Avec Skountsev, je chante le vers spirituel "nous avons trop dormi" |
A
la sortie de Pereslavl, j’ai pris une autostoppeuse et me suis fait une amie.
Il s’agissait d’une femme que j’avais remarquée, au monastère saint Théodore,
pour sa beauté et sa classe : grande, mince, blonde, beau visage slave.
Elle m’a parlé une bonne partie du voyage de ses enfants qui sont tout pour elle et qui sont partis
vivre leur vie. Elle allait soigner sa fille actrice tombée malade, à Moscou. Nina
vit dans un appartement, mais elle projette de se retirer dans l’isba de ses
parents près de Kostroma. En dehors de ses enfants, et de la religion, sa seule consolation dans la vie, c’est la
contemplation de la nature, et le jardinage, le miracle de la germination et du
développement de la vie. Elle trouve
très important de faire des jardins qui soient en harmonie avec le paysage
environnant et des potagers esthétiques. Pour ses cultures, elle professe les
idées de la permaculture, ne pas violer la terre, respecter les organismes qui
y vivent et collaborer avec eux. Je me suis émerveillée : «Ce point de vue
ne me semble pas très répandu chez vous…
-
Non, il ne l’est pas.
-
C’est tout à fait le mien et je sens que ma voisine rêve de me faire organiser
des massifs tirés au cordeau avec une terre propre et retournée…
-
Je vis en appartement, et me ferai une joie de vous aider à faire un jardin
respectueux de la nature. »
Je
venais faire une lecture publique d’extraits de mon livre, à laquelle dix
personnes avaient confirmé qu’elles assisteraient, ces personnes en ayant
invité quelques unes supplémentaires, je tablais sur au moins une dizaine, et
j’avais prévu plus au cas où. j’en ai vu arriver cinq. Je n’avais pas pu la faire
avant, pour toutes sortes de raisons, et là, j’ai souffert sans doute du
phénomène datcha : le pont du 1°mai… Je déplore surtout que ces
défections se soient faites sans prévenir. Si j’avais su, j’aurais remis à plus
tard et me serait épargné du tracas et des dépenses.
Mais
avec celles qui étaient là et Skountsev arrivé plus tard, malgré un lumbago,
nous avons passé une soirée très chaleureuse. D’entendre lire le texte me l’a
fait redécouvrir, bien que je le lise moi-même à voix haute quand je l’écris,
selon la technique flaubertienne du gueuloir : si ça ne passe pas à
l’oral, si cela ne sonne pas bien, si quelque chose accroche à l’oreille, je
revois ma copie. Et cela d’autant plus que Flaubert mis à part, j’ai été élevée
par la scansion des vers de Racine, par l’épopée, et plus tard par le folklore.
Mon auditoire clairsemé mais fervent! |
Le
résultat, c’est que mon texte demande même à être lu à haute voix pour devenir
vraiment vivant, pour prendre ses couleurs et sa musique. Une lecture
silencieuse le restreint.
Dans
l’antiquité, la lecture silencieuse n’existait pas.
A
l’écoute de tout cela, je pensais à la traductrice, selon laquelle mon livre ne
parle que de sexe, d’homosexualité, de rien d’autre, et je me suis prise à
penser qu’il fallait être singulièrement stupide pour dire une chose pareille,
ou sinon stupide, carrément malveillante. La question est
« pourquoi ? »
Je
pense que certaines personnes ne se donnent pas la peine de lire vraiment ce
qu’elles lisent, à cause de toutes sortes de préjugés, au nombre desquels le
snobisme et la superficialité qui va avec.
Ce snobisme et cette superficialité sont souvent extrêmement agressifs
quand quelque chose vient les déranger dans leur ronron satisfait, dans leur
consensus intellectuel et social, et les amène à trouver quelque étiquette réductrice et infamante. Ceci plus que la pudibonderie peut expliquer
une pareille réaction. Le résultat est qu’elle a colporté parmi mes amis
orthodoxes l’idée que j’ai écrit de la pornographie sur le tsar Ivan le
Terrible. Merci de ce gentil service.
Dany
pense que les gens sont lus par un livre plus que le contraire, et donc,
certaines personnes y voient ce qu’elles y apportent. Elle a fait le parallèle avec Iouri, qui est
connu, mais n’a pas un succès proportionnel à son grand talent, son talent d’un
autre âge, son souffle et son inspiration d’un autre âge, parce que le siècle
autour de lui est petit et n’aime pas les grands courants d’air, et tout à
coup, tout cela me devenait égal. Le plus important était que j’eusse écrit ce
texte, et que les personnes susceptibles de l’apprécier y eussent accès, peu
importe comment. Les gens qui cherchent la vérité, la profondeur, la beauté, la
mémoire, seront de plus en plus dissidents, de plus en plus réduits à un
auditoire restreint, en réalité, c’est toute la culture authentique et
exigeante qui devient dissidente, l’argent tue tout, encore plus que la
pesanteur idéologique, l’argent qui fait de toutes choses réelles une contrefaçon. Il y a une contrefaçon de culture, qui tient le
haut du panier, et ne laisse pas émerger ce qui pourrait la remettre en question
par sa vérité, comme il y a une contrefaçon de folklore, tandis que le vrai n’a pas un large
accès au public, parce qu’on préfère le gaver de « kalinkas » de
mauvais goût.
Iouri touche un public par son «théâtre du
poète », son théâtre domestique, je le toucherai par internet.
Néanmoins,
pour toucher le public russe, il faut une traduction, et là ce n’est pas gagné.
Car la musique que j’ai mise dans le texte, il faut l’entendre et la faire
passer…
Il
est étrange que sans en éprouver de vanité, on puisse ressentir avec une profonde
certitude, indépendamment des réactions «autorisées », qu’on a fait une œuvre et que cette œuvre
vivra. C’est le cas lorsque cette œuvre s’est imposée d’elle-même en nous utilisant, lorsqu’elle s’est emparée de nous, ne nous a pas laissé le choix,
lorsque c’est elle qui s’est écrite par notre intermédiaire, et quoiqu’il pût
nous en coûter. Et ce qu’elle m’a coûté
n’est rien en comparaison de ce qu’elle me coûtera encore. Mais je dois
maintenant la soulever à bout de bras pour qu’on l’entende et la voie, en dépit
du brouhaha, des gestes désordonnés, des ricanements et des commentaires
agressifs et déplacés.
Une
jeune étudiante écoutait bouche bée, et m’a dit ensuite que c’était
merveilleux, avec une telle sincérité que j'ai mis les commentaires de la
traductrice à leur juste place.
J'ai chanté avec Skountsev. En réalité, il me faudrait travailler avec lui, je suis trop seule dans mon coin. "Laurence chante bien, joue bien, mais elle ne sait pas accorder son instrument, a déclaré mon cosaque, c'est un problème!"
Nous avons dormi, beaucoup trop dormi
Et laissé passer le Royaume promis
Et laissé passer le Royaume promis
Sont venus volant deux beaux pigeons gris
Sont venus volant deux beaux pigeons gris
Non ce ne sont pas des pigeons volants
Non ce ne sont pas des pigeons volants
Mais deux anges blancs, deux beaux anges
d’argent
Mais deux anges blancs, deux anges d’argent
De mon âme en peine les gardiens vigilants
De mon âme en peine les gardiens vigilants
Qu’as-tu fait mon corps, qu’as-tu donc
méfait ?
De ce beau Royaume ne t’es point soucié.
Le feu de l’enfer tu m’as préparé
Le feu de l’enfer pour l’éternité
Maintenant mon corps on va t’enterrer
Maintenant mon âme on va te juger
Devant le Seigneur, mets-toi à genoux
Seigneur tends-moi la main,
O Seigneur, prends pitié… »[1]
[1]Ой, проспали мы, пролежали мы
А всё царствие, всё небесное.
А всё царствие, всё небесное
Прилетали к нам да два голубя.
Прилетали к нам да два голубя.
То не голубя, то не сизые.
То не голубя, то не сизые -
То два ангела, два хранителя.
То два ангела, два хранителя -
То моей души покровителя.
То моей души покровителя.
Ой, чего ж тело, что взатеяло.
Ой, чего ж, тело, что взатеяло.
Не взатеяло царства Божия.
Не взатеяло царства Божия,
А взатеяло пекло вечное.
А взатеяло пекло вечное -
Пекло вечное, бесконечное.
Пекло вечное, бесконечное.
А тебе ж, тело, у землю роют.
А тебе ж, тело, у землю роют.
А мене ж душу на ответ ведут.
А мене ж душу на ответ ведут.
Ой, впала ж душа перед Господем
Ой, впала ж душа перед Господем.
Перед Господем на коление.
Перед Господем на коление.
Ты ж подай руку на воздержение
Photos Dany Kogan
Où peut on trouver ton livre? Je me rappelle les soirees où tu nous lisais , rue de Clichy, Non loin du clocher de ND de la Trinité, ton roman sur Ivan le Terrible..que tu étais entrain d écrire
RépondreSupprimerÇa nous emportait comme un fleuve magnifique et tumultueux...nous glissions ds son courant, avant de regagner les berges...c était toujours trop court! On avait l impression de sortir d un rêve
Je vais bientôt le publier sur Internet, et je te ferai signe. Je le signalerai ici, d'ailleurs. Je n'arrive pas à le lâcher. Le père Valentin m'a prêté un paquet de livres sur le tsar et son époque, je ne vais pas tout réécrire, j'assume une certaine dose d'interprétation personnelle et de transposition, mais cela me donne envie de partir là bas, même le tsar me paraît beaucoup plus sain que les abrutis qui nous dirigent et finalement moins indifférent à la vie humaine! C'est un rêve qui ne me lâche pas, qui m'a ensorcelée pour toujours, le tsar et Fédia m'accompagnent et m'attendent.
SupprimerAgnès, tu le trouveras aux éditions du Net qui peuvent te l'expédier, de même que Chapitre ou Amazon. comme indiqué en haut à droite de toutes les pages de mon blog.
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