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samedi 23 juillet 2022

Petit florilège

 Sur Vkontakte, on m'a envoyé ce post, que je trouve bien intéressant et que je soumets à la méditation des gens curieux.

Борис Масленников

Chez Anna Ossipova


Nouvelle visite de la chaîne orthodoxe Spas, beaucoup plus brève que la dernière fois. Presque tout s'est déroulé sur ma nouvelle terrasse, au frais. J'ai chanté à l'intérieur. La jeune femme qui m'interviewait, Olessia, très jolie et très touchante, m'a embrassée en me disant que j'étais le trésor de Pereslavl!
J'avais fait fièvreusement le ménage, juste avant, à cause des affreux chats, et nous avons eu la visite de Nounours. Profondément pénétrée de l'idée que le prendre serait de la folie, je suis perturbée par son attitude amicale, il est net que je lui plais beaucoup, que je suis tout à fait son genre de patronne. 
Ania est de nature hypersensible et moi aussi, c'est ce qui nous rapproche. Nous avons discuté hier sur la terrasse, en buvant le thé. Puis je suis allée chez Anna Ossipova, qui fait de très jolies choses dans l'esprit de l'art populaire, dont elle est imprégnée, et aussi des icônes. Elle vit dans un bel endroit, mais toutes les maisons que j'ai vues sur le chemin sont affreuses. Son père et sa mère, élevés à la soviétique, ne voient visiblement pas le problème, et elle me l'a confirmé. Ils lui reprochent d'être trop axée là dessus, c'est le progrès, les vieilles maisons sont incommodes! "Pas de chance pour eux, lui dis-je, avec moi, en voilà une autre comme vous dans leur entourage!" 
Ils m'ont reçue royalement, dans une maison hyper propre, je n'ai jamais vu ici d'endroit aussi impeccable, je pense que la maman d'Ania, à ma place, aurait depuis longtemps envoyé mes six parasites de chats se faire pendre ailleurs.
La table était si jolie que j'ai fait une photo. Ania avait confectionné une tarte à la canneberge, excellente et superbe, avec des bords très hauts, elle pensait que c'était le genre quiche, je lui ai expliqué que non, la quiche ce n'est pas ça, de même que le vin de pomme de son père, ce n'est pas du cidre. Mais il était heureux d'avoir quelqu'un avec qui le boire et nous l'avons bu gaiment.
Son père travaille encore, il est dans tout ce qui touche au cosmos; et ils ont voyagé et séjourné en occident. Il m'a parlé de son père, garde rouge, qui, pendant la seconde guerre mondiale, avait été fait prisonnier et qu'avaient hébérgé des Russes blancs en Allemagne. Quoique d'opinions radicalement opposées, ils l'avaient reçu avec tout leur coeur, comme un compatriote, l'avaient habillé de pied en cap et lui avaient offert deux valises de cadeaux, tout cela lui a été confisqué à son retour en Russie. "Il n'a été ni fusillé, ni envoyé au goulag, tout ça c'est des histoires"! Mais il a été quand même interrogé et mis à l'écart dans un camp spécial pendant deux ans, et d'avoir été prisonnier l'a poursuivi pendant une bonne partie de sa carrière.
La maman d'Ania, devenue orthodoxe, a été désagréablement surprise par l'hostilité des descendants d'émigrés, dans une paroisse de Belgique ou d'Allemagne, je ne me souviens plus. 
C'est une famille intéressante, car les parents sont vraiment soviétiques pur jus, charmants, hospitaliers, ils m'ont couverte de cadeaux, de légumes et de fleurs du jardin, mais mis à part la conversion de la maman, soviétiques pur jus. Alors qu'Anna et son mari Dima, sont russes tendance sainte Russie, nostalgiques de la paysannerie, du folklore et de la tradition, Dima travaillait dans un aéroport, avec les événements des dernières années, il a dû se reconvertir et il est parti vivre à Pereslavl, ce dont il est enchanté. Non seulement il éprouve la nostalgie de la sainte Russie paysanne, mais il le physique de l'emploi.

Une artiste peintre, Larissa Lickmann, avec laquelle je vais exposer, m’a demandé de mettre de côté deux chroniques et deux Yarilo, car elle a prêté son exemplaire de ce dernier à des amies qui le lisent à haute voix et sont tellement enthousiastes, qu’elles veulent absolument le leur. Si ça se trouve, je vais faire un best-seller.  Anna Ossipova m’a dit : « Je le commence juste, c’est très poétique, mais ce n’est pas vraiment un roman historique, c’est un livre qui me paraît hors du temps. » Cette réflexion m’a frappée, je crois qu’elle est assez juste, bien que je ne l'ai pas fait exprès, mais les livres se font à notre insu. Le livre est très visuel, mais ne donne pas toutes sortes de  ces détails qui reconstituent une époque, en fait, c’est un peu comme si l’époque allait de soi. Quand on écrit un roman contemporain, on ne fournit pas forcément une description documentaire d'un environnement, alors qu’on se croit obligé de le faire dans un roman historique, ce que justement je n’ai pas fait, sauf quand le propos impliquait une description, mais c’est parfois le ciel du nord, la forêt, quelque chose d’intemporel. Le mari de Natacha, quand il avait fait des tentatives de rédaction de ma traduction, ajoutait tous ces détails, la description des vêtements de la future tsarine tcherkesse et de son frère par exemple, ou ceux des boyards, et leur attitude.  Je n’étais absolument pas d’accord, en dehors du fait que je ne reconnaissais ni mon livre ni son style, parce que je n’ai pas fait une reconstitution historique et que le tsar au moment précis où apparaît Kotcheneï se fiche éperdument des détails de son costume national tcherkesse: comme tout homme de sa trempe, il regarde si elle est ou non baisable en pensant qu’elle ne remplacera pas sa femme, irremplaçable par définition.


Oeuvres d'Anna

saint Serge et son ours

boite

commode Ikea transfigurée

  

jeudi 21 juillet 2022

Emigrés

 Je suis tombée sur l'interview par la chaine 1 d'une famille française émigrée dans la région de Moscou. Cela m'a fait un choc. Une famille nombreuse catholique, traditionnelle, "bon chic bon genre", comme on aurait dit dans ma jeunesse, bien élevée, le genre de clientèle que j'avais dans mes classes du lycée français. Avec tout ce qui se passe, on aurait pu penser que de telles familles étaient en voie de disparition, eh bien non. Celle-là est en Russie, elle soutient le Donbass, où elle envoie de l'aide humanitaire. https://www.1tv.ru/news/2022-07-14/433460-bolshaya_frantsuzskaya_semya_shest_let_nazad_pereehavshaya_v_podmoskovie_pomogaet_detyam_donbassa

Je ne me suis toujours pas décidée à récupérer Nounours, et je sens une sorte de pesanteur intérieure analogue à celle qui m'a fait renoncer au dernier moment à déménager dans un joli village, quelque chose d'insurmontable. Ce petit chien me plaît beaucoup, mais je suis harcelée par mes chats, leurs bêtises, leurs crises de jalousie, je suis finalement très occupée, et de plus en plus fatiguée, physiquement et émotionnellement, un chiot demande de l'attention, de l'éducation, de la fermeté, je me demande si je n'ai pas passé l'âge de me lancer dans cette aventure. Ma voisine Ania le pense, elle me dit qu'elle a pitié de moi, parce que le chien deviendra énorme, qu'il peut me renverser, qu'il faut être  disponible. Ils sont toute une famille à s'ocupper du sien, qui est adorable et visiblement très heureux. Moi je suis seule et usée, percluse de rhumatismes. Ce qui s'est passé avec le chat à Moscou m'a provoqué des insomnies et une crise de migraine comme je n'en avais plus eu depuis longtemps. Ania me dit que Sacha et Olga s'occuppent bien de leurs chiens, qu'ils les promènent, qu'ils les lâchent de temps en temps. Je me souviens de ce que maman m'avait dit un jour, qu'il ne fallait pas se charger de fardeaux qu'on ne peut pas porter.

Je pressentais qu'Ania avait pris un chien parce qu'elle craint de perdre son mari, qui est beaucoup plus âgé qu'elle, il a mon âge. C'est le cas, elle craint terriblement de le perdre, elle est même allée en pèlerinage à Diveïevo faire prier pour sa santé. Il n'est pas malade, Dieu merci, mais il vieillit, et il a eu le covid, lui aussi, il doit encore être fatigué. Ils sont très unis, et leurs enfants sont très bien, ils n'ont pas du tout la mentalité de merde du petit ado élevé au consumérisme et à la tablette par des beaufs. Ce sont des gens pour lesquels j'ai autant d'affection que de respect. 

Elle m'a proposé de lire un extrait de mon livre à la présentation de Rostov, et m'en a fait la démonstration. Elle ne lit pas avec le talent de Katia, mais elle lit distinctement, et  c'est le principal.

L'artisan qu'a mis Kola sur l'affaire, Andreï, me plaît beaucoup, il n'est pas idiot, efficace, il me propose même des solutions plus rapides et plus économiques, au lieu d'essayer de me tirer du fric n'importe comment pour n'importe quoi. Et il va me refaire tous les trucs qui ne vont pas dans la maison. Je rends grâce à Dieu de me l'avoir amené...

J'ai découvert la vue que j'aurai depuis la terrasse, qui est à présent presque terminée, il manque l'escalier, mais nous attendons Kolia, qui doit faire un socle en béton. C'est vraiment merveilleux, j'aurais dû faire cela plus tôt, cela change tout, à la limite, je devrais presque être reconnaissante au voisin de m'avoir poussée à chercher cette solution par sa construction brutale, intrusive et moche! Car j'ai sous les yeux un paysage dégagé, enore pittoresque, depuis un recoin où j'ai bien la paix, tout le jardin à mes pieds, la maison d'Ania, celle d'oncle Kolia est cachée par les arbres, mais ce n'est peut-être pas plus mal, étant donné ce que l'on va certainement finir par en faire...



J'ai lu avec intérêt ce numéro du blog "journal d'un orthodoxe ordinaire" de mon ami Maxime, il remet bien les pendules à l'heure: ☦️ ORTHODOXE ORDINAIRE : JUSTE AVANT LA FIN… comme il avait été prophétisé. Pas la peine d'être pessimiste. (orthodoxe-ordinaire.blogspot.com)

Ici, un article faux-cul et propagandeux pour salir Makine, que je plains beaucoup car il a aimé et choisi la France et voit maintenant son pays d'origine soumis à des calomnies constantes et des interprétations biaisées. Or il sait bien ce qui est vrai et faux, il vient de Russie. Les gens comme lui, ou comme Soljénitsyne, ont une vision stéréoscopique, ils voient les deux côtés du problème. Je l'estime pour son courage. Qu'il soit amené à prendre cette position inconfortable dans le pays qu'il a aimé et où il occupe une position enviable est en soi significatif et devrait faire réflechir ceux qui en sont encore capables. Aucun des Français émigrés de ma connaissance n'est placé devant ce genre de dilemme, ils sont tous patriotes de la Russie, même quand ils sont nostalgiques de la France. J'en discutais avec mon artisan Andreï, il soutient son gouvernement à mort et écoute la propagande ukrainienne avec une curiosité d'entomologiste. Il a des connaissances en Allemagne qui sont consternées et cherchent à revenir.

Poutine, l’Ukraine et la « propagande européenne » : le monde rêvé d’Andreï Makine (nouvelobs.com)



mardi 19 juillet 2022

Apparition

Le ciel est ce soir si beau, et je trouve magique de le voir depuis ma fenêtre, j'en avais perdu l'habitude. A ses tons cuivrés répondent le joyeux bouquet d'étoiles des lys de Nadia. Je vais mettre plus de lys, ceux-ci poussent très bien. Je sens que nous arrivons déjà au versant automnal de notre bref été. 
J'ai fait la présentation de Yarilo, mais le moment le plus intense de la journée fut la liturgie du matin, où il n'y avait presque personne, où j'étais presque seule avec le métropolite Philippe, et je lui recommandais les miens, les personnages de mon livre, et puis aussi la pauvre propriétaire du chat que je croyais avoir sauvé et qui ne cesse de me hanter; pourtant là, vraiment, je n'y étais pour rien, mais c'était comme si je prenais ce chagrin et cette culpabilité sur moi, j'espère que cela allège mystérieusement les siens. Il y a quelque chose de si affreusement irrémédiable dans la mort, de si irréparable... Le chat était là, soyeux, éperdu, et puis quand sa maîtresse est arrivée, on ne pouvait plus rien pour lui. Et cela faisait écho dans mon coeur à la tragédie qui frappe mon amie et pour laquelle je ne trouve pas de mots...
J'aimerais avoir un signe des gens de ma famille que j'ai perdus. Parfois, je sens des présences très proches, le père Placide, le métropolite Philippe, et même parfois l'higoumène Boris, mais je n'arrive pas à trouver celle de mes parents qui me manquent tellement. Peut-être que les hommes de prière se relient plus facilement à nous par delà la mort et les siècles.
J'avais un peu moins de monde pour Yarilo que pour les chroniques, cela touche les gens de moins près. Mais j'ai eu des réactions très chaleureuses. Katia a magnifiquement lu son extrait, avec un vrai talent d'actrice. J'étais très fatiguée, et j'avais mal à la tête. J'ai même reculé devant le café français, j'avais envie de silence, je suis rentrée chez moi. Cette migraine a duré trois jours, je pense que je la dois au chat.
Ce soir, je suis repassée au café, Gilles m'avait vendu plusieurs livres, j'ai goûté le fraisier de Godfroi, alors que mon intention était de me mettre au régime. Et il a introduit un nouveau gâteau, le rocher, que j'ai remis à une date ultérieure, parce que, comme disait en passant à table le regretté père Gauthier, une de nos figures familiales, "un certain ascétisme convient".
Je voulais mettre une dédicace sur l'exemplaire de Vladimir, qui s'occupe du bar, et alors que je commençais à descendre l'escalier, une jeune femme assise en bas m'a regardée avec de grands yeux en murmurant "Laurence", comme si elle avait vu la sainte Vierge, j'ai eu un choc, je crois qu'il va falloir que je m'habitue!
C'était une relation facebook, qui, passant par Pereslavl, se demandait comment y rencontrer Laurence en chair et en os. Eh bien naturellement, en allant au café la Forêt, bien que je sois plus accro aux gâteaux du rez-de-chaussée qu'aux bières du sous-sol! Elle était tout à fait charmante, et avec Vladimir, nous avons parlé d'Ivan le Terrible. La jeune femme me disait qu'au vu de l'île de Siyavsk, qu'il avait couverte d'églises au moment de la conquête de Kazan, elle pouvait difficilement l'associer à un maniaque et c'est vrai qu'il a laissé partout d'admirables constructions. Il est exact que peu de documents fiables subsistent sur son règne. Moi, je le vois comme un personnage de Dostoievski, déchiré par toutes sortes de passions, mais idéaliste, et nostalgique de la pureté et de la sainteté. Un Russe, en somme.
J'ai quitté cette compagnie, parce que mes artisans devaient arriver à cinq heures, ce qu'ils n'ont naturellement pas fait. Kolia a mis sur le coup un type qui a l'air de connaître le boulot, mais il n'est pas venu, cela fait deux mois que ça traîne, et ils ont bien sûr laissé dans mon jardin des poutres et des tuyaux que je ne peux déplacer seule, qui me font cuire les yeux, et m'empêchent de tondre...


                                                                                                                                                                        
J'ai vu qu'un prêtre orthodoxe israélien, sur facebook, colportait toutes les calomnies ukrainiennes sur les Russes avec l'assurance absolue que ces derniers sont fondamentalement coupables de par leur nature intrinsèquement barbare. Les Russes brûlent le blé ukrainien. En effet, ce n'est pas le gentil président Zelenski qui ferait une chose pareille à ses administrés, c'est par définition impossible. Pourtant, le problème est qu'en Ukraine comme partout ailleurs en Europe, les dirigeants peuvent faire n'importe quelle saloperie à leurs populations, puisqu'ils n'ont plus aucun sentiment d'appartenance à une communauté nationale, ce sont tous les membres d'une caste hors sol, d'une espèce de secte. Ils sacrifieront allègrement tous les Ukrainiens à leur guerre médiatique contre la Russie, où d'ailleurs, des terroristes, venus du trou noir, ont installé des dispositifs dans les champs de blé pour obtenir le même résultat que chez eux. Les Russes, en revanche, n'ont aucun intérêt a s'aliéner des populations qui leur sont, dans la partie orientale où ils sont déployés, largement acquises ni à aggraver une pauvreté qu'il leur incombera d'assumer. De plus, ils n'ont aucune haine contre les populations ukrainiennes, et ne tiennent aucun discours en ce sens, alors qu'en face, depuis le maïdan et même avant, la haine est écumante et relève de la psychiatrie. En réalité, le président ukrainien se fout des gens comme d'une guigne, et sait très bien qu'en bombardant le Donbass ou en faisant brûler les champs de blés, il s'attaque non à des Ukrainiens agressés par des Russes, ce qui pourrait paraître absurde, mais à des Russes maintenus de force dans sa nation artificielle, et cela sur commande d'une mafia supranationale de banksters qui n'hésite pas à faire tirer sur les agriculteurs néerlandais à balles réelles par leur propre police..
Du reste, il n'y a pas qu'en Ukraine que brûlent les champs de blé, ils brûlent aussi en Roumanie, où on ne nous dira pas que ce sont les Russes, mais le réchauffement climatique, qui lui aussi a bon dos. Ou bien, comme l'envisage Boulevard Voltaire, à propos des incendies de forêt en France, le terrorisme islamique, son dos n'est pas mauvais non plus. Je crois qu'il n'y a qu'un seul terrorisme, qui utilise les cinglés là où il les trouve, et peu importe leur étiquette. Mais bon, naturellement, je suis complotiste...
Tout cela est aussi ignoble qu'atroce et je me fais beaucoup de souci pour ceux qui sont là bas, dans le paradis démocratique. En même temps, le tour qu'ont pris les événements m'a donné une espèce de sérénité. Un correspondant m'écrivait que l'on pourrait déboucher sur une catastrophe nucléaire, mais je n'y pense pas tellement, pas plus qu'à la chute d'un astéroïde géant, je vis au jour le jour. Si la Russie est vaincue, mais c'est peu probable, je n'aurai plus aucun endroit où me réfugier sur cette planète, entièrement au pouvoir de tout ce que j'abhorre. Auquel cas, peu m'importe la suite, je n'aurai plus qu'à mourir, et on s'occupera sans doute de me faciliter les choses. Si elle triomphe, le monde prendra une autre direction, sans doute plus acceptable pour les êtres humains, et je mourrai avec l'espoir que les enfants ont encore un avenir. Cependant, j'ai le coeur fendu par le sort de l'Europe, que ses dirigeants mènent à une perte totale et sans gloire.
Le dernier numéro de l'Antipresse est particulièrement riche et percutant. Slobodan Despot analyse avec humour le comportement aberrant du personnel politique occidental, si néfaste, et pose la question: le font-ils exprès? Je crois que oui mais l'on est rarement très intelligent quand on est méchant et vil, on est astucieux, mais on ne voit pas très loin, et surtout, on est incapable d'imaginer des comportements qui ne soient pas dictés par de bas intérêts ou des rancoeurs. Et c'est là qu'on fait des erreurs d'appréciation parfois fatales. 
Son article sur Soljénitsyne est également très profond, et me touche particulièrement par la définition qu'il donne de la fonction littéraire: 
La littérature est radicalement artistique, mais il existe des questions purement littéraires, qui ne se retrouvent pas dans les autres arts. L’écrivain est tenu de s’incliner devant la force suprême qui le traverse. Son devoir intérieur se traduit dans sa relation sacrée à l’écriture: Soljenitsyne en fait une obligation morale et spirituelle, une responsabilité littéraire devant Dieu, une relation à l’absolu. Dans le monde moderne, cette obligation morale s’est effondrée: on écrit n’importe quoi, on ne répond plus de ce que l’on écrit; les écrits s’envolent, d’autant plus depuis l’essor du numérique. Lorsque l’on écrit avec ses pieds, on ne risque pas de rencontrer les étoiles. De même, Soljenitsyne rappelle que ce qui est précieux rencontre toujours peu d’adeptes, et seulement un tout petit groupe de connaisseurs. À vouloir plaire à des millions de gens, les auteurs baissent le niveau culturel du livre. La culture de masse est une antinomie, un désastre, l’inverse du folklore qui recèle l’esprit d’une culture locale et survit au temps avec de vieilles chansons transmises de génération en génération. Pour Soljenitsyne, notre époque est effroyable par sa propension à tout faire disparaître sans s’en préoccuper, sans aucune garantie ni certitude que ce qui a disparu puisse revenir. Cela peut disparaître pour toujours. Un auteur littéraire peut ne pas avoir réalisé ce qu’il devait réaliser. Un véritable auteur a une mission spirituelle et sait qu’il en est investi. Sa littérature est un souffle qui l’envahit, est le produit de ses états d’âme autant qu’elle les façonne.
Ce passage recoupe ce que j'ai dit moi-même à la présentation de Yarilo, car c'est ainsi que j'ai toujours vu les choses. Un acte mystérieux qui nous relie avec l'océan de toutes les âmes, qui fait de nous l'organiste d'un instrument aux milliards de voix, un médium.
Mon collègue blogueur Panagiotis met les pieds dans le plat mafieux, avec sa dernière chronique de Greek Crisis:http://www.greekcrisis.fr/2022/07/Fr0977.html
Cela n'ouvre-t-il pas de vertigineuses perspectives sur l'abîme du trou noir?


                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

vendredi 15 juillet 2022

Le métropolite et les crocodiles


J'ai fait un aller et retour à Moscou pour récupérer mes livres et voir le père Valentin, et aussi Dany. Mon intelligent éditeur n'était pas en forme. Il a été malade. Son local a changé, il est juste en face du monastère Danilov et, comme à l'époque de Yarilo, on entend sans arrêt des carillons, car le monastère forme des sonneurs.

Le livre est très beau. L'éditeur Slava pense qu'il va se vendre.

J'ai passé une soirée chez Dany et Iouri, qui ont eu aussi des problèmes de santé, nous en avons tous, c'est le propre de notre tranche d'âge. D'après le psaume, nous commençons tous à être en sursis. "70 ans pour les plus robustes, le surplus n'est que peine et douleur".

Pendant la nuit, j'ai été réveillée par un grand fracas et des cris affreux. Cétait un chat tombé sur le bord de ma fenêtre depuis les étages superieurs, un chat magnifique, de race sphinx, avec un poil ras et frisé tout soyeux, un corps élégant et souple, très propre. Il m'a paru complètement affolé, j'ai essayé de le calmer, de le nettoyer, car il s'est mis aussitôt à déféquer et vomir, et pour l'isoler de la chienne, et du père Valentin aussi affolé que lui, je l'ai mis dans la salle de bains puis j'ai collé une affiche dans l'ascenseur, afin de signaler que nous l'avions recueilli. 

Au matin, je l'ai trouvé mort, ce qui a dû se produire tout de suite après que je l'eus laissé. J'étais consternée. C'était un chat magnifique, certainement très aimé. Et de fait, j'ai vu arriver  deux heures plus tard sa patronne qui, apprenant le drame, a éclaté en sanglots, et moi aussi. C'était une petite bonne femme entre deux âges, dont l'aspect ne correspondait pas à ce chat de luxe, et dont il était sans doute la plus grande joie, la consolation d'une vie terne. Elle s'accusait de sa mort, car à cause de la chaleur étouffante dans ces appartements, elle avait laissé la fenêtre entrouverte. Je connais bien tout cela, qui m'est déjà arrivé sous une forme ou une autre, et j'avais terriblement pitié et de la dame et du chat. Je suis restée au bord des larmes toute la journée à ruminer les événements du même ordre que j'ai traversé dans ma vie. 

Je pensais qu'il était mort de peur, mais en fait, il a certainement dû se blesser en tombant, ce sont des chats certainement fragiles, une race artificielle, comme les spitz miniatures... 

Je suis revenue chez moi heureuse de retrouver mon jardin et même mes chats cagueurs et pisseurs, à qui je n'ai pas souhaité la malemort. Il fait beau, un petit air frais, le lys de Nadia la chevrière fleurit et il est magnifique, un bouquet de trompettes d'or.

Le père Valentin m'a raconté que sa fille Olga avait assisté à l'arrestation d'une ado qui brandissait une pancarte "non à la guerre", et qui tremblait de peur à l'idée des conséquences: elle se voyait soumise aux sévices décrites dans la presse libérale pro occidentale; or après l'avoir sermonnée, les flics lui ont dit de rentrer chez elle. La gamine n'en croyait pas ses oreilles: "Vous ne me gardez pas?

- Et pourquoi faire?"

Quand on s'attend à l'échafaud ou au cul-de-basse-fosse, c'est sans doute même un peu vexant!

Nous avons parlé de l'Eglise Ukrainienne, le père Valentin est très heureux que le patriarche et les hiérarques russes n'aient point réagi ni crié au schisme, personne ne juge le métropolite Onuphre, et de plus, cela fait la démonstration de son indépendance effective, que tous les soutiens empressés de l'intervention pachydermique du patriarche Bartholomée dans le magasin de porcelaine ukrainien contestent.

Et à ce propos, mon téléphone ne recevant plus facebook, j'ai appris par Dany et vérifié ensuite que s'installait tout un échange de répliques auquel je ne pouvais participer, sous ma dernière chronique, où j'évoque le métropolite Philippe, entre une dame orthodoxe libérale et atlantiste; c'est-à-dire qu'à mes yeux, elle soutient les gens les plus infernaux qui soient sur la planète en ce moment, et des amies qui la contredisaient. D'après cette dame, le métropolite Philippe, martyrisé pour avoir résisté à Ivan le Terrible, n'aurait pas approuvé l'intervention russe au Donbass. Bien que je n'ai guère le temps de faire une réponse, je sens qu'elle s'impose, et elle servira pour tous les autres.

Chère corréligionnaire, je ne sais si cette chronique se prêtait tellement à une discussion de cette sorte, mais soit, allons-y. Mon histoire avec le métropolite Philippe est très ancienne, et méritait mieux qu'une telle réaction, je n'ai pas l'impression qu'il me désavoue, en l'occurrence.

Le métropolite Philippe défendait contre Ivan le Terrible les propres sujets de celui-ci et non pas les Polonais, les Lithuaniens ou les Suédois. Je ne pense pas que, dans la situation présente, il approuverait l'abandon de populations russes et orthodoxes aux exactions fantasmagoriques de personnages plus ou moins uniates, néonazis et néopaïens revendiqués, dont les tortures et les viols ne sont pas moins atroces et inventifs que ceux qu'on attribue à Ivan le Terrible et son Opritchnina.

Je n'avais pas connaissance de l'opinion de Poutine sur l'assassinat du métropolite Philippe, vous êtes visiblement plus à l'affût que moi de ses moindres dires. Par quel canal l'avez-vous apprise? Au reste, il a très bien pu le dire, c'est une opinion qui circule, certains pensent que Maliouta Skouratov aurait pris cette initiative, ce qui après tout, est possible, et n'innocente pas le tsar pour autant, comme le démontre tout le roman de Dostoievski les Frères Karamazov. Sans contester le martyre du saint homme, il en est aussi pour estimer que l'on ait pu exagérément noircir le tsar sur lequel en fin de compte, on a peu de documents irréfutables. C'est également possible. a partir du moment où on l'identifie à Staline, on assiste à des excès dans un sens comme dans l'autre, ceux qui en font une caricature, dans leur désir de noircir toute l'histoire russe et de prouver que le peuple russe est incapable de se gouverner normalement, et ceux qui voudraient le canoniser, ce qui est bien sûr, contestable. 

Cependant, comparer Ivan le Terrible à Staline me paraît abusif, car l'époque était différente, le tsar un monarque légitime, et Staline un dictateur qui a d'ailleurs fait beaucoup plus de victimes qu'Ivan le Terrible, et dans toutes les couches de la population. Mais comparer Poutine à Ivan le Terrible, ou à Staline, puisqu'il paraît que c'est la même chose, est absolument grotesque.

Pour juger Poutine, vous vous appuyez, ainsi que beaucoup d'intellectuels censés être équipés pour penser, et plus grave encore, d'orthodoxes qui devraient avoir du discernement et de la prudence, uniquement sur la propagande unilatérale, cynique et grossière de gens profondément antirusses et antichrétiens qui ont fait et continuent à faire, le malheur des pays qu'ils parasitent, et poursuivent la Russie, qu'ils n'ont pas pu encore achever, d'une haine infatigable. 

Vous me ramenez sainte Politkovskaïa et autres personnages dont cette propagande s'est emparés et qui ne représentaient pas grand chose, qui ne mobilisaient pas grand monde, et ne valaient pas la peine d'un assassinat, qu'on n'a jamais prouvé. C'est la raison pour laquelle, personnellement, je n'y crois pas, d'autant plus que le paysage audiovisuel russe, jusqu'à une date récente, grouillait de journalistes entièrement dévoués à votre cause, à croire qu'ils étaient payés par les mêmes ou mus par les mêmes sentiments haineux et les mêmes intérêts, peut-être tout cela à la fois. Ils diffusaient librement sur les ondes exactement les mêmes mensonges que dans les contrées européennes, et jusqu'à de faux reportages, comme le journaliste Ganapovski, et personne ne les assassinés, ni même arrêtés, dans le pire des cas, ils sont partis. Alors pourquoi Politkovskaïa plutôt qu'eux, et pourquoi Nemtsov, personnage discrédité, dont la mort n'était utile qu'à faire marcher les gens comme vous? Quand aux Skripal, c'était tellement cousu de fil blanc que je ne comprends même pas comment une personne dotée d'un cerveau peut prêter le moindre crédit à cette histoire. 

En revanche, vous vous foutez complètement des nombreux journalistes assassinés ou arrêtés en Ukraine, de ceux qui se sont exilés, des journalistes occidentaux persécutés par leurs gouvernements respectifs pour avoir dit la vérité sur le Donbass, ainsi que des opposants molestés et intimidés dans le charmant bastion otanesque dont vous prenez si ardemment la défense. Dès 2015, j'avais traduit un appel d'une député unkrainienne, Elena Bondarenko, qui essayait d'attirer l'attention des pays "démocratiques" sur les dérives totalitaires du sien, appel que personne ne voulait publier, évidemment, et qui est passé inapperçu, de même que toutes les horreurs commises pendant les huit ans qu'il a fallu à la Russie pour réagir, tenter d'y mettre fin, et d'éviter une contamination qui aurait fini par menacer sa propre existence. Je me répète, bien sûr, mais je vous invite une fois de plus à regarder l'intervention de l'avocate ukrainienne Tetyana Montian au conseil de sécurité de l'ONU, dont votre presse n'a bien sûr pas parlé. J'ajouterai que pour ce qui est des menaces, dont vous pensez être l'objet de la part d'amies civilisées, les gens qui se sont penchés sur le trou noir mafieux et ses péripéties en reçoivent de réelles, et les consignent à toutes fins utiles.



Vous me reprochez de mélanger la politique et la religion. Ah bon, et pas vous? Et pourquoi les bonnes âmes de l'orthodoxie libérale, intelligente et occidentale, ont-elles justifié la pagaille créée en Ukraine par le patriarche Bartholomée? De sa part, ce n'était pas de la politique? Comment a-t-on pu soutenir cette entreprise infâme commanditée par la CIA? Cela vous va bien, à tous, de baver sur le patriarche Cyrille, quand vous avez épousé cette mauvaise cause et ignoré les persécutions contre l'Eglise ukrainienne traditionnelle comme vous avez ignoré les bombardements de civils au Donbass. Que doit faire Cyrille, pour vous plaire? Bénir l'entreprise visant à nettoyer le Donbass de sa population pour faire place nette aux mafias d'outre Atlantique? Puis le démembrement de la Russie? L'imposition de toutes les "valeurs européennes" ignobles et délirantes que fuient en Russie une partie des orthodoxes européens et américains?

La réalité c'est que non seulement votre gouvernement censure et déforme tout avec une rare fourberie et le secours d'une presse unilatérale, mais vous vous censurez les uns les autres, et cela fait des décennies que cela dure et que les "intellectuels" s'auto-sélectionnent entre eux. De sorte que la société occidentale entière a complètement perdu tout bon sens et tout sens critique. Vous croyez systématiquement la pire propagande parce qu'on vous a persuadés que les Russes sont par essence, par nature, capables de tout. Hypnotisés sur la révolution d'octobre, dont on met complaisemment les affreuses conséquences sur le dos des seuls Russes, alors que toutes les régions de l'empire y ont participé, et que ses cadres étaient majoritairement non russes et russophobes, vous êtes incapables de voir ce qui se commet aujourd'hui, sous l'impulsion de malfaiteurs supranationaux, autrement dangereux et atroces que Poutine. Comme disait déjà Céline, Staline a le dos large. Les Russes aussi.

Pourquoi croyez-vous que je vis ici, au pays du vilain méchant Poutine, par masochisme? J'écris sous la dictée d'un tchékiste qui me braque un revolver sur la tempe? Ou bien je suis soudoyée peut-être? 

J'ai horreur de la politique, et n'en parlerais jamais, si je n'avais les yeux grand ouverts sur des infamies que je ne peux cautionner, et depuis longtemps. C'est d'ailleurs pour cela que je suis monarchiste, la monarchie nous délivrait de la politique. Vous préférez prendre les vessies pour des lanternes, grand bien vous fasse. Je comprends que mon blog vous chagrine, mais que voulez-vous, sans renier du tout la France, mes ancêtres et ma culture, comme tous les étrangers qui s'obstinent ici, je suis patriote de la Russie, et cela d'autant plus, qu'on fait de l'occident un asile de fous où même les orthodoxes deviennent absurdes. Non seulement, Politkovskaïa ou pas, je préfère Poutine à Macron, Biden et autres fantoches des banksters du nouvel ordre mondial, mais je leur préfère aussi Bachar El Assad et même le défunt Saddam Hussein. Je leur préfèrerais aussi bien un crocodile, d'ailleurs. 

 

mardi 12 juillet 2022

Philippulus


Après conversation avec ma tante Mano, Félicie s'avère sa grand-tante, mon arrière grand-tante, mon arrière-grand-mère, c'était Suzanne, Félicie était sa soeur.
Dimanche, je suis allée voir le père Vassili, le prêtre ukrainien, comme m'y avait invitée sa matouchka. Ils habitent à dix minutes de chez moi, sur les hauteurs, là où je vais contempler le lac. Ils ont la vue sur les monastères de Pereslavl, mais les maisons autour sont affreuses, et question voisins, cela semble pire qu'ici. Ils en ont un très proche qui leur colle la radio en boucle sans se demander s'ils préfèrent le silence. Apparemment, ceux qui se posent ce genre de questions ne sont vraiment pas la majorité. Moi, j'ai le déverseur de camions de glaise, et le massacreur de bouleaux. Mais toute la compagnie d'heureux propriétaires de patous des Pyrénées est plutôt normale...



Je dis que les maisons sont affreuses, et en effet, elles le sont, mais il y en a une qui a été bien réparée, ou bien construite, bois apparent, toiture en zinc, j'ai voulu faire une photo, mais à cause du cotre-jour, on ne voit rien. J'ai vu ce type de restauration sur les bords de la rivière Troubej, ce doit être la mode chez les moscovites, ils récupèrent le bois brut et posent de belles toitures en zinc. Derrière l'isba d'origine, on a monté une maison qui en reprend la forme et la prolonge harmonieusement, ce qui permet d'avoir plus d'espace sans saccager tout.
L'artiste peintre Ioulia m'a raconté que, dessinant une vieille maison pittoresque, ce qui est sa spécialité, elle a été abordée par le propriétaire de la maison voisine, horriblement rénovée, qui, jaloux de ne pas être l'objet de son attention, lui a crié: "Hé! L'artiste! Moi, si j'enlève le plastique, j'ai aussi des rondins de bois!"
Le père Vassili fait des icônes, il a de très gentils enfants qui aident à l'église et au jardin, pour ce qui est des garçons, et à la maison, pour ce qui est des filles. La matouchka a emmené toute la tribu pour m'accompagner jusqu'à ma rue. En passant par les prés, les enfants m'ont cueilli des fraises des bois.
Une amie très chère, femme tendre et délicieuse, a été frappée par une tragédie qui me poursuit, et qui prend à mes yeux, sur le fond de ce qui se passe dans le monde, un sens particulièrement sinistre, on dirait que l'Europe se mue en maison de fous. A Pereslavl, nous sommes pour l'instant protégés, peut-être parce que nous avons ici de nombreux saints qui intercèdent pour nous. La seule chose que je pourrais crier à tous les échos, c'est "priez"! Mais l'on me prendrait en France pour Philippulus le prophète, et ce n'est pas mon genre... d'autant plus qu'il est vain de hurler à l'oreille d'un sourd.
Lorsque je nageais dans le lac, un nuage a brusquement et brièvement lâché sur moi de la pluie, comme un prêtre une giclée d'eau bénite. Je me suis apperçue, en consultant la calendrier des offices à la cathédrale, que la date choisie pour la première présentation de Yarilo, au café, était celle du transfert des reliques de saint Philippe de Moscou. Je reçois en ce moment toutes sortes de signes. Je prie chaque jour saint Philippe pour la sainte Russie, pour moi qui suis venue y vivre, pour mon livre et ceux que j'y ai fait figurer.

ici, tout le bois a été décapé, et une construction ajoutée derrière; la palissade reste traditionnelle

ici, on a conservé l'isba, très jolie et d'un beau ton gris, et ajouté derrière une maison qui en reprend le style
 
restauration en cours, le bâtiment ajouté reprend la forme du batiment existant




Philippulus le prophète

dimanche 10 juillet 2022

Bain de bonheur

 

lune rousse

Le frère de Nounours, celui qui est chez Ania, est vraiment bien tombé, Ania et son mari voient leur ado s'émanciper, et le chien va leur servir de substitut, ils l'adorent. Aliocha l'a nommé Tsézar, César. César, ça ferait très chien rural français, mon beau-père a eu un cocker ombrageux qui portait ce nom, dans les années 60. La prononciation russe donne un autre caractère, bien sûr. Le voisin Sacha appelle Nounours Noursik...

Avec Tsézar, nous sommes allées chez Nadia la chevrière chercher des pieds de mélisse et du fromage maison. Elle nous a submergées de ses productions avec une bonté bougonne. Je regardais sa modeste maison, reconstruite après l'incendie, son potager abondant, je sais qu'elle n'a pas eu la vie facile, et pourtant, elle respire la sérénité, écrit des poèmes, tient un journal et bénit chaque jour le Créateur de lui offrir de splendides couchers de soleil qu'elle regarde avec ses chèvres. Est-elle heureuse ou malheureuse? Elle vit...

Il me faut absolument aller tous les jours à la rivière, car c'est un bain de bonheur. C'est beau, paisible, j'étais captivée par les tout petits nuages parfaits que le lac exhalait par bouffées, leurs liserés gris et roses, leur volume tendre, ces petites pensées enfantines, nées d'une surface bleue et lisse où glissent des pêcheurs amicaux . Et puis ces fleurs aquatiques d'un jaune gras et joyeux où s'ébattent les canards, l'église en pain d'épices, les feuillages liquides et brillants des saules, les flâneurs sur la promenade en béton qu'ornent des croix de place en place... mon âme s'épanouit et devient bienveillante à la terre entière, elle s'emplit de reconnaissance envers Dieu qui lui offre toutes ces joies en sa fin de parcours. Je suis partie en vélo au son cristallin des cloches de l'église de la Protection et revenue avec une escale au supermarché Magnit. Sur les chemins cabossés, je respirais de douces effluves fleuries, tilleul, seringat, j'ai l'impression, avec la nonchalance et le désordre russe en plus, de retrouver la France des années 50 ou 60. J'ai vu avec satisfaction que des esthètes avaient magnifiquement restauré une vieille maison, si cela pouvait servir d'exemple aux autres...

Au bord de la rivière, j'ai rencontré une baigneuse matinale qui m'a tenu la jambe un bon moment. Une Russe du Kazakhstan, une ancienne hôtesse de l'air. Elle est depuis 15 ans à Pereslavl. Elle m'a dit qu'elle allait chaque année passer un moment à Kertch, par une agence du coin, que c'était facile, pas cher et merveilleux, la mer d'Azov d'un côté, la mer Noire de l'autre. Elle avalait les mots et je la comprenais mal. Ou alors je deviens sourde, mais je ne crois pas. Apparemment, elle aime Pereslavl, mais elle a la nostalgie du sud et des montagnes. Elle trouve les gens du cru peu ouverts, bien qu'elle ait quitté le Kazakhstan à cause de l'hostilité musulmane, suscitée et entretenue par ceux qui ont tout intérêt à semer la zizanie, là bas comme partout ailleurs. 

Au café, tout change avec l'arrivée de Godfroi, Maxime a pris la vente en mains, je crois que les gens sont contents de voir un vrai Français dans cet établissement français et cela ne désemplit pas. Un concert de free jazz a permis d'inaugurer le bar, au sous-sol. Une amie française de Gilles revenue vivre en Russie après y avoir vécu et travaillé longtemps; m'a dit qu'elle avait l'impression d'une résurrection, qu'elle se sentait complètement euphorique...

le nouveau staff du café

Je me demande combien de temps durera notre petit miracle de Pereslavl-Zalesski où, en dépit de tout, nous avons une existence paisible, où je laisse mon vélo appuyé contre un arbre sans antivol. Un pays encore normal, c'est un pays où les chevrières subsistent sur leur petit troupeau et leur potager. Où des pêcheurs nonchalants vous lancent une plaisanterie en prenant le large du lac. Où le fils de la voisine peut aller s'essayer à la pâtisserie, dans une ambiance exigeante mais détendue de petite structure. Où règnent malgré tout la confiance, la bonhommie et la solidarité. Même si tout n'est pas parfait ici, loin de là. Quand je lis le blog de Panagiotis, et que je vois en Europe brûler les récoltes et périr les troupeaux selon ce qui semble bien un plan organisé, je comprends à qui et pourquoi la Russie fait la guerre et sacrifie de jeunes soldats pour lesquels je prie tous les jours, les morts et les vivants, de tous bords. Poutine a déclaré qu'on ne pensait pas assez à eux, qu'on profitait de l'été en toute quiétude, pendant qu'ils risquaient leur vie là bas. Certes, et ce n'est pas que je n'y pense pas, j'y pense beaucoup, cela fait huit ans que j'y pense, mais on ne sait pas de quoi demain sera fait et l'appréhension, et l'horreur, nous prennent trop à la gorge, si l'on ne trouve pas de dérivatifs, soit dans la prière, soit dans la joie du bel instant, soit éventuellement dans les deux.

http://www.greekcrisis.fr/2022/07/Fr0975.html