Translate

mardi 28 août 2018

Que votre ange gardien vous accompagne...


Voilà, j’ai raccompagné Henri et Patricia à l’aéroport de Domodiedovo. Nous sommes partis tôt et nous avons bien fait, il y avait des bouchons. Au retour, c’était pire, et après les bouchons, j’ai eu un festival de chauffards. Il y a longtemps que je n’en avais pas vu de si nombreux, de si grossiers et de si dangereux. En Russie, je n’ai jamais peur, sauf sur la route, que je sois en voiture ou à pied.
En chemin, Henri m'a demandé: "Comment disent les Russes, déjà, pour souhaiter bonne route?
- Ангела хранителя в пути. Que votre ange gardien vous accompagne."
Je n’ai pu aller à l’office de la Dormition, mais nous avons assisté hier aux vigiles dans la cathédrale du monastère Goretski. Le moine du grand schème n’était plus là, m’est avis qu’il avait du venir de la Trinité saint Serge avec le père Tikhon.
La cathédrale, pourtant « muséifiée », n’est pas en bon état. Elle ne me plaît absolument pas, on dirait une salle de bal rococo, avec des stucs et une iconostase boursouflée, grouillante de personnages joufflus et pâmés. En réalité, entre la fin du XVI° siècle et le XVIII°, il ne s’est écoulé qu’une centaine d’années, qui ont suffi à faire passer la Russie des icônes transparentes, ferventes et pleines de sens à des peintures académiques maniérées qui ne veulent plus rien dire, d’une décoration débordante de fantaisie et d’originalité à la copie nouille du baroque européen, aux antiquailleries gréco-latines interprétées qui n’avaient aucun lien avec le passé russe. Du chant pur et profond, naturel, apparenté au byzantin, aux fanfreluches musicales italianisantes qu’on entend encore aujourd’hui dans la plupart des paroisses. Comme on s’est acharné radicalement sur cette culture unique… Les premiers Romanov, toqués d’occident, ont, après la réintégration du territoire de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Ukraine, importé un clergé catholicisant, plein de mépris pour la Russie. Le peintre Sacha qui me l’a expliqué, m’a dit qu’il comprenait les vieux-croyants. Moi aussi, de plus en plus.
Quand je pense que c'est l'église de Kondologa qu'a brûlée le sataniste... Il ne s'est vraiment pas trompé de cible, ce petit salaud.
Néanmoins, nous en avons discuté ensuite avec Henri, l’office nous a beaucoup touchés. Parce que tous les gens présents semblaient bons, fervents et chaleureux.  Nous avons ensuite fait le tour du monastère. Quand j’ai découvert Pereslavl, il y a presque vingt ans, j’allais souvent dessiner au pied de ses murailles. J’avais peint tout un ensemble de petites isbas, surmontées par les coupoles bleues de l’église de la Transfiguration, et celle du monastère saint Daniel. J’avais peint l’isba bleue, toute bleue, y compris le toit, mais pas de ce bleu plastique qui défigure tout, d’un bleu tendre et vivant, nuancé. Sur sa palissade à claire-voie s’appuyait un arbuste qui avait l’air d’un ours fatigué, et une chèvre se reposait au premier plan. Et dans la même perspective de jolies maisons traditionnelles, j’avais fait un pastel  hivernal, avec du linge suspendu sur une corde. Puis, entre le monastère et le lac, j’avais peint aussi une multitude de toits que le soir rendait bleu foncé. Tout cela a complètement disparu. L’isba d’azur, son arbuste, l’isba rose et verte et les toits indigos. Maintenant, nous n’avons plus que des toits hétéroclites et criards, de grosses bâtisses sans style et sans goût, il n’y a plus que peut être trois maisons traditionnelles dans le périmètre du monastère, naturellement, plus aucune chèvre, et le seul peintre visible avait gagné la partie des remparts d’où l’on voit seulement le lac : qui aurait encore l’idée de peindre ces baraques qui évoquent, comme me le disait un ami du père Valentin, une accumulation de mausolées ?

Les mausolées...
A la place de la maison bleue, de son arbuste...

les toits bleus
 


Je mets ici les photos qu'Henri a faites de mon environnement quotidien! J'en ajouterai sans doute d'autres...

Rom

Avec Rosie

au jardin

Mémé confiture...

Rosie

Henri et Georgette

dimanche 26 août 2018

Henri et Patricia en Russie 3


J’ai emmené mes invités voir la croix miraculeuse de Godenovo, dans son refuge de l’époque soviétique, une église de village très jolie, mais le village semble avoir disparu, et l’on projette, à côté de l’église, une basilique grandiose, la basilique sainte Sophie bis, de style grec byzantin, qui va écraser tout cela, et dont je ne vois pas l’utilité, quand tant de merveilles russes  qui tombent en ruine ont besoin de restauration.
Le dimanche matin, nous sommes allés au monastère saint Nicétas, car on considère l’higoumène comme un starets, et je voulais voir. Mes derniers ouvriers m’avaient dit que c’était une vraie cour des miracles, c’est un peu ça, on y voit des pauvres hères, des vagabonds hagards et même les moines ont quelque chose de clochardisé. La façon dont l’higoumène (je pense que c’était lui) dit la liturgie est étonnante. On dirait une longue plainte ininterrompue, et je n’ai rien compris. Mais ce monastère qui ne construit pas de basiliques grandioses donne asile matériel et spirituel à beaucoup d’âmes en peine et restaure toutes les églises paysannes qu’il peut.
Ensuite, sur les conseils de Yelena Vassilieva, nous sommes allés au monastère Goritsky, où elle nous avait recommandé une exposition d’icônes et de bois sculptés. Les deux expositions étaient magnifiques. Toutes les icônes proviennent des églises et monastères locaux, mais n’ont pas été laissées sur place. Je voyais l’évidente différence avec la plupart des icônes « traditionnelles » faites aujourd’hui : liberté et spontanéité du trait, transparence, fraîcheur. Seuls Ouspenski et le père Grégoire, ou encore la moniale Juliana, me semblent avoir retrouvé en eux la source qui permet de créer aujourd’hui de telles choses.
Pour ce qui est des sculptures, même celles qui ne sont plus iconographiques gardent une simplicité, une fraîcheur, une expressivité qui les sauvent.
Les gardiennes du musée étaient très attentives à ce que nous vîmes toutes choses, et l’une d’elle m’a poursuivie pour me ramener en arrière : je n’avais pas lu les notes explicatives, je n’avais pas photographié le cadre où l’on voyait Chaliapine avec son chien, qu’il avait dû abandonner derrière lui quand il est parti en exil, et qui continuait à l’attendre, un chien si intelligent, d’ailleurs, tous les chiens le sont, et si fidèles… En dehors des souvenirs de Chaliapine, le musée est bourré de tableaux remarquables, qu’il me faudra revenir voir, car je ne pouvais plus enregistrer de visions ni d’informations.
Le monastère Goritski est le musée de Pereslavl, le seul monastère épargné par le pouvoir soviétique qui l’amuséifié comme il se doit. Paradoxalement, ce n’est pas le plus ancien.  Au milieu de sa cour, il y a un étang et un bois sauvage, ce que je trouve infiniment agréable. Malheureusement, les monastères rendus au culte se croient obligés d’aligner les petits massifs de fleurs et d’arbustes en bon ordre, comme de petits soldats à la parade ou des chiffres dans les colonnes d’un comptable. Et là, aux abords de ce bois, je tombe sur une brave dame, en compagnie d’un vieux moine du grand schème et d’un autre moine, et elle m’ouvre les bras : il s’agissait de la vendeuse d’un magasin de la galerie marchande du supermarché Magnit, avec qui je converse de temps en temps depuis qu’elle m’a aidée à retrouver mon portefeuille. Le père Tikhon, dont elle m’avait parlé, fait des baumes pour les douleurs articulaires, et m’a tendu une fiole de parfum dont il me faisait cadeau. Apprenant que nous étions tous trois orthodoxes, le moine du grand schème, le père Eugène, nous fait part de sa joie et, prenant la fiole d’huile parfumée, me trace avec sollicitude des croix sur les tempes. Il rayonne de bonté, il me fait fondre sur place : «J’ai connu des orthodoxes français, me dit-il. Il se passe beaucoup de choses, chez vous, et vous avez même eu une grande sainte, Maria Skobtosva… »
Le père Tikhon nous dit qu’il va prier pour la France. «Elle en a bien besoin, répondons-nous.
- Le principal est qu’il s’y trouve des gens comme vous, et qu’ils y fassent leur salut. »
Je m’étonne : «Je pensais que le monastère était exclusivement un musée…
- Non, non, notre mère Euphrosyne en a partiellement repris l’usage, vous devez voir cela, venez avec nous… »
Nous voici entraînés par ce chaleureux mouvement écclésiastique vers une église à l’écart, bordée des fameux petits massifs. Le père Eugène ne me lâche pas le bras, j’ai l’impression de flotter dans une sorte de douce, chaude, et allègre nuée. Il est grand et tout maigre, avec des yeux candides. La mère Euphrosyne nous accueille pareillement, comme des enfants chéris, en nous prenant les mains, en nous enveloppant d’un amour maternel. Et l’on nous montre les trésors de la petite église reconquise : reliques de saint Nicolas, de la grande duchesse Elizabeth, pantoufle de saint Spiridon, les icônes qui exsudent du myrrhon, celle qui a miraculeusement survécu à l’incendie d’un monastère serbe… « Elle a obtenu tout cela par ses prières pleines de larmes… » me dit le père Eugène. Et nous voici conviés à l’agrypnie de la Dormition le lendemain au même endroit, mais dans la cathédrale, avec la présence de l’évêque…
Nous sommes sortis de là un peu abasourdis. Je regrettais qu’Henri et sa femme n’eussent pas eu de contacts directs avec des moines ou prêtres locaux, et ils nous sont tombés dessus là où nous ne les attendions pas, avec la douceur et la légèreté de la colombe de l’Esprit !

Le choc de ma visite, cette sublime transfiguration, pleine de mouvement, d'inspiration, avec ces bleus absorbants, captivants.

galerie de "Christ en prison".


La Cène

Ce prophète semble sorti d'un livre de Dostoïevski ou de Leskov. Ou de l'assemblée des fidèles du monastère saint Nicétas...


L'église des Quarante Martyrs de Sébaste vue du rempart

L'étang au milieu du monastère

Chaliapine et son chien
photo Henri



vendredi 24 août 2018

Henri et Patricia en Russie 2


J’ai revu Rostov, avec Henri et Patricia, en été, cette fois, en fin d’été, et nous avons de la chance, le temps est radieux, comme si tout devait se conjuguer pour laisser à Henri une bonne impression. Nous avons vu le monastère saint Jacques, et ils sont montés sur la tour, mais pas moi, je l’ai fait cet hiver, cela me suffit. J’ai discuté avec la gentille dame qui vendait des icônes et autres articles au rez-de-chaussée. « Quand on visite un pays, me dit-elle, on voit les choses selon la nature de son cœur, et si vos amis voient du bon chez nous, c’est que leur cœur l’est aussi ».
Ensuite, le kremlin féérique. Cette fois, j’ai fait avec eux la visite complète, en suivant le faîte des remparts, ce qui donne une belle vue d’ensemble, et accès aux églises couvertes de fresques. On ne peut naturellement pas tout voir, dans ces grands livres enluminés de théologie visuelle, mais ces figures calmes et profondes, tracées d’une main sûre, me transportaient dans un monde de paix et d’harmonie. Les murs blancs des bâtiments extérieurs me paraissaient radieux. Cet ensemble est un joyau, assez mal entretenu, et je pensais au commentaire d'une Russe sur Facebook: "Nous allons à Paris, à Prague ou en Thaïlande, mais nos trésors à nous ne nous paraissent pas assez chic et nous ne faisons rien pour les conserver".
Nous avons vu une très belle exposition d’icônes anciennes. Il me faudrait y retourner un jour, car les icônes, il faut les contempler longtemps, il y en avait beaucoup, et nous avions peu de temps avant la fermeture. Toute une salle était consacrée à des icônes brodées, des epitaphios, des bannières, c’était très beau. Dans l’ancienne Russie, les femmes n’avaient pas le droit de peindre, aussi leur seul moyen d’expression était la broderie, et le chant pratiqué en chœur pendant cette activité.
Quelqu'un m'a reproché de me focaliser ici sur ce qui ne va pas, et d'ignorer ce qu'on y fait de bien. La remarque me paraît très injuste, car je suis on ne peut mieux disposée envers ce pays que j'aime, simplement, je ne peux faire semblant de ne pas voir ce que je vois. Ce que je vois de bien, je ne manque pas de le signaler, car je m'en réjouis moi-même. Mais serais-je crédible, si je n'émettais aucune critique, et du reste ce qui se fait de bien, c'est quoi? Pour le komsomol des années 70, c'était, par exemple, l'affreuse avenue Kalinine, devenue le nouvel Arbat, qui avait nécessité la destruction de tout un ancien quartier ravissant pour édifier une minable parodie de Manhattan sous forme d'énormes radiateurs en béton mal foutus tombés là comme des OVNI, il fallait être un komsomol endoctriné, privé de la tradition de ses ancêtres et du sentiment esthétique qu'elle développait, pour trouver cela magnifique. Peu d'artistes se précipitent pour peindre l'avenue Kalinine...
Le parc à la place du monstrueux hôtel Rossia, c'est une réussite, et je le dis. Mais vais-je bondir d'enthousiasme devant les destructions de vieux hôtels particuliers par Sobianine? Devant le mastoque palais des Congrès qui défigure le Kremlin, et pour l'édification duquel ce gros plouc de Khroutchev a fait détruire le monastère des Miracles qui datait du XIII° siècle? 

Ajouter une légende




l'archange Michel

Le Christ en prison est un thème très répandu dans la sculpture sur bois du nord. Il y en avait un dans l'église du village où j'avais ma datcha, Krasnoïé. On l'habillait de vêtements liturgiques de brocart. Il avait d'émouvantes mains de travailleur.

Saint Jean Baptiste

Le lion est aussi un thème fréquent de la culture populaire. C'était pour les Russes un animal fabuleux souvent représenté avec un visage humain.

Saint Georges du XV° siècle

crucifixion


jeudi 23 août 2018

Henri et Patricia en Russie 1


J’ai Henri et sa femme à la maison, et pratiquement pas un moment de solitude pour écrire, forcément, nous sommes très occupés, d'autant plus qu'ils ne restent pas longtemps. 
A Moscou, je les ai emmenés chez Iouri et Dany où nous avons passé une soirée très gaie, car Ioura a beaucoup d’humour et Henri n’en manque pas non plus. Quand à Dany et moi, nous pouvions donner libre cours au nôtre, car plaisanter en russe n’est pas toujours à notre portée…
Auparavant, nous avions visité le monastère Sretenski, qui est à côté de chez eux. Nous pensions qu’il était trop tard pour y voir un office, mais nous avons quand même assisté à la fin des matines, et je suis restée pétrifiée de stupeur : c’était la fête des fondateurs des Solovki, saint Zossime, saint Sabbat et saint Germain. Ce puissant appel des Solovki me poursuit.
Nous avons le lendemain pris le chemin du Kremlin, mais impossible de tomber sur la place des cathédrales, il y avait foule, et si nous avions trouvé le courage de faire la queue, nous aurions vu tout cela dans la cohue. La place Rouge était encombrée de toutes sortes de structures éphémères, car c’était le festival de fanfares venues de tous les coins du monde. Nous nous sommes rabattus sur la visite de saint Basile le Bienheureux, de ses multiples petites églises imbriquées, puis nous avons remonté la Varvarka, avec le palais des Anglais, construit par Ivan le Terrible pour abriter les délégations qui succédèrent aux hardis navigateurs échoués sur la rive de la Dvina septentrionale, à emplacement du futur port d'Arkhangelsk, le palais de son beau-frère Nikita Romanovitch, si féérique, et les églises qui les entourent. L’affreux hôtel Rossia qui défigurait tout cela a été remplacé par un vaste parc botanique très réussi, qui met cet ensemble dans une belle perspective, ouvre tout le panorama de Zamoskvorietche et de Moscou, et du ciel russe aux nuages colossaux et fantastiques.



Dans le métro, en face de moi, il y avait un jeune homme avec une cordelette de prière au poignet, ce que j’ai fait remarquer à Henri et Patricia. Aussitôt, le jeune homme s’est levé et est venu nous offrir une reproduction d’une icône de la famille impériale, qui, dans un monastère des environs de Zadonsk, s’est mise à exsuder du myrrhon. « Tu imagines cela en France ? demande Henri à Patricia. Je crois que je vais déménager en Russie ! »
Un jeune ouzbek, voyant ses cheveux blancs, s'est levé pour lui laisser sa place dans le métro. Un autre jeune homme a laissé la sienne à Patricia. Et moi, c'est quasiment systématique, je suis vieille, je suis assise!
Le lendemain, nous avons un peu discuté avec le père Valentin, puis j’ai récupéré ma voiture et nous avons pris la route de Pereslavl, avec escale à Serguiev Possad, pour voir la Laure de la Trinité saint Serge. C’est un endroit aussi beau qu’emblématique, mais submergé de touristes, je n'imaginais pas qu'il y en eût autant. Près du mur d’enceinte, j’ai vu Yegor Strelnikov, le joueur de gousli, qui nous a fait profiter de son art, et nous a offert un disque, que nous avons tenu à payer. Henri s’émerveillait du ciel russe, de ses nuages fascinants, et c’est vrai que je n’en ai vu nulle part de pareils, peut-être à cause de l’immensité de cet espace marécageux  sans montagnes.  Nous avons vénéré les reliques de saint Serge. Les coupoles d’or flamboyaient sur de monumentales architectures de vapeurs bleu foncé et fulgurantes.
Henri est émerveillé par la gentillesse des gens, l’impression de bienveillance, d'égards pour les autres et de sécurité qu’il ressent, mais le pays lui semble sinistré : « On dirait qu’ils relèvent d’une véritable catastrophe, ces maisons délabrées, construites n'importe comment, ces friches industrielles, je touche du doigt l’absurdité de la propagande à leur égard, car ils ont bien d’autres soucis que de vouloir conquérir le monde ! Les sanctions à leur égard, c’est un crime, c’est de l’assassinat ! Et quand à votre démarche, partir en Russie, cela relève d’une véritable vocation… On réalise à quel point la France, que nous livrons à l'invasion, a été préservée jusqu'alors. »
Il a l’impression d’avoir changé de planète, d’être très très loin du pic de Burgarach…


Сhez Iouri et Dany





dimanche 19 août 2018

LES CENDRES DE KONDOLOGA. Pourquoi avec l’église de la Dormition a péri une partie de nous-mêmes

L'église de Kondologa vient d'être incendiée par un petit sataniste de 15 ans, un de ces petits monstres hors sol élevés n'importe comment, sans traditions, sans foi, sans passé. L'article qui suit fait, au sujet de cette perte irréparable, les bonnes réflexions


Il y a deux semaines, nous roulions gaiement sur la route de « Kola », de retour des Solovki. Soudain apparut un panneau indicateur « Kondologa ». Ma femme proposa de faire le détour pour voir la célèbre église de bois de la Dormition. Mais il était tard, il faisait sombre, je n’avais pas envie de perdre le rythme de mon vol sur la route fraîchement réparée et idéalement lisse. C’est pourquoi, plaisantant en mémoire des événements de 2006 sur le thème « Kondologa-ville héros », je dis : « Elle nous attendra, la prochaine fois nous viendrons spécialement ».
Elle ne nous aura pas attendus. Maintenant, le chef d’œuvre de la charpenterie russe ne peut plus être vu que sur le blason de sa ville orpheline. Pour comprendre l’ampleur de la catastrophe humaine, que représente la disparition dans le feu de l’église de la Dormition de Kondologa, représentez-vous que s’est effondrée une des pyramides d’Egypte, réduite en poussière, ou la colonne Trajan, à Rome.
L’église de Kondologa était un des plus beaux monuments de l’architecture en bois du Nord russe. La signification particulière de ce phénomène culturel est pleinement compréhensible, c’est justement dans le Nord, dans les conditions naturelles extrêmes, aux limites de la Russie, que la culture russe a exprimé son essence avec le plus d’intensité, en s’éloignant de tout ce qui est secondaire, inutile, en dénudant, dans les formes architecturales de ses églises de rondins, l’essence même… essence qui s’avéra incroyablement riche.
Dans une situation frontalière, la culture mobilise toutes ses ressources intérieures… beaucoup de traits qui ne sont pas essentiels sont rejetés, et la tendance à la conservation de l’identité culturelle connaît une brusque croissance… Voici pourquoi les traits génériques de la tradition russe septentrionale ont été conservés dans leur originalité première. Si sur d’autres terres de l’état russe s’est produit un effacement, une mise à mort des traditions archaïques, le modèle culturel russe, transposé dans le Nord, engendra toujours plus de textes culturels qui étaient semblables à ceux des modèles de la Russie ancienne… le Nord russe, c’est une énorme, unique en son genre réserve historique du travail populaire du bois qui est considéré, à juste titre, comme le sommet de l’architecture russe populaire », observe Anna Permilovskaïa, dans son livre «les significations culturelles de l’architecture populaire du Nord russe ».
L’église de la Dormition de Kondologa était le plus haut bâtiment conservé de l’architecture russe en bois, 42 mètres, cinq mètres de plus que l’église de la Transfiguration à Khiji. Mais il n’est pas seulement question de hauteur, bien sûr, elle exprimait l’essence même de l’architecture russe et de l’idée civilisationnelle qui lui était liée. Le style en forme de tente, le plus original et le plus typique des styles architecturaux russes. Grâce à lui, se dresse au milieu des espaces russes sans limites, une Eglise-Signe adressé à l’extérieur, le symbole visible de la présence divine dans notre monde, révélée à travers le peuple russe, son église et sa culture.
Si l’église byzantine « cruciforme à coupoles » invitait à entrer, promettant le paradis à l’intérieur, les églises russes hardies, en forme de tente, disposaient symboliquement l’espace autour d’elles, comme pour insister sur le fait que non seulement l’âme de l’homme, mais la nature environnante peut être transformée en paradis. Les Russes ont transformé le Nord sévère en lieu saint, en jardin biblique paradisiaque. Et c’est justement pourquoi (et pas seulement à cause de considérations économiques), on utilisait le bois comme matériau, transformant le bâtiment en partie de la nature.
L’église de Kondologa se dressait devant Dieu comme un cierge à sa place naturelle, sans être enfermée dans la réserve artificielle d’un musée, et de la sorte témoignait : ici se trouve Dieu, ici le Paradis, ici la Russie… Quel que soit celui qui l’a incendiée, par négligence ou malveillance, il a commis un crime épouvantable, comparable à celui du tristement célèbre Hérostrate, et doit subir le châtiment le plus lourd possible (malheureusement, notre code pénal est fait de telle manière que dans cette situation, la peine la plus sévère prévue par la loi paraîtra légère).
Mais la question n’est bien sûr pas seulement et pas tant qui « a craqué l’allumette » que pourquoi un objet culturel de cette importance (liste fédérale, sous la protection de l'Etat de 1960, reg. numéro: 101410187740006) n’était pas pourvu d’une sécurité anti incendie qui aurait exclu une telle catastrophe ?
Le gouvernement n’a pas d’argent ? Mais que me dites-vous là ! Et on se souvient là que dans l’une des plus paradoxales autonomies nationales de Russie, à l’endroit de l’ancien gouvernement d’Olonets (7% de « nationaux », 84% de Russes, grands-russiens, biélorusses, petits-russiens), d’énormes moyens sont donnés non seulement pour soutenir mais pour créer à partir de rien une culture « nationale » même là où elle n’existe pas, et à l’actualisation d’un passé commun avec la Finlande. Et nous comprenons que oui, en de telles circonstances, on n’a pas le loisir de s’occuper des monuments de l’architecture russe ancienne, il y a des centaines de questions plus importantes. D’autant plus quand il s’agit de la rétive Kondologa.
Il va de soi que le ce n’est pas seulement la direction actuelle qui est coupable. Tout le XX° siècle est devenu l’époque du monstrueux génocide culturel de l’architecture de bois russe en Carélie. Aux Solovki, dans le musée de la Mer, a lieu actuellement une exposition des photos du professeur suédois LarsPetersen, qui pendant la deuxième guerre mondiale, tandis que la Carélie était occupée par les Finnois, avait scrupuleusement photographié et dessiné des dizaines d’églises en bois du nord. Presque sous chaque cliché, l’inscription : « ne s’est pas conservée » ou «à l’état de ruines ». Les pertes furent particulièrement grandes au moment du pogrom antireligieux de Khroutchev. Dans la plupart des cas,  c'est seulement grâce à la curiosité des occupants que nous savons comment étaient ces églises.
Avec la destruction des églises du Nord russe, c’est cette région même qui s’est désacralisée, dérussifiée, ensauvagée, qui s’est transformée exclusivement en une zone de camps, de scieries et de descente des rivières par les touristes. Et voilà que la catastrophe humanitaire est venue des campagnes jusqu’aux villes.
Et ne nous dites pas que « le bois se détruit ou brûle de toute façon ». Les technologies contemporaines de conservation des monuments de bois offrent 100% de garantie, et les techniques de restauration permettent de changer le bois endommagé poutre par poutre, sans nuire à l’homogénéité de l’ensemble. L’église de Kondologa aurait pu vivre mille ans, au lieu de cela, on l’a simplement brûlée, et quand on la reconstruira (par bonheur, il y a des schémas détaillés), on ne pourra faire abstraction de l’impression de neuf.
Et ici nous touchons à un autre problème plus général, notre négligence monstrueuse pour les monuments de notre patrimoine. La Russie est un pays immense. Déjà à cause de cela, toute culture matérielle, même accumulée pendant des millénaires, est condamnée à se répandre comme une cuillerée de bouillie sur une assiette. De plus, la plupart de nos régions sont assez pauvres, c’est pourquoi leur poids culturel n’est pas aussi impressionnant que dans les pays européens. De plus, l’accumulation est souvent chez nous interrompue par les invasions étrangères qui se produisent, les révolutions communistes, les réformes libérales et autres cataclysmes.
Dans ces conditions, nous devons littéralement trembler pour chaque monument qui s’est conservé plus de 60 ans. Veiller sur lui, nous efforcer de ne pas le défigurer par des reconstructions et, d’autant plus, ne pas le détruire. Au lieu de cela, nous nous conduisons sur notre propre territoire comme des vandales, nous faisons sauter, nous détruisons, nous défigurons le paysage. Le principe de la « présomption d’innocence du bâtiment historique » est violé de tous les côtés.
Et ensuite, nous allons raconter combien c’est beau et chaleureux de marcher par les ruelles médiévales dans les vieilles villes d’Europe et de nous asseoir sur un banc qui était là il y a 500 ans. Avec de telles conceptions, nous serons condamnés à toujours envier l’Europe, tant que ne la détruirons pas les barbares (et par malheur, cela se produira assez bientôt). Mais il est stupide d’être nos propres barbares.
C’est pourquoi il nous faut une politique gouvernementale générale et régionale de conservation de la vieille construction. Séparément, comme l’a montré le cas de Kondologa, il nous faut un programme de totale surveillance de l’art du bois russe dans tout le pays. Une surveillance scrupuleuse, des mesures de sécurité anti incendie efficaces.
Dans tous les cas, on ne eput se laisser tenter par la variante « économique » de la création d’un ghetto pour les églises et les maisons de bois dans des réserves artificielles. Non, elels doivent être conservées à leur place, comme une partie du paysage naturel. Oui, c’est plus cher. Mais c’est ce facetur non matériel dela qualité de la vie qui nous le rend au centuple, y compris de façon économique. Il ne doit pas y avoir d’abandon de pareils objets, cette même église de Kondologa a péri parce que son dernier prêtre a été fusillé en 1937, ce n’était pas une église en activité, ce qui lui aurait permis d’être surveillée par les dizaines d’yeux des paroissiens.
En la déjà lointaine année 1966, le sculpteur Konenkov, le peintre Korine et l’écrivain Léonov répandirent la célèbre requête : «Prenez soin de nos objets sacrés », dans laquelle ils appelaient à cesser la destruction insensée des monumennts de l’architecture russe ancienne et religieuse. Cette requête réussit à arrêter le génocide de notre patrimoine, à commencer un programme de conservation des monuments historiques et culturels (c’est juste à ce moment-là que fut fondée la réserve de « Kiji »). Il serait bien maintenant que des gens respectés, qui font autorité, prennent la parole pour arrêter notre autodestruction. D’autant plus que le prétexte, qui a secoué tout le pays, nous l’avons sous les yeux. Seulement qui, de nos jours « fait autorité » ?
D’une manière ou d’une autre, le 10 août 2018 entrera dans la liste de nos dates de deuil national, confirmant la sombre « superstition d’août ». Et c’est une piètre consolation que cette fois, nul n’ai péri, avec église de Kondologa a péri une partie de nous tous. Ses cendres vont encore longtemps hanter notre cœur.

Yegor Kholmogorov
trad. Laurence Guillon

Les photos que le père Valeri Blizniouk a publiées sur Facebook donnent une idée de la catastrophe spirituelle, culturelle et mémorielle que cet événement représente. Ce n'est pas pour moi un hasard si c'est précisément cette quintessence de l'esprit russe qui a été anéantie par cette petite créature des ténèbres.







samedi 18 août 2018

Itinéraire


la source de saint Philippe, prise par A. Mersserer
Je suis retournée me baigner au lac, hier matin, aujourd’hui, je ne le ferai pas, j’étais un peu malade au réveil. Mais quel moment de bonheur et de beauté…  Il faisait beau, et il me semblait nager dans le ciel, tant son reflet était absolument lisse et pur, et les canards glissaient paisiblement devant moi.  L’eau est fraîche, mais si revigorante que j’ai du mal à en sortir. De là où j’étais, je voyais d’un côté l’église des quarante martyrs, de l’autre le premier bouleau doré de la rive qui se penchait, dans ses atours de fête, pour se mirer dans la surface bleue et brillante. Puis le soir, je suis allée écouter l'acathiste à saint Luc de Crimée, à côté de l'endroit où il travaillait, dans une église de Pereslavl où va Katia. Elle m'a présenté le prêtre, qui m'a offert d'emblée un nouveau testament russe-slavon. Le choeur n'était pas terrible, mais un vieil Ukrainien s'est mis à chanter en solo avec tant de grâce, de sobriété, et la légère fêlure de sa voix ne faisait qu'ajouter à l'émotion de son chant. J'ai eu une pensée émue pour le père Antoni Odayski, qui a publié son travail sur ce saint indomptable, très populaire ici.
Mon roman m’est apparu ce matin comme un parcours initiatique dont les Solovki sont une étape décisive. J’ai refait l’itinéraire de mon héros, dont la vision du monde commence à basculer après sa mission aux Solovki. Comme lui ensorcelée par le tsar, et en discernant de plus en plus les côtés démoniaques au fil de mes lectures (tandis que Fédia le fait de visu), je rencontre le métropolite Philippe, car c’est bien d’une rencontre qu’il s’agit, d’une rencontre spirituelle. Je l’avais naturellement rencontré il y a fort longtemps, et il était venu me le signifier dans un rêve : «Comment peux-tu croire, après m’avoir rencontré dans ton livre, que nous n’allons pas nous retrouver un jour ? » Or j’ai fait le voyage aux Solovki, et le trajet en vélo jusqu’au skite, pour le retrouver, j’ai lu l’acathiste, et j’ai senti sa protection descendre sur moi, la protection que je lui demandais.
J’ai trouvé sur place le livre qu’il me fallait sur cet homme extraordinaire, pas seulement son hagiographie, mais un travail historique. Après m’être documentée sur le  tsar, je suis passée à son saint  antagoniste. Après avoir partagé les passions du tsar, et de son favori,  je retrouve celui qui les affronta jusqu'à la mort.
Je devais faire cette démarche, l’entière démarche de l’écriture du roman qui m’a envoûtée, tyrannisée et perturbée, puis amenée, à mon tour, aux Solovki. C'est toute l'histoire de mon âme depuis mon adolescence.
De sorte que mes faiblesses sont ce qu’elles sont, mais j’ai mon intercesseur et mon protecteur de l’autre côté, où j’ai peut être une chance de pénétrer grâce à lui en contrebande, comme Fédia.
C’est cette expérience mystérieuse qui me donne une sorte de paix, provoque un rassemblement intérieur de mes forces, et la certitude mystérieuse que le livre, cette fois, sera porté jusqu’au bout, sera traduit, paraîtra quand il le faudra, touchera qui il faudra, et s’il suscite des réactions furieuses, j’aurai, au bout du processus, le courage de les affronter. Car en fin de compte, ce roman « historique » qui n’en est pas un, ce conte, est surtout un itinéraire spirituel. Celui de Fédia. Le mien.





jeudi 16 août 2018

Koustodiev

La grâce des Solovki me quitte avec les incursions sur facebook. Quelle poubelle… c’est là qu’arrivent toutes les pires nouvelles, et elles sont de pires en pires, et toujours plus impudents ceux qui font, dans tous les pays, et main dans la main par-dessus nos têtes, la guerre à leur propre peuple. Il est très difficile, comme avec le sucre dans l'alimentation, de faire un usage modéré de ce réseau, aux quelques qualités indispensables, surtout aux émigrés, mais aux défauts et aux dangers considérables.
J’ai revu Yelena Afanassieva, intelligente, distinguée, très agréable. Elle était épatée que j’ai filé d’un seul  coup aux Solovki. Je lui ai expliqué comment et pourquoi, d’ailleurs, elle connaît les Messerer. « Je comprends votre humeur, m’a-t-elle dit, j’y suis allée plusieurs fois, car voyez-vous, mon grand-père y est mort, et si j’ai grandi à Pereslavl, c’est que ma famille y était assignée à résidence, nous n’avions pas l’autorisation de vivre à Moscou. Si vous aviez vu comme malgré tout c’était encore joli, les paysans venaient encore au marché en costume national, les femmes avec de beaux sarafanes rouges, et là en face, sur cet escalier, j’en ai vu une fois tout un bouquet, un tableau de Koustodiev. Les paysans vendaient leur artisanat, de très belles poteries, on m’en avait offert une, avec de grosses fleurs jaunes sur fond bleu. Et puis des jouets en bois, des objets en écorce de bouleau tressé. Mais tout cela a été interdit sous Khroutchev, et il y a eu aussi beaucoup de destructions sous son gouvernement… »
Elle m’a appris que parallèlement à la dynastie des Romanov, avait subsisté la famille Zakharine qui lui avait donné naissance, et que si les hommes, comme le boïar Nikita Romanovitch Zakharine, beau-frère d’Ivan le Terrible, qui apparaît dans mon roman, portaient ce prénom, c’est que la famille avait des terres à Pereslavl et qu’on honorait ainsi le grand saint local, Nicétas le Stylite, dont la source miraculeuse risque de se trouver prise entre les parkings, les « cottages » et les centres commerciaux du projet immobilier monstreux des environs du lac… Voilà que même Nikita Romanovitch vient rejoindre ici mes fantômes familiers.
Elle a connu un moine qui était un descendant de ces Zakharine et qui est venu deux fois à une de ses expositions sans que personne ne le vît entrer, malgré la garde vigilante de l’endroit où elle avait lieu, ce qui lui paraît un peu miraculeux.
Le temps tourne à l’automne, bien qu’un Russe, sur Facebook, supplie ses amis de ne pas dire une chose pareille et de savourer les dernières gouttes de la liqueur de l’été sans en perdre un arôme. Hier, il faisait encore assez chaud, et revenant chez moi, je tombe sur ma gentille voisine Nadia qui allait se baigner au lac, plus tard que de coutume : «J’y vais tous les matins à 7 heures, cela change tout le reste de ma journée. » J’y suis allée avec elle. Puis nous avons convenu de faire la même chose le lendemain et de nous retrouver sur la plage à 7 heures.
Je suis arrivée à vélo, plus tôt, suivie de Rosie.  J’avais hésité à venir, car un orage avait considérablement rafraîchi la température, genre 16°… mais j’ai fait l’effort. Le lac était ténébreux et brillant comme la mer blanche, avec des nuages presque aussi tourmentés et déjà un bouleau jaune, parmi les arbres de la rive. Et puis des canards. Et des chiens errants, avec lesquels Rosie est allée jouer, après avoir démontré qu’il ne fallait pas m’approcher. Je suis entrée dans l’eau qui m’a parue tiède, douce et vivace, et j’ai marché à la rencontre du ciel sur le sable moelleux. Quelle étrange impression de se baigner par un temps pareil… mais finalement, quel plaisir que ce vent frais sur cette eau tiède… Je suis restée là, un moment, comme une algue, enracinée sur place. Des mouettes passaient. Puis je suis entrée complètement dans le lac pour essayer de nager un peu, malgré le peu de fond. Aussitôt, ne voyant plus que ma tête, Rosie, n’écoutant que son courage, a laissé ses copains pour foncer à la rescousse. Je me suis remise debout en rigolant pour lui montrer que je ne me noyais pas. Un peu vexée, elle est retournée à ses affaires. Cela pourrait être une joie pour nous deux, ce genre d’expéditions, mais c’est vraiment une source de problèmes. D’abord, elle prend un air menaçant avec tous ceux qui croisent mon passage. Cela ne va jamais plus loin que l’intimidation, mais elle est intimidante et je tombe parfois sur des gens qui poussent des cris épouvantés, sans pouvoir mettre la main sur l’animal, qui ne m’obéit pratiquement pas, ou seulement si je suis au bord de l’apoplexie.  Ensuite, au stade amical qui suit le stade menaçant, elle se croit obligée de sauter sur ses victimes les pattes en avant, et il y a pas mal de gens que cela ne réjouit pas des masses. Aussi je râlais tout le temps, et Nadia, qui est douce et angélique, me disais de prendre cette andouille telle qu’elle était, moi, je veux bien, mais il faut faire alors semblant de ne pas la connaître…
J’ai constaté dans la suite de la journée que le bain dans le lac m’avait fait effectivement beaucoup de bien : je ne m’endormais pas sur ma traduction.
En revenant avec Nadia, j’ai longé des maisons absolument cauchemardesques, d’un mauvais goût totalement fantasmagorique. Et Nadia me dit : « Celle-là, c’est celle d’un type qui restaure des coupoles d’église…
- Il fait quoi ?
- Il est restaurateur. De coupoles d’église…
- Ah eh bien d’accord ! S’il les restaure comme il a bâti sa maison, j’aime autant ne pas voir ça ! »

 
Au marché. Boris Koustodiev