou l'atelier qui leur était commun et nous nous rencontrions entre amis autour d'un thé, ou des crêpes de la maslennitsa.
Ses tableaux sont de vrais morceaux de vie qui capturent la lumière et la brume, une ambiance, les mouvements naturels des gens, de leurs vêtements, ils sont très évocateurs, pleins d'une poésie enfantine et un peu nostalgique.

Alexandre Chevtchenko, la rivière Troubej, à Pereslavl Zalesski


Alexandre Chevtchenko, bouquinistes à Paris

Alexandre Chevtchenko, la place Rouge

D'autre part, je vois chez lui un coffret de petites figurines pour arbre de Noël en papier mâché, mais ce n'est pas lui qui les a faites, il se contente d'essayer de les vendre, ce sont les oeuvres d'une amie peintre. Quelqu'un avait voulu les offrir à une huile, le patron d'une des plus grandes entreprises du pays, qui les avait trouvées indignes de sa grandeur, et les avait refusées avec indignation. Quand on voit ce genre de réactions, on comprend les châteaux Disneyland en série, le raid sur le Centre National de Folklore, celui sur les quarante hectares de landes protégées autour du monastère saint Nicétas: de grossiers personnages pleins de fric mais imperméables à toute espèce de poésie ou d'art véritable, qui ne comprennent que le clinquant, le kitsch et la boursouflure... Où sont les marchands russes d'avant la révolution, ou même le paysan enrichi qui s'était fait bâtir cette étonnante maison en bois abandonnée actuellement dans le nord du pays? 

Le coffret complet.





vendredi 8 décembre 2017

L'âme de la Russie confisquée par les fonctionnaires du ministère de la culture

En complément de ce que j'ai indiqué il y a quelques temps, voici la traduction d'un article de Novaïa Gazeta qui a été retiré du site du journal aussitôt publié, mais que Sergueï Starostine, grande figure du folklore russe, a conservé et republié sur sa page vkontakte.
Au vu de tout cela, il m'apparaît qu'on a mené une action vile et sournoise en vue de détruire ce que les folkloristes ont sauvé et qui régénère en partie le peuple russe en lui rendant sa mémoire, sa fierté, sa santé morale et spirituelle. Cela a été conduit délibérément, et je me fais du souci pour les archives confisquées par ces fonctionnaires scélérats qui obéissent à qui? Qui sont au service de qui? Pour qui est-il si important de ne pas laisser le peuple russe récupérer son âme? Qu'est-ce qu'un ministère de la culture qui a de tels agissements et finance par ailleurs les pièces dégénérées d'un Serebrennikov, dans le goût de ce qui sévit en occident, et probablement dans le même but?
Pourquoi est-ce toléré par Poutine qui soutient officiellement les valeurs traditionnelles russes, l'Orthodoxie?
Cette action me prouve en tous cas que le folklore est encore vivace et renaissant, assez pour déranger les démons partout à l'oeuvre. 
Et aussi que les destructions soviétiques sont poursuivies avec un zèle étrange par les capitalistes libéraux: même combat. Le serpent a plusieurs têtes et divers masques, mais un seul corps.
Pourquoi faut-il assassiner la tradition populaire ? Parce qu’elle nous unit, parce qu’elle nous recentre, parce qu’elle nous fait entrer dans un univers épique, féerique, dramatique, poétique qui nous fait passer au dessus de nous-mêmes et sublime nos destins. Le Moloch moderne n’a pas besoin de cela. C’est pourquoi le ministre libéral de la culture veut fermer ici le Centre National de Folklore. Pour que les Russes n’aient plus accès aux sources vives de leur âme, pour que meure l’entité Russie, comme meurt l’entité France, et que nous nous retrouvions tous sans défense entre les mains des créatures des ténèbres, comme des amnésiques hagards et bredouillants dont on fait ce qu'on veut. Pour que toute beauté et toute noblesse disparaissent à jamais de cette terre. 

Le 28 novembre, le Ministère de la Culture a pratiquement mis un point final à de longues années de recherches sur le folklore russe : sur son ordre, sans aucun accord ni avertissement préalable, les archives considérables du Centre National du Folklore Russe sont évacuées des lieux. Toutes ces archives qui consistent en 170 000 ouvres uniques de l’art populaire, rassemblées au cours des expéditions, les bibliothèques du centre et les résultats de ses recherches scientifiques seront mises à la disposition de la Maison Nationale Russe d’art populaire V.D. Polenov, un organisme qui ne s’est jamais occupé de recherche scientifique. Selon la décision du directeur du département de soutien gouvernemental à l’art et à la création populaire Andreï Malychev, il est proposé de façon orale aux collaborateurs du Centre de déposer une demande de licenciement volontaire.
«C’est pratiquement une opération de raid sur le centre de Folklore, dit le remplaçant de son directeur, le célèbre musicien et folkloriste Sergueï Starostine. Sans nos archives, notre activité devient impossible, et au Ministère de la Culture, on le comprend bien. »
Les rumeurs sur la liquidation approchante et définitive du Centre ont filtré milieu novembre. Une année auparavant, il avait déjà été privé de sa personne juridique par le ministère et mis à la disposition d’une structure dénommée Roskultprojekt. Les informations sur cette structure dans les sources officielles sont très rares, on sait qu’elle est dirigée par Oleg Ivanov, qui occupait auparavant le poste de vice directeur de l’Union des cinéastes de Russie de Nikita Mikhalkov et n’avait jamais eu de relations avec la recherche sur l’héritage traditionnel.  Le Roskultprojekt  a diminué de moitié le personnel du Centre et réduit plusieurs fois son financement, l’a exilé de son local et l’a envoyé avec ses archives et sa bibliothèque dans la cave de l’un des bâtiments appartenant au ministère. On avait pu alors arrêter la désintégration définitive du Centre, mais son activité avait été pratiquement paralysée.
Parmi les collaborateurs restants, une partie fut obligée de quitter le Centre au cours de l’année sous la pression de la nouvelle direction, et il ne fut même pas fourni aux autres d’étagères pour déballer les archives et restaurer le travail du Centre. Quelques jours avant l’apparition de l’information sur le démembrement du centre au nom du Roskultproject, des appels d'offres ont été lancés pour l'achat d'une garantie matérielle de plusieurs millions de roubles.  On n’a pu découvrir d’informations au sujet d’autres organisations qui pourraient être gérées par ce centre dans les sources officielles.

Le 15 novembre, sur le site change.org est apparue une pétition du centre, adressée au chef du Ministère de la Culture, Vladimir Medinski, réclamant l'arrêt de la liquidation du centre. On y disait que les collaborateurs avaient eu connaissance que l’on planifiait de mettre le centre à la disposition de la Maison de la création populaire, réseau fédéral  de Maisons et de Palais de la Culture qui ne s’occupent pas de recherche scientifique
 «Ils n’ont même aucune direction d’activité de ce genre dans leur statut, commente Starostine à propos des perspectives de fusion avec la Maison de la créativité. Il faut pour cela réécrire le statut, changer les structures… J’ai une question pour les fonctionnaires : pourquoi organiser cette pagaille et mélanger deux structures, si nous nous occupons de choses absolument différentes ? »
La pétition du Centre est adressée directement au ministre de la culture, car les collaborateurs du Centre considèrent que les fonctionnaires qui supervisent directement ce domaine au ministère fuient intentionnellement les rencontres avec eux et se taisent sur ce qui se passe. A la question naturelle du degré d’information de Medinski lui-même, Starostine répond ainsi :
« Medinski  n’est pas obligé d’être informé. Il a à la fois des conseillers et des directeurs de division qui peuvent lui expliquer ce qui se passe dans leur région. Le directeur de notre département, Andrey Malyshev, est tout simplement incompétent sur cette question, il croit que c'est une optimisation qui profitera à tout le monde. Je comprends que les fonctionnaires du ministère ne lisent pas les pétitions, mais je pense qu’au moment donné, il est important que la société commence à se prononcer sur ce thème ».
Pendant les 26 ans de son activité, le Centre de Folklore a mérité sa réputation particulière, non seulement par ses recherches, mais par ses festivals de musique, ses cours de techniques musicales locales et sa propagande en faveur de la conservation de l’héritage traditionnel. On peut seulement s’interroger, selon Starostine, sur les motifs d’une fusion avec un organisme qui n’a pas le profil, peut-être quelqu’un du ministère convoite-t-il le local du Centre  et en l’absence de bureau compétent, aucun fonctionnaire ne l’a défendu.
« L’étude scientifique du folklore est un objectif extrêmement important qui doit être décidé au niveau gouvernemental. Nous ne tolèrerons pas une approche du folklore entachée d'amateurisme » déclare à propos de la liquidation du centre Maria Nefedova. Elle dirige depuis déjà 20 ans l’ensemble Dmitri Pokrovski. Un des collectifs les plus anciens et les plus prestigieux du pays qui sut soulever dans les années 80 une énorme vague d’intérêt pour la musique populaire authentique. C’est sur cette vague qu’ont surgi non seulement de nombreux autres collectifs, mais le Centre de recherche du Folklore lui-même. 
"La vague d'intérêt pour le folklore est allée de la ville vers la campagne, dit Maria Nefedova. Elle a en bien des choses aidée la jeunesse des campagnes, qui s'y est intéressée et à commencé à s'y connaître en musique populaire, à prendre conscience d'elle-même. Lors d'une expédition au Kouban, à notre requête de faire connaissance avec les interprètes locaux, on nous a demandé: et quels collectifs vous intéressent, les fokloriques authentiques ou les populaires?"
Jusqu'à une époque récente, dans le milieu des interprètes professionnels du folklore, on considérait ce dédoublement avec sérénité. Les cercles amateurs existent depuis longtemps, parallèlement au monde de la musique authentique, il n'y a entre eux pas de concurrence directe et diverses maisons de la culture offrent souvent leurs emplacements aux ensembles folkloriques. Dans la période soviétique, cependant, la situation était quelque peu différente, explique Starostine:
"Pendant plusieurs siècles, la Russie a été un pays de paysans, qui avaient leur culture immatérielle. Elle s'exprimait à travers la parole, la musique, les rites et autres. Après 1917, il fut indispensable de se débarrasser de cela qui persistait dans les profondeurs du peuple. Peut-être cet objectif n'était-il pas directement posé, mais tout au long de l'existence du pouvoir soviétique, cette culture fut remplacée par des modèles qu'on pouvait commander à un compositeur, en lui demandant de créer quelque chose "à la manière populaire". De cette façon, est apparue toute une couche de "culture de kolkhose" qui a pris sa place dans les villages en dépit de l'existence de la culture enracinée. Le peuple essaya comme il put de conserver son héritage, comprenant tout le factice de ce qu'on lui proposait, sentant cette substitution. Cela peut tenir sur une génération ou deux, mais depuis la révolution ,trois ou quatre générations se sont succédées.

Tout cet engouement pour la musique folklorique dans les années 80 a commencé parce que les chercheurs et les interprètes ont sonorisé les archives. L'intelligentsia a alors compris que dans les tréfonds de notre culture, se trouvent des choses fantastiques, que notre culture n'est pas "kolkhosienne". 

Parallèlement à la pétition qui a récolté 18 000 signatures en moins de deux semaines, Sergueï Starostine a publié une vidéo appelant à arrêter la liquidation du Centre. La communauté des folkloristes a réagi aussitôt, une vidéo a commencé à circuler sur les réseaux sous le hashtag #поддержифолк, sur laquelle des collectifs de chercheurs et d'interprètes de l'héritage traditionnel chantaient des chansons populaires et intervenaient par vidéo en faveur du Centre. Du Ministère de la Culture ne sont parvenus aucune décision écrite ni ordre signé. Selon Starostine, quand Andreï Malychev a téléphoné aujourd'hui au chef de la Maison de la créativité Tamara Pourtova, en lui donnant l'ordre d'emporter les archives du Centre, elle n'était pas moins étonnée que les collaborateurs du Centre eux-mêmes.
https://vk.com/dudach

Transmission de la tradition: Olga Fédosseïevna Sergueïeva, interprète et conservatrice de chansons russes (région de Pskov) et son élève Olga Smolianinova. 


La vieille femme transmet à sa jeune visiteuse ce qu’elle a elle-même reçu de la génération précédente. Quand le lien se perd et que la chanson disparaît, c’est une perte que rien ne pourra compenser. En occident, nous chantons et interprétons de la musique médiévale reconstituée, d’après des notations, or nous ne saurons jamais comment à l’époque on chantait et jouait tout cela : les notes ne traduisent pas les nuances du chant populaire, elles le découpent en tranche. Le chant populaire, comme d’ailleurs le chant d’église byzantin, issu lui-même de la tradition grecque et juive, est fluide comme le vent et l’eau, et doit passer de l’un à l’autre, comme un liquide d’un récipient à l’autre, comme une flamme d’un cierge à l’autre. Il y a des chants sauvés, et il y a des chants irrémédiablement perdus. Des chants qui viennent du fin fond de nos origines et qu’on n’entend presque plus : ils sont bétonnés par le tohu-bohu sonore qui nous abrutit dès le ventre de notre mère, et fait nous des muets drogués de bruit, qui supportent la radio du voisin quand elle dégueule à tue-tête une musique insupportable, agressive et monotone, mais pas le chant de quelques amis regroupés ou l’instrument de musique dans l’appartement du dessus.


Starostine, Kotov, Fiodorov, Volkov:

L'homme pécheur

mardi 5 décembre 2017

Le miracle de l'ours

On emmenait le métropolite Cyrille (Smirnov) de Kazan et de Sviaj en déportation. Par une nuit noire, il fut jeté du wagon en pleine vitesse. .


C'était un hiver de neige abondante. Le métropolite tomba dans une énorme congère, comme dans un édredon, et ne se fit pas mal. Il en sortit avec peine, regarda autour de lui, la forêt, la neige, et aucun signe d'habitation. Il marcha longtemps dans la neige épaisse et à bout de forces, s'assit sur une souche. Le froid le pénétrait jusque aux os. Sentant qu'il commençait à geler, le métropolite Cyrille se mit à réciter pour lui-même les prières des morts. Soudain, il vit approcher de lui quelque chose de très gros et de sombre, il regarda plus attentivement : un ours.
« Il va me dévorer » eut-il à l’esprit, mais il n’avait pas la force de fuir, et où ça ? Et l’ours s’approcha, flaira l’homme assis et se coucha tranquillement à ses pieds. Il émanait de l’énorme corps de l’ours de la chaleur et une bienveillance complète. Mais voilà qu’il se retourna et exposant sa panse au métropolite, s’étira de tout son long et se mit à ronfler béatement.

Monseigneur hésita longtemps, en regardant l’ours endormi, puis ne supportant plus le froid paralysant, se coucha à côté de lui, se serrant contre le ventre chaud. Il restait étendu en se tournant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, contre le fauve, pour se réchauffer, et l’ours respirait profondément dans son sommeil et dispensait son haleine brûlante.

Quand l’aube parut, le métropolite entendit le chant lointain des coqs. « Des habitations sont proches » fut l’heureuse pensée qui lui traversa l’esprit, et avec précaution, pour ne pas réveiller l’ours, il se remit sur pieds. Mais celui-ci se leva aussi et, s’étant secoué, se dandina vers la forêt. Et monseigneur, reposé, suivit le chant des coqs et arriva bientôt dans un petit village.

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Русская Церковь в советское время. Воспоминания и свидетельства

L’Eglise russe àl’époque soviétique, souvenirs et témoignages


Ignorant cet épisode, dans mon roman "Lueurs à la dérive", j'ai introduit une histoire semblable: une petite fille en fuite, perdue dans la taïga, est réchauffée par des loups. La nature est compatissante aux persécutés, et souvent plus miséricordieuse que les hommes.

lundi 4 décembre 2017

Mémoire éternelle

Saint Théodore...

Aujourd'hui, fête de l'entrée au temple de la Mère de Dieu, je me suis rendue au monastère saint Théodore sous une neige serrée, molle et épaisse. J'ai été accueillie par le carillon qu'une moniale sonnait dans le petit jour, sur le clocher éclairé comme une grosse lanterne. A l'intérieur, je suis allée placer quelques cierges, et j'ai vu qu'à la place de l'higoumène Varvara, malade au moment de mon départ, il y avait un gros bouquet de fleurs blanches et une photo encadrée: la mère Varvara n'est plus, priez pour elle, orthodoxes... Elle a suivi de peu son père spirituel, dont la mort l'avait beaucoup affectée.
Un moine que je n'avais jamais vu chuchotait sans arrêt des prières dans un coin. Certaines femmes venaient le trouver, et il leur traçait, semble-t-il, des croix avec de l'huile, sur les paupières. Je n'ai pas osé m'approcher, j'ai pensé qu'il s'agissait de ses filles spirituelles, car d'autres gens passaient devant lui sans s'arrêter.
Après l'office, on a fait une procession autour de l'église. tout était blanc, ouaté, silencieux, magique, le ciel gris vibrait de flocons. 
A la sortie du monastère, une femme m'a demandé de lui tenir un calendrier qu'elle venait d'acheter, le temps qu'elle aille aux toilettes, et je restais debout près du portail à l'attendre, le calendrier à la main, quand une autre femme s'est approchée pour me faire l'aumône! Je me suis récriée que ce n'était pour l'instant pas la peine, et l'ai adressée à la mendiante de service!
Ensuite, je suis passée au café français. J'avais l'impression que le pâtissier Didier n'avait plus trop besoin de ma présence, depuis l'arrivée de sa femme Martha, joyeuse sud-américaine, mais si... Nous avons beaucoup rigolé, avec Gilles et Lika, ce qui me plaît dans cette équipe, c'est qu'ils ne sont "pas tristes" et très gentils, c'est une bonne équipe. 
Le concert de gousli a été fixé au lendemain de la Théophanie, le 20 janvier, au café. Dima Paramonov, Romane et sans doute Yegor Strelnikov, et puis moi...