Au camp, les zeks lui avaient sculpté, avec un couteau de
cuisine, sur les châlits un clavier de piano. Et la nuit, elle jouait de cet
instrument muet Bach, Beethoven, Chopin. Les femmes du baraquement assurèrent
plus tard qu’elles entendaient cette musique silencieuse, en suivant simplement
les mouvements de ses doigts déformés par le travail d’abattage des arbres en
forêt et de son visage.
Fille d’un Français et d’une Espagnole, professeur à l’université
parisienne de la Sorbonne, Vera Lotard avait étudié à Paris chez Alfred Cortot,
puis à l’académie de musique de Vienne. A 12 ans, elel avait fait ses débuts
avec un orchestre sous la direction du
grand Arturo Toscanini.
Pianiste déjà connue, qui donnait des concerts en soliste
dans de nombreux pays du monde, elle avait épousé l’ingénieur soviétique
Vladimir Chevtchenko et arriva avec lui en URSS en 1938. Vladimir Chevtchenko
ne tarda pas être arrêté. Vera se précipita au NKVD et commença à crier,
mélangeant le russe et le français, que son mari était un homme remarquable et
honnête, un patriote, et que si ils ne comprenaient pas cela, ils étaient des
imbéciles, des idiots, des fascistes et si c’est comme ça, arrêtez-moi aussi… Ce qu’ils ont fait. Et Vera Lotard-Chevtchenko
allait défricher la forêt pendant treize ans au camp. Elle apprendra la mort de
son mari au camp, et de leurs deux enfants au blocus de Léningrad.
Elle fut libérée à Nijni Taguil. Et tard le soir, courut
directement depuis la gare, dans sa veste ouatinée du camp en lambeaux, à l’école
de musique, frappa fébrilement à la porte, suppliant qu’on lui donnât « la
permission d’aller au piano »… pour… pour « donner un concert »…
On le lui permit. Près de la porte fermée, sans oser entrer,
les pédagogues sanglotaient. On
comprenait bien d’où elle était accourue, dans sa veste ouatinée déchirée. Elle
joua presque toute la nuit. Et s’endormit derrière son instrument. Par la suite, elle racontait, en riant :
« Et je me suis réveillée déjà professeur dans cette école ». Vera
Lotard Chevtchenko passa les seize dernières années de sa vie à Akademgorodok,
près de Novossibirsk.
Elle ne se contenta pas de se reconstruire après le camp en
tant que musicienne, mais elle commença à mener activement des tournées. Les
billets du premier rang, à ses concerts, n’étaient pas à vendre. Ces places
étaient réservées à ceux qui avaient partagé avec elles les terribles années
des camps. Si quelqu’un venait, c’est qu’il
était en vie.
Les doigts de Vera Avgoustovna restèrent jusqu’à la fin de
sa vie rouges, tordus, noueux, courbés, déformés par l’arthrite. Et encore
repoussés de travers, après qu’au cours des interrogatoires, les eut brisés (sans se presser, en savourant
chaque coup de crosse de revolver) l’enquêteur en chef, le capitaine Altoukhov.
Vera Lotard-Chevtchenko est morte en 1982 à Akademgorodok
près de Novossibirsk.
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=1570136426406362&set=a.758262770927069.1073741827.100002300590900&type=3
Témoignage trouvé sur mon fil de nouvelles de Facebook.
Témoignage trouvé sur mon fil de nouvelles de Facebook.
sous-titres anglais.
"Tous les pédadogues sanglotaient..." j'en ai aussi les larmes aux yeux..
RépondreSupprimermerveilleusement rendu, merci !!!
RépondreSupprimerMagnifique, et tellement triste
RépondreSupprimerBouleversant, merci, Laurence.
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